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Architecture : Joli mois de mai quand reviendras-tu ? Architecture : Joli mois de mai, quand reviendras-tu ? Jean-Pierre Lefebvre Nostalgie romantique ou constat de déshérence ? Avant de rassembler ces quelque trois années de commentaires architecturaux et urbains, j’ai été pris d’un doute. N’ai-je pas consacré trop de place à la démolition du quartier des Poètes à Pierrefitte pour la simple raison que j’en avais été le constructeur ? Comme au Grand Paris qui me ramène à la première moitié de ma vie sur l’aval des bords de Seine ? J’ai donc résolu de feuilleter à la librairie du Moniteur livres récents et revues : peut-être s’était-il passé cette année de par le vaste monde quelque résurrection qui m’ait échappé ? Découvrir un rien d’architecture est un des plaisirs les plus rafraîchissants qui soit et on ne peut avoir raison seul contre tous quand bien même le statut d’imprécateur peut ne pas manquer de charme. Des milliers d’étudiants apprennent chaque année auprès de centaines de professeurs émérites l’architecture dans une vingtaine d’écoles, autant l’urbanisme dans une autre vingtaine d’instituts auprès d’autres centaines de professeurs émérites. Il est impossible que cet immense effort de l’intelligence nationale n’aboutisse à quelque impalpable floraison dans nos villes et nos campagnes. Un coup d’œil fugace depuis l’inextricable lacis des autoroutes, ne révèle-t-il pas dans le Tsumani de pavillons et de plots affligeants de médiocrité, un bâtiment industriel joliment troussé dans son bardage métallique pimpant voire une audace formelle (façade décalée et bien percée, cylindre, escalier extérieur, chapeau à visière, etc.), un collège ne va-t-il témoigner par ci par là d’un attendrissant effort de faire moderne (ou post) au moyen du copié collé des revues in ? N’a-t-on pas avancé un peu, n’arrive-t-il pas que le paysage perde un peu de son insupportable vulgarité ? La culture diffuserait ainsi lentement par le biais patient de façades mieux fonctionnalistes, de dessins orthogonaux aux deux dimensions un peu plus soignées, héritées du Corbusier ou de Mallet-Stevens… Un effeuillage rapide m’a comme chaque année consterné. Sans doute peut-on contester une méthode de sondage si peu rigoureuse mais il est bien ingrat d’affliger son regard en restant en apnée dans l’horreur industrielle et mercantile : attitude aussi masochiste que de scruter la file de reno-pijo uniformément laides en sortie de chaîne comme au long des trottoirs… Dans les revues, en dehors de quelques parallélépipèdes de luxe qui contrastent avec des natures agrestes, la série épouvantablement rigide et pauvre des boîtes prolifère sur les cinq continents dans une morne répétition qui s’aggrave fatalement avec la densité des bâtiments. Force est de me replonger dans les eaux délétères de la vitupération en dépit de la lassitude qu’elle finit par engendrer. Je veux me convaincre pourtant que l’architecture est une discipline autonome qui suit une histoire artistique propre sans être mécaniquement inféodée à l’économie et à la lutte des classes comme l’affirmait un peu simplement Engels au siècle avant dernier dans son droit au logement. L’Europe capitaliste, démocratique et libérale sur tout son territoire, exhibe cependant de fortes différences sur la place et la valeur des architectures nationales, entre la Scandinavie, l’Autriche d’une part et l’Allemagne, la France ou l’Italie, de l’autre, au détriment de ces dernières. Comment expliquer la belle anomalie de Graz, où l’architecture tient une place considérable sinon comme une bizarrerie culturelle sur fond de patriotisme provincial (contre la prédominance viennoise) ? Idem Pour les Basques ou les Catalans, quand bien même ils s’appuient moins sur la richesse de concepteurs compatriotes comme en Autriche Domenig, Siskowycz, Kowalski, etc. A chacune de ces percées s’est déroulée une histoire autonome de la spécificité artistique, une tradition s’est forgée qui a mieux résisté à la pression réductrice du bulldozer économique. En France même, le secouement de la tutelle archaïque et réactionnaire des prix de Rome qui épousait si bien la férocité profiteuse des Bouygues naissants, a suscité entre 1960 et1981, une floraison féconde d’architectures inventives et vivantes : Parent, Renaudie, Schein, Lay, Friedmann, Gailhoustet, Kalouguine, Simounet, puis Buczkowska, Porro, Gaudin, Borel, Brunel et tant d’autres épousaient peu ou prou la vague de progrès social et culturel qui balayait la France... Rien à voir avec l’amas de fausses gloires et de rois tous nus du hit parade contemporain de l’insignifiance, illustré par les scandaleux derniers grands prix formatés à l’IFA, les Equerres du Moniteur, les sommaires d’AMC, les rubriques d’Edelmann et les cours d’architecture, depuis trente ans imperturbablement obséquieux au tout venant ! Comme j’ai tenté de le dire dans : Faut-il brûler les HLM ? (L’Harmattan, 2008), la création architecturale est affrontée en première ligne aux deux hydres qui dévastent le pays et que les cohortes de mai 68 avaient si bien identifiées : le mercantilisme capitaliste et la bureaucratie étatiste, instrument du premier qui lui ajoute ses propres tares parasitaires. La Sodédat 93, cette expérience d’écologie urbaine (Le Linteau, 1999) que j’ai pu mener vingt ans en Seine Saint Denis pour les collectivités communistes, en soutenant la pointe de l’architecture créative du moment, notamment nombre de jeunes et valeureuses équipes, a dû combattre violemment ces deux fléaux. Nous n’avons pas toujours gagné, quand bien même le bilan (voir ci après) témoigne de la possibilité de renverser absolument les tendances principales à l’étouffement, à la médiocrité de l’antiville dont parle Henri Lefebvre où la valeur d’échange efface toute valeur d’usage. Avec le soutien d’élus portés alors par une vague idéologique positive, elle a pu ouvrir à une urbanisation proxémique plutôt que prothétique qu décalque le système de stockage des humains sur la forme des réseaux de desserte de l’urbanisation, comme le dit joliment Françoise Choay. J’ai tenté de définir l’édification de la ville comme une triade dialectique entre le maçon, l’habitant et l’architecte, selon le poème d’Hundertwasser, qui sont aujourd’hui, les trois secteurs, de l’économie, de la politique et de la création. La théorie du chaos énonce qu’une contradiction ternaire n’a pas de solution linéaire. L’économie de marché toute puissante a en effet digéré les deux autres facteurs, résolvant ainsi la contradiction aporétique. En dehors de quelques objets de haut luxe, appuyés sur la CAO, le modèle imposé, qu’on ne discute plus nulle part, est la boîte, laquelle permet le confort des dirigeants des très grosses entreprises et le profit maximum, fixé arbitrairement à 15 % minimum, ce qui élimine toutes fantaisies telles que la satisfaction des désirs sociaux ou esthétiques des simples gens mais garantit le gonflement exponentiel des bulles spéculatives jusqu’à l’explosion financière de 2008, dont la réplique ne saurait tarder. La publicité prend le relais pour asséner ses contrevérités et faire prendre des vessies pour des lanternes et les bicoques de Borloo pour la quintessence créative: la boîte est sacrée incontournable par l’appareil productif, reprise par les appareils étatiques où la loi du moindre effort et de la logorrhée prime toujours. Empiler des boîtes est la règle intangible, la ville ainsi produite est faite de barres et de tours, tantôt alignées sur rues tantôt plantées dans un no man’s land sinistre, seule variante autorisée selon que vous êtes post-modernes ou néo-corbusiens. Car le relais mercantile est également assuré au sein même des institutions de la création, véritable cheval de Troie du marché sans contrainte : les écoles, les grands prix, les critiques pissent la même copie insipide, gomment toute aspérité conceptuelle, éradiquent toute résurgence de velléités créatives par l’élimination maffieuse et le cumul des commandes. La publicité remplace le talent réel. Objectif atteint : qu’aucun de ceux qui suivirent les traces fécondes des meilleurs créateurs des années 70 ne survivent, ils doivent être impitoyablement réduits en bouillie, laminés, éliminés déchiquetés comme tendance, reconvertis dans l’apiculture, l’assistance aux syndics, le commerce, le sacerdoce tiers-mondiste voire la psychologie des toutous! Comme ça n’est pas encore suffisant car du cadavre peut toujours surgir de nouvelles pousses, des spécialistes (Borloo, Daune, ANRU, Braouezec, etc.) s’affairent donc à démolir systématiquement leur oeuvre construite ! Tout un réseau de promoteurs, d’examinateurs municipaux, de bureaux d’études d’urbanisme ou de techniques surveille mêmement le droit imprescriptible des citoyens à la médiocrité normée, à l’absence de ville. Devant la dégradation des conditions sociales résultant de l’inégalité galopante, ultime progrès : les plans masses seront désormais soumis à l’appréciation des commissaires de police, ces critiques d’art à la subtilité sans égale ! Tout ce qui n’est pas rectiligne, sans recoins, vertical et lisse doit être éliminé parce que cela gêne la charge des CRS contre les exclus. Est ainsi gommé à peu près tout ce qui fait qu’il puisse y avoir architecture. La surveillance panoptique est reine ! Rien de bien nouveau : la bureaucratie inventée pour contrer les excès de la prédation marchande s’entend comme larron en foire avec elle pour partager le gâteau. Pour contenir ce nouvel accès de vitupération, j’ai acquis deux livres récents : Jean-Pierre Garnier sur la violence et la ville, Antoine Picon sur l’architecture numérique. Jean-Pierre Garnier, sur les banlieues qui brûlent réellement L’architecture n’est pas enfermée dans une tour d’ivoire. Mai 68, ce mouvement révolutionnaire mondial, revendiquait une transformation socialiste par la base, anticapitaliste et antibureaucratique, l’autogestion avec ses prolongements urbains. Guy Debord disait : la plus grande idée révolutionnaire à propos de l’urbanisme n’est pas par elle-même urbanistique, technologique ou esthétique. C’est la décision de reconstruire intégralement le territoire selon les besoins du pouvoir des conseils de travailleurs, de la dictature anti-étatique du prolétariat, du dialogue exécutoire ! A quelques nuances près qui remplaceraient par exemple dictature du prolétariat par hégémonie du salariat et qui rappelleraient le passage obligé par une culture critique, la phrase garde pour l’essentiel un sens profond. La régression politique de la gauche des Marchais et Mitterrand des années 80 a inhumé cet espoir et induit avec sa gestion loyale du pire capitalisme un effondrement qualitatif de l’architecture, camouflé sous l’expansion quantitative de l’hyper- libéralisme. C’est la thèse vigoureuse défendue avec brio depuis des années par Jean-Pierre Garnier, sociologue et lefebvrien libertaire. Dans son livre une violence éminemment contemporaine, (Agone, 2010), il évoque le basculement d’une génération de critiques gauchistes dans le maniement de l’ostensoir néo-bourgeois, assaisonné du dévoiement des concepts marxistes qu’ils adoraient hier, mixité, socialité, créativité, dans des versions affadies et consensuelles : faire du monde une cité… la ville compacte qui, tous murs tombés choisit librement l’être ensemble dans l’espace public et chasse les démons de l’écart …le chatoiement multiculturel des populations urbaines dans la ville globale… quand leur préoccupation essentielle est de conserver le régime de classe qui, depuis Giscard, leur a ouvert si grand ses mangeoires. Jusqu’à la préconisation de la coproduction de la sécurité, par habitants et policiers, lisez l’appel à la délation et l’élaboration des plans masse par le commissaire de police ! Nous souscrivons à sa critique vivifiante quand il interroge ces pseudo chercheurs : quand pensez-vous mettre fin à la Propriété Privée des Moyens de Production , cette énorme anomalie éthique ? Pour autant, l’architecture ne saurait résoudre tous les problèmes de la société, notamment ceux de l’inégalité sociale. De la même façon, ceux-ci ne seront jamais totalement résolus en l’absence d’une niche urbaine empathique et belle. Le quartier des Poètes à Pierrefitte a montré que le meilleur urbanisme pouvait aussi tourner au ghetto si les populations homogènes qu’on y entassait n’avaient ni bon salaire, ni travail, ni l’éducation et la sécurité dont bénéficient les zones résidentielles. En sociologue marxiste tendance Bakounine, JPG tente une explication de cette atrophie politique par l’essor d’une couche sociale nouvelle, celle des bobos, employés et cadres, travailleurs intellectuels qu’il postule sans trop le démontrer comme une nouvelle petite bourgeoisie intellectuelle, adhérant par nature de classe à la politique grande bourgeoise en votant socialiste naturellement. Elle poursuivrait ainsi à son profit l’éviction des couches populaires (prolétaires ?) d’un Paris de l’est « gentrifié » vers la deuxième périphérie démunie, ce qui expliquerait pour une part la violence aveugle avec laquelle les jeunes migrants exclus détruisent leur environnement pauvre et oppressif comme protestation sans perspective politique contre leur exclusion. Si son analyse de la situation des exclus de lointaine banlieue abonde en traits pertinents, un élément à mes yeux primordial y manque : le rôle funeste des conceptions urbaines totalitaires du Corbusier exprimées dans L’urbanisme (1923) qui a justifié idéologiquement cette ségrégation délétère et cristallisé la ghettoïsation engendrée par son principe de zonage. Il y a une filiation évidente entre la politique d’Etat fondée sur les seules répression et manipulation électorale de la peur des braves gens, et l’hygiénisme médical et social des classes pauvres, le zonage des CIAM, leurs plans panoptiques, la fordisation et la pauvreté formelle de l’architecture du logement et de l’urbanisme des ZUP. Le maître ne passa-t-il pas deux ans à Vichy pour tenter de vendre son plan Voisin de Paris qui remplaçait les 7 premiers arrondissements par une répétition de gratte-ciel ? D’autres éléments d’explication complémentaires de la crise et l’apolitisme violent des « caillerats », outre l’impéritie trentenaire des forces de gauche à les gagner à une politique transformatrice des banlieues, touchent à l’influence des caïds de la drogue ou des islamistes qu’il serait naïf de gommer. L’analyse de Garnier est en fin de compte pessimiste car si cette dichotomie sociale est bien à l’œuvre, le rejet comme petite bourgeoisie de la totalité des nouveaux salariés intellectuels, déjà majoritaires au sein du salariat, bouche toute issue à une solution positive à la crise générale du capitalisme qui est ouverte, sauf insurrection violente puis dictature ultra minoritaire du prolétariat manuel. Position théorique invraisemblable et suicidaire. Pour sortir positivement de la crise, un rassemblement de toutes ses victimes est nécessaire sur une stratégie claire : Gagner à la fois les jeunes des cités et les salariés intellectuels à l’autogestion. Si la description de l’effondrement idéologique a quelques traits pertinents, elle procède globalement d’une erreur de diagnostic. Le nouveau prolétaire intellectuel n’est pas un petit bourgeois quand bien même il n’a su trouver jusqu’ici d’autres « théoriciens » que les idéologues peu ou prou tombés du gauchisme au marais néo-libéral. Il ne resterait plus sinon qu’à maugréer et se plonger chaque semaine dans la lecture innocente du Canard Enchaîné. Comme son nom l’indique, le petit-bourgeois, selon le bon vieux marxisme, a un statut social ambigu, il participe - chichement - à l’extraction de la plus value mais commerçant, artisan, agriculteur, profession libérale, il est propriétaire individuel de ses moyens de production, il n’est jamais salarié. Le prolétaire, le salarié, fût-il « intellectuel », vend sa force de travail et produit des marchandises : si ces dernières sont de plus en plus virtuelles sous forme de services, elles n’en sont pas moins des marchandises qui s’échangent sur le marché. Le vendeur de sa force de travail intellectuelle est exploité comme celui qui travaille de ses mains, même si sa situation est souvent plus douce et son salaire parfois plus élevé. J-P Garnier commet curieusement la même erreur que les doctrinaires du PC qui rejetaient les étudiants dans la petite-bourgeoise en mai 68 : le résultat fut que la droite gagna sa contre offensive. Pour être sacré prolétaire, il fallait avoir du cale dans les mains. Cela nous a valu l’homme de marbre et Marchais avec l |
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