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Envoyé par Sabine. Quelles réflexions vous suggèrent ces considérations de Soljenitsyne résumées par Marthe Robert : « Mégalomanies du roman, d’après Soljenitsyne : le roman n’est pas seulement un puissant moyen d’expression, mais tout bonnement le révélateur de la vérité Grâce à l’ampleur et à la justesse de sa vision intérieure, le romancier surpasse de loin l’historien et le savant, lesquels, comme chacun sait, n’ont sur les phénomènes que des vues partielles et bornées, jamais cette préséance du tout qui sait reconstituer les faits avec leur sens vivant Où le spécialiste est forcé d’aller à tâtons pour recueillir un matériel morcelé, le romancier a le don de clairvoyance qui l’apparente au prophète et au grand maître spirituel »
La mort plusieurs fois annoncée du roman, est sans cesse contredite par la fécondité des écrivains contemporains ; certains le dotent même d’une dimension prophétique qui amène sous la plume de Marthe Robert ce jugement lapidaire : « Mégalomanie du roman », jugement qu’elle justifie en rapportant les conceptions de Soljenitsyne Celui-ci ne considère pas seulement le roman comme « un puissant moyen d’expression », mais aussi comme le « révélateur de la vérité ». Cette vérité dépasse de loin les prétentions scientifiques de certains romanciers du XIXe siècle : issue d’une « vision intérieure », elle est due à « une préséance du tout qui s’est constituée des faits jusqu’à leur sens vivant » Il s’agit moins d’un savoir que d’un « voir », d’un don de « clairvoyance » qui apparente le romancier au « maître spirituel ». Ce passage de l’expression à la l’intuition visionnaire correspond bien à la volonté de certains romanciers, mais pose le problème délicat de la vérité, de leur vérité. Le lecteur n’attend-il pas tout autre chose de l’écrivain et ne s’intéresse-t-il pas davantage à l’œuvre d’art qu’à une nouvelle bouteille lancée à la mer par un romancier-mage ? Il aurait tort cependant de mésestimer l’ambition du romancier russe et nous serions tentés de la reformuler en pensant que la vérité du roman et la clairvoyance du romancier, sont soumises à une forme qui suppose la quête et l’interrogation plutôt que la réponse.
« La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer », disait Balzac. Il s’agit de faire sortir du réel ce qui n’y figure pas vraiment, d’où le choix du réel qu’on fait rentrer dans le roman. C’est un phénomène de recomposition : tout roman est construction ; et parce qu’il est construction, il impose un sens (cf. début de La princesse de Clèves ; Proust, lui, désire faire repartir le roman dans l’écriture, d’où un art d’écrire, une réflexion sur l’art avant toute chose ; chez Stendhal, le rouge et le noir, Julien, au début du roman, est représenté comme quelqu’un de passionné pour la lecture). Mais le roman est aussi stylisation et création de types avec abstraction progressive du personnage : « [Les personnages] ne vivent qu’à condition d’être une grande image du présent (…) ; conçus dans les entrailles de leur siècle, tout le cœur humain se remue sur leur enveloppe ; il s’y cache souvent toute une philosophie » (l’ Avant-propos de 1842 de la comédie humaine, Balzac). On passe ici du présent à la généralisation. On part d’un réel présent pour aboutir à une expression par essence qui est la philosophie. Cela suppose que le romancier a un point de vue, une philosophie, un projet et se sert du roman comme l’expression et la démonstration d’une réalité que lui seul détient.
Soljenitsyne nous donne des significations sue sa vision intérieure : révélateur de la vérité s’oppose à la science. Mais il y a des romanciers qui ont des projets scientifiques : « le roman est une exemplarisation », affirme Grivel. Il fonctionne comme une parabole, le développement, l’illustration d’un projet initial. Soljenitsyne apporte une correction à ces propos : la vérité du roman est d’un autre ordre : elle est dans la prétention scientifique du romancier. Nous citerons le Roman expérimental de Zola et Seuils de G. Genette, pour qui le rôle des préfaces est d’indiquer la direction des lectures (ex : Les mémoires d’un homme de qualité de l’abbé Prévost qui sont un traité de moral réduit agréablement à l’exercice) et pour qui le roman est une vérité à démontrer et à illustrer. Au XIXe siècle, l’histoire n’est pas constituée. Ce sont les historiens du XIXe siècle qui vont la constituer. Or, le romancier est un concurrent de l’historien. Il doit affronter le problème de la vérité (le vraisemblable et/ou la vérité de l’ordre historique) ; d’où l’utilisation d’événements et de personnages historiques. Mais ils demeurent des romans (fables, fiction…). On peut dès lors se demander si le romancier n’est pas un historien qui jouerait avec la fiction, un historien au présent (comme le croit Balzac) ? Le développement des sciences et le positivisme tentent certains romanciers d’accéder à une vérité romanesque par une démarche scientifique : « […] l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire, fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude. Le romancier part à la recherche d’une vérité. » (Le roman expérimental, Zola. Le roman va confirmer un point de vue en théorie. L’expérience romanesque ne peut que confirmer en effet la conclusion du romancier (cf. Histoire naturelle et sociale d’une famille : histoire qui relève de la science, elle suppose une classification relevant du déterminisme). Flaubert lui-même affirmera : « La littérature prendra de plus en plus les allures de la science. Elle sera surtout exposante ». Le projet scientifique est réducteur dans le roman. Soljenitsyne va au-delà : il parle d’ampleur, de sens vivant. La philosophie romanesque dépasse les attentes de son auteur et devient une réflexion de l’individu sur sa place dans la société : le roman ne donne pas qu’une seule solution (ex : Les souffrances du jeune Werther, Goethe). Le roman déborde de son propre message : une part est laissée à l’interprétation : c’est une œuvre ouverte. Le romancier travaille sur une vision globalisante (Les hommes de bonne volonté, J. Romains : roman unanimiste = une seule âme = rendre compte d’une âme collective / la somme de romans comme la comédie humaine de Balzac). J. Romains ne veut pas se limiter à l’histoire d’un personnage central. Il veut une histoire de groupe, de famille, tel un drame musical ou une immense symphonie (idées d’ampleur et de composition combinées). Il s’agit d’une addition de points de vue différents comme on en retrouve chez Soljenitsyne dans La roue rouge, chez Martin du Gard avec Les Thibault (où le développement fait ampleur plus que la vision), chez Perec qui bâtit son récit sur la construction d’un immeuble à partir de laquelle le roman va s’intéresser à différentes histoires, convergentes ou non, dans La vie mode d’emploi, ou encore chez Joyce avec Ulysse qui reflète la capacité du roman à organiser une totalité avec une organisation de la durée, de l’espace et du lieu (récit d’un homme –Léopold Bloom- lors de son errance dans Dublin : un seul personnage, une seule journée, un seul lieu). Même constat avec Maupassant (Une vie). Le roman est ainsi dans le concret. C’est la dogmatique de Proust : possibilité d’un esprit d’accéder à une vérité. L’art consiste à dégager les lois de la vie, mais selon Proust, ça consiste à incarner l’abstrait : c’est bien donner un sens vivant. Il distingue le roman dogmatique du roman à thèse. Il note que quand le roman à thèse a une valeur, il le dit à autre chose qu’à sa thèse. Proust prend l’exemple du Médecin de campagne de Balzac : capacité de rendre compte de l’incarnation de l’abstrait. Le chrono tope de Bakhtine (Esthétique et théorie du roman) permet l’incarnation, il est le centre organisateur « des principaux événements contenus dans le sujet du roman ». Le roman n’a donc de valeur que parce qu’il y a incarnation d’un personnage dans le chrono tope.
Luckas affirme également que chaque roman a une vision du monde. Le terme de « vision » est cependant ambigu : ce qui est vu, montré ? ou ce qui est vu de l’invisible ? Le roman serait vision de ce qui est et aussi de ce qui n’est pas ; il faut aller au-delà de ce qui est vu. Mais comment le roman peut-il avoir ce don ? On pourrait partir de l’idée de projet : le romancier a toujours une volonté démonstrative et le roman vient mettre en œuvre ce projet initial : « le roman est le soulèvement des salariés, le coup d’épaule donné à la société qui craque à l’instant, en un mot, la lutte du capital contre le travail. C’est là qu’est l’importance du livre. Je le veux prédisant l’avenir, posant la question qui sera la question la plus importante du Xxe siècle », dit Zola dans Germinal en mettant ainsi en valeur la volonté démonstrative du roman. On voit comment le roman dépasse le simple cadre réaliste : il ne montre pas seulement ce qui est mais aussi ce qui va arriver. C’est l’analyse du réel qui permet au romancier de comprendre ce que sera le futur (« Balzac est un visionnaire passionné », illustre Baudelaire). Selon Soljenitsyne, ce don de clairvoyance est une reconstruction après coup : à partir du présent, on va lire l’avenir, c’est-à-dire, qu’on voit dans le présent d’aujourd’hui les données éthiques qui pourraient survivre. C’est ainsi que Kafka a anticipé la barbarie nazie (et autres) dans l’Univers déshumanisé. Cette vision, cette clairvoyance du monde, sont enfermées dans la vision et la clairvoyance d’une personne : cela ne contredit pas la mégalomanie du roman, sinon, il n’y aurait pas de vérité dans le roman.
Si l’on reprend l’idée de Grivel selon laquelle tout roman est exemplarisation d’une thèse et illustre un projet, maints exemples de romanciers viennent confirmer qu’ils sont enfermés dans leur monde, dans leur conscience du monde : ainsi, Balzac et son regroupement de la comédie humaine, Céline pour qui il n’y qu’une Vérité (ne serait-ce que celle de sa propre persécution). N’y a-t-il pas dans le roman présence de l’obsession de l’auteur ? C. Mouron s’est intéressé à la psychanalyse du roman et conclut que dans le projet d’écrire un roman réside une névrose : on est donc loin de la clairvoyance et de la vérité ! Pour Proust, un auteur écrit toujours le même roman : « les grands écrivains n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt réfractée à travers des milieux divers, une même beauté qu’ils apportent au monde. » : on est ainsi passé du plan de l’obsession du travail sur soi au simple travail esthétique (ex : Chateaubriand, René et Proust, à la recherche du temps perdu).
Cette clairvoyance est soumise aux aléas de la lecture : la théorie de la réception de Jauss nous rappelle que chaque lecteur a des codes d’interprétation remarqués par nos propres lectures (inter texte). L’œuvre est ouverte au point de vue du sens : une lecture à géométrie variable. Les romanciers sont donc dépassés dans leurs projets : Gargantua de Rabelais remet en cause sa propre interprétation. Il existe une conscience chez les romanciers de la part des aléas de lecture. Le roman n’utilise pas le langage commun. Le langage a une autre résonance, une autre dimension.
Le roman ne cherche plus à démontrer, il est devenu une « finalité sans fin » comme le dirait Kant. Il vaut d’abord pour lui-même : « il sera aberrant de lire un roman comme un déchiffrement du réel. Le roman est une construction de fiction », affirme Nabokov selon qui le roman est construit comme une pièce montée : c’est un arte fact. Ce qu’on appelle « nouveau roman » est caractérisé par l’idée que le roman n’avait pas à dire ce qui est, mais que le roman est une perfection formelle de mises en abyme. Tout projet d’exemplarisation disparaît ici. Le roman ne serait donc à juger que sur le point de vue esthétique. La vérité du roman ne tient-elle pas à la forme même du roman ?
« L’esprit du roman est l’esprit de la complexité », écrit Kundéra dans l’art du roman.
L’œuvre a une multiplicité de sens avec lesquels joue le romancier (Jacques le fataliste, Diderot ; Les faux monnayeurs, Gide = remise en cause du roman par lui-même ; La jalousie, Robbe-Grillet). Le romancier peut se refuser à la vérité nette : le roman peut être l’indécision.
Aucun personnage dans le roman polyphonique n’est le centre car chaque personnage est traité de la même manière. Pour Bakhtine, la culture est faite de discours divers et le roman doit reprendre ces discours : c’est le dialogisme. Il y a différents logos, différents discours et points de vue. Bakhtine prend l’exemple de Rabelais : la culture de Frère Jean et celle de Gargantua sont sur deux niveaux différents. Pour Bakhtine, l’intérêt de Rabelais est d’avoir su multiplier ces niveaux. En ce qui concerne Jacques le fataliste, ce roman est construit sur deux discours et aucun ne prend le dessus de l’autre. Il n’y aurait donc pas de vérité dans le roman ? La vérité du roman n’est pas une vérité donnée : c’est une quête de deux points de vue : celui de l’auteur qui met en scène différentes vérités parmi lesquelles on peut choisir, et celui du lecteur qui affronte différents points de vue à l’intérieur du roman (ex : Thomas Man, La montagne magique et Poe, Les aventures de Gordon Pym : roman fondé sur la quête ; l’intérêt du roman est dans le parcours donné). « roman : grande forme de la prose où l’auteur, à travers des égos expérimentaux (personnages) examine jusqu’au bout quelques grands thèmes de l’existence. (…) Le romancier ne fait pas grand cas de ses idées ; il est un découvreur qui, en tâtonnant, s’efforce de dévoiler un aspect inconnu de l’existence. » (Kundéra, L’art du roman). Soljenitsyne corrige lui-même ses propos, lors d’un discours de prix Nobel : il existe dans le monde différents systèmes de valeurs ; les hommes jugent en fonction de leurs références et ces références nous empêchent d’entendre les autres. Mais qui va coordonner ces systèmes de valeur ? Qui réussira à transposer une telle compréhension au-delà des limites de son expérience personnelle ? C’est l’artiste et en particulier, le romancier. Le roman, c’est communiquer de façon autre car il est capable d’envisager d’autres types d’expériences. Ainsi, Herman Broch, dans Création littéraire et connaissances reprend ses conférences : il part de l’expression « vision du monde », terme qui pourrait s’appliquer à plusieurs domaines de la science ; toutes ces visions du monde sont un même système de valeur (exigence éthique et partie esthétique). Le roman joue un rôle particulier dans ce système : le « roman est dans les régions inférieures de l’âme », c’est-à-dire que le beau n’est pas la plus haute valeur du roman. L’origine du roman est le poème épique (mimésis) et l’exigence éthique du roman est de dépeindre la vision intérieure et extérieure du monde : « le roman n’est pas un simple reportage ; c’est un processus de refonte du monde tel qu’on l’imagine ou tel qu’on le craint. (…) L’autre différence est que le roman ne peut se contenter de décrire le monde ni tel qu’il doit être, ni selon une perspective unique, mais le roman va être le miroir de toutes les autres visions du monde, mais elles sont pour lui des vocables de réalité, exactement au même titre que tout autre vocable du monde extérieur et exactement au même titre que chacun des autres vocables de réalité qu’il tire du monde littéraire, il doit les incérer dans sa propre syntaxe littéraire. (…)L’œuvre littéraire doit embrasser dans son unité le monde tout entier. » : le romancier va lier ses différentes visions dans le roman. |
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