BOURSE EN ITALIE
A Paris, Loutreuil et MASSON reçoivent chacun, avec l'appui de P. Baudouin, une bourse de 300 f. pour étudier un mois la fresque en Toscane.
C'est le second voyage important de Maurice. Le 30 mars, ils sont à Florence pour 15 jours (pension de Mad. Olympia Moradeï, via Palestro), visitent Assise, Sienne, Pise (le Campo Santo), et découvrent les chefs d’œuvre de la peinture italienne, avant de rentrer par Modane.
Non sans faire quelques réserves sur le choix des motifs de Fra Angelico, qui témoigne selon lui d’un peu trop de soumission et d’asservissement, Loutreuil apprécie tout spécialement Masaccio, Signorelli, Donatello, Botticelli, avec une mention spéciale pour deux portraits par Giorgione et Rembrandt vus à Florence.
Plus que par Masaccio et Giotto, André Masson retiendra, pour sa part, qu’ils furent aussi “ éblouis ” par Ucello (le cloître vert), les grandes esquisses de Rubens, le printemps de Boticelli, avec le regret d’avoir manqué Piero de la Francesca dont P. Baudouin avait omis de leur parler.
Rentré à Paris, Maurice travaille, - souvent en compagnie de Masson - dans l'atelier spacieux de son ami le peintre hongrois Ralph Téléki, (6, rue Huyghens), qu’il utilisera jusqu’à son installation rue Guénégaud à l’automne. Emile Lejeune devait fonder à la même adresse un peu plus tard “ Lyre et palette ”, qui présenta dans son atelier, à partir de 1916, expositions, concerts et conférences, à une époque - il est vrai - où Loutreuil était absent de Paris.
La donation Nissim de Camondo, comme la nomination, quelques mois plus tôt, d’un nouveau directeur à la tête de l’Opéra, sont pour Loutreuil des nouvelles qui vont dans le sens du changement auquel il aspire : – …Avec la collection de Camondo vient d'entrer au Louvre des peintres encore vivants, ce qui ne s'était jamais produit – cela et aussi le changement de direction de l'Opéra fera beaucoup je crois pour l'art moderne.
L’héritage de sa grand-tante Barre qui lui échoit en juin, paraît de nature à faciliter ses projets, et parmi ceux-ci, la location pour 1.000 f., au début de l'été, d’un atelier 71, avenue de Clichy, à deux pas de celui où enseigne Ferdinand Humbert, dans l'espoir bien vain de s'y installer avec Claudine Roland. Ce projet doit en effet bientôt être abandonné, à la suite de désaccords entre eux, s’ajoutant sans doute à l’obligation pour Claudine de faire à Berck des séjours répétés, en raison de sa maladie.
C’est d’ailleurs de là-bas, début septembre, qu’après s’être trouvé auprès d’elle, (pour la dernière fois, semble-t-il, avant la guerre qui les séparera), Loutreuil regagne Paris à bicyclette.
Après ce bref écart sur la rive droite, il emménage en octobre, 5, rue Guénégaud dans un petit atelier confortable de 420 f. par an, avec la moitié de la vue donnant sur la Seine, qui sera son domicile officiel jusqu’au printemps de 1918.
LA GUERRE
Les hostilités sont déclarées ; Reims bombardé.
Par acquit de conscience et pour faire nombre Loutreuil, en appelle, le 21 septembre, à la paternelle initiative de Rodin pour susciter un mouvement universel pour une action humanitaire des artistes face à la guerre, en vue d’en arrêter les effets funestes.
– Pourquoi l'Art, en ces moments, ne ferait-il pas apparaître son action plus haute et sa toute puissance bienfaisante, ajoute-t-il, tout prêt à déplorer les mesures que les Salons de la Nationale et des Artistes Français ont prises contre les artistes allemands qui ne sont probablement responsables de rien.
– Ces mesures, selon lui, ne peuvent que diminuer les forces de camarades qu’il nous faudrait aider et non maltraiter car leurs armes à eux servent les nôtres et elles ne sont pas meurtrières.
Le peintre approuve au même moment l’action énergique en faveur de la paix, des deux allemandes anarchistes Rosa Luxembourg et Clara Zetkin, toutes deux membres du groupe clandestin Spartakus, noyau du communisme allemand apparu en 1918, et dont la première d‘entre elles devait mourir, dès janvier 1919, des coups reçus en prison : – Voilà ce que j’appelle servir Dieu..
Peu après avoir écrit aux siens je pourrai vous envoyer, si cela vous intéresse, quelques œuvres, par exemple “ Candide ” de Voltaire, qui vous montreraient la guerre sous son vrai jour, Maurice apprend la mort au front de son cousin Robert, tué le 12 novembre.
Bien qu’il ait, quant à lui, été jugé à l’origine impropre au service armé comme au service auxiliaire, par le Conseil de révision de sa classe, et réformé (exemption du service militaire que confirmera le certificat établi le 21 août par la Préfecture de la Sarthe), un nouvel examen du Conseil de Révision de la Seine, déclare le 14 décembre Loutreuil propre au service auxiliaire, après que seul ait été retenu un emphysème pulmonaire.
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