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Lettre sur la campagne romaine’’ (1804) Après avoir décrit la désolation de la campagne romaine, il évoqua son «inconcevable grandeur» pour qui la contemple «en artiste, en poète, et même en philosophe». Commentaire Le peintre des «solitudes» américaines avait ici assoupli sa technique pour mieux rendre la pureté lumineuse du paysage italien, et son art nous paraît enrichi par le souvenir des paysagistes du XVIIe siècle (Le Lorrain et sans doute Poussin) et par sa sensibilité d’humaniste qui s’émouvait devant cette terre « demeurée antique comme les ruines qui la couvrent ». Chateaubriand envoya la lettre à son ami, Fontanes, et elle fut aussitôt publiée. Elle figura plus tard dans ‘’Voyage en Italie’’. _________________________________________________________________________________ Le 4 novembre 1803, Chateaubriand eut la douleur de perdre Mme de Beaumont qui était venue le rejoindre à Rome mais était morte de consomption. Cette épreuve bouleversante eut une importance capitale pour son œuvre puisque c’est à ce moment-là qu’il conçut le projet des ‘’Mémoires de ma vie’’. À Rome, il ressentit aussi l'amertume d'être subordonné à l'oncle du Premier Consul, le cardinal Fesch avec lequel il ne s'entendait pas. Le 29 novembre, il fut nommé ministre de France dans la minuscule république du Valais, appelée République rhodanienne. Rentré à Paris avant de rejoindre son poste, il travaillait à un premier projet des ‘’Martyrs’’. Or, en mars 1804, Bonaparte fit exécuter le duc d'Enghien dans les fosés de Vincennes. Cela réveilla le loyalisme de Chateaubriand : il donna sa démission en prétextant une maladie de sa femme. Il séjourna à Fervacques chez sa nouvelle maîtresse, Mme de Custine, dans le lit de laquelle a-t-il dit : « Je gagnai – comme on attrape la syphilis dans des draps contaminés - le royalisme que je n’avais pas naturellement. » Mais, déjà, il rencontrait Natalie de Laborde, comtesse de Noailles, tandis que son épouse soudain quittait Fougères pour s’inquiéter de la vie qi’il menait à Paris. Sa sœur Lucile fut victime d’une crise nerveuse, chercha la mort et la trouva, peut-être par suicide. Il en fut profondément affecté. En 1805, il fit un voyage familial en Auvergne et dans les Alpes. Il publia : _________________________________________________________________________________ ‘’Voyage au Mont-Blanc’’ (1806) Chateaubriand annonce : « J'ai vu beaucoup de montagnes en Europe et en Amérique, et il m'a toujours paru que dans les descriptions de ces grands monuments de la nature on allait au delà de la vérité. Ma dernière expérience à cet égard ne m'a point fait changer de sentiment. J'ai visité la vallée de Chamouny […] J'exposerai avec simplicité les réflexions que j'ai faites dans mon voyage. » Il est monté au « Montanvert » et a découvert « ce qu'on nomme très improprement la Mer de Glace […] Ce n'est point, comme on le voit, une mer ; c'est un fleuve. » Puis il s’intéresse aux effets fantastiques qu’ont les nuages dans les montagnes : « Lorsque le ciel est sans nuages, et que l'amphithéâtre des monts se déploie tout entier à la vue, un seul accident mérite alors d'être observé : les sommets des montagnes, dans la haute région où ils se dressent, offrent une pureté de lignes, une netteté de plan et de profil que n'ont point les objets de la plaine. » Plus loin, il mentionne les arbres qu’on y trouve, en particulier le pin qui « est le compagnon du pauvre Savoyard, dont il partage la destinée : comme lui, il croit et meurt inconnu sur des sommets inaccessibles, où sa postérité se perpétue également ignorée. » Surtout, il refuse aux montagnes « la sublimité » : « Cette grandeur des montagnes, dont on fait tant de bruit, n'est réelle que par la fatigue qu'elle vous donne. Quant au paysage, il n'est guère plus grand à l'oeil qu'un paysage ordinaire. […] Les neiges du bas Glacier des Bois, mêlées à la poussière de granit, m'ont paru semblables à de la cendre ; on pourrait prendre la Mer de Glace, dans plusieurs endroits, pour des carrières de chaux et de plâtre ; ses crevasses seules offrent quelques teintes du prisme, et quand les couches de glace sont appuyées sur le roc, elles ressemblent à de gros verres de bouteille. Ces draperies blanches des Alpes ont d'ailleurs un grand inconvénient : elles noircissent tout ce qui les environne, et jusqu'au ciel, dont elles rembrunissent l'azur. Et ne croyez pas que l'on soit dédommagé de cet effet désagréable par les beaux accidents de la lumière sur les neiges. La couleur dont se peignent les montagnes lointaines est nulle pour le spectateur placé à leur pied. La pompe dont le soleil couchant couvre la cime des Alpes de la Savoie n'a lieu que pour l'habitant de Lausanne. Quant au voyageur de la vallée de Chamouny, c'est en vain qu'il attend ce brillant spectacle. Il voit, comme du fond d'un entonnoir, au-dessus de sa tête, une petite portion d'un ciel bleu et dur, sans couchant et sans aurore ; triste séjour où le soleil jette à peine un regard à midi par-dessus une barrière glacée. […] Les monts, quand on en est trop voisin, obstruent la plus grande partie du ciel. Il n'y a pas assez d'air autour de leurs cimes ; ils se font ombre l'un à l'autre et se prêtent mutuellement les ténèbres qui résident dans quelque enfoncement de leurs rochers. […] Un seul accident laisse aux sites des montagnes leur majesté naturelle : c'est le clair de lune. […] On parle beaucoup des fleurs des montagnes, des violettes que l'on cueille au bord des glaciers, des fraises qui rougissent dans la neige, etc. Ce sont d'imperceptibles merveilles qui ne produisent aucun effet : l'ornement est trop petit pour des colosses. Enfin, je suis bien malheureux, car je n'ai pu voir dans ces fameux chalets enchantés par l'imagination de J.-J. Rousseau que de méchantes cabanes remplies du fumier des troupeaux, de l'odeur des fromages et du lait fermenté ; je n'y ai trouvé pour habitants que de misérables montagnards, qui se regardent comme en exil et aspirent à descendre dans la vallée. […] Les bêtes sauvages ont été remplacées sur les sommets des Alpes par des troupeaux de vaches, qui regrettent la plaine aussi bien que leurs maîtres. […] Je ne puis être heureux là où je vois partout les fatigues de l'homme et ses travaux inouïs, qu'une terre ingrate refuse de payer. Une autre raison de son dégoût, il la trouve dans le fait que Virgile « se serait fort peu soucié de la vallée de Chamouny, du glacier de Taconay, de la petite et de la grande Jorasse, de l'aiguille du Dru et du rocher de la Tête-Noire. » Chateaubriand prend le contrepied de l’enthousiasme exprimé par Rousseau pour l’« influence salutaire des hauts lieux » dans la lettre XXIII de ‘’La Nouvelle Héloïse’’ : « Sur les hautes montagnes, les méditations prennent un caractère grand, sublime, proportionné aux objets qui nous frappent, je ne sais quelle volupté tranquille qui n'a rien d'âcre et de sensuel. Il semble qu'en s'élevant au-dessus du séjour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres [...] je doute qu'aucune agitation violente pût tenir contre un pareil séjour prolongé. » etc. Pour lui, « malheureusement l'âme de l'homme est indépendante de l'air et des sites ; un coeur chargé de sa peine n'est pas moins pesant sur les hauts lieux que dans les vallées. » et il invoque le témoignage des auteurs de l'Antiquité et celui de la Bible pour déclarer les montagnes des lieux d’affliction, bien que les anachorètes s’y retirent ; « mais ce n'est point alors la tranquillité des lieux qui passe dans l'âme de ces solitaires, c'est au contraire leur âme qui répand sa sérénité dans la région des orages. » Cependant, il concède : « Après avoir fait la critique des montagnes, il est juste de finir par leur éloge. » Il les accepte donc « dans les derniers plans d'un tableau […] au fond d'un horizon vaporeux. » Elle sont aussi « une barrière utile contre les invasions et les fléaux de la guerre. » « Il y a des montagnes que je visiterais encore avec un plaisir extrême : ce sont celles de la Grèce et de la Judée. » Commentaire Chateaubriand qui est allé au pied du Mont Blanc a donc été écrasé par un décor trop grand pour lui, qu’il ne décrit pas d’ailleurs, qu’il évite, de fait, consciencieusement, et il conteste l’idée de la splendeur des Alpes, qui le laissent insensibles. Par contre, il appréciait le Vésuve, qui effrayait et rebutait ses contemporains mais dont il avait fait l’ascension en 1804 et auquel il trouvait une beauté sublime, lui consacrant un vibrant éloge poétique, valorisant la force de ce cratère qui est gorgé de souvenirs (Pline, Dante,…), qui lui ouvrait les portes de l’inspiration. Ainsi, il allait à rebours des goûts institués, rompait avec ses prédécesseurs. Chateaubriand ne se révèle-t-il pas dans ce texte comme un snob avant tout soucieux de se distinguer de la masse des admirateurs de la montagne, en particulier en se drapant dans sa culture classique? Ah ! si Virgile avait chanté les Alpes, le latin aurait tout changé aux yeux de Chateaubriand ! _________________________________________________________________________________ Le 13 juillet 1806, cédant au rêve de sa jeunesse, Chateaubriand s'embarqua pour l'Orient, visita l’Italie, la Grèce, la Turquie, les Lieux Saints, l'Égypte. En novembre, il se rembarqua à Alexandrie. Dans ce grand voyage, il accumula des fiches de lecture, des documents, et recueillit les images qui allaient enrichir différents ouvrages. Au printemps 1807, en Espagne (Grenade, Cordoue), il retrouva Natalie de Noailles. Il fut de retour à Paris en juin. Pensant, après avoir écrit un article très virulent contre Napoléon dans ‘’Le Mercure de France’’, qu’il était préférable de s’éloigner de Paris, il fit l’acquisition de la Vallée-aux-Loups, une maison de jardinier dans le hameau d'Aulnay, près de Sceaux, s'y installa avec son épouse, y vécut très retiré et y travaillant assidûment pendant deux ans (1807-1809) à : _________________________________________________________________________________ ‘’Les martyrs ou Le triomphe de la religion chrétienne’’ (1809) Épopée en prose en vingt-quatre livres Vers la fin du Ille siècle, dans le temps de la persécution de Dioclétien, en Messénie, l'aède Démodocus, prêtre du temple d'Homère dont il est le descendant, élève sa fille, Cymodocée, dans les vertus païennes et l'a consacrée aux Muses. Au retour d'une fête religieuse, la jeune fille s'est égarée, seule, la nuit, dans un bois. Elle y fait la rencontre d'un jeune homme, Eudore, un jeune chrétien, fils de Lasthénès, qui la raccompagne. Peu de temps, Démodocus, accompagné de sa fille, se rend en Arcadie chez Lasthénès pour remercier Eudore. Ils trouvent Lasthénès et ses fils occupés aux moissons. Ils reçoivent l'hospitalité simple et affable d'une famille chrétienne qui mène une vie patriarcale à la manière biblique. Le prêtre païen assiste à une réunion de chrétiens présidée par Cyrille, évêque de Lacédémone. Les deux religions s'affrontent, d'une manière toute poétique, il est vrai, quand Cymodocée chante sur sa lyre les divinités de la mythologie et qu'Eudore lui répond en célébrant le Dieu des chrétiens (Livre II). Le livre III nous transporte au Ciel où Dieu déclare qu'il a choisi Eudore comme la victime dont le sang doit racheter les chrétiens. À la demande de Démodocus, Eudore commence un long récit de sa vie (Livres IV à X). À seize ans, il a été envoyé à Rome comme otage. Séduit par les merveilles de la ville impériale, le jeune chrétien se lia avec le prince Constantin et oublia sa religion dans une vie de débauches en compagnie de Jérôme et d'Augustin. En contraste avec cette vie de délices, l'auteur évoque la simplicité de la communauté chrétienne, dont l'évêque Marcellin finit par excommunier Eudore pour son inconduite. Envoyé à l'armée du Rhin, le jeune Grec fit campagne chez les Bataves, prit part à un combat contre la horde des Francs de Pharamond. Au moment d'être vaincus, comme ils étaient protégés de Dieu, ils furent sauvés par un raz de marée qui envahit le champ de bataille. Blessé, Eudore fut fait prisonnier par les Francs, devint esclave de Pharamond. Mais il fut libéré pour avoir sauvé la vie à Mérovée au cours d'une chasse. De retour à Rome, Eudore, après une expédition en Bretagne (Angleterre), fut nommé gouverneur de l'Armorique. Il y rencontra Velléda, druidesse gauloise ennemie des Romains, qui s'éprit de lui et qui, ne pouvant se faire aimer, se donna la mort. Au livre VIII, le récit d'Eudore est interrompu par une longue scène qui a pour théâtre les Enfers : il se termine par le retour d'Eudore, pris de scrupules, aux pratiques chrétiennes et par sa pénitence publique (Livre XI). Il abandonna son pouvoir et retourna auprès de son père. (Livres IV à XII). Cymodocée est si touchée par ce récit qu'elle déclare à son père qu'elle veut se faire chrétienne et épouser le fils de Lasthénès. Son père y consent volontiers, afin de sauver sa fille des poursuites de Hiéroclès, gouverneur de l'Achaïe. Cymodocée se rend à Jérusalem pour se placer sous la protection d'Hélène, mère de Constantin (Livre XIV). À Rome, où nous retrouvons Eudore, la persécution contre les chrétiens se prépare, tandis que l'Enfer manifeste sa joie. Cymodocée, baptisée à Jérusalem, rejoint Eudore à Rome. Ils se déclarent mutuellement leur amour. Ici, Chateaubriand accumule les passages de merveilleux sur le Purgatoire, l'Enfer et l'ange exterminateur. Il est révélé que la rencontre des amoureux n’est pas le fait du hasard. Voulant purifier les chrétiens dont la vertu s'est affaiblie, l'Éternel a permis à Satan de susciter une dernière persécution au terme de laquelle « la croix devait être placée sur le trône de l'Univers ». Eudore sera sacrifié pour sauver les chrétiens, et « les païens aussi auront leur hostie car les chrétiens et les idolâtres vont se réunir à jamais au pied du calvaire» : cette victime sera Cymodocée. Ils seront soutenus par le Christ et par Marie (Livres XXI, XXII, XXIII). Le perfide et puissant Hiéroclès multiplie les intrigues pour les séparer et les perdre. Il parvient à les faire arrêter au milieu de la cérémonie des fiançailles. Eudore est torturé, déchiré avec des ongles de fer et assis sur une chaise rougie au feu ; puis, avoir pris avec les autres condamnés « le repas libre », il est exposé aux fauves dans l'amphithéâtre. Libérée de sa prison par des chrétiens déguisés en soldats, Cymodocée échappe à la surveillance de son père et parvient à s’y glisser pour y partager le martyre d’Eudore, mourant avec lui, dévorée par un tigre. Au moment même de leur martyre, des manifestations surnaturelles atterrent les spectateurs, une voix mystérieuse annonce : « Les dieux s'en vont », tandis qu'on apprend que Constantin est vainqueur grâce au signe de la Croix, et que « Sur la tombe des jeunes martyrs, Constantin reçoit la couronne d’Auguste, et sur cette même tombe il proclame la religion chrétienne religion de l’empire.» Commentaire Dans la préface, Chateaubriand déclara : « J’ai commencé ‘’Les Martyrs’’ à Rome dès 1802, quelques mois après la publication du ‘’Génie du christianisme’’. Depuis cette époque, je n’ai pas cessé d’y travailler. » En effet, pendant plusieurs années, il rassembla une masse énorme de documents sur les premiers temps du christianisme et s’entoura de savants pour être guidé et contrôlé dans ses recherches. Il fit mieux : il se rendit sur les lieux où devait se dérouler l’action de son livre. Il visita la Grèce, Constantinople, la Palestine (voir ‘’Itinéraire de Paris à Jérusalem’’). Dans la préface encore, il s'expliqua nettement sur ses intentions : « Il m'a semblé qu'il fallait chercher un sujet qui renfermât dans un même cadre le tableau des deux religions, la morale, les sacrifices, les pompes des deux cultes : un sujet où le langage de la ‘’Genèse’’ pût se faire entendre auprès de celui de l'’’Odyssée’’ [...] La scène s'ouvre au moment de la persécution excitée par Dioclétien, vers la fin du Ille siècle. Le Christianisme n'était point encore la religion dominante de l'Empire Romain, mais ses autels s'élevaient auprès des autels des idoles. » Il indiqua qu’il avait voulu illustrer la thèse du ‘’Génie du christianisme’’ de la supériorité de cette religion : 1 - «J'ai avancé que la religion chrétienne me paraissait plus favorable que le paganisme au développement des caractères et au jeu des passions dans l'épopée ». 2 - «J'ai dit encore que le merveilleux de cette religion pouvait peut-être lutter contre le merveilleux emprunté de la mythologie». Dès la présentation romanesque de ses deux personnages, il a marqué le lien qui unit les deux oeuvres. Dans cette rencontre entre une païenne et un chrétien où tout est contraste, pas une pensée, pas une parole qui ne soit destinée à souligner l'opposition entre les deux conceptions de la divinité et de la vie. Le moment historique, le choix des personnages permettaient d'évoquer parallèlement les deux religions. La destinée de ces martyrs s'inscrit dans le grand mouvement qui conduit au triomphe du christianisme. C'est ainsi que l’histoire, en déroulant des péripéties compliquées et souvent mélodramatiques, s'élève jusqu'à la grandeur épique, en retraçant « les combats de deux religions» et le sort de l'Empire. ‘’Les martyrs’’ sont à la fois un roman historique, une suite de descriptions tirées par l'auteur de ses notes de voyage et un poème héroïque destiné à soutenir une thèse. C'est surtout en tant que roman qu'ils nous intéressent encore. De ce point de vue, c'est une véritable réussite. Le roman est habilement construit, d'un intérêt soutenu, et les personnages y sont fort bien campés : Cymodocée est touchante par sa tendresse, sa pureté, son héroïsme; Eudore, en qui se disputent la philosophie païenne et la nouvelle religion, est un personnage vivant, réel. On sent que l'auteur a pensé aux grands convertis, à saint Augustin en particulier. De plus, ce n'est pas seulement un Romain du IIIe siècle, c'est un Français du début du XIXe, pris entre la philosophie du siècle précédent et la renaissance chrétienne, Chateaubriand lui ayant prêté beaucoup de ses propres attitudes. Enfin, il faut mentionner le personnage de Velléda, la jeune druidesse celte, dont le charme mystérieux passionna les premiers lecteurs de l'œuvre et dont le nom devint aussitôt célèbre. Cette épopée chrétienne présente un grand intérêt documentaire. Chateaubriand s'était imposé une documentation minutieuse, et a pu se vanter : «J'ai trouvé moyen, par le récit et par le cours des événements, d'amener la peinture des d!fférentes provinces de l'Empire romain ». De fait, il nous transporte en Grèce, dans la Rome impériale, à l'armée du Rhin, chez les Francs, dans la Gaule armoricaine. La description géographique reposait sur son expérience directe. L'évocation historique était plus délicate. Il a eu le tort de citer orgueilleusement ses sources dans son ‘’Examen des ‘’Martyrs’’ : c'était appeler la controverse et on lui a reproché bien des erreurs et des anachronismes. Certains sont volontaires, et il s'est expliqué sur leur nécessité dans sa préface de 1826. Ainsi, c’est évidemment délibérément qu’il fit de Jérôme et d’Augustin des compagnons de débauche d’Eudore parce qu’ils deviendront, après leur conversion, deux grands saints. Pour le combat entre l’armée romaine et les Francs, il se flatta de n'utiliser que des détails empruntés aux historiens anciens, comme Sidoine Apollinaire, César et, pour la plupart, à Tacite (‘’La Germanie’’). Les historiens contemporains en tiraient d'ennuyeuses compilations, sèchement documentaires, tandis que son imagination épique put tout animer et faire revivre l'épisode. Non seulement nous assistons à la bataille, mais nous la voyons avec les yeux d'Eudore : nous voyons s'avancer vers nous ce «troupeau de bêtes féroces» qui déferle sur le monde romain ; c'est le choc de deux civilisations (Livre VI). Pour le « bardit » des Francs, guidé par une simple allusion de Tacite, il eut l’idée d’imiter un chant de guerre des peuples du Nord, « poème barbare » parfaitement adapté à la situation, qui révèle l’âme farouche de ces guerriers et qui produit une saisissante impression d’art primitif. Pouvait-on exiger de lui des scrupules que n'avaient pas les historiens de son temps? En tant qu’épopée, ‘’Les martyrs’’ sont un échec. Rien de plus médiocre, de plus ennuyeux, que ces descriptions laborieuses de l'autre monde, où Chateaubriand accumula les citations de textes théologiques sans parvenir à les intégrer à son œuvre. Ces passages de merveilleux restent comme des intermèdes, que le lecteur ne peut s'empêcher de sauter. Voulant prouver la supériorité du merveilleux chrétien, il a commis l'erreur de créer à l'image de la mythologie païenne une mythologie chrétienne, artificielle et ridicule, qui encombre de son fatras des livres entiers des ‘’Martyrs’’. Comment s'accommoder d'une représentation matérielle du Paradis, même illuminé par des diamants et des portiques de soleils, et enchanté par les chœurs des saints et des anges qui entourent le trône de l'Éternel? Et que dire de ces Enfers chrétiens où la Mort vient à vous sous la forme d'un squelette et où se tiennent des assemblées de démons si agitées que Dieu lui-même doit rétablir l'ordre? Pourtant, comme pour nous faire regretter ces erreurs, Chateaubriand eut parfois recours à un merveilleux plus discret et parfaitement acceptable, comme l'intervention de ce raz de marée qui sauve les Francs que Dieu réservait à de grandes destinées. ‘’Les martyrs’’ sont donc une épopée manquée. L'erreur dans le choix du merveilleux, certaines longueurs dans la seconde partie rendent souvent rebutante la lecture de ces vingt-quatre Livres. Dans ‘’Mémoires d'outre-tombe’’, il a d'ailleurs reconnu son erreur, parla de ces interventions surnaturelles comme de « machines usées » : « Le défaut des ‘’Martyrs’’ tient au merveilleux direct que, dans le reste de mes préjugés classiques, j'avais mal à propos employé. » Il reste que l'ouvrage est écrit dans une prose harmonieuse et poétique. Le style de l'auteur s'était allégé de ce parti pris de classicisme qu'on trouvait dans ses précédentes œuvres et a gagné en pittoresque, en couleur et en simplicité. D’ailleurs, il voulait qu’on le juge « comme poète» et non « comme historien ». Et l'artiste qu’il était paraît s'être laissé prendre au charme des souvenirs classiques... ou de sa propre virtuosité à pasticher la poésie homérique. Nous sommes touchés par la simplicité pleine de grandeur - et peut-être un peu tendue - du « langage chrétien » comme nous sommes séduits par « la prolixité païenne» de Cymodocée, tout illuminée de ravissantes légendes et baignée des immortelles harmonies de la Grèce. Son incomparable talent lui permit d'affirmer : « Ce sont des portraits ressemblants et non des descriptions vagues et ambitieuses ». On doit reconnaître la qualité des descriptions de magnifiques paysages, le relief parfois saisissant de tableaux : - charmants comme la rencontre d’Eudore et de Cymodocée ; - touchants comme le repas des condamnés aux bêtes ; - poétiques comme l’apparition de Velléda ; - épiques comme celui de l’armée des Francs de Pharamond qui lui permit d’évoquer les premiers temps de l’histoire de France ; - d'une haute intensité tragique comme le martyre d’Eudore et de Cymodocée pour lequel, cependant, avec une discrétion toute classique, il a évité de s’attarder sur des scènes d’horreur : « Toute la terreur, s’il y en ici, se trouve placée avant l’apparition du tigre », et il est parvenu à « montrer le martyre comme un triomphe et non comme un malheur » (Livre XXIV). La première édition des ‘’Martyrs ou Le triomphe de la religion chrétienne’’ parut en deux volumes à Paris, en mars 1809, suivie d'une édition en trois volumes (Londres, 1809). La troisième édition, précédée d'un ‘’Examen’’, avec des ‘’Remarques sur chaque livre et des fragments d'un voyage de l'auteur en Grèce et à Jérusalem’’, parue en 1810, en constitua l'édition définitive. ‘’Les martyrs’’ furent attaqués dès leur parution pour des raisons politiques. La peinture de l'Empire romain parut être une critique du régime, d'où les réticences des critiques. Quant au succès de l'œuvre auprès du public, il fut énorme : elle fut non seulement appréciée de l'élite, mais devint un livre populaire et exerça une durable influence. Elle fit mieux connaître l'Antiquité, encore ignorée du grand public, et suscita un renouveau d'intérêt pour la Grèce et pour Rome ; surtout, elle eut le mérite d'attirer l'attention sur les premiers temps de l'histoire de France. En cela, elle eut une influence décisive sur la « résurrection du passé» qui a marqué le XIXe siècle qui a été le siècle de l’Histoire, sur la renaissance des études historiques en France. Augustin Thierry affirma plus tard que c'est la lecture de l'évocation des Francs de Pharamond qui détermina sa vocation d'historien ; et on peut dire, sans exagération, que l'école historique française du XIXe siècle est née pour ainsi dire de cette épopée. _________________________________________________________________________________ Chateaubriand rédigea les premières pages de ses ‘’Mémoires’’. En même temps, il poursuivit une lutte de plus en plus ouverte contre Napoléon sur la proposition duquel il fut pourtant en 1811 élu à l'Académie française à une voix de majorité. À cette occasion, il avait composé un discours hardi où il flétrissait la tyrannie impériale. Mais il fut censuré par l’Institut, et il refusa de le prononcer. Il n’allait siéger sous la Coupolequ’à la Restauration. _________________________________________________________________________________ ‘’ |
![]() | ![]() | «Le Chateaubriand»), classé Art et Essai, ainsi qu’un centre culturel attenant à la médiathèque, proposant différentes activités... |