L 'AFRIQUE NOIRE
Malgré son amitié naissante pour Caillard, la tentation de voyager tenaille à nouveau Maurice. Tout l'y pousse : les difficultés de sa vie à Paris et surtout les nouvelles désillusions, entretenues par ses rencontres avec Suzanne Dinkes.
Partir pour moins souffrir et pour sauvegarder son travail :
- en mai, déjà, il avait dit : – Je me paierais bien volontiers un voyage à Tombouctou ou seulement Dakar ;
- en octobre il avait confirmé son intention de se préparer au cas où il (lui) serait possible et avantageux d’entreprendre un voyage.
Comme lors de son départ en 1914, la décision intervient brusquement :
- Avec le concours de Manuel Ortiz de Zarate, Loutreuil a postulé une place de professeur de dessin à Quito ; la réponse se fait attendre (elle sera négative).
- Après s’être enquis d'un emploi possible, comme manœuvre ou aide quelconque dans la navigation pour quelque destination de l'Afrique ou l’Asie, l’artiste arrête son choix sur le Sénégal.
- Sans même cadenasser la porte de son atelier, sans même prévenir ses amis, sans préparation, et avec des moyens nettement insuffisants, Maurice quitte Paris pour Marseille, où Marthe Lepeytre a raconté plus tard l’avoir vu la veille de son embarquement - pour la dernière fois -, au cours d’une entrevue qui tourna plutôt à l’affrontement.
De Marseille, le peintre voyageur annonce à son frère son départ le 30 novembre, : – je pars ce matin sur “ l'Arménie ” compagnie Paquet, pour Dakar, où je compte travailler quelques mois (un collectionneur m'a fait avoir un billet gratuit de Marseille).
Traversée difficile comme passager de pont en compagnie d'émigrants turcs et arabes avec lesquels il doit coucher une partie du temps sur une passerelle de la machinerie, sans manquer pour autant de faire beaucoup de croquis sur le bateau et même de la peinture au milieu d’eux !
L’arrivée est décevante : – tous les obstacles se sont dressés tour à tour, et comme si ce n’était pas assez de débarquer à Dakar avec une blennorragie attrapée avant mon départ…
Certes, il y a des types magnifiques et les femmes une fois parées ont une allure merveilleuse ; mais la vie hors de prix à Dakar et les conditions de travail difficiles obligent rapidement Maurice à partir vers le sud ; à Ziguinchor, en Guinée française, d’abord ; puis - faute d’avoir pu s’y loger - en Guinée portugaise, dans l’espoir d’aller travailler à Bissao.
Arrivé à San Domingos, où il est pour Noël, Loutreuil passe quelques jours dans la précarité la plus totale, sans avoir pu encore manger, ni coucher convenablement depuis son départ :
– Dans ce petit poste de l'intérieur de la Guinée Portugaise où il n'y a que le commandant d'Européen – Il n'y a aucun commerçant et les nègres n'y ont rien à vendre, sauf, par exemple, une femme que je pourrais me procurer pour 150 fr. et il y en a de très jolies. C'est très tentant.
– Je me borne au végétalisme et je vais très bien, sauf cette maudite blennorragie qui m'empoisonne toute l'activité.
– Je vis uniquement de riz que je fais cuire tant bien que mal dans de l'eau pas très bonne.
– Jusqu'à présent malgré tous les conseils qu'on m'a donnés, je n'ai pris ni casque, ni lunettes, ni quinine.
– Heureusement que le Commandant du poste portugais où je me trouve, est un homme charmant qui fait tout ce qu'il peut pour m'aider
Toujours sensible au “ milieu ambiant ”, et à défaut de pouvoir travailler comme il voudrait, Maurice ne manque pas de s’intéresser à la richesse du monde végétal et animal qui l’entoure, au cours de promenades en brousse, en automobile, avec l’administrateur portugais, et quand les panthères viennent jusque dans le poste…
1924
– Mais, cette vache de guerre avec laquelle on en a jamais fini, a désorganisé le service des bateaux. Le voyageur se voit contraint, le 4 janvier, de revenir sur ses pas en regagnant le sud du Sénégal.
Ramené en automobile par un gros commerçant qui l’héberge gratuitement, Loutreuil trouve finalement à Ziguinchor, sur les rives de la Casamance, des conditions de vie acceptables dans ce pays admirable, et surtout une abondance de modèles dont la beauté n'a rien à envier à celle des indigènes de Dakar.
Stimulé par les nouvelles venues de France concernant les ventes de ses peintures par Caillard, ainsi qu’au Salon d’Automne et à Madagascar, Maurice reste là deux mois, bien décidé à travailler d’arrache-pied et qualitativement, avec le souci de lutter contre la couleur locale afin de ne pas rapporter des tableaux trop pompiers ! ” Homme assis fumant la pipe ”, “ Sénégalaise en rose ”, “ Mère allaitant son enfant ” en témoignent, comme aussi ces paysages, peints sous ces arbres, dont André Malraux dira qu’ils sont “ semblables à des platanes géants qui étendent sur la forêt leurs branches souveraines et ne se souviennent plus du temps où ils parlaient aux hommes… ”.
La multiplicité des obstacles rencontrés (en dernier lieu une infection par la puce du porc) incite finalement le peintre à revenir directement à Paris, convaincu que l'Afrique n'est pas encore à la portée des budgets modestes.
On peut toutefois se demander si l’arrivée d’une lettre de Suzanne Dinkes, lui annonçant que son divorce récemment prononcé refaisait d’elle une femme libre (bien qu’elle fût enceinte à l’époque) et lui déclarant “ vous êtes l’Etre que je respecte et que j'admire le plus de toute la terre ”, n’est pas venue hâter quelque peu son retour…
Après de brèves escales aux Canaries d’abord, puis, à Casablanca le 16 mars, il revient à Paris le 21 mars, nanti d'une importante série de portraits et de quelques paysages, mais épuisé au point que le médecin lui conseille - mais en vain - d’entrer à l’hôpital.
Retour plutôt heureux. Loutreuil retrouve ses nouveaux amis.
Caillard - dont il peint le portrait - lui fait les honneurs de son achat à Rodolphe Bosshard de la petite tête que les 2 amis avaient remarquée comme une très bonne pièce, au Salon de la Folle Enchère, peu avant le départ de Maurice pour le Sénégal.
Christian l'embauche aussitôt à Belleville pour faire du batik à cinq francs de l'heure (des écharpes sur crème de Chine en particulier), et lui permet ainsi d’arrondir son budget sans trop de fatigue, puisqu'il n'a pas à se déplacer pour ce travail.
Champigny, de son côté, se démène pour présenter et vendre ses toiles : une dizaine trouvent acquéreur entre le 12 mai et le 15 juin !
Maurice accepte d’autre part de revoir Suzanne Dinkes, en indiquant toutefois : – Ce que nous aurions pu être l'un pour l'autre est définitivement clos et terminé par son mariage, même alors qu'elle est à présent divorcée – mais elle peut venir tant qu'elle voudra – elle sera la bienvenue – mais à condition que je garde toute ma liberté – quant à l'enfant qui doit venir je ne veux en aucune façon faire connaissance avec lui.
Contrairement à ces intentions, il n’est pas exclu que le peintre ait vu l’enfant, au moins une fois, à l’occasion d’un rendez-vous avec sa mère dans les premiers jours d’octobre, devant le mur des Fédérés du Père Lachaise, près duquel Suzanne avait l’habitude de promener l’aînée de ses 3 filles, née le 27 avril précédent, de sa première et brève union.
Ainsi paraît devoir s’ébaucher autour de Loutreuil la formation d’un petit groupe de jeunes artistes, “ unis ” - selon André Warnod - “ par des liens d’amitié ” (et de voisinage) “ autant et plus peut-être que par une parenté esthétique – qui savent garder intact chacun leur tempérament mais travaillent dans le même sens, ayant tous pour leur art le même amour et le même respect… ”.
De ce petit cénacle bellevillois de la rue du Pré-Saint-Gervais, qui existera quelques mois à peine, le journaliste ne manque pas d’ajouter que “ ces peintres ont en eux de grandes possibilités mais (que) ce serait les trahir que trop parler de leur collectivité. – Les routes qu’ils suivent sont différentes… ”.
Pas question donc ici, d’une Ecole du Pré-Saint-Gervais, pure invention dont l’appellation est apparue plus tard, sous la plume de commentateurs avides de créer des formules.
Il s’agit tout au plus du respect de jeunes peintres envers leur aîné, Loutreuil, et son œuvre issu des chemins de Montparnasse, autant que d’une brève amitié, que rendra éphémère la mort prématurée de l’artiste.
Parmi ces jeunes artistes figurent Eugène Dabit, (peintre avant de devenir écrivain et l’auteur de “ Petit Louis ” et de “l’Hôtel du Nord ”), que Caillard a connu à l’académie Biloul, et la jeune Béatrice Appia, peintre et graveur devenue l’épouse de Dabit en juillet 1924.
Au fil des mois qui suivent vient rapidement s’ajouter, à la déficience chronique due à la contamination antérieure de Loutreuil, le poids d’une maladie supplémentaire, sans doute contractée en Afrique, et dont les conséquences lui seront fatales.
Bien que très éprouvé par le mal qui chemine en lui, Maurice trouve la force d'adjoindre à son atelier de bois un étage qu’il terminera au cours de l’été.
Le 2ème Salon des Tuileries, où se retrouvent en mai, avec les Français, de nombreux artistes étrangers de ses amis, tous démissionnaires du Salon des Indépendants (et souvent ses compagnons de cimaise au café du Parnasse et à la galerie de L’Encrier), accueille deux peintures de lui dans le Palais de bois des frères Auguste et Gustave Perret à la Porte Maillot.
Montparnasse est dès lors moins présent dans la vie de Loutreuil, sans doute à cause de la maladie qui l’en éloigne mais aussi parce qu’à l’usage, son atelier de Belleville se révèle favorable à son travail comme à l’accueil de ses amis anciens et nouveaux qui s’habituent à en prendre le chemin – peut-être aussi, enfin, parce que disparaît à l’époque le café du Parnasse, dont il avait été l’une des “ figures ” avant que les orientations qui précédèrent sa vente en 1923, suivie de son absorption par la Rotonde en juin 1924 , déterminent la revue “ Montparnasse ” et la Compagnie des peintres et sculpteurs professionnels, à se tourner vers d’autres lieux pour exposer, (notamment la galerie la Licorne, puis le Caméléon et la Closerie des Lilas).
Aux premiers jours de l'été, désertant la Sarthe, Maurice quitte Paris pour la Normandie.
Le Calvados, en premier lieu, le laisse sous le charme d’une promenade de 15 kilomètres à pied, sur la route de Honfleur à Trouville dans les premiers jours de juillet : – Je trouve toujours ce pays très beau et il y a pas mal de coins intéressants où on peut y monter un pied à terre, j'y penserai quand j'aurai vendu beaucoup de peintures – si je puis continuer à peindre et à vendre.
Puis Loutreuil s’établit dans l’Eure à Conches, chez Monsieur Pique, rue du Val, à la recherche de nouveaux paysages.
Depuis Saint Elier tout proche, Christian Caillard et Irène Champigny, arrivés quelques semaines plus tard, le tirent de la solitude et de l’ennui.
Revenu à Belleville le 15 août, porteur de quelques toiles nouvelles, le peintre trouve la force de terminer les travaux de son atelier, mais passe la fin de l'été dans un état de grande fatigue, et parfois même de prostration. Son travail s’en ressent et il en est conscient : – Je n’ai pas énormément travaillé – D’une manière générale, en ce moment, la qualité du travail n’est pas ce que je désirerais et je ne sais pas à quoi ça tient…
Son frère et sa belle-sœur passent à Paris en octobre.
Il les y voit, pour la dernière fois semble-t-il.
Le 1er novembre, Maurice présente une nature morte au 17ème Salon d'Automne.
Mais l'état de santé de Loutreuil devient alarmant et nécessite son hospitalisation le 20 novembre, ce qui l’oblige à renoncer à l’offre amicale d’Ortiz de Zarate d’exposer dans la toute nouvelle galerie Carmine.
Son admission à l'hôpital Broussais pour quelques jours ne l'arrête cependant ni dans la rédaction de ses idées sur la peinture, dont l'objet essentiel est, selon lui, une construction de la sensibilité, ni dans ses projets.
Inlassablement et passionnément, le peintre poursuit sa réflexion sur l’Art. Les derniers maîtres dont il citera l’exemple, moins d’un mois avant sa mort, seront Cézanne, Renoir et Rodin.
Et puis, peut-il faire autrement que d'afficher un optimisme de circonstance que tous autour de lui semblent partager ? : Ses toiles se vendent; même en l’absence d’acheteurs sarthois. – Une camarade russe que j'ai rencontrée dernièrement m'a dit qu'elle m'avait fait acheter une toile par Rothschild. – …alors que je commence à avoir des toiles dans pas mal de collections et que certains en ont jusqu'à une dizaine, pas un seul Sarthois jusqu'à présent ne m'a acheté une seule toile.
“ Nul n’est prophète en son pays… ”, rappellera à ce sujet son ami René-Noël Raimbault, à peine un an plus tard, dans la Revue Mancelle.
Une exposition est en cours ; réalisée par Irène Champigny sur l’initiative d’André Warnod qui la fait engager comme vendeuse : – J'ai en ce moment jusqu'à la fin du mois des toiles avec un groupe d'amis dans la Galerie de la “ Maison de Blanc ” place de l'Opéra.
Une autre est en préparation.
“ Le Libertaire ” lui consacre un important article et publie ses pensées sur la peinture.
Ses amis anciens et nouveaux l'entourent : Emile Perrin, Marcel Stahli (le céramiste), François Gibon, Georges Letessier, mais aussi André Boss et Marcel Peyrouton (jeunes amateurs), M. Delfini (Préfet de l’Isère, qui lui achète des œuvres importantes), Eugène Dabit, Béatrice Appia, Irène Champigny, et bien sûr, Christian Caillard, avec lequel il projette d'aller peindre dans le midi.
Suzanne Dinkes aussi lui rend visite. Son emprise sur lui semble se faire moins lourde, bien qu’il s’avoue toujours incapable de s’y retrouver dans ce problème de l’homme et de la femme, au sujet duquel, rappelle-t-il, Stendhal écrit “ L’amour est la seule passion qui se paie d’une monnaie qu’elle fabrique d’elle-même ” . – sa dernière citation d’un écrivain…
Mais, n’est-ce pas de lui-même aussi, qu’il a choisi de “ s’incarcérer ” dans sa recherche d’artiste et dans ses convictions, au point de déclarer avoir refusé le mariage – par discipline morale personnelle ?
La nouvelle d'un début d'incendie survenu dans son atelier de la rue du Pré-Saint-Gervais dans les premiers jours de décembre, alors qu’il avait confié celui-ci à Caillard pour y travailler, ne semble pas troubler le malade.
Serré dans un coin, au risque de mettre le feu à tout ce qui s’entassait à proximité, d’objets et de tableaux, un pauvre poêle rond en tôle, équipé, - pour toute cheminée - d’un tuyau vertical acheté aux puces, qui se coudait peu avant le plafond pour s’échapper vers l’extérieur, assurait en rougeoyant le chauffage de la pièce.
L’incendie prévisible survint.
Caillard, absent, revint fort heureusement à temps pour qu’une intervention rapide permît de protéger des flammes la plupart des toiles et des cartons de dessins et d’aquarelles en les précipitant dehors, tandis qu’on s’affairait à sauver l’atelier de la destruction.
Quelques huiles, atteintes néanmoins, brûlèrent partiellement ou cloquèrent à la chaleur, comme ce “ grand nu brûlé ” que le sculpteur Jean-Claude Ammann prit pour modèle de sa médaille consacrée à Loutreuil par la Monnaie de Paris en 1982.
Le jeune peintre, pas très fier, dut informer Loutreuil du sinistre. – Ca ne fait rien, commenta Maurice en apprenant l’incident, (surtout préoccupé qu’il était par la peur qu’avait pu éprouver Caillard) – L’essentiel, c’est que je les ai peintes.
Loutreuil ne devait plus revoir son atelier.
1925
L'état de santé de l’artiste continue à se dégrader. Face aux crises douloureuses qui se succèdent, les ponctions répétées ne font qu’apporter un soulagement passager à Maurice, qui ne manque cependant pas, à l’occasion, de commenter avec humour son état auprès d’un de ses visiteurs :
– Voyez ; moi qui n’ai jamais eu d’argent, j’ai un ventre de propriétaire !
Rien ne paraît toutefois inciter son entourage à redouter une issue fatale prochaine, aussi Christian Caillard est-il parti travailler dans le midi, dans l’attente d’y être rejoint par Loutreuil à sa sortie d’hôpital.
L’inquiétude et le trouble moral n’en gagnent pas moins le malade, dont personne n’a compris qu’il est, en fait, mourant.
Venue le voir le 1er janvier et lui faire part de ses propres angoisses du moment, Irène Champigny a raconté, plus tard, comment, à l’occasion de sa visite, le peintre avait exprimé sans réserve l’immense peine d’avoir tant et si inutilement donné de lui :
“ – Ses grandes mains inoccupées, vides de pinceaux, déjà comme étrangères à la vie, feuilletaient machinalement un livre.
– Son visage amaigri tremblait – ses lèvres remuaient sans mots et la douceur de son sourire lassé était comme le prolongement du regard avide de ses yeux creux.
– Il voyait bien profond en nous. Soudain, il sembla y rencontrer les brutalités même de sa propre vie ; une épouvante inouïe le fit balbutier ; on sentait qu’il eut voulu crier, il parvint à se hisser dans son lit, à s’asseoir seul, et dans un inoubliable élan, il tendit les bras et, de toute sa confiance, appuya contre notre épaule sa figure où coulaient de grosses, de lourdes larmes d’homme en murmurant : “ – Oh ! ne faites pas comme moi, défendez-vous, défendez-vous…nous n’avons pas le droit de nous laisser gâcher par les autres – ”.
Doutant de ses forces vitales, mais pressentant que la reconnaissance tant espérée de ses efforts est enfin en marche, Maurice écrit tour à tour, dans la dernière lettre qui soit connue de lui à son frère Arsène :
– Si la santé se rétablit j'ai devant moi les plus belles perspectives de réussite.
– Quel dommage si je n'arrivais pas à bien me rétablir – alors que mes efforts et souffrances antérieures semblent sur le point de produire leur fruit.
C’est dans cet état d’esprit qu’en quelques lignes informelles, écrites onze jours avant sa mort, il prend soin de léguer à son jeune ami Caillard, (sa) maison et terrain de la rue du Pré-Saint-Gervais – ainsi que tout ce qui peut se trouver dans cette maison, y compris (ses) travaux – pour disposer de tout comme bon lui semblera, précisait-il en huit mots dont il appartiendrait au légataire d’apprécier la portée…
En dépit des assurances données par les médecins à Irène Champigny, une péritonite accompagnée d’une forte infection, vient bientôt hâter le décès de Loutreuil qui s’éteint seul à moins de 40 ans, au matin du 21 janvier.
L’autopsie confirmera une cirrhose hépatique atrophique qui ne pouvait être que fatale (cirrhose d’origine virale, puisque Maurice ne buvait pas d’alcool).
Coïncidences bien symboliques : L’artiste meurt la semaine même où André Warnod regroupe dans Comoedia, sous le vocable “ Ecole de Paris ”, ces artistes novateurs français et étrangers - au nombre desquels il s'était rangé - dont le progressisme indépendant avait marqué depuis un quart de siècle la vie parisienne, et quelques jours, à peine, après que le critique ait écrit dans le même journal à son sujet::
“ … Nous faisons une place à part à Loutreuil qui est à mon sens un peintre qu'on découvrira un jour et qu'on s'étonnera de ne pas avoir connu plus tôt. Il y a dans sa peinture une puissance sereine et une générosité qui font palpiter ses toiles d'une vie intense, de cette vie intérieure qui est la marque des œuvres de classe. On éprouve devant ses toiles le petit choc qui ne trompe pas ceux qui aiment la peinture. Il y a dans cette peinture une dignité que retrouvent dans la vie du peintre ceux qui connaissent Loutreuil ; une peinture rude, brutale même, la peinture d'un homme qui s'exprime comme il le peut, avec les moyens dont il dispose, avec parfois une maladresse qui vaut mieux que toutes les habiletés du monde. Mais il comprend ce qu'est la lumière, l'air, la couleur, la peinture enfin ! Son tempérament, sa sensibilité apparaissent intacts.
C'est la peinture de cette sorte qui nous paraît devoir le mieux résister aux cours des saisons ”.
Quelques heures après la mort de leur compagnon, Eugène Dabit lui rend hommage, en dessinant de lui un émouvant portrait ; puis Emile Perrin fixe dans le plâtre l’empreinte de son visage, avant qu'on l'emmène reposer près des siens dans la terre de Chérancé, et que Caillard, - l’ami qui avait ensoleillé ses quinze derniers mois - dépose sur sa tombe une brassée de mimosas rapportés du midi, où tous deux avaient espéré se retrouver pour continuer à consacrer à la peinture… leurs VIES.
Jean LEVANTAL
Paris 10/06/2006 Note de l’auteur : “ ….Je ne sais si tu as jamais senti toute la plénitude de notre longue fraternité, sa gravité et sa beauté …. ”
(G. PAPINI) Tout autant qu’ils mériteraient d’être inscrits dans un musée, au bas du portrait émouvant que Loutreuil a laissé de son frère, ces mots, extraits d’un livre qu’il aimait, paraissent désignés pour servir de conclusion aux lettres de Maurice à Arsène, aussi bien qu’ils pourraient en tenir lieu pour les lettres de Vincent à Théo Van Gogh. Tabarant constatait d’ailleurs, au sujet de Vincent comme de Maurice, un an à peine après la mort de ce dernier : “ Leurs abondantes lettres sont de même encre. Les mêmes idées, d'humanité et d'art, les font mouvoir, les secouent jusqu'à les terrasser ”.
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