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Retours de résiDANSEPar Imanol Atorrasagasti Jean-Marc Heim Anna Hohler Joclécio Azevedo De nombreuses choses ont été dites sur les pièces mises en discussion. Elles ont certaimenement été utiles, aussi bien à ceux qui les ont dites qu’à ceux qui les ont reçues. L’expérience a été bonne pour tous les participants, qui ont eu la générosité les uns vis à vis des autres de se prêter à un jeu de laboratoire, en prenant alternativement ou simultanément le rôle du cobaye ou de l’analyste. Des choses ont également été dites sur le laboratoire lui-même, et sur les méthodes utilisées. La présence d’une critique de danse parmi les participants a été l’occasion d’aborder aussi, mais plutôt après coup, ce type de critique. Un bon esprit de groupe s’est constitué, par l’intégration des divergences et une conscience constructive des confrontations. La soirée de représentation publique, par son cadre particulier, et les trois jours de travail préalable, a pu réunir en une belle harmonie les univers très différents des trois pièces présentées. Aucun carnet de bord n’a été communément et systématiquement tenu, de sorte que les retours ici présentés sont des réflexions que les participants ont librement écrites individuellement quelques temps après résiDANSE. résiDANSE 06 Imanol Atorrasagasti Trois chorégraphes, une critique, un comédien-plasticien, l’organisateur Jean Marc Heim. Belle rencontre, bonnes séances de travail, échanges dans un même but : aider à développer le travail d’un(e) chorégraphe. Exercice passionnant. Comment faire pour aider à développer le processus de création d’une autre personne ? Comment faire pour ne pas projeter sur son travail ce que je voudrais moi-même faire ou voir sur scène ? Y a-t-il une liste de questions pertinentes à poser dans ce but ? Des questions pertinentes ? J’ai les miennes. Qu’est-ce que tu attends de moi ? Quelle est ta position ? Qu'est-ce que tu énonces ? À qui s’adresse le travail ? Quelle est la relation entre le fond et la forme ? Ces questions changent avec le temps. Les autres intervenants en ont d’autres. Pas de formule. Quand ce partage est fait avec générosité, cela devient un acte tendre, même si l’on dit des choses crues. Nous articulons un discours pour que le chorégraphe puisse regarder son travail par d’autres yeux. Du coup il(elle) est souvent largué(e). L’information a besoin d’un temps d’intégration. Cela peut être frustrant. J’ai envie de leur donner-me donner du temps avant de se revoir. Il y en a pas. Dommage. Ça me stimule de transmettre mon point de vue sans obliger quiconque à changer quoi que ce soit. Qu’il fasse ce qu’il(elle) veut. Que chacun prenne ce qui lui chante. À la fin de trois jours, je remarque que ce partage m’a été très agréable. C’est intime. Ça me permet de me reconnaître dans l’humanité de ceux qui m’entourent. Représentation publique dans un grand studio blanc, tapis gris et éclairage néons Jean-Marc Heim Le fait de devoir (et surtout pouvoir), enlever ses chaussures, invite les spectateurs à pénétrer dans un espace plus intime, à s’engager sur le même sol que celui des artistes, et finalement à être plus proches de la représentation, qu’aucun éclairage spécial ne distinguait d’eux-mêmes ce soir-là. Cette proximité rendait le public visiblement plus présent dans l’oeuvre que dans une salle conventionnelle. L’oeuvre n’est alors plus juste un objet fini que l’on contemple individuellement dans le noir, tel un peep-show, et sur lequel on n’a aucune influence, mais il devient un événement qui se passe dans la fragilité d’une reconstruction en direct, et, surtout, qui se passe dans un rapport avec le spectateur. Cette proximité rend ce rapport visible, et participe à l’enjeu du spectacle, en donnant une place beaucoup plus engagée et active aux spectateurs. Pour l’artiste également cette proximité devient un challenge supplémentaire. Le côté humain et vivant de l’oeuvre d’art apparaît ici de façon plus forte, ce qui en même temps la fragilise. Le masque de l’acteur devient plus mince et laisse transparaître ; il révèle un être mis en situation que l’on pourrait qualifier d’offrande. Le danseur ne peut plus cacher, derrière le lissage des effets, qu’il n’est pas tout à fait ce qu’il joue, et du coup la sublimation par le magnifique se conjugue avec les limites de la créature incarnée. C’est dans un rapport assumé et un jeu de générosité que ces deux dimensions de l’être deviennent inévitablement présentes pour le danseur et le spectateur. Trois jours d’atelierprésentation des pièces et discussions En plus de permettre aux chorégraphes d’avancer dans leur propre travail, le but de l’atelier était aussi d’explorer les outils de réflexion utilisés pour questionner ce travail chorégraphique. “De l’intention à la réalisation“ a été le cadre proposé pour guider le questionnement. Il s’est avéré pertinent pour confronter l’artiste et son travail à lui-même. En prenant comme fondement de toute critique l’intention du chorégraphe, cela n’empêche évidemment pas les projections subjectives du critique, mais cela permet d’avoir le même objectif quelles que soient les opinions divergentes. Ainsi la réalisation, la pièce, est confrontée dans un premier temps aux jugements des regards extérieurs, mais ces jugements extérieurs doivent à leur tour être confrontés aux intentions du chorégraphes. Ce processus dialectique de va-et-vient, oblige le critique à articuler son jugement en intégrant le point de vue du chorégraphe, et ce dernier à requestionner, préciser, défendre, et formuler son intention. Ce processus amène à un élargissement de la conscience de part et d’autre, quand il n’est pas bloqué par de la résistance. Le chorégraphe aura découvert des dimensions inconscientes de lui-même, et par là accru la conscience et la connaissance de son travail. Le critique aura aussi évolué en cernant mieux ses attentes et ses appréhensions. Il n’est absolument pas nécessaire que le critique renonce à ses attentes et appréhensions, bien au contraire, ses projections et sa subjectivité sont justement la nourriture qui va enrichir le processus et le rendre créatif. Le garde-fou qui permet de ne pas s’égarer, mais de se rejoindre, c’est précisément la référence à l’objectif commun : l’intention du chorégraphe. Ce type de critique, comme il apparaît de façon évidente, n’est pas de la même sorte que la critique journalistique. Cette dernière diverge de la démarche adoptée à résiDANSE en plusieurs points. Son objectif n’est pas d’aider l’artiste ; elle n’est pas construite sur la base d’un dialogue ; sa subjectivité doit être soutenue par des références extérieures plus universelles, car l’intention du chorégraphe ne peut pas être une référence valable dans ce contexte. En fin de compte, après avoir élagué les sentiers et rendu la clarté sur le fond des choses, qu’il s’agisse de l’intention du chorégraphe, réalisée ou pas, ou du point de vue du critique journalistique, demeure encore La question fondamentale : quel est l’ultime objectif qui fonde ou justifie la démarche ? La question ouvre des territoirs politiques, philosophiques, théologiques et religieux. Là où certains répondront qu’il s’agit du plaisir, d’autres y mettrons Dieu... La critique de la critique Argument Interview de Anna Hohler Conclusion Anna Hohler Jean-Marc Heim Argument (par J.-M.Heim) Le premier jour de résiDANSE, la discussion s’est ouverte, après les présentations, sur le sujet de la critique. Considérant les divers auteurs de la critique : public non averti, public connaisseur, professionnels de la danse, critique de danse, etc..., nous avons profité de la présence de Anna Hohler, critique de danse au journal 24Heures, pour amorcer un dialogue avec ce seul lieu officiel de la critique artistique, qui se présente souvent plus, pour le spectacle en question, comme un couperet de grâce ou de mort, que comme un document instructif permettant de comprendre. Alors même qu’un juge de tribunal doit fournir une quantité de considérants détaillés pour fonder sa décision, il est parfois bien difficile de trouver d’autres considérations que la seule humeur de l’auteur d’une critique de danse. La question s’est donc focalisée sur ce qui fonde le raisonnement d’une critique. Dans la réalité quotidienne il y a surtout des voix qui font autorité, qui ne se contestent pas, et que l’on croit, car la position qu’elles occuppent dans la hiérarchie des valeurs communément acceptées, est suffisante pour fonder un jugement comme juste ou vrai. Je prétends que c’est le cas du critique de danse : Sur quoi est fondée son autorité ? Il a supposément un diplôme universitaire ou de journaliste, mais avant tout c’est le fait d’être engagé auprès d’un journal à grand tirage qui va lui conférer son titre de critique. En effet ce métier n’existe dans aucune école, ses exigences et finalités sont floues et peu mesurables. Le titre est donc principalement ce qui fait autorité, et c’est un ou des journaux qui le confèrent uniquement. Mais quelles que soient les compétences journalistiques, puisqu’il s’agit de danse, ne serions-nous pas en droit d’exiger un fondement d’autorité par rapport à ce domaine. Quelle est la connaissance de la danse d’un critique de danse ? Il aura vu des spectacles, certainement, aussi aura-t-il lu quelques livres, mais cela suffit-il vraiment pour construire un discours sur la danse ? La danse a besoin des critiques pour lui donner une voix publique. Ils sont les embassadeurs qui contribuent à la visibilité et à la légitimité de cet art, comme constituant de la culture. Dans cette perspective leur rôle est aussi d’émettre des jugements, et de donner des repères face à la multitude des oeuvres qui se présentent. Ce rôle est d’une importance capitale pour le développement de la culture, de la danse, et des artistes. D’où la nécessité d’un questionnement approfondi sur la critique, afin qu’elle puisse avoir le niveau de ses objectifs les plus élevés. Interview par écrit de Anna Hohler(critique de danse pour le quotidien « 24 heures » et le magazine allemand « ballettanz », rédactrice à la revue TRACÉS)Jean-Marc Heim : Souvent les avis critiques et opinions exprimés dans un journal sont tenus par des invités qui représentent des groupes d’intérêts. Ainsi le journal est un espace public d’expression qui permet la cohabitation des différentes tendances contradictoires. Quel groupe d’intérêt, ou tout simplement qui, un critique de danse représente-t-il ? Anna Hohler : Un critique ne peut évidemment représenter aucun groupe d’intérêt, sous peine d’être immédiatement disqualifié. Comme auteur de la critique, il est engagé par sa signature auprès des lecteurs. Cela veut dire qu’un critique respecte les règles de déontologie de sa profession comme tout autre journaliste, et qu’il se distingue justement de ce que vous appelez des « invités qui représentent des groupes d’intérêts » par le fait qu’il ne revendique aucun parti pris préalable : seuls comptent son amour pour les arts scéniques, et sa capacité toujours renouvelée d’émerveillement devant un spectacle. Son travail est mesuré à l’aune de son honnêteté intellectuelle. Pour donner un exemple d’un principe éthique fondamental : un journaliste est tenu de cesser de publier des critiques sur le travail d’un artiste dès lors que s’engagent des relations d’étroite amitié entre les deux. Cette obligation d’indépendance est d’ailleurs inscrite, comme il se doit, dans la Déclaration des devoirs et des droits du journaliste du Conseil suisse de la presse. J.-M. H. : Jugez-vous un spectacle au regard des intentions de départ de l’artiste, ou au regard de vos attentes de ce que devrait être un spectacle ? A. H. : Ni l’un ni l’autre. Les deux attitudes sont contestables, à mon avis. Le critique a bien évidemment la possibilité de se référer aux intentions d’un artiste, si ces dernières sont présentées de manière claire dans un dossier de presse, par exemple, ou s’il a préalablement pu s’entretenir avec le chorégraphe. Cependant, l’artiste se trouve en général totalement impliqué dans sa création et n’a simplement pas le temps de présenter un texte étayé, ou alors il n’a lui-même pas une vision claire de la trajectoire de son travail. Il existe bien sûr une quantité de contre-exemples : je pense à Jérôme Bel, dont les spectacles répondent à une remarquable construction intellectuelle. Ceci dit, penser qu’il devrait exister une équivalence entre intention et concrétisation – ou entre signifié et signifiant – est un leurre. On aurait pu espérer qu’une telle confusion, après Ferdinand de Saussure et Roland Barthes, ne fasse pas perpétuellement retour. Donc, pour résumer : l’œuvre telle qu’elle se présente au critique a une existence propre et n’est en aucun cas prisonnière des intentions de son concepteur. Enfin, quant aux attentes d’un critique, elles n’existent pas en tant qu’absolu, puisque le prototype d’un bon spectacle, ou d’un spectacle réussi, n’existe pas. Croire le contraire signifierait s’enfermer dans une posture, et se tromper sérieusement au sujet de la fonction d’une œuvre d’art. J.-M. H. : Y a-t-il autre chose qui fonde votre critique ? A. H. : Cela va de soi. Le souci, entre autres, de fournir au lecteur une information claire, et de lui faire partager l’ambiance d’une soirée, car la grande majorité n’a pas vu et ne verra jamais le spectacle dont il est question. Ensuite, de proposer des clés de lecture, de poser des enjeux ; de situer l’œuvre dans la trajectoire de son créateur et de dégager un contexte. Bref, le souci de repérer, de décoder et de mettre en perspective la construction et l’argumentaire visuel d’un spectacle. A ce sujet, l’écrivaine et journaliste culturelle Silvia Ricci Lempen parle, dans un article publié en 1999 dans « Passages », le magazine culturel de Pro Helvetia, du contrat que chaque journaliste culturel – du moins celles et ceux pour qui le professionnalisme est une exigence – signe tacitement avec lui-même. « L’objet de ce contrat, dit-elle, ce n’est pas de faire, ou de défaire […] la carrière publique d’un créateur […]. C’est bien plutôt d’encourager une communauté à réfléchir sur ce que l’art peut lui apporter dans son évolution, dans sa manière d’affronter l’obscurité du monde ; sur ce en quoi l’art peut l’aider à faire mémoire du passé et à entrer dans l’avenir […]. » Silvia Ricci Lempen se pose cependant la question de savoir si les artistes eux-mêmes sont demandeurs de ce type d’analyses. Vu le nombre de créateurs qui semblent, aujourd’hui, confondre le travail du critique avec celui d’un responsable en relations publiques, il est à craindre que non. J.-M. H. : Utilisez-vous un cadre théorique pour aborder la critique d’un spectacle ? Lequel ? A. H. : Si « utiliser un cadre théorique » signifie regarder les choses à travers une grille de lecture, une sorte de « boîte à outils du critique » définie et unique, la réponse est non. Par contre, tout critique est évidemment appelé à se constituer ce que l’on pourrait appeler un réservoir de repères, à réviser et compléter sans cesse. Ces repères peuvent être des textes de référence – je peux citer à ce propos Walter Benjamin, auteur de plusieurs écrits fondamentaux pour le XXe siècle et objet de mon mémoire de licence –, mais aussi bien sûr des publications récentes, des articles, des dossiers. Les exemples seraient légion, je n’en citerai qu’un : « Critique et vérité », un texte particulièrement instructif de Roland Barthes, publié en réponse aux attaques faites contre son ouvrage « Sur Racine ». Même s’il concerne en premier lieu la production littéraire, on y trouve quelques réflexions de base, incontournables pour tout critique digne de ce nom. D’une manière générale, la matière théorique concernant les arts vivants est particulièrement riche, ce qui n’est évidemment pas pour me déplaire, tout au contraire : c’est un privilège que de continuer d’apprendre et d’étudier tous les jours. J.-M. H. : Qu’attendez-vous personnellement d’un spectacle de danse ? A. H. : Comme toute œuvre d’art, un spectacle de danse est – parfois – l’occasion du phénomène de la sublimation, qui n’a d’autre équivalent que la jouissance sexuelle. Autrement dit, il faut que ça fasse jouir. Mais bon, ça ne vient pas comme ça, et il n’existe évidemment pas de recette pour le succès. D’une manière générale, un bon spectacle surprend, intrigue, fascine ou bouscule… Il ne laisse pas intact l’ordre établi des choses. J.-M. H. : Que pensez-vous de la danse actuelle ? A. H. : Probablement plus que tout autre art, la danse pose aujourd’hui les questions les plus brûlantes de nos sociétés contemporaines : statut du corps, temporalité, historicité, rapport à l’image, rapport au langage. Comme les arts visuels, elle se trouve cependant dans une période de crise, notamment du point de vue de la critique de ses moyens de production. Par ailleurs, une confusion me paraît particulièrement tenace : celle de l’avant-garde. L’avant-garde appartient à un moment historique précis, à un moment de rupture, comme ce fut le cas dans les années 1920-1930, puis entre 1950 et 1970. Aujourd’hui, certains chorégraphes aiment à prendre une posture d’avant-garde, alors qu’ils se situent dans une continuité et non dans la rupture. Faute d’en prendre conscience, ils propagent une forme de maniérisme. Ce qui n’interdit pas le sublime, certes, mais témoigne d’un certain manque de lucidité, ou de curiosité. Pour la Suisse romande, je pense que l’on bénéficie d’une densité de chorégraphes et de danseurs sans doute unique, au regard du bassin de population. Mais, comme l’a souligné Lilo Weber dans un article paru dans le « Journal de l’adc » à propos des Journées de danse contemporaine suisse, la danse helvétique « risque de se mettre en boule comme un hérisson et de perdre sa relation avec le monde », faute de se libérer d’une certaine attitude de refus (de la tradition théâtrale, du mouvement, de la musique, etc.) et de l’obsession de l’autoréférence. J.-M. H. : Tenez-vous compte du public pour faire la critique d’un spectacle ? A. H. : Cette question me paraît absurde pour deux raisons. Tout d’abord parce que j’imagine mal un critique faire le tour des spectateurs pour sonder leurs opinions à l’issue de la représentation. Ensuite, et plus sérieusement, parce qu’en matière de création artistique, les spectateurs « sont un destin, pas un horizon », comme l’explique Claudia Castellucci dans un texte paru dans « Les Pèlerins de la matière » (Claudia et Romeo Castellucci, Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2001, p. 176). Non, dit-elle, les spectateurs ne sont pas déterminants dans les fins du dessein de mise en scène. Ils sont le motif intérieur et indéfini de la création, mais les imaginer, leur attribuer un visage, ou un nom, c’est fausser l’échange, « parce que créer de cette façon signifie combler ». Donc, penser que c’est le public qui fait le critique, ou que c’est le critique qui fait le public, sont des préoccupations qui détournent l’artiste de ce qui devrait être son questionnement premier, c’est-à-dire son œuvre. A continuer dans cette impasse, il peut devenir très vite un artiste fonctionnaire, ou épicier. J.-M. H. : Pourquoi utilisez-vous parfois de l’ironie méchante pour critiquer un spectacle ? A. H. : Si j’avais recours à de l’ironie méchante, comme vous prétendez évidemment sans citer de texte, je me trouverais sans doute vite frustrée dans l’exercice de mon propre travail, en plus d’être disqualifiée aux yeux de ceux qui me commandent des articles. Concrètement, et afin d’éviter que l’on tombe sans cesse dans le provincialisme, je suggère de lire de temps en temps des critiques de danse qui s’écrivent à Paris ou en Allemagne, pour comprendre ce que peut être une critique méchante. Ou alors, lire les critiques de tauromachie en Espagne, pour voir la brutalité de ce qui s’écrit sur des types qui, dans l’exercice de leur art, affrontent la mort. Michel Leiris, dans « De la littérature considérée comme une tauromachie », a d’ailleurs parlé de son souhait d’introduire « ne serait-ce que l’ombre d’une corne de taureau » dans son écriture. Cela ferait du bien également au spectacle vivant. En Suisse romande, la tradition critique est infiniment plus indulgente que ce que laissent entendre quelques plaintes narcissiques. Et comme le montre le préambule à cet entretien, en matière de méchanceté, la critique a encore beaucoup à apprendre de certains chorégraphes. J.-M. H. : Vous avez assisté et participé pendant les trois jours de résiDANSE a des critiques faites par des artistes. Pouvez-vous dire s’il y a une différence entre cette forme de critique et celle que vous pratiquez au sein d’un journal ? A. H. : J’ai pu constater avec étonnement que les critiques faites par des artistes à d’autres artistes, durant ces trois jours, adoptaient le plus souvent des formes totalement subjectives et auto-référées : « j’ai un problème avec ton interprétation de telle chose à tel moment », etc. D’ailleurs, même un artiste participant a fait remarquer à un certain moment que nos camarades de stage parlaient plus d’eux-mêmes que de l’œuvre ou de l’artiste qui était l’objet de la discussion. J’ai également pu relever le recours à un certain jargon, avec des mots qui reviennent sans cesse (« conscientiser », « le regardeur », etc.), ainsi que l’absence quasi totale de toute référence à ce qui dépasse l’environnement immédiat de chaque chorégraphe (œuvres d’autres artistes, littérature, histoire de l’art, etc.). Cette forme de critique diffère évidemment sensiblement de celle qui peut être pratiquée au sein d’un journal. Ceci dit, la démarche pratiquée lors de résiDANSE, à savoir confronter sans médiation des expériences artistiques différentes, est justement ce qui fait l’intérêt d’un tel projet. Simplement, il s’agit de ne pas confondre atelier de création et critique. J.-M. H. : Y a-t-il des points communs ? A. H. : Aucun, pour les raisons citées dans la réponse précédente. Je ne suis pas chorégraphe, et ne peux donc pas regarder un spectacle en fonction d’un vécu de créateur. J.-M. H. : L’expérience de résiDANSE vous a-t-elle apporté quelque chose ? A. H. : Bien entendu. Comme chaque spectacle, chaque répétition, chaque discussion avec des artistes. Ces quatre jours m’ont donné un aperçu précieux de la manière de créer de chacun des chorégraphes invités. En plus, l’expérience de résiDANSE m’a incité à me replonger, après coup, dans la réflexion sur mon activité de critique et son appréhension par les artistes, même si ce n’était pas le but premier de la manifestation. J.-M. H. : A-t-elle changé quelque chose à votre regard sur la danse ? A. H. : Non. Si l’objectif de résiDANSE était de changer le regard du critique, nous avons perdu notre temps. Ce projet est novateur en ce qu’il tente de confronter les réflexions entre chorégraphes pendant le travail de création et de les faire sortir d’une pratique solitaire, qui est toujours menacée d’autisme. J.-M. H. : Et à votre regard sur la critique ? A. H. : Non plus. La critique peut provoquer de la hargne ou de l’estime. L’une et l’autre font retour, mais elles ne sont que des reflets. Le travail du critique n’en est pas tributaire : il appartient au domaine de la publication, et sa qualité se mesure à la réception qui en est faite par ses confrères ou par les personnes qui lui commandent des articles. Cela s’évalue de manière très concrète : si son travail est mauvais, on ne lui commandera plus d’articles, s’il est apprécié, ce sera le contraire. Il devrait en aller de même pour l’artiste. Une critique n’est qu’un reflet, qui ne devrait pas conditionner son travail. Du reste, les programmateurs ne se fient pas à la critique, ils vont voir par eux-mêmes. Il est intéressant, à ce propos, de relever le caractère ambigu de ces deux expressions : « bonne » et « mauvaise » critique. Il va de soi qu’une « mauvaise » critique peut être très bonne (càd. argumentée et bien écrite), tout comme une « bonne » critique peut être mauvaise (opportuniste et mal écrite, par exemple). Néanmoins, certains créateurs aiment à croire qu’une critique qui leur est défavorable serait forcément mauvaise… En conclusion, un critique dont le but ultime serait de se faire aimer par l’artiste, ou un artiste dont l’obsession serait de ne recevoir que des louanges de la critique, ne peuvent en définitive être que des pantins dérisoires. Conclusion (par J.-M. Heim) Le rapport conflictuel entre artistes et critiques ressort autant dans mes interpellations que dans les réponses de Anna Hohler. En relisant mon argument je me suis amusé à reprendre ce texte en inversant les rôles : Quelles est la légitimité du chorégraphe, quelles sont les fondements de son propos, et sa connaissance de la création, etc... ? Bref jusqu’au manque de formation spécifique, et à la reconnaissance du titre lié à une maison (la renommée du programmateur), il semble que critique de danse et chorégraphe soient sur la même barque, à devoir se partager la même couverture... Tous deux s’expriment en public (et de quel droit ?...)dans un domaine peu mesurable et par là peu rassurant. Lié au même type de fragilité, en même temps que pris dans un lien d’interdépendance, chacun devient pour l’autre le reflet de sa propre faiblesse. Si celle-ci n’est pas pleinement assumée, elle sera projetée sur l’autre, qui deviendra le responsable du mal, l’ennemi à combattre. Après ce petit rappel de psychologie élémentaire, qui s’applique en fait à tous les conflits, je souhaite terminer avec des perspectives qui vont au-delà des frustrations narcissiques et autres besoins de reconnaissance. Au centre de la création, et de la critique je souhaiterais remettre des questions fondamentales qui touchent au rôle de l’art, ses fondements et sa finalité, et donc à l’universalité de son contenu, porté, paradoxalement, par la subjectivité la plus particulière. Les traditions donnaient, dans ce sens, des critères et un sens ontologique qui répondaient d’une certaine façon à ces questions. La modernité et l’art contemporain ont fait éclater les lois et les formes, autorisant une inventivité très large et ouverte, mais avec le risque de tout et n’importe quoi. S’il y a du bon et du très bon, il y a aussi le pire. Comment déterminer ce qui appartient à l’un ou à l’autre en l’absence des références traditionnelles ? Y a-t-il besoin de référence ? Ne s’agirait-il que de goûts individuels, où chacun, sous la dictature d’une pseudo-liberté, s’isole dans sa propre histoire ? Y a-t-il déni d’un fondement commun, qui réunit les êtres vers leur origine commune ? Que propose la modernité à ces questions ? Ou bien y aurait-il d’autres questions plus pertinentes à se poser ? Lesquelles ? Je souhaiterais que la critique, et les artistes, commencent par se dévoiler eux-même, en posant clairement leurs propres questions, à l’aune desquelles ils vont porter leurs jugements, affirmer leur univers. En fait, qu’ils nous montrent leurs intentions les plus profondes. Impressions on the résiDANSE project Joclécio Azevedo I propose to share my impressions of this first edition of the résiDANSE project as topics of reflection, as fragmented notes, as little comments, as a small repertory of doubts. I believe it makes more sense for me than trying to give them a finished form when they remain as something fluid and not very organised in my conscience: Things I had in mind before starting this experience (expectations): To participate in a space for open and direct confrontation of ideas. To participate in a research for understanding artistic processes from their interior. To contribute to critical discussion as well as to be available to challenge my methodologies of work. To receive feedback relating not just to a specific object I’m producing, but also relating to my artistic practice. To improve the awareness of the effect of my work in other people (professionals and non-professionals, professionals from other fields of production). Going with the flow, steping on the dance floor: The balance between theory and practice was very interesting. It allowed a good dynamic and seemed to work well in both sides. The practice worked as exemplification, with a good space for discussion. It was interesting that the choreographic proposals had not just different universes, but also different degrees of finalisation (work in process, finished piece with possibilities of small changes, adaptation). Instead of being a handicap, this fact has generated a discussion on our position as observers, asking also for an adaptation of the way we looked to each one of the proposals in order to give them a relevant feedback. It was interesting also the perspective of entering each other’s work from the point of view of their intentions, questioning the ideas from the beginning and their consequent relation to each one’s response to every initial point of departure, regarding to the specificity of each choreographer’s methodologies. It was good to observe the diversity of approaches in the way people deal with the influx of information inside a process of work and their subsequent potential to transform and generate matter. To construct a collection of questions: What do we expect from a performative work? What is the influence of the contextualization? What is the effect of our models and references and how they can influence the way we see a work? What is the weight of critic in the performative practice? What changes in the critic made in different moments? (E.g.: During the process, after presentation, as introduction?) Does the critic have really a potential of changing a work or the way we can see and perceive it? Do we really need critic? From whom? And why? Informal presentations and context of reception: An informal presentation is a public share of material, is an exchange, and is a meeting. It’s a good opportunity to think that sometimes the circuit of presentation of performative work has become something heavy, too sacred, and too concerned with accessories. It’s refreshing for me as an artist to have spaces and opportunities where I can feel that the energies generated by an artistic work can circulate also in different kinds of environments. résiDANSE 06 www.resiDANSE.com / |
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