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Quand la carte et le territoire se croisentCertaines reproductions du livre d’Eric Sadin nous montrent une superposition de prise de vue réelles et de quadrillage réticulaire. Le plan se superpose au territoire, comme on peut aussi en faire l’expérience avec les prises de vues satellitaires de l’IGN27. Le visible est maillé par l’invisible. Du fameux axiome de d'Alfred Korzybski 28, « Une carte n’est pas le territoire », bien des œuvres de Net-art ont tiré tout le parti possible, tournant et retournant cent fois la proposition mille fois lue, mille fois entendue du philosophe et linguiste polonais – sans toujours savoir exactement quelle pouvait bien être sa signification. Ce qui restera de toutes ces œuvres29 et programmes30 ayant cartographié le Net comme un territoire, et le territoire réel comme le Net, c’est finalement une intégration croissante des outils associés aux TIC dans notre quotidien, et dans notre vision du territoire. Certaines œuvres de Net-art, comme Yellow Arrow31 ont joué de cette irruption dans le réel de marqueurs renvoyant vers le Net, avec leurs fameuses flèches jaunes collées en tel ou tel endroit de la ville – New York, Stockholm, Innsbruck, etc…- par les participants. Chaque flèche jaune, rappelons-le, est munie d’un code, que le promeneur pourra activer, depuis son téléphone portable, pour lire un SMS lui donnant les indications propres à telle ou telle flèche. Ainsi, les participants à cette œuvre collective, peuvent laisser des messages partout où ils le souhaitent, des messages que recevront tous ceux qui, en visite par exemple en Amérique du Sud, auront pris la peine de se munir d’une carte leur indiquant l’emplacement des flèches jaunes. On voit bien ici le degré de sophistication atteint par ce type d’entreprise, où le Net et le téléphone portable, pour les instruments de communication, la carte et le territoire réel pour les interfaces de navigation se croisent, se recroisent, en un maillage fin de renvois labyrinthiques. Une fois que la cartographie du territoire est assez dense, des circuits touristiques sont même organisés, pour visiter les lieux estampillés par les flèches jaunes. Un tourisme « différent », nous disent les articles de presse recensés sur le site. Des manifestations d’apparence plus revendicatives sont organisées dans certaines villes où un collectif « Yellow Arrow » suffisamment fort a réussi à se structurer, comme récemment à Innsbruck, où sous le nom ronflant de « Guérilla Map Innsbruck », des flèches jaunes ont été installées en tous les points jugés stratégiques – au sens guerrier ! – par les participants. Mais lit-on les instructions du site « Yellow Arrow » relatives aux précautions d’usage pour coller les flèches, et l’on apprendra qu’il est recommandé de demander la permission au propriétaire d’un immeuble ou aux services municipaux, avant de coller une flèche sur un mur ou sur un panneau de signalisation. Très responsable, comme attitude, mais pas guérilla du tout ! On pourrait présenter cette œuvre collective et participative comme l’un des exemples les plus aboutis du croisement entre carte/écran et territoire réel, avec toutes les notions de territoire fictif et de réseau social que l’on pourrait évoquer. Certainement. « Yellow Arrow » montre également une face très actuelle du marché de l’art puisque, cela n’aura pas échappé au lecteur, il faut pour pouvoir participer à ce réseau, disposer de flèches estampillées, chacune munie de son code unique, des flèches que l’on devra acheter auprès de Yellow Arrow, qui commercialise aussi des T-Shirts et autres gadgets. Sans adhérer au système en achetant une flèche, aucune participation possible. Qu’une entreprise commerciale s’empare des gimmicks du Net-art pour en faire un objet pour le coup parfaitement insaisissable, à la frontière de l’œuvre d’art et du coup marketing, à cheval entre le territoire et l’écran, c’est peut-être la meilleure façon de marquer la convergence entre les supports, pour l’avènement d’un art pluri-médiatique – qui se jouerait non seulement de plusieurs médias mais aussi de plusieurs dimensions spatiales et temporelles. Beaucoup moins cynique, du moins peut-on le penser, il faut envisager la façon dont les artistes détournent les multiples caméras qui nous espionnent - que ce soit dans la rue ou depuis le ciel – comme une réaction salutaire à une entreprise de coercition généralisée. En révolte contre les caméras de surveillance qui asphyxient les grandes villes, les aéroports, tous les espaces publics, des groupes d’activistes se sont fait une spécialité de repérer certaines d’entre elles, situées dans des endroits stratégiques, puis de venir se positionner dans leur champ afin d’y exécuter de véritables rituels d’envoûtement. Le collectif étasunien « Surveillance Camera Players »32 nous montre ainsi comment venir défiler, ou faire mille et une actions artistiques, devant les caméras de surveillance. On pourra se demander quelle est l’utilité d’une telle activité, puisque depuis que le groupe existe – milieu des années 90 – le nombre de caméras de surveillance n’a pas baissé d’un pouce ! Ce serait plutôt le contraire. Certes… Pourtant, en voyant comment cette initiative fait tâche d’huile, et s’exporte jusqu’en Turquie33, pourtant peu connue pour être tendre envers les mouvements démocratiques, on ne peut que souhaiter voir les citoyens se rebeller, un jour, contre cette préfiguration de Big Brother. A ce titre, il faut citer l’initiative des Big Brother Awards34, qui décerne chaque année ses « récompenses » à ceux qui luttent le mieux contre les libertés publiques. Le fait de venir « montrer ses fesses » aux caméras, pour un public que l’on devine peu réceptif à l’ironie et au contre-pied, les agents de surveillance, est l’exemple d’une interaction extrêmement poussée entre la réalité – que l’on pourrait dire capturée par les dispositifs de surveillance – et le Net, qui permet de mettre en scène cette entreprise artistique de dénonciation. Nous sommes là au niveau où l’art endosse de façon très forte ses responsabilités, avec les moyens qui sont les siens. Manipuler les instruments de surveillance et de captation du réel qui nous enserrent chaque jour davantage dans une camisole numérique, c’est également ce que beaucoup d’artistes commencent à faire en se servant de l’espace d’inscription le plus vaste qui soit, la terre. On pourra voir ainsi de nombreux exemples de ce qui n’en est encore qu’à ses débuts, sur une page dédiée aux inscriptions au sol capturées par les satellites et mises en ligne dans Google Earth35. Dans cette vaste base de données, qui mélange les inscriptions commerciales, les plaisanteries, les œuvres de Land Art, les curiosités géographiques, il faudra faire le tri… Sur un site comme « Graffiti for God36 », il sera intéressant de noter comment la page HTMl est présentée, avec ces ancres qui indiquent les points d’inscription, les mêmes ancres que tous les sites de géolocalisation proposent. Avant de résoudre la question de savoir si le Net-art peut sortir du Net, et comment appeler cette nouvelle forme d’art, qui s’appuierait sur le Net, puis en sortirait avant d’y revenir, il faut interroger une des dernières œuvres de l’artiste canadien Adam Brandejs, Gen Pets37, qui présente des animaux de compagnie génétiquement modifiés, dans leur emballage plastique, comme de monstrueux hybrides, à mi-chemin du chien, de l’humain et du poulet. Présentés sur le site de l’artiste comme des « jouets » disponibles en magasin, on pourrait s’y laisser prendre et trouver cela éthiquement très discutable. Une lecture plus attentive nous révèlera la supercherie, à la façon de fameux « fake » déjà vus sur le Net. Ces animaux génétiquement modifiés n’existent pas en tant que jouets commercialisés dans la grande distribution, mais ils ont été malgré tout fabriqués par l’artiste, avec des matériaux plastiques et des composants électroniques. Il aura donc fallu cette mise en scène, cette fabrication de réel, pour que le site et les poupées parviennent au statut d’une œuvre d’art, qui va vivre sa vie pour partie sur le Net et pour partie dans le réel, au cours d’expositions dans des centres d’art. L’artiste a dû passer par le réel, la fabrication matérielle de ces faux animaux modifiés, pour que son œuvre en ligne atteigne son but. Doit-on appeler cela art multimédia, plurimédia, numérique, médiatique, mixed-media ? – tous termes qui maintenant recouvrent à peu près tout et rien, et qui surtout ne rendraient pas compte de ce passage obligé par le réel, la matière, qui caractérise bien des œuvres hybrides apparues dernièrement– dont par ailleurs l’Agence Topo a pu se faire écho avec ses manifestations « Sortir de l’écran »38. D’autre part, les termes évoqués laisseraient de côté cette dimension essentielle des œuvres citées ici, à savoir cet héritage venu du Net-art, et à travers lui des différents courants artistiques que nous avons indiqué. Le Net est toujours ce qui les structure, même si ces œuvres ont appris à jouer avec les codes d’autres formes d’art, avec d’autres territoires. « L’artiste sans tête »39 Etienne Joubert, dont le corps décapité « vit » dans Second Life, tandis que la tête, construite en origami, impose sa matérialité dans notre monde serait une nouvelle et brillante manifestation de ces jeux de renvoi entre le Net et le réel – grâce auxquels, enfin, pourrait-on dire, le Net-art sort de son aridité, de sa confidentialité, et de son repli quelque peu autiste. A la façon du Web qui est devenu Web2.0, on pourrait avancer que ces œuvres hybrides, hybridées avec le réel, font partie du Net-art2.0. Xavier Malbreil 2 Documenta de Kassel X, 1997, Surfaces et Territoires http://www.ljudmila.org/%7Evuk/dx/english/frm_surf.htm 3 http://www.nomemory.org/data2/thesmaillot.htm 4 http://www.ciac.ca/magazine/archives/no_12/en/compterendu.html 5 www.uoc.edu/in3/hermeneia/sala_de_lectura/L_imaginaire_de_l_internet.pdf 6 http://www.hijack.org/special/porsche11.html 7 http://www.olats.org/livresetudes/basiques/8_basiques.php#artnet 8 http://www.art-memoires.com/lmter/l4042/40dpfilliou.htm 9 http://www.jodi.org 10 http://www.ljudmila.org/~vuk/ascii/film/ 11 http://www.fredforest.org/ 12 http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo-retr-fredforest/textes_critiques/textes_divers/2manifeste_art_socio_fr.htm#text 13 http://www.aec.at/en/archives/prix_archive/prix_projekt.asp?iProjectID=2183 14 BOURRIAUD, Nicolas, Esthétique relationnelle, 1998, Dijon, Les presses du réel 15 http://www.newlangtonarts.org/view_event.php?category=Network&archive=&&eventId=35 16 http://bram.org/peur/fear/tentionsfr.php 17 http://tell-a-mouse.be/ 18 http://tell-a-mouse.be/SentsVirtuels/corpspres/fishes.htm 19 http://www.fluctuat.net/blog/1899-L-Homme-est-un-navigateur-politique 20 http://www.0100101110101101.org/home/nikeground/intro.html 21 http://www.0100101110101101.org/home/performances/performance-beuys.html 22 AKENATON/DOC(K)S, revue, 7 rue Miss Campbell, F 20000 AJACCIO, http: //www.sitec.fr/users/akenatondocks 23 http://artlibre.org. Site et organisation qui milite pour une licence dite « Art Libre » qui permet la reproduction et l’appropriation, sous certaines conditions, des œuvres d’art enregistrées sous ce label. 24 http://listes.lost-oasis.net/?A=READ&L=art_artlibre.org/2006/6/2/0 http://listes.lost-oasis.net/?A=READ&L=art_artlibre.org/2007/2/15/0 25 C’est ce qu’a fait d’ailleurs l’artiste Myriam Diop, voir http://www.cnap.fr/institution.php?section=programmation&id_institution=3891&action=readEvt&id_evenement=12380 26 SADIN Eric, Times of the signs, Editions Birkhäuser, 2007. 27 http://www.geoportail.fr/ 28 http://www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski/preface_editeur.html 29 http://www.ouinon.net/documents/cartoblog2.1.pdf 33 http://izleniyoruz.0nyx.com/index2.html 34 http://bigbrotherawards.eu.org/ 36 http://www.graffitiforgod.org/ 37 http://www.genpets.com/index.php 39 http://www.ordigami.net/artistesanstete |
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