Discours sur la première décade







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Discours sur la première décade de Tite-Live
VII
SOLITUDE DU FONDATEUR
ET DU RÉFORMATEUR.

Il est nécessaire d'être seul quand on veut fonder une nouvelle république, ou lorsqu'on veut rétablir celle qui s'est entièrement écartée de ses anciennes institutions.

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Plusieurs personnes regardent comme un mauvais exemple, que le fondateur d'un gouvernement libre, tel que fut Romulus, ait d'abord tué son frère, et consenti ensuite à la mort de Titus Tatius, avec lequel il avait lui-même partagé le trône. Ils pensent que les citoyens, encouragés par l'exemple du prince, pourraient, par ambition ou par la soif de commander, opprimer ceux qui s'opposeraient à leur autorité.
Cette opinion serait fondée si l'on ne considérait le motif qui porta Romulus à commettre cet homicide. C'est, pour ainsi dire, une règle générale, que presque jamais une république ou un royaume n'ont été bien organisés dès le principe, ou entièrement réformés lorsqu'ils s'étaient totalement écartés de leurs anciennes institutions, s'ils ne recevaient leurs lois d'un seul législateur. Il est nécessaire que ce soit un seul homme qui leur imprime la forme, et de l'esprit duquel dépende entièrement toute organi­sation de cette espèce.
Ainsi tout sage législateur animé de l'unique désir de servir non ses intérêts personnels, mais ceux du publie, de travailler non pour ses propres héritiers, mais pour la commune patrie, ne doit rien épargner pour posséder lui seul toute l'autorité. Et jamais un esprit éclairé ne fera un motif de reproche à celui qui se serait porté à une action illégale pour fonder un royaume ou constituer une république. Il est juste, quand les actions d'un homme l'accusent, que le résultat le justifie ; et lorsque ce résultat est heureux, comme le montre l'exemple de Romulus, il l'excusera toujours. Il ne faut reprendre que les actions dont la violence a moins pour but de réparer que de détruire.
Un prince doit avoir assez de sagesse et de vertu pour ne pas laisser comme héritage à un autre l'autorité dont il s'était emparé, parce que les hommes ayant plus de penchant au mal qu'au bien, son successeur pourrait user ambitieusement du pouvoir dont lui-même ne s'était servi que d'une manière vertueuse. D'un autre côté, si un seul homme est capable de régler un État, l'État ainsi réglé durera peu de temps, s'il faut qu'un seul homme continue à en supporter tout le fardeau ; il n'en est point ainsi quand la garde en est confiée au grand nombre, et que le grand nombre est chargé de sa conservation. Et de même que plusieurs hommes sont incapables de fonder une institution faute d'en discerner les avantages, parce que la diversité des opinions qui s'agitent entre eux obscurcit leur jugement, de même après qu'ils en ont reconnu l'utilité ils ne s'accorderont jamais pour l'abandonner.
Ce qui prouve que Romulus mérite d'être absous du meurtre de son frère et de son collègue, et qu'il avait agi pour le bien commun et non pour satisfaire son ambition personnelle, c'est l'établissement immédiat d'un sénat dont il rechercha les conseils et qu'il prit pour guide de sa conduite. En examinant avec attention l'autorité que Romulus se réserva, on verra qu'il se borna à retenir le commandement des armées lorsque la guerre était déclarée, et le droit de convoquer le sénat. C'est ce qu'on vit clairement lorsque Rome, par l'expulsion des Tarquins, eut recouvré sa liberté. On ne fut obligé d'apporter aucune innovation dans la forme de l'ancien gouvernement, on se borna à établir deux consuls annuels à la place d'un roi perpétuel : preuve évidente que les premières institutions de cette ville étaient plus conformes à un régime libre et populaire qu'à un gouvernement absolu et tyrannique.
Je pourrais citer à l'appui de mon opinion une multitude d'exemples, tels que ceux de Moïse, de Lycurgue, de Solon, et de quelques autres fondateurs de royaumes ou de républiques, qui tous ne réussirent à établir des lois favorables au bien publie que parce qu'ils obtinrent sur le peuple l'autorité la plus absolue ; mais j'abandonne ces exemples, car ils sont connus de tout le monde. Je me contenterai d'on rapporter un seul, moins célèbre, mais sur lequel doivent réfléchir ceux qui auraient le projet de devenir de profonds législateurs. Voici cet exemple. Agis, roi de Sparte, voulut tenter de remettre en vigueur parmi les Lacédémoniens les lois que Lycurgue leur avait données ; il lui semblait que Sparte, en s'en écartant, n'avait que trop perdu de ses antiques vertus, et par conséquent de sa force et de sa puissance. Dès les premières tentatives, il fut massacré par les éphores, comme aspirant à la tyrannie. Cléomène, son successeur, se montra anime du même désir. Mais éclairé par les instructions d'Agis et les écrits dans lesquels ce prince avait développé ses idées et l'esprit qui le dirigeait, il vit clairement qu'il ne pourrait faire jouir sa patrie d'un semblable bienfait, s'il ne réunissait dans ses mains toute l'autorité, convaincu que l'ambition des hommes ne permet pas de faire le bien général lorsque l'intérêt du plus petit nombre y met obstacle. Saisissant en conséquence une occasion qui lui parut favorable, il fit massacrer tous les éphores et quiconque aurait pu s'opposer à ses projets ; alors il remit en vigueur les lois de Lycurgue. Cette entreprise, capable de relever la puissance de Sparte, aurait procuré à Cléomène la même gloire qu'à Lycurgue, si la puissance des Macédoniens et la faiblesse des autres républiques de la Grèce ne l'avaient fait échouer. Mais aussitôt après cette réforme, il fut attaqué par les Lacédémoniens auxquels il était inférieur en forces ; ne sachant à quel appui recourir, il fut vaincu, et son dessein, tout juste et tout louable qu'il était, ne put être accompli.
Après avoir bien pesé toutes ces considérations, je crois pouvoir conclure que pour instituer une république il ne faut qu'un seul homme, et que Romulus, loin de mériter le blâme, doit être absous de la mort de Remus et de Tatius.

Discours sur la première décade de Tite-Live
VIII
LA COMMUNAUTÉ HUMAINE.
On observera qu'ici - comme d'ailleurs dans les extraits II et VII - Machiavel, s'il manifeste pour la démocratie un penchant marqué, a néanmoins de l'estime pour un régime aristocratique ou démocratique bien réglé.
Autant les fondateurs d'une république ou d'un royaume sont dignes de louanges, autant sont blâmables ceux qui établissent une tyrannie.


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Parmi tous les mortels qui ont mérité des louanges, les plus dignes de mémoire sont les chefs ou les fondateurs des religions. Après eux viennent les fondateurs des républiques ou des royaumes. On célèbre ensuite ceux qui, placés à la tête des armées, ont étendu la domination de leur royaume ou celle de leur patrie. On doit y joindre les hommes instruits dans les lettres ; et comme il en est de plusieurs espèces, chacun obtient la gloire réservée au rang qu'il occupe. Enfin, dans le nombre infini des humains nul ne perd la portion de louange que lui mérite son art ou sa profession. On voue au contraire à la haine et à l'infamie les destructeurs des religions, ceux qui ont vu périr dans leurs mains les républiques ou les royaumes confiés à leurs soins ; les ennemis de la vertu, des lettres et des arts utiles et honorables à l'espèce humaine ; tels sont les impies, les furieux, les ignorants, les oisifs, les lâches et les hommes nus.
Et il n'est personne de si insensé ou de si sage, de si corrompu ou de si vertueux, qui, si on lui demande de choisir entre ces deux espèces d'hommes, ne comble de louanges celle qui est digne d'être louée, et ne couvre de blâme celle qui mérite en effet d'être détestée ; et cependant presque tous, frappés par l'attrait d'un faux bien, ou d'une vaine gloire, se laissent séduire, volontairement ou par ignorance, à l'éclat trompeur de ceux qui méritent le mépris plutôt que la louange. Et ceux qui pourraient obtenir un honneur immortel en fondant une république ou un royaume, se plongent dans la tyrannie, sans s'apercevoir combien en embrassant ce parti ils perdent de renommée, de gloire, d'honneur, de sécurité, de paix et de satisfaction d'esprit, et à combien d'infamie, de reproches, de blâme, de périls et d'inquiétudes ils se dévouent.
Il est impossible que les simples citoyens d'une république, ou ceux que la fortune ou le courage en rend princes, s'ils lisaient l'histoire, et tiraient quelque fruit de la mémoire des événements passés, ne préférassent point, les premiers, vivre dans leur patrie, plutôt comme des Scipions, que comme des Césars ; et les derniers, plutôt comme les Agésilas, les Timoléon et les Dion, que comme les Nabis, les Phalaris et les Denys ; ils verraient les uns couverts de honte, et les autres éclatants de gloire ; ils verraient en outre que Timoléon et ses émules n'obtinrent pas dans leur patrie une moindre autorité que les Denys et les Phalaris, et qu'ils jouirent d'une sécurité bien plus grande.
Que personne ne se laisse éblouir par la gloire de César, et surtout par les louan­ges dont l'ont accablé les écrivains. Ceux qui l'ont célébré furent corrompus par sa fortune, ou effrayés par la durée d'un empire, qui, gouverné toujours sous l'influence de son nom, ne permettait pas aux écrivains de s'expliquer librement sur son compte. Mais qui voudra connaître ce qu'en auraient dit les écrivains libres, n'a qu'à voir ce qu'ils ont écrit de Catilina ; et César aurait encouru d'autant plus d'exécration, que celui qui commet le crime est plus coupable que celui qui le projette. Que l'on examine encore toutes les louanges prodiguées à Brutus, et l'on verra que ne pouvant flétrir le tyran à cause de sa puissance on a exalté la gloire de son ennemi.
Que celui qui, dans une république, s'élève au rang suprême, considère, de son côté, de quelles louanges Rome, changée en empire, combla les empereurs qui, sou­mis aux lois, méritèrent le titre d'excellents princes, de préférence à ceux qui se con­dui­sirent d'une manière opposée ; et il verra que Titus, Nerva, Trajan, Adrien, Antonin et Marc-Aurèle n'avaient besoin ni des soldats prétoriens, ni de la multitude des légions pour se défendre, parce que leur manière de vivre, l'affection du peuple et l'amour du sénat, étaient leur plus ferme rempart. Il verra encore que les forces de l'Orient et de l'Occident ne purent sauver les Caligula, les Néron, les Vitellius, et tant d'autres scélérats couronnés, de la vengeance des ennemis que leurs mœurs exécrables et leur férocité avaient soulevés contre eux. Si l'histoire de ces monstres était bien étudiée, elle servirait d'enseignement aux princes et leur montrerait le chemin de la gloire ou de la honte, de la sécurité ou de la terreur. On y voit en effet que sur les vingt-six empereurs qui régnèrent depuis César jusqu'à Maximin, seize furent assassinés, dix moururent de mort naturelle. Si au nombre de ceux qu'on massacra, en en compte quelques-uns de bons, tels que Galba et Pertinax, ils expirèrent victimes de la corruption que leurs prédécesseurs avaient introduite dans les armées. Si au contraire parmi ceux qui moururent naturellement il se trouve un méchant tel que Sévère, il le dut à un bonheur inouï et à son grand courage, deux circonstances qui se réunissent rarement pour favoriser les humains.
La lecture de cette histoire leur apprendra encore comment on peut fonder un bon gouvernement, car les empereurs qui montèrent sur le trône par droit d'hérédité furent tous méchants, excepté Titus ; tandis que ceux qui régnèrent par adoption furent tous excellents, comme on peut le voir par les cinq empereurs qui se succédèrent de Nerva à Marc-Aurèle. Dès que l'empire redevint héréditaire il se précipita de nouveau vers sa ruine. Qu'un prince ait donc sans cesse devant les yeux les temps qui s'écoulèrent de Nerva à Marc-Aurèle ; qu'il les compare avec ceux qui précédèrent ou qui suivirent ; et qu'il choisisse ensuite ceux dans lesquels il eût désiré naître et régner.
Qu'apercevra-t-il sous le règne des bons empereurs ? Un prince en sûreté au milieu de ses paisibles sujets, le monde en paix, gouverne par la justice ; il verra le sénat jouissant de son autorité, les magistrats de leur dignité, et les citoyens opulents de leurs richesses ; la noblesse honorée ainsi que la vertu ; partout le bonheur et la tranquillité. D'un autre côté tout ressentiment, toute licence, toute corruption, toute ambition contenue ; il verra renaître cet âge d'or où chacun peut exprimer et soutenir sans crainte son opinion. Enfin il verra le monde triomphant, le prince environné de respect et de gloire, et les peuples heureux l'entourer de leur amour.
S'il examine ensuite dans tous leurs détails les règnes des autres empereurs, il les verra ensanglantés par des guerres atroces, bouleversés par les séditions, et remplis de désastres, soit dans la paix, soit dans les combats ; la plupart des princes égorgés par le fer en tous lieux des guerres civiles ou des guerres étrangères l'Italie dans les pleurs, et chaque jour en proie à de nouvelles infortunes ; ses villes ravagées et tombant en ruine. Il verra Rome en cendres, le Capitole renversé par les citoyens eux-mêmes ; les temples antiques profanés, les cérémonies religieuses corrompues, les villes peuplées d'adultères ; il verra les mers pleines d'exilés, et les rochers souillés de sang; il verra Rome effrayée par des cruautés sans cesse renaissantes ; la noblesse, les honneurs, les richesses, et par-dessus tout la vertu, devenir autant d'arrêts de mort; il verra les dénonciateurs récompensés, les esclaves corrompus pour trahir les maîtres, les affranchis leurs patrons, et ceux qui n'avaient pas d'ennemis, opprimés par leurs amis eux-mêmes ; c'est alors qu'il connaîtra clairement quelles sont les obligations que Rome, l'Italie et le monde entier doivent à César. Et sans doute, s'il est né d'un homme, il s'épouvantera d'imiter ces règnes exécrables, et brûlera d'un immense désir de faire renaître les bons.
Certes un prince enflammé de l'amour de la gloire devrait désirer de régner sur un État corrompu, non comme César, pour achever sa ruine, mais comme Romulus, pour le réformer. En effet, le ciel ne peut donner aux hommes une plus belle occasion d'obtenir l'immortalité, et les hommes ne peuvent de leur côté en désirer une plus favorable. Toutefois si un prince, animé du désir de régénérer un État, se voyait menacé par là même de descendre du trône, et renonçait à ses projets de réforme dans la crainte de tomber du rang suprême, on pourrait peut-être l'excuser. Mais s'il peut à la fois conserver son trône et réformer l'État, il est impossible de l'absoudre.
Ainsi donc, que tous ceux à qui le ciel vient offrir une si belle occasion réfléchissent que deux conduites s'offrent à leur choix; l'une, après un règne heureux et paisible, leur fera trouver un trépas suivi d'une gloire éclatante ; l'autre, après les avoir forcés de vivre dans des terreurs continuelles, ne laissera d'eux, au delà de leur mort, que la mémoire d'une éternelle infamie.

Discours sur la première décade de Tite-Live
IX
LA PAPAUTÉ,
PLAIE DE L'ITALIE.

Combien il importe de conserver l'influence de la religion, et comment l'Italie, pour y avoir manqué, grâce à l'Église romaine, s'est perdue elle-même.

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Les princes et les républiques qui veulent empêcher l'État de se corrompre, doivent surtout y maintenir sans altération les cérémonies de la religion et le respect qu'elles inspirent; car le plus sûr indice de la ruine d'un pays, c'est le mépris pour le culte des dieux : c'est à quoi il sera facile de travailler efficacement, lorsque l'on connaîtra sur quels fondements est établie la religion d'un pays ; car toute religion a pour base de son existence quelque institution principale.
Celle des païens était fondée sur les réponses des oracles, ainsi que sur l'ordre des augures et des aruspices ; c'est de là que dérivaient toutes leurs cérémonies, leurs sacrifices, leurs rites. Ils croyaient sans peine que le dieu qui pouvait prédire les biens ou les maux à venir pouvait aussi les procurer. De là les temples, les sacrifices, les prières et toutes les autres cérémonies destinées à honorer les dieux. C'est par les mêmes causes que l'oracle de Délos, le temple de Jupiter-Ammon, et d'autres non moins célèbres étaient admirés de l'univers et entretenaient sa dévotion. Mais quand ces oracles commencèrent à parler au gré des puissants, et que le peuple eut reconnu la fraude, alors les hommes devinrent moins crédules, et se montrèrent disposés à se soulever contre le bon ordre.
Que les chefs d'une république ou d'une monarchie maintiennent donc les fondements de la religion nationale. En suivant cette conduite, il leur sera facile d'entretenir dans ]'État les sentiments religieux, l'union et les bonnes mœurs. Ils doivent en outre favoriser et accroître tout ce qui pourrait propager ces sentiments, fût-il même question de ce qu'ils regarderaient comme une erreur. Plus à cet égard, leurs lumières sont étendues, plus ils sont instruits dans la science de la nature, plus ils doivent en agir ainsi.
C'est d'une telle conduite tenue par des sages et des hommes éclairés, qu'est née la croyance aux miracles qui a obtenu du crédit dans toutes les religions, même fausses. Les sages mêmes les propageaient, de quelque source qu'ils dérivassent, et leur autorité devenait une preuve suffisante pour le reste des citoyens, Rome eut beaucoup de ces miracles, entre lesquels je citerai le suivant. Les soldats romains saccageaient la ville de Véïes ; quelques-uns d'entre eux entrèrent dans le temple de Junon, et s'étant approchés de sa statue, ils lui demandèrent si elle voulait venir à Rome, vis venire Romam ? Les uns crurent qu'elle faisait signe d'y consentir ; d'autres, qu'elle avait répondu : Oui. Ces soldats, pleins de religion, ainsi que Tite-Live le démontre en faisant observer qu'ils entrèrent dans le temple sans désordre et pénétrés de respect et de dévotion, crurent aisément que la déesse faisait à leur demande la réponse qu'ils avaient probablement présumée ; et Camille, ainsi que les autres chefs du gouverne­ment, ne manquèrent pas de favoriser et de propager encore cette croyance.
Certes, si la religion avait pu se maintenir dans la république chrétienne telle que son divin fondateur l'avait établie, les États qui la professent auraient été bien plus heureux qu'ils ne le sont maintenant. Mais combien elle est déchue! et la preuve la plus frappante de sa décadence, c'est de voir que les peuples les plus voisins de l'Église romaine, cette capitale de notre religion, sont précisément les moins religieux. Si l'on examinait l'esprit primitif de ses institutions, et que l'on observât combien la pratique s'en éloigne, on jugerait sans peine que nous touchons au moment de la ruine ou du châtiment.
Et comme quelques personnes prétendent que le bonheur de l'Italie dépend de l'Église de Rome, j'alléguerai contre cette Église Plusieurs raisons qui s'offrent à mon esprit, et parmi lesquelles il en est deux surtout extrêmement graves, auxquelles, selon moi, il n'y a pas d'objection. D'abord, les exemples coupables de la cour de Rome ont éteint, dans cette contrée, toute dévotion et toute religion, ce qui entraîne à sa suite une foule d'inconvénients et de désordres ; et comme partout où règne la religion on doit croire à l'existence du bien, de même où elle a disparu, on doit supposer la présence du mal. C'est donc à l'Église et aux prêtres que nous autres Italiens, nous avons cette première obligation d'être sans religion et sans mœurs ; mais nous leur en avons une bien plus grande encore, qui est la source de notre ruine ; c'est que l'Église a toujours entretenu et entretient incessamment la division dans cette malheureuse contrée., Et, en effet, il n'existe d'union et de bonheur que pour les États soumis à un gouvernement unique ou à un seul prince, comme la France et l'Espagne en présentent l'exemple.
La cause pour laquelle l'Italie ne se trouve pas dans la même situation, et n'est pas soumise à un gouvernement unique, soit monarchique, soit républicain, c'est l'Église seule, qui, ayant possédé et goûté le pouvoir temporel, n'a eu cependant ni assez de puissance, ni assez de courage pour s'emparer du reste de l'Italie, et s'en rendre souveraine. Mais d'un autre côté elle n'a jamais été assez faible pour n'avoir pu, dans la crainte de perdre son autorité temporelle, appeler à son secours quelque prince qui vint la défendre contre celui qui se serait rendu redoutable au reste de l'Italie ; les temps passés nous en offrent de nombreux exemples. D'abord, avec l'appui de Charlemagne, elle chassa les Lombards, qui étaient déjà maîtres de presque toute l'Italie ; et de nos temps elle a arraché la puissance des mains des Vénitiens avec le secours des Français, qu'elle a repoussés ensuite à l'aide des Suisses.
Ainsi l'Église n'ayant jamais été assez forte pour pouvoir occuper toute l'Italie, et n'ayant pas permis qu'un autre s'en emparât, est cause que cette contrée n'a pu se réunir sous un seul chef et qu'elle est demeurée asservie à plusieurs princes ou seigneurs ; de là ces divisions et cette faiblesse, qui l'ont réduite à devenir la proie non seulement des barbares puissants, mais du premier qui daigne J'attaquer.
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