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Apollo, son best-seller, Salomon Reinach put écrire que le gothique était « comme le premier essai du style qui [avait] commencé à se former au xixe siècle, celui de l'architecture métallique. vi » Anatole de Baudot enseignait dans son cours, L'Architecture. Le passé. Le présent, que l'héritage médiéval était pour « l'architecte moderne un admirable exemple à suivre et un puissant encouragement », en revanche, il affirmait que « le procédé d'imitation des formes créées par l'antiquité et le Moyen Âge » devait être « désormais radicalement abandonné. vii » Et les modernistes refusèrent tout héritage. Dans son Architecture publiée en 1929, André Lurçat ne répéta pas moins de trois fois une phrase affirmant : « Tout était à rejeter a priori, puis à reviser [sic], ou à recréer. viii » Et parmi ses fameux seize ou dix-sept points, selon les versions, Théo van Doesburg en concocta un qui affirma que l'architecture nouvelle serait fonctionnelle, le quatrième, et informe, le cinquième. Dans l'énoncé de ce dernier, on peut lire : « Contrairement à tous les styles du passé, la nouvelle méthode architecturale ne connaît pas de types fondamentaux. ix » Les partisans de « la fonction oblique » voulurent en finirent avec au moins un élément de l'héritage primitif et la revue Architecture principe tenta de démontrer que l'on pouvait se passer du plancher horizontal x. Alors que les vitrages de plus en plus grands semblaient condamner la vieille fenêtre, on se prit à rêver de rideaux d'air chaud aussi éthérés que conviviaux. Le temps de l'édification était forclos voire même celui de l'architecture. Celui du disegno le plus pur serait enfin advenu, un temps où l'analyse scientifique des besoins vitaux et le recours aux techniques les plus innovantes engendreraient les réponses les plus adaptées comme les plus originales. Mais la thèse du déterminisme bio-technique s'est avérée n'être qu'une illusion. En 1967, le critique et théoricien anglais Alan Colquhoun rappela que le discours moderniste était « truffé de déclarations qui [soutenaient] qu'après satisfaction de tous les besoins opérationnels connus, il [restait] toujours un vaste éventail de choix avant d'en arriver à la forme définitive du projet. xi » Paradoxalement, parce qu'elle « rejetait toutes les formes historiques de l'architecture », l'illusion fonctionnaliste déboucha sur « une foi mystique en un processus intuitif » et une valorisation du génie. En refusant à la fois édification et architecture (au sens restreint que je lui donne), le fonctionnalisme avait créé un vide qu'il ne pouvait remplir et qui fut comblé par « la libération de l'expression, la complète liberté du génie qui, si nous l'ignorions, réside en chacun d'entre nous », se moquait Colquhoun. La question de la signification n'est pas moins épineuse. Que signifient les formes nées d'une démarche exclusivement fonctionnaliste ? La réponse de l'expressionnisme, celle d'une théorie des formes physionomiques, est-elle la solution ? Colquhoun se rangea à l'avis d'Ernst Hans Gombrich qui, selon lui, estimait que « les formes en elles-mêmes sont relativement vides de signification ». Ce n'est pas moi qui ai écrit un article intitulé « L'architecture, un contenant sans contenu xii » qui dirai le contraire. Projets et édifices n'acquerraient une signification que par leur association à des formes héritées de l'histoire. Et Colquhoun de conclure que « non seulement nous ne sommes pas libérés des formes anciennes et de leur disponibilité comme modèles typologiques » mais aussi que « nous devrions essayer d'établir un système de valeurs qui tiendrait compte des formes et solutions du passé si nous voulons établir un contrôle sur les concepts qui s'imposent à nous dans le processus de création, que cela nous plaise ou non. » Être des héritiers que cela nous plaise ou non ! Après une critique des théories qui voudraient que le contenu de l'architecture soit la fonction ou l'espace, l'article d'avril 1989 opposait deux attitudes : l'une privilégierait le symbolisme : « L'édifice est alors la représentation d'une notion extra-architecturale. L'abri devient un symbole. » Après avoir reconnu « qu'un bâtiment devient toujours porteur de valeurs symboliques extra-architecturales à l'usage d'un nombre plus ou moins grand de personnes, de la maison familiale à la cathédrale ou à la maison du peuple », j'écrivis : « La théorie architectonique peut intégrer ou ignorer ce processus de valorisation symbolique. Les avantages de la première option, l'intégration, ne sont pas négligeables : elle crée un terrain d'entente entre l'architecture et les institutions, la politique, la religion ou la critique artistique. » La seconde attitude privilégierait un registre de significations internes à la discipline sans se focaliser sur les significations externes dont on sait la variété et surtout la variabilité. Alors « chaque œuvre crée son propre système de valeurs, dans les liens qu'elle noue avec les œuvres qu'elle a choisies pour points d'appui, construites hier ou il y a des siècles. Le temps n'est pas un critère dans ce système, car, s'il peut y avoir progrès technique, du point de vue du franchissement par exemple ou de l'isolation thermique, il n'y a pas de progrès du point de vue de l'œuvre. » Imaginons un programme quelconque : un gymnase, par exemple et deux architectes que l'on appellera et . Pour l'architecte , un gymnase, c'est la joie de l'effort sportif, l'esprit d'équipe, la compétition, etc. En conséquence de quoi, il va concevoir une volumétrie dynamique, des façades joyeusement colorées. Imaginons que l'architecte se dise : « Cette commande va me permettre de bâtir un édifice à la mémoire de ce "moment où les murs se séparent et où les colonnes apparaissent, le moment où la musique pénètre dans l'architecture", comme l'a défini Louis Kahn et, enfin, je vais pouvoir dépasser le Modèle, le Parthénon. Grâce au béton, je vais pouvoir supprimer architrave et frise. Je vais pouvoir retrouver l'ordre si simple et fondateur du dolmen, une table sur ses orthostates. » Que dessinera-t-il ? N'est-ce pas ce que s'est peut-être dit l'architecte tessinois Livio Vacchini (1933-2007) lorsqu'il a construit le gymnase de la caserne de Losone entre 1990 et 1997. Un gymnase dont on peut donner une description rapide : un couvrement de béton précontraint caissonné de 1 mètre 40 d'épaisseur, porté à 8 mètres de haut par cent cinquante-deux piles écartées de 70 centimètres (sauf les huit piles formant quatre angles en L) dont les côtés mesurent 43 et 70 centimètres à la base et 43 par 43 au sommet. La salle mesure 31 mètres 21 par 56 mètres 07 xiii. Il semblerait qu'aujourd'hui l'illusion fonctionnaliste ait fait long feu et que nombre d'architectes savent qu'ils sont les héritiers d'un riche passé. Aldo Rossi a pu écrire : « Je pourrais dire finalement que l'histoire de l'architecture constitue le matériau de l'architecture. xiv » Mais cela n'est pas si nouveau. Déjà en 1929, à Buenos-Aires, les auditeurs de la première conférence de Le Corbusier, pourtant intitulée « Se délivrer de tout esprit académique », l'entendirent déclarer : « Je vais vous confesser que je n'ai jamais eu qu'un maître : le passé ; qu'une formation : l'étude du passé. xv » Il ne faut pas oublier qu'après avoir été formé dans une problématique art nouveau teintée de régionalisme, le jeune Jeanneret vécut le « retour à l'ordre » des années 1910-1912. Dans une lettre à son maître L'Eplattenier, il reconnut qu'il devait une fière chandelle aux « Stauffifer » qui l'auraient arraché à sa « gangue moyenâgeuse » xvi. Il ne faut pas oublier qu'après avoir été stagiaire chez Auguste Perret, de novembre 1910 à avril 1911, il travailla chez Peter Behrens en même temps que Mies van der Rohe. Alors qu'il consacrait ses après-midi à l'étude de Notre-Dame de Paris, Perret l'envoya voir Versailles, ce qu'il fit à l'occasion d'une visite de ses parents en mai 1909. Ces événements furent sans doute à l'origine du fameux voyage d'Orient, de mai à novembre 1911, sans oublier la lecture des Entretiens de la villa du Rouet d'Alexandre Cingria, un des fondateurs de la revue La Voile latine xvii et les conseils du peintre et écrivain William Ritter. En fait, vers 1911, Jeanneret changea d'ancêtres, il passa de la tradition gothique à la tradition classique et cela dura : avec les tracés régulateurs puis le Modulor, la question de la proportion fut au centre de ses travaux à partir de la villa Schwob. D'autant plus que, dans les années trente, ses options esthétiques rejoignirent ses engagements politiques. Pour Prélude, l'organe mensuel du comité central d'action régionaliste et syndicaliste, le groupuscule de la droite révolutionnaire qui succéda aux Groupes Plans, il écrivit un article intitulé « Esprit grec – Esprit latin. Esprit gréco-latin », alors que le comité militait pour la division de l'Europe en trois grandes régions : une fédération slave, une fédération germanique et une fédération latine nommée le Quadrilatère, une figure dont les sommets seraient Paris, Rome, Barcelone et Alger ou Niger. Le Corbusier y opposa les « Angles-Saxons » aux héritiers de la Grèce et de Rome. Si les premiers s'étaient « lancés et enferrés dans le machinisme, religion étroite hors de la conscience humaine », les seconds devaient se montrer dignes de l'« esprit gréco-latin qui, par-dessus l'impeccable réalisation des objets de notre vie, fait régner l'incessant besoin d'harmonie. La beauté comme finalité. La beauté comme véritable source de bonheur. Idéal élevé mais plein de joie et de bonheur. xviii » Aujourd'hui, les architectes qui choisissent l'héritage corbuséen s'en tiennent le plus souvent au style avec une préférence marquée pour les blanches parois puristes des années vingt et les très célèbres « cinq points d'une architecture nouvelle », mais cela n'est-il pas un peu enfantin ? Sans oublier leur arrière-plan idéologique et ses conséquences urbanistiques, n'est-il pas plus intéressant d'interroger les contradictions qui travaillent œuvres et discours corbuséens, ces contradictions nées de cette tentative de fusion entre l'héritage de l'édification et de l'architecture classiques et la modernité, si rare dans l'histoire de l'architecture contemporaine ? Quant aux héritiers que les tracés régulateurs et les deux séries du Modulor, la rouge et la bleue, ne combleraient pas entièrement et qui désireraient fouiller des trésors plus concrets, ne faut-il pas leur recommander l'étude des œuvres de Louis Kahn, Fernand Pouillon ou Livio Vacchini ? ![]() Gymnase de la caserne de Losone. Livio Vacchini . 1997 1 Françoise Arnold et Daniel Cling lui ont consacré un film « je ne suis pas un homme pressé », dont est tiré l’ouvrage « transmettre en architecture , de l’héritage de Le Corbusier à l’enseignement d’Henri Ciriani », aux Editions du Moniteur. i Au sens que la théorie de la Renaissance donnait au terme mêlant dans le même concept dessein et dessin, voir le premier chapitre de La peinture dans Vasari Giorgio, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Édition commentée sous la direction d’André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1981-1989 [1re éd. italienne, 1550, 2e éd. revue et augmentée, 1568], vol. I, p. 149 et suivantes. ii Voir : Stierlin Henri, Empire romain. Volume I. Des Étrusques au déclin de l’Empire, Cologne, Taschen, 1996, coll. « Architecture mondiale » et Hadrien et l’architecture romaine, Paris, Payot, 1984, coll. « La Démarche des bâtisseurs ». iii Voir : Grodecki Louis et alii, Architecture gothique, Paris, Berger-Levrault, 1979, coll. « Histoire mondiale de l’architecture ». iv Rossi Aldo, Introduction à l'édition portugaise in L'Architecture de la ville, Paris, L'Équerre, 1981 [1re éd. portugaise, 1977], p. 223-245, coll. « Formes urbaines ». v Krautheimer Richard, Nouveau regard sur les panneaux d'Urbino, de Baltimore et de Berlin, in Millon Henry Armand et Lampugnani Vittorio Magnago [Sous la direction de], Architecture de la Renaissance italienne de Brunelleschi à Michel-Ange, Paris, Flammarion, 1995, p. 233-257. vi Voir la douzième leçon : L'architecture romane et l'architecture gothique de Reinach Salomon, Apollo. Histoire générale des arts plastiques professée à l'École du Louvre, Paris, Hachette, s.d. (1re éd., 1904). vii Baudot Anatole de, L'Architecture. Le passé. Le présent, Paris, Henri Laurens, 1916. viii Lurçat André, Architecture, Paris, Au Sans Pareil, 1929, coll. « Les manifestations de l'esprit contemporain ». La formule apparaît d'abord dans le cours du texte puis en tête des chapitres : Le problème de l'habitation et La nouvelle technique. ix Van Doesburg Théo, « L'évolution de l'architecture moderne en Hollande », L'Architecture vivante, automne-hiver 1925, p. 14-20 ou 1924. Théo van Doesburg. Vers une architecture plastique, in Conrads Ulrich, Programmes et manifestes de l'architecture du xxe siècle, Paris, Les Éditions de la Villette, 1991 [1re éd., 1981], coll. « Penser l'espace », p. 95-98 [extrait de De Stijl, XII, n° 6/7, Rotterdam, 1924]. x Voir la réédition des neuf numéros de 1966 et d'un dixième et dernier numéro de 1996 publiée par Les Éditions de l'Imprimeur en 1996. xi Colquhoun Alan, « Typologie et méthode de projettation », in Recueil d'essais critiques. Architecture moderne et changement historique, Bruxelles, Liège, Mardaga, 1985, p. 51-58. xii Vigato Jean-Claude, « Ein Gefäss ohne Inhalt / L'architecture, un contenant sans contenu », Werk, Bauen + Whonen, (Zurich) avril 1989, p. 20-23 et p. 61-63. xiii D'après Livio Vacchini la première « attaque frontale » contre le Parthénon aurait été portée par Mies van der Rohe à la Neue Nationalgalerie de Berlin, voir son court et grand essai : Capolavori. Chefs-d'œuvre, Paris, Éditions du Linteau, 2006, en particulier les pages 66 à 69. xiv idem note 6. xv Voir : Le Corbusier, Précisions sur un état présent de l'architecture et de l'urbanisme, 1re éd., 1930. xvi le corbusier, Lettre à ses maîtres II. Lettres à Charles L'Eplattenier. Édition établie, présentée et annotée par Marie-Jeanne Dumont, Paris, Éditions du Linteau, 2006. Voir la lettre du 16 janvier 1911. xvii Cingria-Vaneyre Alexandre, Les Entretiens de la villa du Rouet. Essais dialogués sur les arts plastiques en Suisse romande, Genève, Jullien, 1908. xviii Le Corbusier, « Esprit grec – Esprit latin. Esprit gréco-latin », Prélude. Thèmes préparatoires à l'action. Organe mensuel du comité central d'action régionaliste et syndicaliste, 15 février 1933, n° 2, p. 1et 2. |
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