Chateaubriand







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Mémoires d’outre-tombe”

(1809-1848)
Autobiographie de 2500 pages
Le livre s’est organisé en quatre parties :
Première partie : « La jeunesse » (1768-1800)
On y remarque particulièrement :

- La naissance : « Le mugissement des vagues étouffa mes premiers cris , le bruit de la tempête berça mon premier sommeil ».

- L’enfance dans le sombre château de Combourg où, après divers séjours de courte durée, Chateaubriand passa deux années entières (1784-1786). Le décor austère et même triste parfois est présenté sous un jour presque fantastique. C’était une demeure glacée, immense et peu habitée (quatre des six enfants l'ont déjà quittée). Le père était froid et sévère (« Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l'humeur taciturne et insociable de mon père. »). La mère était mélancolique. On y passait de sinistres soirées. Il s’isolait dans son donjon (Première partie, livre III, chapitre 3),

- L’affection pour sa sœur Lucile, qui était de quatre ans son aînée mais le seul être jeune auprès de lui. Ils étaient tous deux nerveux, rêveurs, mélancoliques. Ils s’aimaient et se comprenaient, sans échapper pourtant au sentiment d’une pesante solitude : « Elle n’était qu’une solitaire avantagée de beauté, de génie et de malheur. » Un douloureux destin attendait cet être en proie à un grand tourment intérieur, victime d’un malaise sans véritable remède et dont la mort, sans doute un suicide, reste entourée de mystère. Et Chateaubriand, cédant aux sollicitations conjuguées de son art et de sa mémoire affective, projeta le triste souvenir des dernières années et de la mort de sa sœur sur le portrait qu’il fit d’elle à vingt ans (Première partie, livre III, chapitre 7).

- Le vague des passions, la désespérance auxquels était en proie l’adolescent qui se créa une compagne idéale, « la Sylphide », qu’il para de tous les attraits de la beauté et de la poésie : « L’ardeur de mon imagination, ma timidité, la solitude firent qu’au lieu de me jeter au dehors, je me repliai sur moi-même ; faute d’objet réel, j’évoquai par la puissance de mes vagues désirs un fantôme qui ne me quitta plus. » Mais ces rêves, loin de calmer sa fièvre, l’exaspérèrent encore. À l’âge mûr, il fit de cette « enchanteresse » le symbole de son ardente inquiétude, de ses aspirations toujours insatisfaites. (Première partie, livre III, chapitre 12).

- Ses promenades et son bonheur dans la nature, les émotions qu’il avait éprouvées à Combourg durant « les mois des tempêtes », l’automne, et , de là, la méditation sur la fragilité de l’être humain. (Première partie, livre III, chapitre 13).

- Ses études au collège de Dol.

- Son entrée au service : il était lieutenant, il fut présenté à la Cour.

- Sa vie à Paris : il fréquenta les gloires littéraires, se risqua à publier un petit poème, une médiocre idylle : ‘’Amour de la campagne’’. Il assista aux débuts de la Révolution («La Révolution était finie lorsqu’elle éclata»).

- Ses réflexions sur la Révolution : «Dans une société qui se dissout et se recompose, la lutte des deux génies, le choc du passé et de l'avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles, forment une combinaison transitoire qui ne laisse pas un moment d'ennui. Les passions et les caractères en liberté se montrent avec une énergie qu'ils n'ont point dans la cité bien réglée. L'infraction des lois, l'affranchissement des devoirs, des usages et des bienséances, les périls même, ajoutent à l'intérêt de ce désordre. Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l'état de nature, et ne recommençant à sentir la nécessité du frein social que lorsqu'il porte le joug des nouveaux tyrans enfantés par la licence

- Son voyage en Amérique qu’il décida par un de ces coups de tête soudains qui lui avaient déjà fait envisager le sacerdoce puis le suicide. Il se découvrit explorateur, se proposa à la fois de trouver le fameux passage du Nord-Ouest et de rencontrer l'« homme de la nature ». Il ne découvrit pas l'un, mais il crut avoir trouvé l'autre ; la véritable révélation de ce voyage, ce fut la splendeur des paysages américains, dont l'évocation nous vaut des pages d'une grande beauté.

- Son retour à Paris, son mariage, les deuils familiaux.

- Son passage à l’armée des émigrés.

- Son séjour à Londres, ses jours de misère. C'est là cependant qu'il commença à écrire ses premières œuvres : l'’’Essai historique, politique et moral sur les révolutions’’ et ‘’Atala’’.
Deuxième partie : ‘’La carrière littéraire’’ (1800-1814)
Les passages les plus justement fameux sont :

- les portraits de ses amis, Joubert, Fontanes, Pauline de Beaumont ;

- son entrevue avec Bonaparte dont il aime à montrer qu'il le traitait de puissance à puissance, sa rupture retentissante avec lui à la suite de l'exécution du duc d'Enghien ;

- ses années laborieuses à la Vallée-aux-Loups ;

- ses voyages.

La véritable histoire de Chateaubriand à cette époque est celle de ses livres : dès ‘’Atala’’ et ‘’Le génie du christianisme’’, il fut célèbre et sa gloire ne cessa de grandir.
Troisième partie : ‘’La carrière politique’’ (1814-1830)

« Parlons du vaste édifice qui se construisait en dehors de mes songes ». Avec le retour des Bourbons, Chateaubriand se lança immédiatement dans l'arène avec son pamphlet ‘’De Buonaparte et des Bourbons’’qui, dit-il, « a plus profité à Louis XVlll qu'une armée de cent mille hommes ». Mais il passa bientôt dans l'opposition avec son écrit : ‘’La monarchie selon la Charte’’. Sa véritable carrière politique fut brève, elle ne dura que six ans. Il fut successivement ambassadeur à Berlin, ambassadeur à Londres, représentant de la France au congrès de Vérone, enfin ministre des Affaires étrangères. En 1828, il reparut sur la scène politique et devint ambassadeur à Londres (ici se place le paraIlèle entre le pauvre émigré de 1800 et le glorieux ambassadeur de Sa Majesté très chrétienne). Il fait un délicat hommage à Mme Récamier à laquelle tout le Livre VII est consacré : dans sa douce intimité, son âme inquiète trouva la paix ; elle seule sut le fixer et lui inspirer une sérénité quelques fois menacée par la hantise de la mort.

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Quatrième partie 
La Révolution de 1830 mit définitivement un terme aux activités politiques de Chateaubriand et marqua également le ralentissement de sa production littéraire. Il n'avait plus grand-chose à dire. Il ne publia plus de grandes œuvres. Il ne s'occupa que de les rassembler pour éditer ses ‘’Oeuvres complètes’’. Fidèle à Charles X, il alla le voir en son exil, défendit sans espoir la cause de Henri d’Artois, se compromit en se chargeant d’une mission à Prague que lui confia la duchesse de Berry, prisonnière du gouvernement de Louis-Philippe, ce qui lui valut une arrestation et un procès. Peu après son retour à Paris, il repartit pour Venise où il devait rencontrer la duchesse (septembre 1833), la ville cette fois l’enchantant, lui faisant retrouver jeunesse et gaieté, une grâce fraîche et primesautière, inattendue chez lui, anime ce livre (livre VII). Puis ce fut la vieiIlesse, parfois même la gêne, malgré l'admiration dont on l'encensait. Il se consacra entièrement à l'achèvement de ses ‘’Mémoires’’ et en donna lecture à l'Abbaye-aux-Bois, chez Madame Récamier.

La ‘’Conclusion’’ est consacrée à une ample récapitulation et à des perspectives d’avenir souvent saisisantes, empreintes d’une poésie cosmique vraiment grandiose. Il se plut à souligner les contrastes : la gloire et la misère, la foule qui l'entoure et la solitude, la place qu'il a occupée dans le monde et dans le temps : « Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves. » Il a le sentiment d’avoir vécu une époque capitale pour l’histoire du monde. Avec le sentiment mélancolique qu’il «habite avec un coeur plein un monde vide», il fait «la peinture d’un monde fini dont on ne comprendra plus le langage et le nom». Il a mesuré l’importance des transformations de toute sorte auxquelles il a assisté. Auparavant convaincu que « l’idée chrétienne est l’avenir du monde », il fit alors, dans des pages tragiques, des prédictions, des prophéties, des avertissements, sur l’avenir du monde : « On dirait que l’ancien monde finit et que le nouveau commence. » Il voyait la révolution continuer. Il exprima son dégoût du règne à venir des boutiquiers, artisans et travailleurs en tout genre accompagnant l’égalité des fortunes. Il vilipenda « l’idéale médiocrité des Américains ». Il eut l’horrible vision de l’avenir européeen, celle de « Chinois constitutionnels, à peu près athées ». Pour lui, les progrès eux-mêmes allaient poser de nouvelles questions. Il envisageait le risque que la civilisation ne se perde en elle-même, que, dans la société nouvelle, unique, universelle, l’individu, la plainte humaine ne diminuât : « Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »

Enfin était venu le moment de dire adieu à son œuvre et au monde : sur une dernière image, sur un dernier acte de foi et d’espérance, il se fixa à jamais dans l’attitude dont il voulait laisser le souvenir à la postérité : « Si j’ai assez souffert en ce monde pour être dans l’autre une ombre heureuse, un rayon échappé des Champs-Élysées répandra sur mes derniers tableaux une lumière protectrice : la vie me sied mal ; la mort m’ira peut-être mieux. » (livre XII, fin du chapitre 9 et chapitre 10).

Partout il a promené cette âme mélancolique et insatisfaite, mais incapable de s'en contenter, cette âme qui était, comme il le dit lui-même, « de l'espèce de celle qu'un philosophe ancien appelait une maladie sacrée ».
Analyse
Rédaction
C'est à Rome, vers la fin de 1803, après la mort de Mme de Beaumont, que Chateaubriand conçut pour la première fois l'idée d'écrire des ‘’Mémoires de [s]a vie’’. Il en commença la rédaction en 1809, précisant à cette date : « J'entreprends l'histoire de mes idées et de mes sentiments plutôt que l'histoire de ma vie ». Mais les événements ou d'autres travaux littéraires vinrent sans cesse le détourner de son dessein. Il s'interrompit une première fois, en 1814, pour se lancer dans la politique avec le retour des Bourbons, mais il en avait déjà écrit la partie la plus remarquable, le récit de son enfance et de sa jeunesse. En juillet 1817, dans le parc du château de Montboissier, le chant d'un oiseau, réveillant en lui des souvenirs de jeunesse, le ramena à ses ‘’Mémoires’’ : « Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. À l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive... » (première partie, livre III, chapitre 1), lignes essentielles que Proust allait citer dans ‘’Le temps retrouvé’’ , car, chez Chateaubriand, Combourg ressuscita autour de ce chant d'oiseau comme Combray de la fameuse madeleine (Combourg, Combray : n'y a-t-il pas entre ces deux noms une affinité « élective »?) Il se remit à son manuscrit lors de ses ambassades et poussa alors le récit jusqu'à son retour d'exil en 1800. Une première phase de la rédaction, surtout active pendant son ambassade à Londres (1822), aboutit à ce qu'on appelle le manuscrit de 1826, dont on a conservé les Livres I à III. En 1828, il reprit les ‘’Mémoires’’ : cette fois, laissant de côté la période 1800-1828, c'est de sa vie actuelle qu'il traita.

Après 1830 commença une nouvelle phase : apparition du titre définitif, ‘’Mémoires d'outre-tombe’’’ (1832) ; élargissement de la conception d'ensemble ; importante révision du manuscrit de 1826 et rédaction de nouveaux livres. Chateaubriand divisa sa vie jusqu'en 1830 en trois carrières successives, de soldat et de voyageur, d'homme de lettres, d'homme d'État, et il voulut représenter dans sa personne l'épopée de son temps. En rapport avec ce dessein grandiose, il se forgea un style original, hardi et divers. De 1836 à 1841, il combla le vide laissé, en donnant le tableau de sa carrière littéraire.

En 1834, dans le salon de Mme Récamier à l'Abbaye-aux-Bois, il procéda à la lecture de plusieurs passages, afin d'attirer l'attention du public et de piquer la curiosité sans toutefois la satisfaire entièrement. La même année parurent des ‘’Lettres sur les ‘Mémoires de Chateaubriand’’ contenant des extraits de son œuvre. Puis il s'occupa de la publication future. Comme, étant retiré de la politique à la suite de la chute de Charles X, il était presque tombé dans la misère, en 1836, pour deux cent mille francs et une rente viagère annuelle de vingt mille francs (sommes énormes pour l’époque), il céda la propriété de l'ouvrage à une société par actions constituée à cet effet par ses admirateurs et sous réserve expresse qu’elle ne paraîtrait qu’après sa mort (d’où le titre). Rassuré, au moins provisoirement, sur le destin des ‘’Mémoires’’, il continua à y travailler jusqu'à la veille de sa mort, grossissant de plus en plus une quatrième partie, qui contient sa «dernière carrière, mélange des trois précédentes », et en acheva la composition, par une vaste ‘’Conclusion’’, en 1841. Pendant plus de trente ans, cette rédaction fut pour lui son travail préféré.
Conception de l’autobiographie
Chateaubriand, s’il écrivit ‘’René’’ à son exemple, si son projet initial était de « rendre compte de moi-même à moi-même», se disant persuadé de «l’ennui profond que l’on cause aux autres en leur parlant de soi», s’il s’est étendu longuement sur sa vie, en écrivant son autobiographie n’a pas voulu écrire des confessions comme celles de saint Augustin ou celles de Rousseau dont il prit même le contrepied car chez lui, écrivit-il, «perce quelque chose de vulgaire, de cynique, de mauvais ton, de mauvais goût». Il a conçue son autobiographie comme une «épopée de [s]on temps». Et son récit est bien conduit.

D’autre part, connaissant «l’art de choisir et de cacher», il a mêlé vérités et mensonges. Enfin, pour mieux soigner son «tombeau» Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau», quatrième partie, livre 4, chapitre 14), son dessein véritable n'étant pas d'écrire l'histoire de sa vie mais de dresser un monument grandiose qui en perpétuera la mémoire, il y a montré un grand souci esthétique.
Intérêt littéraire
Avec les ‘’Mémoires d'outre-tombe’’, Chateaubriand, qui écrivait bien, qui était tellement artiste, parvint à une entière maîtrise de son style et de son art. Il déploya :

- d’une part, tous les pouvoirs d’éloquence de la prose classique, solennelle, grave, verbeuse, ampoulée parfois, car il avait mûri son admiration pour le vrai classicisme, celui du XVIIe siècle, et retrouva tantôt l'ample période de Bossuet, tantôt l'impérieuse nervosité de Saint-Simon ;

- d’autre part, les innovations du romantisme car l'œuvre fut écrite en plein romantisme, et, s'il fut dur pour ses fils spirituels, il profita pourtant de leurs hardiesses, enrichit une langue qui n’a jamais été plus riche  (par la résurrection de mots rares et expressifs dédaignés depuis la Renaissance et même par des néologismes), trouva des images somptueuses, développa les richesses rythmiques.

Ainsi, dépassant le pseudo-classicisme qui, dans ‘’Le génie du christianisme’’ et dans ‘’Les martyrs’’, avait beaucoup vieilli, il sut varier les effets presque à l'infini :

- le ton soutenu et même emphatique ;

- le lyrisme quand il chante la nature (ses descriptions de paysages étant parmi les plus belles de toute la littérature française), l’amour, la jeunesse, la mélancolie superbe et harmonieuse dans laquelle, depuis longtemps, il excellait (l’évocation de Lucile) ; quand il rappelle ses souvenirs pour méditer sur la fragilité humaine ;

- le ton épique pour peindre les grands moments et les principaux personnages de cette période troublée ;

- la splendeur pittoresque ;

- la simplicité souriante, une vivacité, une verve, parfois même une bonhomie, un enjouement malicieux et amusé, la gaieté gracieuse et familière de sa relation du séjour à Venise en septembre 1833, qui charment et qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans ses livres ;

- dans ses admirables portraits, la chaude sympathie ou la froide cruauté (« M. de Talleyrand en vieillissant avait tourné à la tête de mort ; ses yeux étaient ternes, de sorte qu'on avait peine à y lire, ce qui le servait bien : comme il avait reçu beaucoup de mépris, il s'en était imprégné et l'avait placé dans les deux coins pendants de sa bouche ») ;

- quand il toucha à la politique, un style direct, violent, éloquent ou familier, des formules sèches et impitoyables qui traduisent sa hauteur dédaigneuse : « Il y avait une impatience de parjure dans cette assemblée que poussait une peur intrépide» a-t-il dit de la chambre des pairs pendant la révolution de 1830.

Il réalisa ainsi un rêve qui lui était cher : devenir le grand classique de l'ère romantique.

L’intérêt des ‘’Mémoires d'outre-tombe’’ n’est pas défini par la vérité de la statue de soi que Chateaubriand érigea, ni par la seule valeur de témoignage historique : le talent de l’artiste fait oublier les faiblesses de l’homme. Nous sommes joués par son grand jeu et floués par son grand flou. Nous avons beau savoir qu’il ne faut pas le prendre à la lettre, nous le croyons pourtant toujours sur parole. Il nous émeut, nous touche et nous transperce. Les ‘’Mémoires’’ restent vivants dans tous leurs aspects ; ils répondent au vœu de leur auteur en lui assurant à eux seuls, autant et plus que le reste de son œuvre, l'immortalité. Ils sont son chef-d'œuvre.
Intérêt documentaire
Chateaubriand rendit compte d’une tranche d’histoire plutôt bien remplie : la fin de l’Ancien Régime, le Consulat, l’Empire, la chute de Napoléon, le retour de l’île d’Elbe, Waterloo, Louis XVIII, le congrès de Vérone, Charles X, la révolution de 1830, Louis-Philippe, la montée de 1848. Il se plut à établir un vaste parallèle entre Napoléon et lui-même : pour lui, l'un avait dominé l'histoire, l'autre la littérature du temps. Il n'aimait pas Napoléon et il l'a combattu, mais il l'admirait parce qu'il avait le sens de la grandeur. Aussi, après la chute de l'Empereur, la scène politique lui parut-elle vide : l'épopée était finie. Il parla de « la solitude dans laquelle Bonaparte a laissé le monde» ; il écrivit encore : « Retomber de Bonaparte et de l'Empire à ce qui les a suivis, c'est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d'une montagne dans un gouffre. » Au moment de Waterloo, il fut partagé entre son loyalisme et son patriotisme. Il fut moins convaincant lorsqu'il exagéra son rôle politique, qui fut d'ailleurs important, et ses dons d'homme d'État. En revanche, il brossa, à la fin de son œuvre, dans la ‘’Conclusion’’, un tableau saisissant des transformations du monde qu'il avait vu s'accomplir, et il se montra très clairvoyant lorsqu'il annonça l'avènement de la démocratie, affirmant que l'idée chrétienne et l'idée démocratique ne sont nullement inconciliables.

S’il nous fournit, sur son temps et sur lui-même, toute sorte de renseignements précieux, il procède à des interprétations, à des arrangements, atteignant ainsi à une «vérité» esthétique et poétique supérieure littérairement à la stricte vérité des faits qui ne sont donc pas toujours respectés, tandis que bien des points restent dans l'ombre. Les critiques démontrent péremptoirement et inexorablement qu’il a escamoté tel détail pour faire joli, qu’il a inventé tel épisode pour faire bien.
Intérêt psychologique
On découvre dans les ‘’Mémoires’’ toute la personnalité de l'écrivain, dont ses autres œuvres ne nous donnent que des aspects partiels. À travers une investigation psychologique continue et souvent profonde, on constate dans le personnage à la fois une évolution et une fidélité à soi-même.

La première partie, où il traça, en tableaux inoubliables, les étapes de sa jeunesse, est de loin la meilleure, la plus pittoresque et la plus émouvante. En se penchant sur son passé, il prit un plaisir mélancolique à évoquer ces années où la sensibilité et l’imagination de l'adolescent furent troublées et exaltées par la vie à Combourg, à se confronter avec lui-même, à reconnaître, sous les changements provoqués par l'âge, son identité profonde : «Inutilement je vieillis, je rêve encore mille chimères». Il resta en effet, jusqu'au bout, l'éternel insatisfait, l'éternel René.

L’homme politique se voulut l'incarnation d'une fidélité indéfectible et désabusée : son honneur de gentilhomme exigeait qu'il défende jusqu'au bout la cause légitimiste à laquelle il ne croyait plus, ce qui trahissait un orgueil immense, parfois empreint de naïveté, un orgueil indissolublement lié au sens de la grandeur et de la beauté.

Il apparaît aigri, malveillant, partial. Il se laisse emporter par son imagination, inspirer par son indignation ou son ironie. De l’ensemble se dégage le sentiment qu'il a mené une vie malheureuse, mais exemplaire, qu'il a été le héros de son temps.

Si, avec ‘’Mémoires d’outre-tombe’’, il s’est tendu à lui-même un miroir complaisant, ils furent aussi pour lui un livre de salut qui lui a été absolument nécessaire pour s’atteindre et survivre, une affaire de vie ou de mort. Il n’y chercha pas tant une manière de paraître qu’une manière d’être. Il les a entrepris dans la force de l’âge et tissés pendant plus de trente-cinq ans. Ce fut donc une prodigieuse entreprise de récupération de soi, contre et avec le temps. Il n’a pas écrit ce livre pour raconter sa vie mais d’abord pour pouvoir la vivre.

Si son parti pris de stylisation esthétique et morale a entraîné des entorses à la vérité et aussi des attitudes étudiées, une certaine absence de naturel, bref de la pose, si on peut alors avoir le sentiment qu’il se bat les flancs pour se hausser à un certain niveau où il s'assomme lui-même, un de ses héritiers les plus directs, Aragon, l’a justifié en esquissant à la fin de sa carrière la théorie du mentir-vrai, tandis que Cocteau, lui aussi un autre menteur, parlait de la vérité du mensonge. C’est qu’il n’y a pas de beaux mensonges opposés à de vilains mensonges quand il s’agit de la sensibilité.

Le mélange du réel et de l'imaginaire fait des ‘’Mémoires d’outre-tombe’’ un livre unique en son genre.
Intérêt philosophique
Les ‘’Mémoires’’ montrent une certaine prise de conscience du sens profond des événements.

La fuite du temps, l’obsesion de la mort : À mesure qu'il s'abandonna à la dangereuse magie des souvenirs, les appels des morts se succédèrent : « Mme de Beaumont ouvre la marche funèbre de ces femmes qui ont passé devant moi », la présence de la mort le hanta : « J'ai vu la mort entrer sous ce toit de paix et de bénédiction, le rendre peu à peu solitaire, fermer une chambre et puis une autre qui ne se rouvrait plus ». En rédigeant la quatrième partie, il éprouva, au jour le jour, l'angoisse de la fuite du temps : relatant désormais des événements tout récents, il sentait, au fil des heures, le présent devenir irrémédiablement le passé. Il se laissa prendre au sortilège du titre génial qu'il avait choisi : ’’Mémoires d'outre-tombe’’, et tenta de réaliser cette fiction, d'envisager de l'au-delà le monde des vivants. La mort l'attirait et lui faisait horreur ; à force d'art, il en vint à l'exorciser : « La mort est belle, elle est notre amie : néanmoins nous ne la reconnaissons pas, parce qu'elle se présente à nous masquée et que son masque nous épouvante ». L'immortalité promise par sa foi chrétienne (« Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse, après quoi je descendrai hardiment, le Crucifix à la main, dans l’Éternité. » [‘’Conclusion’’]) ne lui suffit pas : il voulut encore être immortel, par sa gloire, dans la mémoire des êtres humains ; et pour cela il comptait sur la pérennité de son art. Il appliqua à sa vie même sa théorie du beau idéal, qu'il avait définie dans ‘’Le génie du christianisme’’. Il en a fait une œuvre d'art.
Destinée de l’oeuvre
Le 21 octobre 1848 commença la parution en feuilleton dans ‘’La presse’’ des ‘’Mémoires d’outre-tombe’’. Elle dura jusqu’en juillet 1850 puis l'ouvrage parut en volumes à Bruxelles.

La version de ‘’La presse’’ et celle des volumes publiés à la même époque laissaient à désirer ; l'édition Biré en sept volumes (1898-1899) a marqué un progrès sensible ; enfin, dans son édition du centenaire, M. Levaillant a restitué le texte intégral des ‘’Mémoires’’ et fait autorité.

En 1874, un document inédit fut publié sous le titre de ‘’Souvenirs d'enfance et de jeunesse de Chateaubriand’’ : c'était le texte de la copie, faite par Mme Récamier, du manuscrit de 1826 qu’il avait remanié par la suite.

La publication fut assez froidement accueillie. Chateaubriand appartenait déjà au passé ; il y jugeait, d'une manière souvent blessante et toujours définitive, ses contemporains ; mais surtout ils apparurent comme un monument d'orgueil qu'il s'élevait à lui-même. C'est seulement peu à peu qu'ils s'imposèrent ; on oublia la vanité de l'homme pour ne plus voir que le peintre, l'écrivain, et c'est de nos jours l'œuvre la plus lue et la plus appréciée de Chateaubriand, son œuvre la plus vivante, celle qu'on considère comme son véritable chef-d'œuvre.

Proust fut un grand admirateur des ‘’Mémoires d’Outre-Tombe’’ qu’il mentionna souvent (I, 481, 521, 556, 710, 721 (où Mme de Villeparisis raconte ce que son père lui disait de Chateaubriand), 726, 920 - II, pages 876, 1033, 1051, 1052, 1108 - III, pages 35, 329 [« l’œuvre insuffisamment confidentielle de Chateaubriand »], 407 [« le clair de lune était devenu bleu avec Chateaubriand »], 589 [pour M. de Guermantes, dans l’article de Marcel, « il y avait de l’enflure, des métaphores comme dans la prose démodée de Chateaubriand »]), le citant même longuement à deux reprises : « Un chant d’oiseau dans le parc de Montboissier, ou une brise chargée de l’odeur de réséda, sont évidemment des événements de moindre conséquence que les plus grandes dates de la Révolution et de l’Empire. Ils ont cependant inspiré à Chateaubriand, dans les ‘’Mémoires d’Outre-tombe’’, des pages d’une valeur infiniment plus grande. » (III, page 728) - « N’est-ce pas à une sensation du genre de celle de la madeleine qu’est suspendue la plus belle partie des ‘’Mémoires d’Outre-tombe’’ : « Hier au soir je me promenais seulje fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. À l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis souvent siffler la grive.’’ Et une des deux ou trois belles phrases de ces ‘’Mémoires’’ n’est-elle pas celle-ci : ’’Une odeur fine et sauvage d’héliotrope s’exhalait d’un petit carré de fèves en fleurs ; elle ne nous était point apportée par une brise de la patrie, mais par un vent sauvage de Terre-Neuve, sans relation avec la plante exilée, sans sympathie de réminiscence et de volupté. Dans ce parfum non respiré de la beauté, non épuré dans son sein, non répandu sur ses traces, dans ce parfum changé d’aurore, de culture et de monde, il y avait toutes les mélancolies des regrets de l’absence et de la jeunesse. » (III, page 919)

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Ayant eu le temps, sur son lit de mort, de se réjouir de la chute de Louis-Philippe, qu’il considérait comme un usurpateur, rêvant de « ressusciter à l’heure des fantômes » pour corriger les épreuves de ses ‘’Mémoires d’outre-tombe’’, Chateaubriand s'éteignit le 4 juillet 1848, 110 rue du Bac à Paris.

Le 19 juillet eurent lieu des obsèques solennelles à Saint-Malo où, conformément à son vœu, sa tombe solitaire se dresse sur l’îlot du Grand-Bé, pour un tête-à-tête avec l’Océan et avec l’éternité.
Chateaubriand a toujours été obsédé par la mort mais a vécu une longue vie dans ses différentes carrières d’amateur jamais blasé de belles dames amoureuses (ce qui fut, en fait, la grande affaire de sa vie !), de voyageur, de diplomate et d’écrivain.

Penché sur le grand chaos ténébreux de son âme inquiète, il lança la phrase devenue le viatique de tous les romantiques : « Levez-vous vite, orages désirés ! », le départ des sombres envolées lyriques vers les nuages plombés, ayant, selon Théophile Gautier, «restauré la cathédrale gothique, rouvert la grande nature fermée, inventé la mélancolie moderne». Toujours animé de l’ardeur à poursuivre «la séduction des chimères» que lui présentait une imagination puissante, il fut un novateur en lui laissant toujours la première place. Il a fondu l’imaginaire avec le sensible, a évoqué les correspondances secrètes entre l’humain et la nature.

Préoccupé de gloire personnelle («J’ai aimé la gloire comme une femme» - «Il y a de la duperie à ne pas proclamer soi-même son immortalité»), en politique, bien que porté par un décor exceptionnel et une intrigue sans égale (onze régimes au cours de sa vie), il se montra moins acteur que comédien, ses aptitudes étant plus limitées que ses ambitions. Comme le dit Metternich, un connaisseur : «Poète et pamphlétaire, il ne possédait aucun des éléments qui constituent un homme d’État». En fait, il était le contraire d’un ambitieux : il ne traduisit pas ses rêves en fortune, mais fit de sa destinée le moyen de parvenir à la rêverie. Il savait mieux que personne que la monarchie avait été engloutie par la Révolution, mais il ne put s’empêcher de lui être fidèle. Dès 1815, il savait que la Restauratiion était impossible, mais il s’y voua pourtant, quitte ensuite à précipiter son échec en défendant la liberté de la presse.

Soucieux, avant tout, de dresser sa statue devant l'éternité en ne cessant de travailler à ses ‘’Mémoires’’, il a encouru le reproche de fatuité ou d'hypocrisie. Apparemment toujours guidé par le sens de l’honneur, si son éthique s'arrangea de petites canailleries, sa politique fut fondée sur la foi, la tradition et la passion de la liberté.

« Né entre deux siècles, entre deux mondes, cela même ayant fait de lui le plus extraordinaire témoin d’un exceptionnel moment de l’Histoire » (Jean Guéhenno), ayant vécu au moment où on bradait d’anciens repères pour en produire de nouveaux, il a su admirablement exprimer les aspirations de son siècle, comprenant un des premiers qu’une nouvelle civilisation naissait.

Lui que son amour des mots consolait du mépris des humains et du dégoût des biens, a excellé, grâce à la beauté sans pareille de son écriture qui ne craignit pas la grandiloquence dans des phrases scintillantes de l’écume des mots, à présenter des tableaux superbes marqués par la magnificence des images, le sens du trait, la frappe de formules qui soutiennent l’ampleur des méditations. Il sut jouer de toutes les ressources du rythme et de l’harmonie verbale pour composer de véritables poèmes lyriques en prose. Lui, dont la blessure secrète était de n'être pas poète en vers, a donné l'exemple d'une prose qui atteint parfois à la plus haute poésie.
« La jeunesse, a dit Chateaubriand, est une chose charmante ; elle part au commencement de la vie, couronnée de fleurs comme la flotte athénienne pour aller conquérir la Sicile et les délicieuses campagnes d’Enna… » On connaît la splendide métaphore que déroule ensuite l’enchanteur dans cette page nostalgique des ‘’Mémoires d’outre-tombe’’. Il exprima l’opinion d’un vieil homme.
Chateaubriand soulignait qu’«une erreur trop commune aux gouvernements, c’est de croire qu’ils augmenteront leurs forces en augmentant leur pouvoir
André Durand
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