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13 janvier 1954 Table des séancesPour commencer l’année nouvelle, pour laquelle je vous présente mes bons vœux, je l’introduirai volontiers par un thème que j’exprimerai à peu près ainsi : « fini de rire ! ». Pendant le dernier trimestre, vous n’avez guère eu ici autre chose à faire qu’à m’écouter. Je vous annonce solennellement que dans ce trimestre qui commence, je compte, j’espère, j’ose espérer que moi aussi je vous entendrai un peu. Ceci me paraît absolument indispensable. D’abord, parce que c’est la loi même et la tradition du séminaire que ceux qui y participent y apportent plus qu’un effort personnel. Ils apportent une collaboration par les communications effectives. Et ceci, bien entendu ne peut venir que de ceux qui sont intéressés de la façon la plus directe à ces séminaires, ceux pour qui Ces séminaires de textes ont leur plein sens, c’est-à-dire sont engagés à des degrés, à des titres divers dans notre pratique. Ceci n’exclura pas, bien entendu, que vous n’obteniez de moi les réponses que je serai en mesure de vous donner, et il me serait tout particulièrement sensible que dans ce trimestre, tous et toutes, selon la mesure de vos moyens, vous donniez à l’établissement de ce que je pourrais appeler « nouvelle étape », « nouveau stade du fonctionnement » de ce séminaire, ce que j’appellerai votre maximum. Votre maximum, ça consiste à ce que, quand j’interpellerai tel ou tel pour le charger d’une section précise de notre tâche commune, on ne réponde pas, avec un air ennuyé, que justement cette semaine on a des charges particulièrement lourdes, telle ou telle de ces réponses que vous connaissez bien. Je parle tout au moins pour ceux qui font partie du groupe que nous représentons ici, et dont je voudrais que vous vous rendiez bien compte que s’il est constitué comme tel, à l’état de groupe autonome, s’étant isolé comme tel, c’est précisément pour une tâche qui nous intéresse tous, ceux qui font partie de ce groupe, et qui comporte rien moins pour chacun de nous que l’avenir, le sens de tout ce que nous faisons et aurons à faire dans la suite de notre existence. Si vous ne venez pas à ce groupe à ce plein sens, au sens de mettre vraiment en cause toute votre activité, je ne vois pas pourquoi nous nous serions constitués sous cette forme. Pour tout dire, ceux qui ne sentiraient pas en eux-mêmes le sens de cette tâche, je ne vois pas pourquoi ils resteraient attachés à notre groupe, pourquoi ils n’iraient pas se joindre à toute espèce d’autre forme de bureaucratie. Ces réflexions sont particulièrement pertinentes, à mon sens, au moment où nous allons aborder ce qu’on appelle communément les Écrits techniques de Freud. C’est un terme qui est déjà fixé par une certaine tradition. Dès le vivant de FREUD, sous la façon dont les choses sont présentées, sous forme d’édition, on a vu paraître, sous la forme de la Sammlung kleiner neurosen Schriften 1 la collection des petits écrits sur les névroses - ou neuroses, je ne me souviens plus exactement - un petit volume in octavo, qui isolait un certain nombre d’écrits de FREUD qui vont de 1904 à 1919, et qui sont des écrits dont le titre, la présentation, le contenu, indiquent dans l’ensemble ce qu’est la méthode psychanalytique. Et ce qui motive et justifie cette forme, ce dont il y a lieu de mettre en garde tel ou tel praticien inexpérimenté qui voudrait s’y lancer, c’est qu’il faut considérer comme indispensable d’éviter un certain nombre de confusions quant à la pratique et aussi l’essence de la méthode. Et l’on vit également apparaître sous une forme graduellement élaborée un certain nombre de notions fondamentales pour comprendre le mode d’action de la thérapeutique analytique, et en particulier dans ces écrits, un certain nombre de passages extrêmement importants pour la compréhension du progrès qu’a fait, au cours de ces années 1904-1919, l’élaboration qu’a subie, dans la pratique et aussi dans la théorie de FREUD :
Inutile de vous dire que ce petit groupe d’écrits a une importance toute particulière. Ce groupement pourtant n’est pas complètement ni entièrement satisfaisant, au premier abord tout au moins. Peut-être le terme « Écrits techniques » n’est pas ce qui lui donne effectivement son unité. Car il représente en effet une unité dans l’œuvre de FREUD et la pensée de FREUD, une unité par une sorte d’étape dans sa pensée, si on peut dire. C’est sous cet angle que nous l’étudierons. Étape effectivement intermédiaire entre ce que nous pourrions appeler le premier développement de ce que quelqu’un… un analyste dont la plume n’est pas toujours de la meilleure veine, mais qui a eu en cette occasion une trouvaille assez heureuse, et même belle …a appelé « expérience germinale » 2 dans FREUD. En effet, nous pouvons distinguer jusque vers, mettons 1904 ou même 1906, 1904 représentant l’apparition de l’article sur la méthode psychanalytique, dont certains disent que c’est là pour la première fois qu’on a vu apparaître le mot psychanalyse – ce qui est tout à fait faux, parce que le mot psychanalyse a été employé bien avant par FREUD – mais enfin là le mot psychanalyse est employé d’une façon formelle, et dans le titre même de l’article, alors mettons 1904 ou 1906. 1909 : ce sont les conférences à la CLARK University, voyage de FREUD en Amérique accompagné de son « fils »3. ![]() Et c’est là, ou le point de repère entre 1904 et 1906, que nous pouvons choisir comme représentant le premier développement de cette expérience germinale. Si nous reprenons les choses à l’autre bout, à l’année 1920, nous voyons l’élaboration de la théorie des instances, de la théorie structurale, ou encore métapsychologique, comme FREUD l’a appelée, de l’expérience freudienne. C’est l’autre bout : c’est un autre développement qu’il nous a légué de son expérience et de sa découverte. Vous le voyez, les Écrits techniques s’échelonnent et se situent exactement entre les deux. C’est ce qui leur donne leur sens, parce que autrement, si nous voulions dire que les Écrits techniques sont une unité au cas où FREUD parle de la technique, ce serait une conception tout à fait erronée. On peut dire qu’en un certain sens FREUD n’a jamais cessé de parler de la technique. Je n’ai pas besoin d’évoquer devant vous les Studien über Hysterie qui ne sont absolument qu’un long exposé de la découverte de la technique analytique. Nous l’y voyons en formation, et c’est ce qui fait le prix de ces études, et je dirai que si on voulait faire en effet un exposé complet, systématique, de la façon dont la technique s’est développée chez FREUD, c’est ainsi qu’il faudrait commencer : nous ne pourrions que nous y référer et l’évoquer sans cesse. La raison pour laquelle je n’ai pas pris Studien über Hysterie, c’est tout simplement qu’elles ne sont pas facilement accessibles : vous ne lisez pas tous l’allemand, ni même l’anglais. Il y en a une édition dans le Nervous and Mental Disease Monograph series 4, qu’on peut se procurer. Ce n’était pas extrêmement facile de vous demander à tous de faire cet effort. D’autre part, il y a d’autres raisons que ces raisons d’opportunité, pour lesquelles j’ai choisi ces Écrits techniques. Mais pour poursuivre, nous dirons que, même dans la Science des rêves, il s’agit tout le temps et perpétuellement de technique. On peut dire qu’il n’y a pas… qu’il ait parlé, écrit, sur des thèmes disons d’élaboration mythologique, ethnographique, les thèmes proprement culturels …il n’y a guère d’œuvre de FREUD qui ne nous apporte quelque chose sur la technique. Mais, pour accentuer encore ce que je veux dire, il est inutile de souligner qu’un article comme Analyse terminable et interminable, paru dans le tome V des Collected Papers, vers les années 1934, est un des articles les plus importants quant à la technique. En fait, la question de l’esprit dans lequel il me paraîtrait souhaitable que cette année, ce trimestre, nous poursuivions les commentaires de ces Écrits techniques est quelque chose de tout à fait important à fixer dès aujourd’hui. Et c’est pour cela que je considère les quelques mots que je vous introduis comme importants. Je les ai appelés « Introduction aux commentaires sur les Écrits techniques de Freud ». En effet, il y a plusieurs façons de voir les choses. Si nous considérons que nous sommes ici pour nous pencher avec admiration sur les textes de FREUD et nous en émerveiller, évidemment nous aurons toute satisfaction. Ces écrits sont d’une fraîcheur, d’une vivacité qui ne manquent jamais de produire le même effet que tous les autres écrits de FREUD. La personnalité s’y découvre d’une façon parfois tellement directe qu’on ne peut pas manquer de l’y retrouver, comme dans tel ou tel des meilleurs moments que nous avons déjà rencontrés dans les textes que nous avons commentés. La simplicité, les raisons, la motivation des rêves qu’il nous donne, la franchise du ton, enfin, est déjà à soi toute seule une sorte de leçon. L’aisance avec laquelle sont traitées toutes les questions des règles pratiques à observer est une chose à laquelle il ne serait jamais mauvais de se référer pour nous faire voir combien pour FREUD il s’agissait là d’un instrument, au sens où on dit qu’on a un marteau bien en main. Il dit : « Bien en main pour moi, mais ce que je vous dis là, c’est parce que c’est - moi - comme ça que j’ai l’habitude de le tenir. Mais d’autres peut-être préféreraient un instrument un tout petit peu différent, plus à leur main. » Vous en verrez des passages tout à fait clairs, encore plus clairement que je ne vous le dis sous cette forme métaphorique. Toute la question de la formalisation des règles techniques y est traitée avec une liberté qui est certainement à soi toute seule un enseignement qui pourrait suffire et qui donne déjà à une première lecture des Écrits techniques son fruit et sa récompense. Il n’y a rien qui soit plus salubre, plus libérant que la lecture directe de ces écrits où pour la première fois sont données un certain nombre de règles pratiques, d’un caractère tout à fait instrumental, et rien n’est plus significatif pour bien montrer que la question est ailleurs. Ce n’est pas tout, dans la façon de nous transmettre ce qu’on pourrait appeler les voies de cette vérité de la pensée freudienne. On pourrait y joindre une autre face qui se montre sous un certain nombre de passages, qui viennent peut-être au second plan, mais qui sont très sensibles :
C’est bien assurément ce qui nous permet d’entrevoir aussi pourquoi FREUD a, tout à fait en dehors du cercle du style de ce qu’il écrit, concrètement et pratiquement mis en exercice ce poids de son autorité, et combien à la fois il a été exclusif par rapport à toutes sortes de déviations, très effectivement, déviations qui se sont manifestées, et en même temps impératif dans la façon dont il a laissé s’organiser autour de lui la transmission de cet enseignement. Cela n’est qu’un aperçu de ce qui peut nous être révélé par cette lecture. La question est de savoir si c’est uniquement cela, cet aspect historique de l’action, de la présence de FREUD, sur le sujet de la transmission technique, est-ce que c’est à cela que nous allons nous limiter ? Eh bien, non ! Je ne crois pas que ce puisse être possible. Ne serait-ce d’abord que malgré tout l’intérêt et le côté stimulant, agréable, détendant, que cela peut avoir, ça ne serait tout de même qu’assez inopérant. Vous savez que c’est toujours en fonction de l’actualité, en fonction du sens que peut avoir [...] à savoir : « Qu’est-ce que nous faisons quand nous faisons de l’analyse ? » Ce commentaire de FREUD a été jusqu’ici par moi apporté, et je ne vois pas pourquoi nous ne poursuivrions pas cet examen à propos de ce petit écrit dans le même style et dans le même esprit. Or, pour partir de l’actualité de la technique, de ce qui se dit, s’écrit, et se pratique quant à la technique analytique, je ne sais pas si la majorité d’entre vous - une partie tout au moins, je l’espère - a bien pris conscience de ceci : c’est que, quant à la façon dont les praticiens analystes à travers le monde, pour l’instant - je parle de maintenant, 1954, cette année toute fraîche, toute nouvelle - ces analystes divers, pensent, expriment, conçoivent leur technique, au point de ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler « la confusion la plus radicale ». Je mets en fait qu’actuellement parmi les analystes - et qui pensent, ce qui déjà rétrécit le cercle - il n’y en a peut-être pas un seul, dans le fond, qui se fasse la même idée qu’un quelconque de ses contemporains, ou de ses voisins sur le sujet - n’êtes-vous pas d’accord, Michèle CAHEN ? - sur le sujet de ce qu’on fait, de ce qu’on vise, de ce qu’on obtient, de ce qu’il s’agit. C’en est même au point que nous pourrions nous amuser à ce petit jeu de rapprocher les conceptions formulées qui sont les plus extrêmes, et nous verrons qu’elles aboutissent à des formulations rigoureusement contradictoires, et ceci sans chercher bien loin. Nous ne chercherons pas des amateurs de paradoxes. D’ailleurs ils ne sont pas tellement abondants, en général. La matière est assez grave, et assez sérieuse pour que divers théoriciens abordent cela sans désir de fantaisie. Et en général l’humour est absent de ces sortes d’élucubrations sur les résultats thérapeutiques, sur leurs formes, sur leurs procédés et les voies par lesquelles on les obtient. On se raccroche à la balustrade, au « garde-fou » de quelque partie d’élaboration théorique faite par FREUD lui-même. Et c’est ce qui donne à chacun la garantie qu’il est encore en communication avec ceux qui sont ses confrères et collègues. C’est par cet intermédiaire, par l’intermédiaire du langage freudien, que la communication est maintenue entre des praticiens qui très évidemment se font des conceptions assez différentes de leur action thérapeutique, et qui plus est, de la forme générale de ce rapport interhumain qui s’appelle la psychanalyse. Quand je dis « rapport interhumain », vous voyez déjà que je mets les choses au point où elles sont venues actuellement. Car il est évident que la notion du rapport entre l’ |
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