VOYAGE EN BELGIQUE
Fin avril enfin, sept mois après leur première entrevue, il reçoit de Brandon la commande d’une fresque décorative pour la porte d’entrée du pavillon français dont il est l’architecte à l’exposition Universelle et Internationale de Gand, commande au sujet de laquelle Maurice écrit en pleine euphorie : – Je tiens enfin la commande de Gand – J’ai enfin réussi à la prendre d’assaut, tels les Monténégrins à Scutari.
En dépit de cette satisfaction, il n’en est pas moins troublé à l’époque par la vie qu'il mène et par la lutte qu'il lui faut soutenir sur tous les fronts - y compris face à lui-même -, au point d’en venir déjà à songer que partir est la seule solution : – J'ai maintenant, une fois les difficultés du début aplanies, la possibilité de gagner ma vie, mais au prix de quels sacrifices ; ou bien je ne gagne rien et je me lamente, ou bien c'est le contraire et alors je me dégoûte pour le temps précieux que je perds . – J'éprouve le besoin de m’en aller car je ne peux accepter la vie hypocrite de la bourgeoisie, ni la vie vaine et inutile des gens du monde, ni la vie déréglée de la plupart de mes camarades et encore moins celle des gens subalternes de toutes conditions... Comme tout se tient, il est impossible de faire quelque chose de bon au milieu de tant d'influences mauvaises dont je veux absolument me dégager et je ne puis le faire ici ; je ne suis pas encore assez fort pour m’imposer. Tous les bras se tendent pour vous aider à vous rabaisser, mais quand il s'agit de s'élever, il faut lutter contre tout le monde.
Le dépôt, le 8 mai, d’une demande de bourse pour les colonies , (qui lui sera d’ailleurs refusée), confirme son désir d’éloignement.
L’exécution le mois suivant de la fresque de Gand, partagée avec Chotin, lui donne l'occasion de faire du 5 au 14 juin son premier séjour à l'étranger.
Ce voyage d’une dizaine de jours entre Bruges, Bruxelles et Gand, est une révélation ; mais il en rapporte l'impression nette d'une lutte effective entre l'Allemagne et la France.
Il s'en ouvre à son ami François Gibon, en même temps qu'il lui confie ses rêves de voir un équilibre social se bâtir un jour, grâce à l'union des intellectuels et des travailleurs qui sont en réalité les seules forces créatrices humaines contre les politiciens et religieux de tous les partis et de toutes sectes parasites...
Il convient de préciser que, au temps où Marthe Lepeytre était la confidente des vues de Loutreuil sur l’Art, François Gibon était son interlocuteur privilégié dans le domaine de la politique, comme en témoignent certaines des lettres que lui a adressées l’artiste . Né à Gorron (Mayenne) mais fixé à Paris, où il était alors sous chef de Bureau aux Beaux Arts, cet ami de longue date, qui paraît avoir connu les frères Loutreuil avant l’arrivée de Maurice à Paris, tient tout au long de la vie du peintre, auquel ses conseils et son appui n’ont jamais fait défaut, une place particulièrement importante.
François Gibon préparait à l’époque un ouvrage sur les légendes de la Mayenne, pour la couverture duquel Maurice devait entreprendre de réaliser une eau-forte.
Une seconde commande de Brandon, en juillet 1913, portant sur 12, puis 18 dessus de portes pour une maison de rapport, constitue pour Loutreuil un important encouragement et l’incite à vouloir lier fresque, ballet et musique : – J'ai l'intention pour cette commande de faire au cours des 18 panneaux toutes sortes de fantaisies avec un essaim de jeunes filles – un peu comme seraient les figures d'un ballet – et si ce ballet représentait la vie quotidienne classique, je serais heureux si on y sentait un rythme musical aussi bien dans la composition que dans les couleurs.
Il en étudiera les projets, jusqu’à ce que la guerre en empêche l’exécution sur place en août de l’année suivante.
Quittant la rue des Canettes, Maurice se fixe 15, rue Edouard Jacques, à partir du 9 octobre, dans un local de 320 f. petit mais très ensoleillé et donnant sur rue, à deux pas de Montparnasse.
En novembre, il présente un paysage au 11ème Salon d'Automne, dont il fait le commentaire : – Le Salon d'Automne vient d'ouvrir – je l'ai trouvé très intéressant. Il n'y a peut-être pas d’œuvres géniales, mais presque toutes sont attrayantes, quoique on n'y sente pas mal de partis-pris – cette année l'envoi de Lombard me semble tout à fait pompier (classique) et j'aime mieux celui de Friesz qui est très solide – mais il emprunte beaucoup à Cézanne.
En cette fin d’année, l’attention de Loutreuil pour le monde de la musique reste par ailleurs très vive : – Que pensez-vous du nouveau directeur de l'Opéra, Rouché – il dirigeait le Théâtre des Arts et était seul à Paris pour tenter de sortir de la routine – je crois que sa nomination marque un changement dans les vues du gouvernement ; puisse-t-il en préparer un autre dans celles du public. – Je lis en ce moment un volume de Romain Rolland sur Beethoven, en voilà un qui a souffert du mauvais goût du public ; et il en a plus souffert parce qu'il était plus grand et il exprime bien à sa façon que l'homme a droit à toutes les libertés en disant “ il n'est pas de règle qu'on ne puisse enfreindre pour faire plus beau ”.
1914
Court séjour en janvier dans sa famille ; sans doute l'une des dernières rencontres avec ses cousins germains d'Alençon, Robert et Raymond Loutreuil, auxquels le lie une forte affection, et qui tomberont tous deux au champ d'honneur dans les premiers mois de la Grande Guerre.
Masson vient souvent à l’époque travailler avec Maurice ; – c’est sa petite sœur qui pose, précise ce dernier.
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