Recherche du temps libre Tome 1







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2. Le temps de la fête

La fête comme objet d’étude s’introduit dans bon nombre de mes travaux. Cela m’a permis, au moins en partie, d’en appréhender la diversité, au-delà de ses caractères fondamentaux : la fête est récréative puisqu’elle introduit une rupture par rapport au quotidien, elle distrait l’homme de ses occupations ordinaires ; la fête est expressive puisqu’elle est célébration, parfois exaltée, à l’égard d’un événement, d’un dieu, d’un phénomène naturel… Les styles de fêtes sont en effet multiples car incorporant, à des degrés divers et dans des combinaisons variables, des rituels, des activités collectives, des représentations, des distractions, selon plusieurs calendriers – familial, religieux, politique – et plusieurs espaces – privé/public, rural/urbain, national/local.

Les fêtes se différencient en outre selon leur tonalité sacrée (recueillement, dévotion, communion) et profane (exubérance, ivresse, divertissement), leurs rites (cadeaux, protocoles), leurs ambiances (sociabilités, danses), le tout autorisant plus ou moins une levée momentanée des interdits et des barrières sociales. La fête se déroule sur un registre paroxysmique avec ses excès alimentaires, vestimentaires, sexuels, corporels, émotionnels, tout en favorisant finalement la reconduction des rapports sociaux et des normes dictées par le groupe. Dans un certain sens, en réaffirmant l’identité collective, la fête est purificatrice. Le modèle général ne doit cependant pas occulter l’extrême diversité des fêtes selon leur orientation générale, depuis les fêtes nationales (14 juillet, 1er mai, 11 novembre), les fêtes locales (kermesse, foire, carnaval), les fêtes familiales (anniversaire, Noël), les fêtes électives (rallye, festival). Il s’agit en outre de considérer les contenus (repas, chansons, déguisements), les saisons (les fêtes estivales s’opposent aux fêtes hivernales), les modèles sociétaux. Les combinaisons sont donc innombrables et il est impossible de toutes les examiner, même en se limitant aux fêtes dites populaires, mais j’ai pu en appréhender quelques-unes lors de mes investigations.

C’est avec ma recherche sur les retraités que j’ai commencé à entrevoir le phénomène de la fête. Ce thème n’était pas une de mes priorités mais j’ai estimé qu’il contribuait à comprendre les réalités de la retraite. C’est ainsi que j’ai recueilli un ensemble de témoignages, sorte de mémoire festive des ouvriers des Batignolles : celle de 36, celle des festivités d’avant guerre, celle du départ en retraite. L’usine métallurgique des Batignolles figure parmi les usines les plus marquantes de l’histoire nantaise du XXe siècle, pour des raisons qui tiennent au prestige de sa production (des locomotives à vapeur dès sa fondation, juste après la première guerre mondiale), à sa puissance salariale (3000 salariés dans les années 20), à sa combativité revendicative (la plupart des grèves nantaises y démarrent), à son intégration résidentielle (des cités ouvrières sont aménagées à ses portes). L’entreprise incarne une tradition du métier métallurgiste, comme l’atteste la désignation commune « les métallos », tout en n’excluant pas une relative diversité puisque sont associés des ajusteurs, des soudeurs, des chaudronniers. Le collectif usinier et le collectif résidentiel, en tout cas jusqu’au démantèlement amorcé dans les années 70, se juxtaposent pour déboucher sur des formes de coopération et de solidarité particulièrement développées. Ces matrices usinières, résidentielles, syndicales seront au fondement d’une vie communautaire assumée et d’une mémoire sociale affirmée.

Les événements de 36, plusieurs décennies après, sont remémorés avec des accents nostalgiques et, probablement, idéalisés, mais plusieurs témoins insistent sur le caractère festif des occupations de l’usine : les ateliers sont décorés ; des bals y sont organisés ; les jeux de cartes, de palets, de boules et même les mises en scène théâtrales occupent les grévistes. Les manifestants, accompagnés de l’Harmonie, chantent et se déguisent lors des défilés jusqu’à la Bourse du travail. La solidarité s’exprime quotidiennement dans le seul fait de vivre ensemble, lors des moments revendicatifs et lors des divertissements. On mange ensemble, on s’amuse ensemble, bref on partage tout sur un air de fête !

Les cités ouvrières construites aux abords de l’usine, dès les années 20, regroupent près de 500 familles et favorisent une vie collective dense, une sociabilité vive, que ce soit dans les commerces et cafés, dans les rues, dans les jardins. Ces manières d’être ensemble s’investissent tout naturellement dans les temps forts de la vie batignollaise que sont les grandes fêtes annuelles. C’est le temps du défoulement et du non-respect des règles ; un certain désordre, habituellement proscrit, devient licite. Malgré la diversité des métiers et des origines nationales, la fête incarne avant tout des valeurs de générosité et de réconciliation pour effacer les éventuels antagonismes et pour régénérer la cohésion du groupe. Il y a la fête du printemps avec fête foraine, courses de vélo et bal puis ensuite, et surtout, la fête du 14 juillet. Cela commence la veille par la retraite aux flambeaux qui consiste à défiler autour des cités en chantant et se termine par le feu d’artifice. Le lendemain, c’est la grande fête foraine, avec cirque, bal et l’inévitable course de vélo dont les vainqueurs deviennent des figures héroïques. Une kermesse propose de multiples attractions : mât de cocagne, concours de grimaces, course à la grenouille, course en sac, concours de pêche à la ligne, jeu de la cruche… Ces festivités d’entre les deux guerres reprendront après les hostilités mais ne retrouveront pas leur faste d’antan.

Enfin, la fête ouvrière, c’est aussi le départ en retraite. Malgré tout, c’est une fête plus ambiguë dans la mesure où elle conjugue la joie d’accéder à un temps libre élargi et la peine de quitter les compagnons. La petite fête qui les réunit et qui symbolise la retraite de l’un d’entre eux se déroule dans un des cafés proches de l’usine : on se met à distance du lieu d’activité sans s’en éloigner véritablement. Le vrai départ doit être « arrosé » par des rassemblements autour de victuailles et boissons. Les bons chanteurs sont mis à contribution et, pour entériner la mise à la retraite, il est remis des cadeaux à l’intéressé qui lui permettront d’agrémenter sa vie future : chaise longue, canne à pêche, appareil photo, poste de radio… Il y a aussi une fête plus officielle, plus solennelle et plus formelle, et pour ces raisons moins estimée par les ouvriers, organisée au sein même de l’entreprise. Le partant, en présence des camarades d’atelier, se voit félicité pour sa carrière exemplaire et se voit remettre, ce qui est beaucoup plus apprécié, des médailles du travail et les primes qui les accompagnent. Cette cérémonie, qui n’est pas sans rappeler les remises de décorations militaires pour bons et loyaux services, est tournée en dérision par la plupart, sauf pour ses avantages financiers, parfois l’équivalent de plusieurs mois de salaire : le bénéficiaire peut alors effectuer un achat longtemps refoulé, peut s’offrir un « petit » plaisir, ce qui constitue un souvenir inoubliable et parachève les différents moments festifs. De ceux-ci, je retiens leur dimension communautaire, au sens où ils rassemblent la communauté ouvrière, celle de l’usine et de la cité, qui y magnifie ses formes de coopération et y célèbre sa cohésion. Ici, la fête ouvrière se veut célébration de la communauté, au point d’en exclure les non Batignollais. D’ailleurs, le quartier est considéré par ceux-ci comme une enclave, un bastion rouge, où il est risqué de s’aventurer.

Mes travaux sur le jeu de boules, une dizaine d’années plus tard, m’ont également entraîné vers le domaine festif, ou plutôt vers l’idéal festif, rêve d’une bonne vie, auquel les milieux populaires accordent tant d’importance. S’associer pour jouer, c’est aussi se retrouver pour faire la fête. C’est pourquoi, tout en ayant étudié les manières de jouer, les compétitions, les profils des joueurs, la gestualité, les sociabilités, j’ai aussi exploré les rites festifs. L’histoire de la Boule nantaise, spécialité locale qui se pratique dans des salles couvertes, annexes de cafés, sur des pistes incurvées et délimitées, permet de mettre en évidence une histoire singulière de la fête qui traverse le XXe siècle.

L’essentiel des amicales, sociétés d’hommes qui s’organisent pour se divertir, s’implantent dans les années 20, dans des quartiers nantais en voie de développement industriel et urbain. Les dirigeants boulistes les plus en vue sont les animateurs du Comité des fêtes du Rond-point de Paris mis en place en 1921. Ce quartier est encore, à cette époque, une zone semi urbaine qui rassemble de nombreux jardiniers, horticulteurs, artisans, boutiquiers, ouvriers et employés des petites entreprises et qui, de ce fait, bénéficie d’un certain prestige social. Dès leur fondation, les amicales se mettent en scène dans des cérémonies collectives qui célèbrent le groupe et le territoire local auquel il s’identifie. Les boulistes contrôlent plusieurs comités des fêtes mais c’est incontestablement celui du Rond-point de Paris, à l’est de Nantes, qui est le plus dynamique et qui leur offre la meilleure vitrine, essentiellement entre les deux guerres il est vrai, avec défilé fleuri, bal public et couronnement d’une rosière, jeune fille du quartier jugée honorable et de moralité irréprochable.

La rosière du Rond-point de Paris symbolise l’harmonie sociale du quartier et la respectabilité de ses représentants. Elle incarne des valeurs républicaines (identifiables à l’écharpe brodée aux armes de la Ville qui lui est remise par les délégués de la Municipalité), des valeurs laïques (le couronnement se déroulant dans l’une des écoles publiques du quartier), des valeurs sacrées (symbolisées par sa tenue virginale et sa couronne de roses que l’on peut dire christique). La Rosière donne une image respectable, consensuelle du quartier qui rejaillit sur les animateurs du Comité des fêtes et des amicales boulistes. Ceux-ci ont ainsi la possibilité de s’approprier la grandeur municipale et sa devise Favet Neptunus Eunti (Neptune favorise celui qui va de l’avant), tout en affichant leur appropriation du territoire arpenté par le défilé, bannière en tête et leur place dans la cité. Un tel défilé républicain n’est pas sans rappeler, d’ailleurs, le défilé d’ouverture, sous l’ancien régime, organisé dans les principales villes du royaume, à l’occasion du concours annuel du papegault, concours de tir à l’arc sur une enseigne d’oiseau. Les festivités du Rond-point de Paris se poursuivront jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, tout en s’adaptant aux évolutions, en incorporant à la cérémonie civique le rituel sportif, notamment gymnique. Jusqu’alors, la fête populaire mettra l’accent sur le rassemblement local, mobilisateur de toutes les couches sociales et le modèle festif des groupements boulistes s’insèrera de manière ostentatoire dans la vie sociale du quartier. La question socio-historique pour savoir ce que la guerre provoque comme ruptures et mutations ou même de continuités voire de régressions sur les plans sociaux, économiques, culturels et symboliques, se pose ici.

En tout cas, ces groupements continueront, après la guerre, tant bien que mal, à participer aux fêtes de quartier, désormais implantées dans toutes les banlieues nantaises mais sans en prendre l’initiative et sans en assumer la responsabilité. Ils apportent simplement leur concours à des manifestations qui associent kermesses, spectacles, rencontres sportives. La fin des années 60, avec de brutales transformations urbaines et sociales et l’apparition de nouvelles formes de loisirs, met un terme à ce type de réjouissances. En réalité, les amicales boulistes se replient sur elles-mêmes pour introduire une nouvelle définition de leurs pratiques festives, autour de la prodigalité alimentaire, celle des tournées, buffets et banquets. Les démonstrations spectaculaires d’antan laissent place aux manières d’être ensemble à l’intérieur de l’amicale. De locale et démonstrative, la fête des boulistes est désormais devenue une fête élective, une fête de l’entre soi. La fête bourgeoise, celle qui repose sur la cooptation des invités, a son équivalent populaire, celle qui donne la possibilité de s’extraire des espaces de domination.

L’occasion d’étudier un autre modèle festif m’a été donnée, en 1996, avec l’équipe de Picrochole80 lors de la Fête de l’andouille, à Guémené-sur-Scorff, en Centre Bretagne, dans le Morbihan. J’ai déjà parlé de cette manifestation, inaugurée en 1992. En réalité, la Fête de l’andouille reprend d’anciennes traditions puisqu’un Pardon, celui de Notre-Dame-de-la-Fosse, patronne de la paroisse, est attesté à partir du milieu du XVIIIe siècle, une fête patronale l’est à partir de 1901 et une fête de la mi-carême à partir de 1931. Il s’agit donc en vérité d’une tradition renouvelée qui intègre une volonté de relance économique par la promotion d’un produit du terroir. La fête tente de conjuguer une image ancienne, celle qui relève du culte paroissial, du produit artisanal, du rassemblement familial et une version moderne avec animation estivale, échange commercial, rite de célébration. Cet accommodement témoigne d’une ambition de survie d’un groupe menacé par le déclin démographique (1300 habitants au moment de l’enquête, un tiers de moins que 30 ans auparavant) et la mise en péril de ses activités économiques. Les différentes animations proposées par la Municipalité – défilés folkloriques, fest-noz, dégustations, jeux, intronisation de la Confrérie – témoignent à la fois d’un respect du passé et d’une volonté de s’adapter au changement. La cité oublie temporairement les menaces qui pèsent sur elle – exode rural, raréfaction de catégories autrefois hégémoniques (agriculteurs, commerçants), affaiblissement de son rôle administratif - pour essayer de se régénérer, de valoriser son identité et d’affirmer sa cohésion sociale, réelle ou supposée. À cette occasion, le groupe mesure ses forces, étale ses richesses, en proposant aux amateurs une multiplicité d’expériences : religieuse (messes et processions), alimentaire (banquets et dégustations), culturelle (spectacles folkloriques, expositions, danses), sportive (jeux de compétition), symbolique (cérémonies de la Confrérie des Goustiers de l’andouille), commerciale (ventes du produit).

Si la Fête de l’andouille s’inscrit dans l’espace d’une localité, la sociographie des visiteurs permet de rectifier cette appréciation car on constate des affinités plus larges, avec la Bretagne plus qu’avec la commune proprement dite : près de 90 % d’entre eux résident en dehors de la commune bien que un sur quatre soit né dans le canton ; près d’un enquêté sur deux parle ou comprend le breton ; deux sur trois ont ou avaient des parents familiers de la langue et près de trois sur quatre des grands-parents dans ce cas ; un sur quatre s’intéresse aux revues d’ethnologie bretonne, Ar Men et Le Chasse-Marée notamment. Ces différents indicateurs témoignent, me semble-t-il, d’un désir, à travers la fête, de retrouver ses racines et de renouer, au moins sur un mode symbolique, avec un ancrage à la fois territorial et culturel, plus au niveau de la Bretagne que du Pays de Guémené proprement dit. D’autres indices vont dans le même sens : un visiteur sur deux participe régulièrement à des fêtes bretonnes, quatre sur dix regardent des émissions régionales en breton. C’est donc en réalité une fête régionale et familiale, trois visiteurs sur quatre venant en famille. Indéniablement, c’est aussi une fête populaire, bien entendu sans l’être exclusivement, avec plus de la moitié de son public recrutée parmi les ouvriers, employés, agriculteurs, artisans, commerçants et avec un style festif attribué aux milieux populaires : rassemblement en nombre, refus du formalisme, abondance alimentaire, exubérance comportementale, possibilité d’être acteur et spectateur.

Régionale et populaire mais aussi patrimoniale car la fête de Guémené-sur-Scorff fait référence à un patrimoine matériel – monuments du passé, à l’instar de la Chapelle Notre-Dame-de-la-Fosse et du Château des Ducs de Rohan ; oeuvres d’art, des peintures régionales étant exposées à la Mairie ; produits culinaires, l’andouille bien sûr et le cidre – et un patrimoine immatériel – langue, coutumes, conscience régionale. Au lieu de figer la tradition dans un Musée, la fête livre une image noble et dynamique de ce patrimoine, reconnu comme tel par la population, ce qui permet de reconstruire une identité culturelle et de consolider un sentiment d’appartenance. En ce sens, la fête est une expression révélatrice de la société qui la met en place, avec ses changements économiques, politiques, sociaux, culturels.

Plus récemment, dans le cadre d’un enseignement de méthodologie qualitative, j’ai pu examiner un autre modèle festif, le modèle juvénile des étudiants. À l’instar des pratiques culturelles étudiées par Olivier Donnat et qui montre que l’âge, sans effacer complètement le facteur social et donc les inégalités de cet ordre, devient déterminant81, les pratiques festives amènent à s’interroger sur le lien direct de telles pratiques avec l’appartenance sociale et sur leur recomposition, en termes générationnels notamment. La fête serait révélatrice de l’effacement relatif des différences de classe. Des observations et interviews menées auprès d’étudiants de différentes nationalités en séjour d’études à Nantes esquissent en tout cas de telles tendances82.

L’étude ne consistait pas à explorer exclusivement la fête mais les styles de vie, les manières d’être, les représentations, les sensibilités, les valeurs, bref ce que l’on désigne plutôt par le terme générique de culture, que ce soit à propos des études, du rapport à la ville, des relations sociales, des goûts artistiques, des loisirs. Il s’agissait de penser à la fois l’unité et la diversité en considérant ce qui rapproche les étudiants du simple fait de leur statut mais aussi sans ignorer ce qui les divise, ce groupe éphémère n’étant pas une catégorie en soi mais étant fractionné selon les origines sociales, les cursus scolaires, les filières universitaires, les expériences biographiques. De la même manière, le statut d’autochtone ou d’étranger ne constitue pas un classement suffisant, loin de là. Certes, l’appartenance nationale n’est pas sans conséquences, tout en n’étant pas suffisante pour homogénéiser la population correspondante qui se singularise par des cultures régionales, des conditions sociales, des styles de vie familiale.

Pour beaucoup, l’indépendance acquise grâce au statut d’étudiant doit être conquise. La réponse est largement trouvée dans l’occupation fervente du temps et dans l’investissement prononcé en matière de vie sociale, de rencontres, de sorties. Les occasions de faire la fête sont nombreuses, chez soi ou les amis, dans les bars, dans les discothèques, pour s’amuser et « s’éclater », dans l’improvisation déambulatoire au cours de la soirée, voire de la nuit. La fête correspond à la mise en scène exacerbée d’un style de vie, loin de la fête traditionnelle, civique, religieuse, familiale et même artistique, pour prendre la forme revendiquée de la « sortie », incluant l’ivresse et la théâtralisation des conduites. Une sorte de modèle festif juvénile se dessine, aux multiples séquences : se retrouver dans un lieu habituel, échanger des propos et des pots voire des psychotropes, circuler d’un endroit à l’autre, essayer d’improviser, se libérer du contrôle apparent de la vie quotidienne, construire ses manières d’être ensemble, au risque d’un certain désenchantement, d’un certain vide, d’une certaine routinisation. Il faudrait voir si ce modèle est généralisable à toutes les catégories juvéniles car on peut supposer que les ressources financières et résidentielles ont leur influence mais il n’en reste pas moins vrai que ce style festif semble atténuer le poids des appartenances sociales au profit d’un rapprochement générationnel.

L’espace public, surtout nocturne, devient un espace approprié par la jeunesse, fût-elle plurielle, un espace romantique où tout semble possible : les rencontres, les amours, les découvertes, les expériences mais aussi, sans doute, les déconvenues. La fête est alors une aventure collective qu’il faut réinventer sans cesse, de manière plus ou moins réaliste ou imaginaire car le mal-être guette, pour tenter d’échapper au contrôle social et aux rôles prescrits, grâce notamment aux abus d’alcool et aux vertiges musicaux, ceux que procurent le rap ou la techno par exemple. Sans exclure la violence corporelle, celle qu’engendre spécialement les rivalités amoureuses ; la violence économique, celle des dépenses excessives ; la violence symbolique, celle des conduites de transgression ; l’insouciance et la désespérance se combinent dans la « virée », les jeunes, quelle que soit leur condition, manifestant ainsi leur fragilisation et se rejoignant dans l’idéalisation de la sortie, modèle festif qui tente de rompre avec celui qui exprimait naguère soit la domination soit la distinction.

Malgré l’exploration diversifiée de formes festives – fête communautaire, fête locale, fête élective, fête patrimoniale, fête juvénile – d’ailleurs non exemptes de chevauchements, j’ai bien conscience de ne pas avoir épuisé le thème, loin s’en faut, mais de m’être interrogé sur sa pluralité et, de fait, sur mes façons de faire la sociologie, celles qui consistent à mettre au jour les réalités sociales. Mes travaux sur le jeu ont complété cette posture.
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