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Séminaire de Rennes 2, Présentation de F. Mazel, 18 novembre 2010, corrigée mai 2011 Les Actus pontificum Cenomannis : présentation du dossier documentaire Les références peuvent être retrouvées dans la bibliographie des aspects documentaires des Actus. Abréviations : AP = Actus pontificum Cenomannis GA = Gesta Aldrici Plan : I. Textes et manuscrits II. La rédaction : motif(s), auteur(s), datation(s) III. Les éditions Le texte des Actus pontificum (AP) porte sur des faits s’étant produits ou censés s’être produits entre le Ier et le XIIIe siècle, de la christianisation légendaire de la région à 1255 (cf liste des notices épiscopales). On peut isoler deux grandes phases rédactionnelles : 1 - L’une du milieu du IXe siècle, qui, selon les auteurs, se décompose (J. Van der Straeten, Ph. Le Maître) ou non (W. Goffart, M. Weidemann avec quelques nuances) en deux sous-phases : pour les premiers, une entreprise initiale datée de l’épiscopat d’Aldric (832-857) reste clairement perceptible derrière l’amplification et la réécriture attribuable à l’épiscopat de Robert (859-878) 2 - L’autre comportant plusieurs reprises, du milieu du XIe siècle au milieu du XIIIe siècle. La première phase rédactionnelle présente des liens étroits avec d’autres textes, en particulier les Gesta Aldrici (GA) et une série de Vies de saints de la région mancelle (cf le corpus carolingien du Mans). Tout en s’inscrivant globalement dans la catégorie des Gesta épiscopales, les AP présentent dans le détail une grande variété de genres littéraires : historiographie, hagiographie, diplomatique, poésie, liturgie, inventaires… Le « dossier carolingien » occupe une place considérable dans l’historiographie : – d’abord en raison du nombre d’actes du haut Moyen Âge transmis par son intermédiaire ou par l’intermédiaire des GA (45 actes se rapportant à l’époque mérovingienne, 40 à l’époque carolingienne). – ensuite en raison des enjeux idéologiques qui le traversent (problème des relations entre épiscopat et monachisme, définition des res ecclesiasticae, liens supposés – une hypothèse aujourd’hui abandonnée – avec la rédaction des Fausses décrétales…) Le « dossier féodal » occupe une place plus modeste, en raison notamment du rétrécissement du propos à l’espace régional (la cité du Mans, le Maine). L’ensemble de l’Ouest plantagenêt puis capétien est toutefois bien présent à l’horizon du texte, qui comporte aussi quelques passages célèbres, comme le fameux épisode rapportant le passage du moine Henri, dit de Lausanne, au Mans, sous l’épiscopat d’Hildebert de Lavardin (1096-1125). Ce décalage explique l’important déséquilibre de nos connaissances sur les AP et leur contexte de rédaction : à la pléthore d’analyses et d’interprétations au sujet de la partie carolingienne s’oppose un quai désert pour la période suivante. I. Textes et manuscrits A ) Les Actus pontificum Cenommanis in urbe degentium 1 ) Les manuscrits : On dispose de deux manuscrits des AP ; chacun incomplet, mais pas de la même manière : a ) Le ms 224 de la Médiathèque du Mans (M) : il s’agit d’un ms du XIIe siècle, avec des reprises jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Propriété du chapitre cathédral du Mans jusqu’à la Révolution, puis de la BM du Mans, il comporte 132 folios, sur deux colonnes (35/36 lignes selon les mains) ; dimensions = 387x270mm. Structure globale (d’après R. Latouche, sous réserve d’une étude plus approfondie1) :
Le ms 224 contient donc les notices 1-18, puis 29 à 35 des AP, ainsi qu’une transcription incomplète des GA. Entre les notices 1 et 2 ont été insérés deux textes postérieurs : une translation de saint Julien (translatio beati Iuliani episcopi, fin XIe siècle?) et une questio quare beatissimus Iulianus Cenomanensis invocatur in hospitalitate querenda. Le ms est par ailleurs pourvu d’un dossier d’ouverture complexe consacré au culte de Julien et à diverses listes à finalité historiographique. La lacune du texte des AP porte sur les notices 20 à 28, correspondant à 9 notices de 857 (Robert) à 1065 (Vulgrin). D’après R. Latouche, le ms laisse voir plusieurs mains : – une main principale, qui aurait réalisé, entre 1143 et 1165, la copie des notices 1 à 18, ainsi que la transcription incomplète des GA et la notice de l’évêque Hugues (1136-1144) [notice 33]. Elle aurait peut-être aussi copié les 9 notices de Robert à Vulgrin (notices 20 à 28), des notices qui auraient ensuite été ôtées du ms (Latouche p. 265-266) ; – une 2e main aurait réalisé les notices d’Arnaud, Höel, Hildebert et Gui (notices 29 à 32), intercalées avant la notice d’Hugues (notice 33) ; – une 3e main aurait réalisé la notice de Guillaume de Passavant (notice 34) – une 4e main aurait réalisé la fin du ms b ) Le ms de la BnF, collection Baluze 45, fol. 53 et 68-144 (D) : il s’agit d’un ms du XVIIe dû à André Duchesne. Il aurait été copié d’après un ms perdu qui appartenait probablement à l’abbaye de Saint-Calais, ms qui fut donné aux Bollandistes en 1630 (d’après L. Célier : voir Goffart p. 44, note 43). Ce ms perdu et la copie D contiennent une partie de la rédaction carolingienne des AP, la première continuation et le début de la seconde, c’est-à-dire : – les notices 7-19 pour la rédaction carolingienne – les notices 20-32 pour les continuations féodales. 2 ) Les textes a ) La rédaction carolingienne : 19 notices Les notices 1 à 14 et 16 à 18 sont consacrées chacune à un évêque, de Julien (Ier siècle) à Franco II (IXe siècle). Deux notices présentent un contenu différent : – la notice 15, qui évoque les temps troublé du début du VIIIe siècle et les figures de trois évêques ; – la notice 19, qui constitue un résumé des GA et renvoie le lecteur à un autre livre au sujet d’Aldric (logiquement les GA) laissant entendre que celui-ci est encore vivant. Les notices épiscopales laissent clairement voir l’influence du Liber pontificalis, en termes de formulaire (titre, réalisations monumentales, ordinations sacerdotales et diaconales, inhumation), mais aussi de part la logique narrative de contemporanéité (ici fausse) du discours (faire croire que chaque notice est rédigée juste après la mort de l’évêque qu’elle évoque). 49 chartes sont incluses dans le texte à partir de la notice 8, à titre de pièces justificatives des notices. b ) Les continuations féodales : 15 notices Toutes ces notices sont consacrées à un évêque, de Robert (859-878) à Geoffroi de Loudun (XIIIe siècle), avec une importante lacune entre 1188 et 1234. L’insertion de documents diplomatiques est beaucoup plus rare, mais certaines notices, à partir de l’évêque Hubert (notice 24), comportent de véritables petits régestes d’actes connus par ailleurs (par le Liber albus notamment), ainsi que des extraits de correspondance (notamment pour Hildebert, notice 31). c ) Comparaison entre M et D :
Les différences entre les deux mss portent : 1 - Sur les notices : Les principales lacunes sont les suivantes : – les notices 1-6 et 33-35 dans D – les notices 20-28 dans M (le plus étonnant, d’où l’hypothèse de Latouche d’une disparition postérieure du ou des cahiers contenant ces notices) L’épiscopat d’Aldric pose problème : aucun des deux mss ne dispose d’une notice comparable à celle des autres évêques ; le ms M lui substitue un fragment des GA, le ms D une notice réduite (la notice 19). 2 – Sur les actes diplomatiques (49 sont présents dans M, 22 dans D). D’après W. Goffart, le ms perdu copié par D constituerait une version des AP antérieure à M, et M contiendrait une version postérieure retouchée. Mais Goffart n’explique pas vraiment la lacune des notices 20-28 dans M. B ) Les Gesta domni Aldrici Cenomannicae urbis episcopi a discipulis suis 1 ) Les manuscrits : a ) Le plus ancien est le ms 99 de la bibliothèque municipale du Mans, daté entre 997/1004 et 1028/1038 (motif : la liste épiscopale qui ouvre le ms s’interrompt avec la mention d’Avesgaud). Il s’agit d’un ms copié au Mans et en possession du chapitre cathédral jusqu’à son transfert à la BM. Aperçu de son contenu : – la liste épiscopale des évêques du Mans jusqu’à Avesgaud (ajout postérieur : Gervais) – 11 poèmes au sujet d’Aldric (un autre poème est inclus dans les GA) : son nom, son action, autour de dédicaces d’églises (éd. MGH : voir le corpus carolingien du Mans) – Praefatio gestae domni Aldrici Cenomannicae urbis episcopi – Gesta Aldrici L. Delisle a repéré deux mains, en particulier pour les poèmes, laissant deviner que le ms copié était en mauvais état. b ) Une copie du XIIe siècle, dans le ms 224 des AP, fol. 84v-90r : copie fragmentaire, limitée à quelques pages, mais dont le texte est une copie exacte du ms 99 (Havet p. 278). 2 ) Le texte Les GA se présentent comme une biographie : elles commencent par l’origine d’Aldric, les débuts de sa carrière, sa nomination au Mans ; puis elles évoquent ses réalisations sur le siège du Mans, dans un ordre thématique plus que chronologique. Aucune organisation interne ne se dégage a priori. L’influence du Liber pontificalis est là aussi très visible : deux chapitres du Liber sont repris tels quels dans les Gesta (voir Goffart p. 39, note 28). Il semble donc mois s’agir d’une biographie achevée que d’une collection de matériaux au sujet d’Aldric, une impression qui s’accroît vers la fin du texte (à partir du §43) composé de la juxtaposition de fragments hétérogènes : – un dossier est plus facile à isoler : les §47-53, qui correspondent à ce que l’on appelle traditionnellement le Memoriale, un ensemble de pièces concernant la restitution du monastère de Saint-Calais à l’évêché du Mans en 838 ; – avant et après ce dossier on trouve toute une séries de fragments consacrés à la dédicace de l’autel majeur de Saint-Calais (§43), l’invention de reliques au Mans (§44), la translation de saint Pavace (§45), le luminaire des églises mancelles (§46), un rapport de synode diocésain (§58-59), un cartulaire de diplômes, précaires et diverses pièces (§54-73). Le livre semble inachevé : il ne contient aucun acte postérieur à février 840. Cependant, le §44 présente toutes les caractéristiques de ce qui marque la fin des notices épiscopales dans les AP (notamment une liste des ordinations effectuées par Aldric). W. Goffart a proposé de distingué deux parties dans ce texte : les §1-44 correspondant aux gesta, les §45-73 faisant office d’appendices documentaires. II. La rédaction : motif(s), auteur(s), datation(s) Deux sujets restent en débat à propos de la rédaction carolingienne : 1- La causa scribendi 2 - Les problèmes d’attribution et de datation A ) La causa scribendi 1 ) La mise en œuvre initiale : a ) Aux XIXe-début XXe siècles, les motifs de la rédaction initiale ne sont pas évoqués par les commentateurs (Havet, Busson et Ledru…) ou bien sont rapportés à des phénomènes généraux : la campagne de recouvrement du patrimoine du siège épiscopal du Mans après les « sécularisations » ; l’éloge de l’évêque Aldric et ses liens avec l’empereur Louis le Pieux. b ) W. Goffart, suivi par M. Weidemann, est le premier à isoler un motif selon lui déterminant : la défense de la cause de l’Église du Mans dans le conflit qui l’oppose à l’abbaye de Saint-Calais, un conflit porté à quatre reprises devant l’empereur ou le roi. La première trace documentaire laissée par ce conflit remonte à l’assemblée de Bonneuil en 855. Trois autres assemblées sont par la suite amenées à traiter de nouveau de cette affaire, à Pîtres en juin et août 862, puis à Verberie en 863. Lors de cette dernière assemblée, l’évêque Robert du Mans est définitivement débouté par le roi Charles le Chauve. L’objet du conflit est la nature de l’autorité de l’évêque du Mans sur l’abbaye. Les sources qui l’évoquent sont assez nombreuses : les Annales de Saint-Bertin, sous la plume d’Hincmar, plusieurs bulles du pape Nicolas Ier, les chartes du Cartulaire de Saint-Calais (qui contient des pièces du VIIe siècle à 863). Mais ni les AP, ni les GA n’en disent mot. Pour W. Goffart, les GA et les AP découleraient de la nécessité pour l’évêque Robert de se doter d’un dossier documentaire à produire devant l’assemblée judiciaire de Verberie. Cependant, W. Goffart comme M. Weidemann reconnaissent que les AP et GA laissent entrevoir des enjeux de rédaction plus larges : W. Goffart met en lumière la volonté d’enraciner dans le temps le contrôle épiscopal sur les monastères et les églises dans les récits de fondations ou l’inclusion de listes diverses. M. Weidemann souligne la volonté de récupération de propriétés perdues depuis le début du VIIIe siècle. c ) J. Van der Straten et Ph. Le Maître mettent l’accent sur ces enjeux et soulignent la diversité des projets derrière le double moment rédactionnel : – des gesta « classiques » promues par Aldric, sur le modèle pontifical et messin et dans un contexte de politique épiscopale carolingienne ; – une orientation plus polémique promue par l’évêque Robert dans le contexte des assemblées de Pîtres et Verberie. Quoi qu’il en soit, ces textes s’inscrivent dans le vaste contexte de définition/redéfinition des res ecclesiasticae / res publica à l’époque carolingienne, avec en arrière-plan deux vieux débats historiographiques : celui des « sécularisations » attribuées à Charles Martel, celui des liens avec les Fausses décrétales (qui ont longtemps été attribuées au même atelier de faussaires que le corpus du Mans). 2 ) La reprise des Actus à partir du milieu du XIe siècle Les motifs de cette reprise restent à préciser. Pour R. Latouche, elle serait à replacer dans le contexte de la réforme épiscopale engagée sous l’épiscopat de Vulgrin, ancien abbé de Saint-Serge d’Angers. Pour B. Lemesle, le discours réformateur apparaît aussi très présent dans les continuations du XIIe siècle. Les AP semblent par ailleurs avoir pour objet d’entretenir la memoria de la générosité épiscopale avant la mise en œuvre d’un cartulaire cathédral (le Liber albus) au début du XIIIe siècle. Les motifs de l’interruption des AP à la fin du XIIe siècle, puis de leur reprise ponctuelle au milieu du XIIIe siècle constituent encore une source d’interrogation. B ) Problèmes d’attribution et de datation 1 ) Aux XIXe-début XXe siècles, l’opinion dominante attribue les AP et les GA à des disciples d’Aldric, travaillant sous l’épiscopat d’Aldric, entre 832 et 857 J. Havet propose une chronologie plus précise : collecte documentaire vers 832-834, début de la rédaction vers 840, achèvement entre 850 et 857 ; et avance l’hypothèse d’un auteur unique, le chorévêque David. Il est globalement suivi par F. Lot, qui pense que les AP et GA sont rédigés vers 832-840 par un auteur unique, David. 2 ) W. Goffart : 1. W. Goffart pense qu’il n’y a que très peu d’auteurs pour tous les textes de la « collection du Mans » et refuse l’idée d’une « école du Mans ». Plus précisément, il distingue deux étapes et deux auteurs, très proches dans le temps : – un premier auteur, intéressé par la défense du patrimoine cathédral, soucieux d’intégrer la constitution du patrimoine dans une histoire, commencerait la rédaction ; – un deuxième auteur, faussaire, continuerait et amplifierait le travail de son prédécesseur, tout en resserrant ses préoccupations sur le conflit avec Saint-Calais (formulation d’une hypothèse de lien avec Reims sur la base des gesta de Principius). Ces deux auteurs utiliseraient l’un et l’autre un matériau antérieur, ce qui expliquerait la présence de quelques épaves des VIe-VIIIe siècles. 2. La rédaction interviendrait après la mort d’Aldric (857) et serait achevée peu après octobre 863 (Verberie). Les arguments avancés sont les suivants : – le silence des chartes de Saint-Calais sur le conflit avec l’évêque du Mans avant 855 (assemblée de Bonneuil) ; ceci conduit W. Goffart à interpréter les passages des AP de 799-802 et des GA de 838-841 comme des forgeries rétrospectives des chanoines du Mans ; – le silence sur la translation de saint Liboire de 836 (cf corpus carolingien du Mans) Translation de saint Liboire (du Mans à Paderborn en avril 836) [Goffart p. 69-71] : on lui connaît deux rédactions successives : * une originale (BHL 4911b) : elle comporte des passages des AP et des GA ; Aldric y est dit « de bienheureuse mémoire », elle est donc postérieure à 857. * une réécriture de la fin du IXe siècle (dédiée à Bison, évêque de Paderborn vers 886-909) Cette translation fournit un terminus ante quem pour les AP et GA, mais, fait curieux, ni les AP ni les GA n’évoquent la translation de 836. Pour Goffart, c’est la preuve d’une rédaction bien postérieure à l’événement. 3 ) J. Van der Straeten et Ph. Le Maître : 1. La composition des AP relèverait d’un processus identique à celui des Gesta Aldrici, par strates rédactionnelles successives : l’essentiel du texte, de Victeur à Franco junior, daterait, comme les Gesta Aldrici, de l’épiscopat d’Aldric, tout en intégrant au propos des textes (actes diplomatiques, listes de biens, listes épiscopales) puisés dans les archives, certains sincères, d’autres interpolés, d’autres encore forgés de toutes pièces (Ph. Le Maître désigne cet ensemble sous le nom de « version A »). La notice d’Aldric et les quatre premières gesta (Julien, Turibe, Pavace, Liboire), qui incluent des listes d’églises antérieures, auraient été rajoutées sous l’épiscopat de Robert (« version B »). 2. Il existerait par conséquent une multiplicité d’auteurs, même si tous sont étroitement liés au siège du Mans et si l’ensemble du corpus est achevé peu avant (J. Van der Straten) ou peu après 863 (Ph. Le Maître). Ce terminus ad quem est partagé par W. Goffart et M. Weidemann, mais ces derniers considèrent que tous les Actus furent composés d’une seule traite au début des années 860. 3. Le conflit avec Saint-Calais ne peut à lui seul expliquer la rédaction d’un corpus d’une telle envergure et d’une telle complexité. Il y eut à l’évidence plusieurs motifs successifs : – Le projet d’origine (sous Aldric et avant la mort de Louis le Pieux, 840) visait à doter le siège du Mans d’une memoria prestigieuse, à l’image des autres gesta de l’époque carolingienne. L’initiative de ce projet reviendrait à Aldric. Une dimension essentielle de cette memoria est constituée par la mémoire patrimoniale, ce qui explique les interpolations ou la forgerie de nombreuses pièces visant à asseoir les droits de l’évêché sur un certain nombre de biens, après que la longue crise du VIIIe siècle a mis à bas l’immense patrimoine accumulé aux VIe et VIIe siècles. Ces revendications portent notamment sur des ermitages et des monastères, dont celui de Saint-Calais qui focalise l’attention de l’évêque à partir des environs de 855 et devient un sujet de préoccupation majeure sous l’épiscopat de Robert. – Ceci explique la reprise des Actus et des Gesta Aldrici dans les années 860 et l’insertion de nombreuses interpolations destinées à soutenir dans cette affaire la cause épiscopale2. La mise en forme définitive des notices est effectuée sous l’influence du Liber pontificalis, dont la première attestation sûre dans l’ouest de la France date de la fin des années 850, lorsque l’archevêque Hérard de Tours en reçut un exemplaire dont il fit don à sa cathédrale3. 4. À côté des GA et des AP, toute une série de textes hagiographiques furent aussi composées dans l’entourage des évêques du Mans et peuvent se rattacher aux deux grandes étapes rédactionnelles liées à l’épiscopat d’Aldric d’une part (A), de Robert d’autre part (B). C ) Le périmètre du corpus carolingien L’hypothèse du lien avec les Fausses décrétales jadis avancée par quelques historiens du droit (Simson, Fournier) est aujourd’hui abandonnée. 1 ) Pour W. Goffart, les AP et les GA forment une collection cohérente avec : – un groupe de 11 poèmes au sujet de l’évêque Aldric (832-857) : cf Goffart p. 35-39 (présentation détaillée) ; on en connaît en effet trois autres très proches, un dans les GA et deux dans les AP. L’ensemble forme ce que l’on appelle les Carmina Cenomanensia depuis le XIXe siècle. – plusieurs textes hagiographiques : les Vies de Julien, Turibe, Pavace (les trois premiers évêques du Mans selon les AP) et Almire (un ermite dont Aldric est dit, dans les GA, avoir favorisé le culte et établi ou rétabli un petit monastère), qui émaneraient du même auteur ou du même groupe d’auteurs que les AP et les GA. * Ces Vies sont conservées dans de nombreux mss, notamment dans un ms de Fleury de la fin du IXe siècle, selon A. Wilmart (Vaticanus reginensis lat. 318), où les Vies des trois premiers évêques figurent aux côtés des saints Victor et Victeur (Goffart p. 52, note 68) ; et dans un ms de Saint-Père de Chartres du XIe siècle aujourd’hui détruit (ibid. note 69). Ces quatre Vies sont du IXe siècle, mais sont toutes attribuées à des contemporains de leur héros (Goffart p. 52-58). * Des relations étroites existent entre le ms 224 (M) et le ms 227 du Mans, un ms hagiographique du XIIe siècle (lectionnaire de Saint-Pierre de La Couture) qui contient notamment : la Vie de Pavace, la translation de Sainte-Scolastique (dont des éléments sont repris dans AP, notice 12), la Vie de Victor et Victeur (un texte connu par Raban Maur avant 854, probablement connu aussi par l’évêque Badurad de Paderborn vers 836, et qui constitue une des sources des AP, notices 4, 5 et 6), qui sont tous des textes antérieurs à rédaction des AP. À ces textes, W. Goffart ajoute d’autres sources hagiographiques, considérées comme des sources des AP et GA mais n’émanant pas du même atelier : la translation de Sainte Scolastique, les Vies de Calais et de Lonogisil (Goffart p. 73-78). 2 ) Ph. Le Maître élargit encore ce groupe : cf tableau du corpus carolingien du Mans – les mêmes 14 poèmes – deux listes épiscopales (AP et GA) – quatre translations et quatorze Vies de saints D ) Les continuations Une étude exhaustive a été réalisée par R. Latouche. Celui-ci distingue six auteurs successifs, tous chanoines de la cathédrale du Mans : 1. Les 9 gesta de 857 à 1065 seraient composées par un rédacteur contemporain de l’évêque Vulgrin (1055-1065), qui achève son travail peu après le décès de Vulgrin. Il s’agirait d’un chanoine proche de l’évêque (Latouche p. 245-247). Ces gesta ne sont pas transmises par le ms 224 et ne sont pas connues des auteurs des notices postérieures : elles formaient un texte à part, avant d’être intégrées à la matrice perdue du ms D. 2. Les gesta d’Arnaud, Hoël et le début des gesta d’Hildebert (jusqu’au récit de la mort de Guillaume le Roux le 2 août 1100) constituent une séquence en prose rythmée, composée entre 1133 et 1141 (avec une légère interpolation de la notice d’Arnaud postérieure à 1141 : cf R. Latouche, p. 256, note 4), par un ami et peut-être élève de l’évêque Hoël (Latouche p. 261). 3. La fin des gesta d’Hildebert et les gesta de Gui auraient été composées après 1136 et avant 1154, par un chanoine, ami de l’évêque Gui. 4. Les gesta Hugonis auraient été composées par le copiste du ms 224 (M), entre 1143 et 1165, par un chanoine. 5. Les gesta Willelmi auraient été composées après 1187 (par le même copiste [et auteur ?] que la translation de 1201), par un chanoine ami de l’évêque Guillaume. 6. Les gesta Gaufredi auraient été composées après 1254 et sans doute après 1270. III. Les éditions A ) Les éditions cf liste des éditions 1 ) Les GA : La plus ancienne est due à Baluze, Miscellanea III, Paris, 1680, p. 1-178. Elle se fonde sur une copie moderne. Elle est reprise par Mansi (Lucques, 1761) et par la PL, t. 115, c. 29-106. Les premières éditions à se fonder sur le ms 99 du Mans sont des éditions partielles : – Waitz a seulement publié les parties narratives des GA (MGH, Scriptores XV, p. 304-327), les diplômes auraient dû être publiés ailleurs ; – Piolin a publié les poèmes (Histoire de l’église du Mans, t. 2, Paris, 1854, p. 534-546), de même que Dümmler (MGH). La première édition complète fondée sur le ms 99 est due à Charles et Froger (Gesta domni Aldrici Cenomannicae urbis episcopi a discipulis suis, Le Mans, 1889). Ces derniers conservent cependant la division en § de Baluze. Ils éditent aussi les poèmes. L’édition de référence est désormais l’édition de M. Weidemann (Geschichte des Bistums Le Mans von der Spätantike bis zur Karolingerzeit. Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium und Gesta Aldrici, t. 1, Mayence, 2002, p. 115-179) : on y trouve les Gesta et leur praefatio, avec un nouveau découpage, reflet d’une nouvelle compréhension de la structure fragmentaire du texte (en particulier pour les fragments finaux). 2 ) Les AP : La plus ancienne édition est due à Mabillon, Vetera analecta, t. III, Paris, 1682, p. 50-397, d’après le ms 224. Elle est reprise en un volume séparé par L. F. de la Barre (Paris, 1723). L’édition de référence a longtemps été celle de Busson et Ledru (Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, Archives historiques du Maine, II, Le Mans, 1901). Ces derniers connaissent l’existence du second ms, celui de Baluze, disent en tenir compte, mais commettent de nombreux oublis et négligences (repérées par Goffart p. 48-49…). À de nombreux égards, il s’agit d’une édition problématique, empreinte de patriotisme local et de cléricalisme. Les éditeurs affirment ainsi leur croyance en la sincérité des textes, jusqu’à la tradition légendaire de Julien et ses successeurs. Ils interviennent très souvent sur le texte, rajoutant un chapitre tiré de Grégoire de Tours, reprenant les 23 notices de Mabillon au lieu des 19 du ms M, insérant les GA entre la notice 18 et la notice 19 des AP, ne marquant pas le passage d’une rédaction à l’autre, n’identifiant pas les sources… Cette édition est désormais périmée, pour la partie carolingienne des AP, par l’édition Weidemann. Mais elle demeure l’édition de référence pour les continuations. a ) L’édition de référence pour la rédaction carolingienne est désormais l’édition de M. Weidemann (Geschichte des Bistums Le Mans von der Spätantike bis zur Karolingerzeit. Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium und Gesta Aldrici, t. 1, Mayence, 2002, p. 33-114) Son ms de référence est le ms M. Il s’agit d’une édition de très grande qualité des AP, des GA, et des actes diplomatiques, classés en trois catégories : actes authentiques, actes interpolés, actes faux (cette édition des actes périme les analyses d’Havet et le catalogue de W. Goffart, mais pas nécessairement les éditions des MGH, même si M. Weidemann s’en éloigne parfois). Elle pose cependant, à mes yeux, plusieurs problèmes : 1. Des problèmes historiographiques : Tout d’abord, une certaine tendance « hypocritique » conduit M. Weidemann à réhabiliter les premiers évêques légendaires, à plaider systématiquement en faveur de l’authenticité des listes mérovingiennes d’églises et de biens, de l’authenticité de certains actes aussi, que les MGH considèrent pour leur part comme des faux. Ces réhabilitations prennent tout leur sens au regard du projet historien de M. Weidemann, qui est d’étudier les Ve-VIIIe siècles ; elle semble naturellement opposée à toute conception maximaliste de la refonte carolingienne. Ensuite, et de manière curieuse, elle semble ignorer l’existence de la thèse de Ph. Le Maître, qui constitue une critique et un dépassement de l’œuvre de W. Goffart. La compréhension globale de la rédaction carolingienne exposée par M. Weidemann reste par conséquent très dépendante de W. Goffart : – la causa scribendi des AP reste entièrement liée à l’affaire de St-Calais – la rédaction est entièrement placée après la mort d’Aldric, sous l’épiscopat de Robert – la rédaction reste conçue comme un tout homogène – hormis les GA, les autres textes du corpus carolingien ne sont pas pris en considération – le catalogue et les critiques diplomatiques de Ph. Le Maître ne sont pas prises en compte. 2. Un problème éditorial : en extrayant les actes diplomatiques des notices des AP ou du récit des GA et en les éditant à part dans un volume distinct, l’édition de M. Weidemann brise la cohérence du discours des AP et des GA, qui articule étroitement narration et pièces justificatives. b ) L’édition de référence pour les continuations demeure jusqu’à présent l’édition de Busson et Ledru Celle-ci pose de graves problèmes : 1. Il n’y a pas de ms de référence, mais un jeu de bascule de l’un à l’autre des mss au gré des notices, avec même parfois l’adoption d’une version encore postérieure. Les variantes semblent cependant signalées dans les notes. 2. Les titres des notices sont souvent modifiés. 3. Les éditeurs ont inséré dans leur édition des textes extérieurs aux AP (aussi bien dans M que dans D) : Insertions factices dans l’édition Busson-Ledru (« Continuations ») :
1 La consultation du ms lors de la journée du séminaire passée au Mans, le 17 mai 2011, a mis en relief quelques anomalies dans l’analyse de R. Latouche. Une analyse paléographique et codicologique du ms a été demandée à l’IRHT en la personne de Paul Bertrand (CNRS-IRHT Orléans). 2 Parmi ces interpolations, la plus importante est le fameux Mémorial censé avoir permis à Aldric de gagner un premier procès contre l’abbaye de Saint-Calais en 838 (éd. Weidemann, t. 1, p. 154-164). W. Goffart (suivi sur ce point par J. Van der Straeten) et Weidemann pensent qu’il s’agit d’un dossier élaboré sous l’épiscopat de Robert et que rien n’atteste l’existence réelle du procès de 838. Le Maître pense qu’une première version du Mémorial peut être attribuée à Aldric et daterait des années 850-855 ; il croit donc en l’existence du procès de 838. 3 Ph. Le Maître, Le corpus carolingien, p. 351 et suiv. |
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![]() | «Expression religieuse et laïcité en entreprise», Revue de droit du travail, 18 novembre 2011 p. 643 | ![]() |