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Synthèse du premier chapitre de La critique littéraire, Fabrice Thumerel, éd. Armand Colin. Avant-proposDe l’utilité de la critique La critique est-elle un genre littéraire à part entière ou un simple métadiscours littéraire ? Doit-elle guider la création ou être créatrice elle-même ? la critique sert-elle la littérature ou s’en sert-elle ? Lui est-elle indispensable – parce qu’elle l’éclaire et l’informe- ou lui est-elle nuisible – parce qu’elle la rend hyperthéorique ? Le critique est-il un écrivain rare ou un véritable créateur ? Où doit-il chercher le fondement de sa démarche : du côté de l’auteur, du texte ou du lecteur ?
Jean Bellemin-Noël : le critique n’est pas n’importe quel lecteur. « Le critique est ce lecteur qui écrit le résultat de sa lecture afin que d’autres, plus pressés ou moins disponibles pendant leur parcours du texte, trouvent occasion de lire autrement –sous entendu : un peu mieux, vers plus de richesse » Donc, plus encore que tout autre lecteur, il est à la fois séduit et frustré par l’œuvre ; ne désirant pas seulement le livre dans son intégralité mais dans son écriture même, il ne peut se contenter d’une lecture passive : c’est à partir de l’œuvre et sur l’œuvre qu’il se met à écrire pour combler ce manque – autrement dit, il répond à un premier acte créateur par un second. Opérateur, le critique est encore un transmetteur, pour reprendre la terminologie de Roland Barthes dans Critique et vérité. Plaque sensible qui réagit à ce qu’il lit, il (ré)évalue les œuvres pour ses contemporains ; le critique est donc doté d’un important pouvoir de consécration. Dès lors, il constitue la plaque tournante de la réception des œuvres. Son influence sur les écrivains peut être considérable, tant sur le plan psychologique que littéraire ou social (cf l’impuissance créatrice qui frappa Mauriac ou Genet après le analyses polémiques ou brillantes de Sartre) Ainsi le critique est celui, qui, sans prétendre se substituer à l’auteur ou au lecteur, ne crée pas mais recrée l’œuvre – et par là même se crée lui même. La critique est essentiellement communication : transitif, le discours critique établit une double médiation entre, d’une part, l’univers de l ‘écrivain et celui du critique, et d’autre part, entre le point de vue de ce critique et celui du lecteur. La définition de la critique varie selon que l’œuvre est considérée comme objet de jugement, de plaisir ou de compréhension, et que le fondement de son discours est recherché du coté de l’auteur, de l’œuvre ou du lecteur-critique. 1.2 L’art de juger les œuvres 1580 : l’humaniste Scaliger s’appuie sur l’étymologie des mots pour définir la critique comme « l’art de juger les qualités et défauts des œuvres de l’esprit » Publier, c’est se soumettre au jugement des lecteurs, quels qu’ils soient. En cela, la maxime de Gustave Lanson est indéniable « Qui publie s’expose à la critique et reconnaît les droits de la critique » Witold Gombrowicz : « je me demandai s’il est bien correct que les auteurs en écrivant leur livre aient toujours l’air de se dire indifférents à la critique. En réalité nous écrivons tous pour des lecteurs, leur jugement est pour nous décisif, et la crainte de ce jugement nous hante " Pour l’auteur de Ferdydurke, on ne peut combattre efficacement les excès de la critique que si l’on admet ce constat pour principe. 1.2.1. La « critique a priori ». Lorsque ces lecteurs professionnels font reposer leurs jugements sur un ensemble de règles fini qu’ils tentent d’imposer, leur volonté –affichée plus ou moins clairement- est de régir la création. Grâce à ses qualités intellectuelles, le critique se croit capable de guider les artistes ( cf Desfontaine qui exalte encore ce type de critique éclairée au XVIII° siècle) ( Boileau : le critique = « un censeur solide et salutaire que la raison conduit et le savoir éclaire » ) Celui que Baudelaire appelle le « doctrinaire du Beau » (Exposition Universelle, 1855, tome II) rend ses arrêts au nom des règles (XVII° siècle) mais aussi du bon goût ( XVIII° siècle) ou d’une doctrine politique, morale, voire religieuse (XIX° et XX° siècle). Toujours est-il que, dans tous les cas, les théories esthétiques masquent les partis pris idéologiques. Cette critique dogmatiques est classificatrice : à chaque genre ses règles d’écriture, ses auteurs et ses œuvres : seuls accèdent au statut de « chefs d’œuvre » - et donc de modèles - les ouvrages que le respect des règles a conduits à la perfection. La réserve essentielle que formulent déjà La Bruyère et Diderot à l’encontre de cette « critique a priori » - qui, pour Michel Tournier, engendre l’académisme et constitue un « crime de lèse-liberté créatrice » (« Kant et la critique littéraire », in Le Vol du Vampire, Mercure de France, 1981) – est qu’il ne saurait y avoir de souverain juge. 1.2.2. La critique du jugement a posteriori Elle se veut plus souple, plus subjective, plus relative que la critique a priori : il s’agit de théoriser ses impressions personnelles pour évaluer – longtemps ou peu après sa parution - les qualités intrinsèques d’une œuvre et son originalité par rapport à son horizon social et culturel. C’est la tâche qu’assigne M. Butor aux journalistes contemporains, qui se doivent d’être non des contrôleurs mais des prospecteurs : la critique devient alors un ouvrage qui sera le « complément nécessaire » de l’œuvre idéal quasiment irréalisable. Entre 2 attitudes de fuites ( le silence sur l’œuvre et le refuge dans le passé), Michel Tournier signale ce qui reconduit irrémédiablement cette critique au dogmatisme : ériger en modèle une œuvre ( ou un type d’œuvres) et tenter d’imposer ses goûts aux lecteurs. Et plus fondamentalement, décréter qu’une œuvre est originale ou pas relève toujours de la critique normative. Comment éviter de rejeter dans la marginalité ce qui est d’une extrême nouveauté ? cf. la réception du Voyage au bout de la nuit. Dès lors, cette critique se complaît, comme l’autre, à l’éreintement, pratique qui explique la mauvaise réputations des critiques depuis leur naissance en tant que professionnels : « Le plaisir de la critique nous ôte celui d’être vivement touchés de très belles choses » Les Caractères, I,20. Valéry,( Ego scriptor, ) réduit le geste de la critique « au geste de jeter, souiller, brûler un objet ». De nombreux écrivains et critiques vont même jusqu’à remettre en question l’acte même de juger. Selon Jean Rousset, pour qui seul est acceptable le jugement de fait (l’œuvre résiste ou non à la lecture), le critique-juge n’a aucune raison d’être, dans la mesure où l’acte de lire interdit de considérer le livre de l’extérieur (comme un simple objet) mais réclame au contraire la participation du lecteur. On peut aussi s’interroger, à la suite de Georges Perros, sur la nécessité de juger « quelque chose qui ne peut plus changer » (Papiers collés 1, gallimard) ; du reste, l’écrivain étant suffisamment lucide pour se juger lui-même, s’il avait pu écrire autrement, il n’aurait pas manqué de le faire.
Recourir à une critique qui se place résolument du coté de la création permet en partie de pallier les carences de la critique de jugement. Au dogmatisme succède alors un certain relativisme Rémy de Gourmont « Préface au Premier livre des masques » : « Nous devons admettre autant d’esthétiques qu’il y a d’esprits originaux et les juger d’après ce qu’elles sont et non d’après ce qu’elles ne sont pas. » Proust, Pastiches et mélanges (1919) l’objectif du critique talentueux est de repérer infailliblement et faire admirer le génie des grands auteurs : pour cela, ajoute-t-il dans le Contre Sainte-Beuve, c’est de manière sensible et non pas intellectuelle qu’il faut recréer leur univers. XX° siècle se développe alors réellement la critique artistique. Ce qu’on a appelé la « critique créatrice » se caractérise par la prédominance, chez celui qui se veut écrivain à part entière, du talent sur la méthode et par la subjectivité des approches de l’œuvre, qui sert de points d’ancrage (elle est saisie en elle-même et pour elle-même, indépendamment ou presque, d’éléments externes comme ses sources ou ses déterminations biographiques et sociologiques.). Ses mots clés = liberté, créativité, relativité. Forme de prédilection = l’essai Cette critique peut se subdiviser en critique d’identification (préconise l’empathie comme seul moyen efficace d’exalter l’originalité de l’œuvre) et en critique impressionniste (privilégie l’émotion du lecteur). 1.3.1. La critique d’identification Elle requiert toute la sympathie du commentateur qui doit cherhcer tout d’abord à s ‘effacer devant l’œuvre choisie pour mieux l’appréhender. Georges Poulet en 1966, « L’identification est avant tout un moyen de compréhension ». Pour G. Poulet comme pour J-P Richard, il ne s’agit pas de s’identifier à l’auteur mais plutôt de recréer une expérience conscientielle, de saisir un univers imaginaire particulier. Comme toute compréhension est nécessairement subjective, cette critique intérieure ne repose que sur des choix personnels et ne vise donc ni à la vérité ni à l’ exhaustivité. Le plaisir de lecture ne résultant ni d’un savoir ni d’une méthode, J-P Richard refuse tout ce qui est extérieur à une œuvre qu’il essaie de faire retentir en lui, de faire sienne ; afin d’assurer une harmonie entre le texte et son prolongement critique, il va jusqu’à éliminer tout discours théorique, tout vocabulaire spécialisé. 1.3.2.La critique impressionniste Du moment que la critique se fonde sur l’expérience sensible de la lecture, le critique devient, selon H. Bremond, « professeur de plaisir ». Pour Gombrowicz, le critique, plutôt que de juger, doit s’engager tout entier, faisant part des ses impressions de lecture et de ses difficultés ainsi dans son Journal, 1954, tome I, p. 174 : « Pour la critique littéraire il ne s’agit pas de juger un homme par un autre homme mais bien plutôt du conflit de deux personnalités qui, l’une autant que l’autre, ont des droits absolument égaux. Aussi, éviter de juger. Bornez vous à décrire vos réactions. Ne parlez ni de l’auteur ni de son ouvrage ; mais de vous-même, confronté à l’ouvrage, à l’auteur. C’est de vous qu’il vous faut parler. » Toujours pour Gombrowicz, la dimension artistique du critique doit faire œuvre créatrice : « Le critique littéraire doit être un artiste du verbe : pas question, pour lui, de décrire l’écrit ni la littérature, comme on le fait, hélas ! de tableaux : non, messieurs, en tant que critiques littéraires, il faut participer, et vos écrits ne sauraient jamais être une critique de l ‘ extérieur, une critique-leçons de choses… » (Journal, 1963, tome II, p.375) Esthétique, la critique impressionniste l’est, au sens ou le lecteur-scripteur goûte et transmet le plaisir du texte. R. Barthes « Si j’accepte de juger un texte selon le plaisir, je ne puis me laisser à dire : celui-ci est bon, celui-là est mauvais. Pas de palmarès, pas de critique, car celle-ci implique toujours une visée tactique, un usage social et bien souvent une couverture imaginaire. Je ne puis doser, imaginer que le texte soit perfectible, prêt à entrer dans un jeu de prédicats normatifs : c’est trop ceci ce n’est pas assez cela : le texte ne peut m’arracher que ce jugement, nullement adjectif : c’est ça ! Et plus encore : c’est cela pour moi ! Ce « pour moi » n’est ni subjectif, ni existentiel, mais nietzschéen […] » (Le plaisir du texte). Barthes distingue le plaisir du texte - notion qui permet d’affirmer la spécificité littéraire contre les sciences et les idéologues - et la jouissance du texte, qui, elle, constitue un rempart contre la banalisation de la littérature et sa réduction à un simple objet de consommation culturelle. La critique naît du besoin de communiquer la satisfaction culturelle ressentie à la lecture des textes de plaisir, essentiellement « classiques » . ( cf. Le Plaisir du texte, Seuil, 1973, « Points », 1982) Quelques années après Barthes, Julien Gracq met en relief le comble et l’imposture de cette démarche impressionniste qui fait du critique « un expert en objets aimés » et dans le style métaphorique qui le caractérise, rappelle son fondement dans En lisant, en écrivant p.178 : « Ce que je souhaite d’un critique littéraire – et il ne me le donne qu’assez rarement - c’est qu’il me dise à propos d’un livre, mieux que je ne pourrais le faire moi-même, d’où vient que la lecture m’en dispense un plaisir qui ne se prête à aucune substitution. Vous ne me parlez pas de ce qui ne lui est pas exclusif, et ce qu’il y a d’exclusif est tout ce qui compte pour moi. Un livre qui m’a séduit est comme une femme qui me fait tomber sous le charme : au diable ses ancêtres, son lieu de naissance, son milieu, ses relations, son éducation, ses amies d’enfance ! Ce que j’attends seulement de votre entretien critique, c’est l’inflexion de voix juste qui me fera sentir que vous êtes amoureux, et amoureux de la même manière que moi : je n’ai besoin que de la confirmation et de l’orgueil que procure à l’amoureux l’amour parallèle et lucide d’un tiers bien disant. Et quant à « l’apport » du livre à la littérature, à l’enrichissement qu’il est censé m’apporter, sachez que j’épouse même sans dot » Les dangers de cette critique asystématique sont d’une part, la complaisance et la passivité envers l’écrivain, qui font excuser ses erreurs et tomber dans la platitude ; d’autre part, l’attitude somme toute égotiste qui confond réinvention et innutrition, recréation et appropriation (la lecture de soi-même remplace celle de l’œuvre), qui s’accompagne d’un penchant pour le dilettantisme et favorise la facilité, la superficialité, l’inexactitude.
A la critique de goût s’oppose la critique explicative qui se fonde sur un savoir biographique et historique (critique érudite) ou une méthode objective (la critique formelle s’appuie sur la linguistique et la critique d’interprétation sur la philosophie, la sociologie ou la psychanalyse).
Barthes distingue « les critiques symboliques d’intention scientifique » (Critique et vérité, p.73) et les critiques d’interprétation esthétiques. Les premières forment un tout avec la critique érudite et la critique formelle, dont le but est de comprendre l’œuvre grâce à des éléments externes ( enquêtes historiques, influences littéraires, théories et recherches d’ordre philosophique, sociologique ou psychanalytique) ou internes (les constituants du discours) et d’en rendre compte au moyen d’un métadiscours « transparent », « objectif » - un langage-instrument le plus neutre possible. Leur quête heuristique les conduit à essayer de fixer le sens de l’œuvre et par conséquent à en réifier le signifié.
Barthes ne conçoit pas la critique comme un art de juger ou une aptitude à découvrir des vérités, mais comme une activité intellectuelle qui engage profondément celui qui s’y adonne la critique n’est pas un « hommage » à la vérité du passé, ou à la vérité de « l’autre », elle est construction de l’intelligible de notre temps. « Qu’est-ce que la critique » in Essais critiques. Critique et vérité construire l’intelligible présuppose que le critique ne se fige pas dans l’étude admirative des chefs d’œuvre éternels ou des auteurs de génie, mais « dédouble les sens », fasse « flotter au-dessus du premier langage de l’œuvre un second langage, c’est à dire une cohérence de signes. Donc pour Barthes, la critique ne doit pas avoir d’autre dessein que celui de réactualiser une œuvre grâce à un nouveau langage. Elle n’est ni démonstration, ni découverte mais récriture : lorsqu’il affirme que « la critique n’est pas une traduction, mais une périphrase », il entend par là que celui qui n’est ni juge, ni savant, ni scientifique mais écrivain, doit restituer non pas le message de l’œuvre, mais sa logique ; sa réussite sera mesurée à sa faculté de recréer dans son propre langage le tissu symbolique qu’est le texte – savoir, à sa capacité, non pas de retrouver le ton vrai, mais le ton juste. Pour Michel Charles et Jean Bellemin-Noel la critique herméneutique doit tenir un discours plus littéraire que scientifique. J. Starobinski met l’accent sur l’équilibre à maintenir entre objectivité et subjectivité dans La Relation critique : « Pour répondre à sa vocation plénière, pour être discours compréhensif sur les œuvres, la critique ne peut pas demeurer dans les limites du savoir vérifiable ; elle doit se faire œuvre à son tour, et courir les risques de l’œuvre. elle portera donc la marque de la personne – mais d’une personne qui aura passé par l’ascèse impersonnelle du savoir « objectif » et des techniques scientifiques. Elle aura un savoir sur la parole repris dans une nouvelle parole ; une analyse de l’événement poétique promue à son tour au rang d’événement. » |
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