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Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de : Joseph Schumpeter (1942) Capitalisme, socialisme et démocratie. La doctrine marxiste; le capitalisme peut-il survivre ? Le socialisme peut-il fonctionner ? Socialisme et démocratie 1er fichier : 1re et 2e parties du livre : chapitres 1 à 14. Une édition électronique réalisée à partir du livre de Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie. Traduction française, 1942. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 20 avril 2002 à Chicoutimi, Québec. ![]() Table des matières PREMIER FICHIER Avertissement liminaire Préface de la première édition (1942) Préface de la deuxième édition (1946) Première partie : La doctrine marxiste Prologue Chapitre 1. Marx le prophète Chapitre 2. Marx le sociologue Chapitre 3. Marx l'économiste Chapitre 4. Marx le professeur Deuxième partie Le capitalisme peut-il survivre ? Prologue Chapitre 5. Le taux de croissance de la production totale Chapitre 6. Plausibilité du capitalisme Chapitre 7. Le processus de destruction créatrice Chapitre 8. Pratiques monopolistiques Chapitre 9. La chasse est fermée Chapitre 10. La disparition des occasions d'investissement Chapitre 11. La civilisation du capitalisme Chapitre 12. Les murs s'effritent I. Le crépuscule de la fonction d'entrepreneur II. La destruction des couches protectrices III. La destruction du cadre institutionnel de la société capitaliste Chapitre 13. L'hostilité grandit I. L'atmosphère sociale du capitalisme II. La sociologie de l'intellectuel Chapitre 14. Décomposition DEUXIÈME FICHIER Troisième partie Le socialisme peut-il fonctionner? Chapitre 15. Pour déblayer le terrain Chapitre 16. L'organigramme socialiste Chapitre 17. Organigrammes comparés I. Une observation préalable II. Analyse de rendements comparés III. Motifs de supériorité de l'organigramme socialiste Chapitre 18. L'élément humain avertissement I. Relativité historique de l'argument II. Sur les demi-dieux et les archanges III. Le problème de la gestion bureaucratique IV. Épargne et discipline V. Discipline autoritaire en régime socialiste : la leçon russe Chapitre 19. Transition I. Deux problèmes distincts II. Socialisation dans une situation de maturité III. Socialisation dans une situation d'immaturité IV. Politique socialiste avant la lettre : l'exemple anglais Quatrième partie Socialisme et démocratie Chapitre 20. La position du problème I. La dictature du prolétariat II. Le dossier des partis socialistes III. Une expérience mentale IV. A la recherche d'une définition Chapitre 21. La doctrine classique de la démocratie I. Le bien commun et la volonté du peuple II. Volonté du peuple et volition individuelle III. La nature humaine en politique IV. Raisons de la survivance de la doctrine classique Chapitre 22. Une théorie alternative de la démocratie I. Compétition pour la direction politique II. Application du principe Chapitre 23. En conclusion I. Quelques implications de l'analyse précédente II. Conditions de succès de la méthode démocratique III. La démocratie en régime socialiste Annexe. - Ultima verba. La marche au socialisme. Les perspectives du capitalisme américain (1949) AVERTISSEMENT LIMINAIRE Retour à la table des matières Certains lecteurs ayant accoutumé de sauter les introductions et les préfaces, peut-être n'est-il pas superflu de leur fournir quelques points de repère susceptibles de les orienter. En rédigeant Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Joseph Schumpeter 1 a, si l'on nous passe cette comparaison, composé une symphonie dont les différents thèmes, tout en étant reliés par une inspiration commune, n'en sont pas moins essentiellement distincts. Au seuil de son livre, l'auteur a dressé une stèle majestueuse consacrée à la doctrine marxiste considérée sous ses aspects prophétique, sociologique, économique, puis synthétique. Cependant, comme l'observe Schumpeter lui-même dans sa préface de 1942, il s'agit là d'un sujet assez ardu pour le lecteur qui ne s'est jamais aventuré dans l'immense forêt marxiste et peut-être le néophyte aurait-il intérêt à n'aborder cette partie de l'ouvrage qu'après avoir complété la lecture des deuxième, troisième et quatrième parties. La deuxième et la troisième parties : « Le capitalisme peut-il survivre? » et « Le socialisme peut-il fonctionner? » dans lesquelles Schumpeter expose sa thèse fondamentale, étayée par une imposante argumentation sociologique, économique et historique, constituent, de toute évidence, le cœur même de l'ouvrage. Ces quinze chapitres forment, en réalité, un tout complet dans lequel le grand libéral que fut Schumpeter a été conduit à prédire à contre-cœur la disparition du régime de l'initiative privée et à prévoir l'avènement d'un régime de centralisation socialiste qui, à n'en pas douter et comme le confirment d'ailleurs discrètement plusieurs passages de son livre, lui répugnait profondément et, pour ainsi dire, congénitalement. (Néanmoins Schumpeter n'avait pas renoncé à tout espoir d'une survivance du capitalisme, disons pendant un demi-siècle ou davantage, tout au moins aux États-Unis). La quatrième partie, « Socialisme et Démocratie », peut être caractérisée comme un essai de science politique réaliste dans lequel l'auteur, écartant irrespectueusement (à la manière d'un Vilfredo Pareto) les voiles idéologiques dont s'affublent les partis politiques, essaie de démontrer que les principes et les programmes ne sont rien d'autre que les marche-pieds dont se servent pour accéder aux postes de commandement les professionnels de la politique. Ayant caractérisé la démocratie comme le régime dans lequel la conquête du pouvoir est réalisée selon des formes « concurrentielles » (luttes électorales), Schumpeter se demande si une telle méthode de sélection des chefs restera applicable après le triomphe éventuel du socialisme et sa conclusion, pour ne pas être entièrement négative, n'en est pas moins imprégnée (et l'on pense de nouveau à Vilfredo Pareto) d'un profond scepticisme, atténué toutefois par certains espoirs fondés sur l'évolution « légaliste » du travaillisme anglais. Encore un mot pro domo sua. La pensée complexe et le style très particulier de Schumpeter imposaient au traducteur une tâche exceptionnellement difficile. Ayant le choix entre une traduction rigoureusement littérale et une transposition plus souple (mais néanmoins, nous osons l'espérer, exacte), nous avons donné notre préférence à la deuxième solution, d'ailleurs au Prix d'un effort supplémentaire : ce faisant, nous croyons avoir été plus fidèle à la pensée du maître que si nous l'avions suivi mot à mot à travers tous les méandres de ses phrases et si nous avions renoncé à compléter certains de ses raccourcis par trop elliptiques 1. Gaël FAIN. Préface de l'auteur Pour la première édition (1942) Retour à la table des matières Ce volume est l'aboutissement d'un effort visant à fondre sous une forme accessible le gros de presque quarante ans de réflexions, d'observations et de recherches relatives au thème du socialisme. Le problème de la démocratie s'est frayé la voie jusqu'à la place qu'il occupe maintenant dans ce livre parce que, à J'expérience, il m'est apparu impossible d'exposer mes vues sur la relation existant entre l'ordre socialiste de la société et la méthode démocratique de gouvernement sans procéder à une analyse assez développée de cette dernière. Ma tâche s'est révélée comme plus difficile que je ne l'avais cru au début. Une partie des matériaux hétérogènes qu'il m'a fallu mettre en œuvre reflétaient les opinions et les expériences d'un homme qui, à différentes phases de sa vie, a eu davantage d'occasions d'observer le socialisme en action que ce n'est généralement le cas pour les non-socialistes et qui a réagi sans préjugés à ses observations. Je n'ai pas désiré oblitérer les traces de ces réactions personnelles : si j'avais cherché à les effacer, ce livre aurait perdu beaucoup de l'intérêt qu'il est susceptible d'avoir. De plus, ces matériaux reflétaient également les efforts analytiques d'un homme qui, tout en s'efforçant honnêtement de sonder au-dessous de la surface, n'a jamais fait pendant longtemps du socialisme l'objet principal de ses recherches professionnelles et qui, par conséquent, a beaucoup plus à dire sur certains sujets que sur certains autres. Afin d'éviter de créer l'impression que j'ai visé à écrire un traité bien équilibré, j'ai pensé que le mieux était de regrouper mes matériaux autour de cinq thèmes principaux. Bien entendu, des liaisons et des passerelles ont été ménagées entre eux et j'ai obtenu, je l'espère du moins, un résultat analogue à une unité systématiquement de présentation. Néanmoins, il s'agit essentiellement d'une série d'études analytiques presque autonomes, bien que non indépendantes. Dans la première partie j'ai résumé, sous une forme non technique, ce que j'avais à dire - et ce que, effectivement, j'ai enseigné pendant quelques dizaines d'années - sur le sujet de la doctrine marxiste. De la part d'un marxiste, il serait naturel de préluder à la discussion des principaux problèmes du socialisme en exposant l'Évangile du Maître. Mais, dira-t-on, à quoi bon présenter une telle exposition dans le hall d'un édifice construit par un non-marxiste ? C'est que ce non-marxiste a tenu, ce faisant, à témoigner qu'il croit à l'importance unique du message de Marx, importance, au demeurant, complètement indépendante de l'acceptation ou du rejet de ce message. Cependant nous reconnaissons que la lecture de cette partie de notre livre est laborieuse. Aucun des outils forgés par Marx n'est d'ailleurs employé dans le reste de l'ouvrage. Par conséquent, bien que les conclusions auxquelles nous avons abouti soient constamment rapprochées des dogmes énoncés par le grand penseur socialiste, les lecteurs que le marxisme n'intéresse pas peuvent directement passer à la deuxième partie. Dans cette seconde partie - Le Capitalisme peut-il Survivre? j'ai essayé de montrer qu'un type socialiste de société émergera inévitablement de la décomposition non moins inévitable de la société capitaliste. De nombreux lecteurs pourront s'étonner que j'aie tenté une analyse aussi laborieuse et complexe aux fins d'établir une thèse qui, de nos jours, tend rapidement à être universellement acceptée, même par les conservateurs. La raison de mon insistance est la suivante : bien que, pour la plupart, nous tombions d'accord sur le dénouement final, nous différons d'avis en ce qui concerne la nature de l'évolution qui est en train de tuer le capitalisme et le sens précis qu'il convient d'attacher au terme « inévitable ». Étant convaincu que la plupart des arguments mis en avant sont erronés, j'ai estimé qu'il était de mon devoir de prendre (et d'infliger au lecteur) beaucoup de peine pour aboutir finalement à une conclusion paradoxale : le capitalisme est en voie d'être tué par ses réussites mêmes. Ayant constaté, comme nous le vérifierons, je le crois, que le socialisme est une proposition qui peut devenir immédiatement réalisable sous l'influence de la deuxième guerre mondiale, nous examinerons à vol d'oiseau dans la troisième partie - Le Socialisme petit-il Fonctionner? - toute une série de problèmes relatifs aux conditions dans lesquelles on peut escompter que le régime socialiste sera une réussite sur le plan économique. C'est dans cette partie que le traitement des différents thèmes, y compris les problèmes de « transition », est le mieux équilibré. Les résultats des travaux sérieux qui, jusqu'à ce jour, ont été consacrés en petit nombre à cette question ont été tellement faussés par l'amour ou la haine que la simple réaffirmation d'opinions largement admises nous a paru se justifier en différents endroits. La quatrième partie - Socialisme et Démocratie - constitue une contribution à une controverse qui s'est développée aux États-Unis depuis un certain temps. Mais il convient d'observer que seule une question de principe est traitée dans cette partie. Les faits et les commentaires afférents au sujet sont dispersés dans tout le corps de l'ouvrage. Préface de l'auteur Pour la deuxième édition (1946) Retour à la table des matières Cette édition reproduit le livre de 1942 auquel n'a été apportée aucune modification, sinon qu'un nouveau chapitre a été ajouté. Je me suis même abstenu de procéder, pour un certain nombre de passages, à des remaniements rédactionnels qui paraissaient nettement s'imposer : en effet, quand on traite des matières de la nature de celles qui font l'objet du présent ouvrage, il est impossible de changer des phrases sans en altérer le sens ou, tout au moins, sans encourir le soupçon d'avoir agi de la sorte. J'attache d'ailleurs une certaine importance au fait que ni les événements des quatre dernières années, ni les objections soulevées par les critiques ne m'ont amené à modifier mes diagnostics et pronostics qui, bien au contraire, me semblent avoir été pleinement confirmés par les faits nouveaux qui se sont manifestés. Au cours de la présente préface, je me propose de signaler certaines de ces objections ou plutôt de ces catégories d'objections - qu'elles aient été imprimées ou non. Ce faisant, je suis d'ailleurs guidé exclusivement par l'espoir que les réponses formulées par moi pourront être de quelque utilité à mes lecteurs, car je n'ai aucunement lieu de me plaindre de l'accueil qu'a reçu mon livre : tout au contraire, je désire saisir cette occasion d'exprimer ma gratitude aux critiques pour leur courtoisie et leur bienveillance constantes, ainsi qu'aux traducteurs en sept langues différentes pour leurs efforts méritoires. En premier lieu, que l'on me permette de faire état de deux critiques d'ordre professionnel. Un économiste éminent, de réputation internationale, s'est déclaré en désaccord avec le thèse soutenue par moi aux termes de laquelle l'évolution sociale décrite dans le présent ouvrage tend, à long terme, à faire disparaître les profits : l'activité commerciale, soutient mon contradicteur, se fera toujours payer. Cependant je ne crois pas que nos deux points de vue s'opposent réellement, sauf que nous employons le terme « profits » dans des sens différents. Celles des activités commerciales qui peuvent continuer à être nécessaires même dans une économie qui se sera installée dans une routine stable continueront, sans aucun doute, comme toute autre activité afférente à la gestion des entreprises à prélever une rémunération. Cependant je classe de tels revenus avec les rémunérations de gestion, aux fins d'isoler et de faire ressortir ce que je crois être la source fondamentale du bénéfice industriel, à savoir les profits que le régime capitaliste alloue à l'introduction, couronnée de succès, de nouveaux produits ou de nouvelles méthodes de production ou de nouveaux types d'organisation. Je ne vois pas comment l'on pourrait contester que l'histoire industrielle démontre d'une façon convaincante l'importance de cet élément des revenus capitalistes. Et je soutiens que, en raison de la mécanisation croissante du « progrès » industriel (travail d'équipe dans les services de recherches et ainsi de suite), cet élément est, à la longue, réduit en poussière, ce qui provoque, du même coup, l'effondrement du pilier le plus important qui soutenait la position économique de la classe capitaliste. Cependant la critique la plus importante de l'argumentation purement économique de ce livre - elle s'est parfois accentuée jusqu'à la protestation - qui soit venue à ma connaissance a été dirigée contre ce que de nombreux lecteurs ont tenu pour un plaidoyer en faveur des pratiques monopolistiques. Effectivement, je crois que la plupart des thèses courantes relatives aux effets néfastes des monopoles sont inspirées par des vues idéologiques et n'ont aucun fondement positif. A mes heures de détente, il m'arrive de m'exprimer en termes moins académiques sur ce point et, notamment, sur les « mesures », mises en œuvre ou proposées, qui sont fondées sur une telle idéologie. Mais, actuellement et par strict souci de conscience professionnelle, je désire simplement affirmer que tout ce que le lecteur trouvera dans le présent ouvrage concernant les monopoles se ramène, en dernière analyse, aux propositions suivantes qu'aucun économiste qualifié ne saurait, m'est avis, contester : 1. La théorie classique (Cournot-Marshall) de la fixation des prix de monopole n'est pas entièrement dépourvue de fondement, notamment quand elle est refondue aux fins de traiter, non seulement de la maximation instantanée du bénéfice de monopole, mais encore de sa maximation à travers le temps. Toutefois, cette théorie utilise des hypothèses tellement restrictives qu'elles rendent impossible son application directe à la réalité. En particulier, on ne saurait l'employer pour l'objet auquel l'applique l'enseignement courant, à savoir pour établir une comparaison entre la manière dont fonctionne une économie purement concurrentielle et la manière dont fonctionne une économie contenant des éléments de monopole substantiels. Le principal motif de cette impossibilité tient au fait que la théorie suppose des conditions données de demande et de coût qui seraient identiques dans le cas de la concurrence et dans celui du monopole, alors qu'il est de l'essence d'une grande entreprise moderne que, pour des volumes de production élevés, ses conditions de demande et de coût sont - nécessairement - beaucoup plus favorables que les conditions qui existeraient dans les mêmes branches si elles étaient placées sous un régime de concurrence parfaite. 2. La théorie courante est presque exclusivement consacrée à la gestion d'une organisation économique spécifique. Cependant, la façon dont le capitalisme engendre des structures économiques est beaucoup plus importante que la façon dont il les gère une fois qu'elles sont constituées (cf. chap. 7 et 8). Or, l'élément de monopole intervient nécessairement dans ce processus de création. Une telle circonstance place sous un jour tout différent le problème du monopole et les méthodes législatives et administratives qui lui sont applicables. 3. En troisième lieu, les économistes qui tempêtent contre les cartels et autres méthodes d'auto-gouvernement économique n'affirment souvent rien qui soit inexact. Mais ils négligent de qualifier leurs critiques : or, à ne pas faire état des nuances qui s'imposent, l'on renonce à dire toute la vérité. Il y aurait encore bien d'autres remarques à présenter sur ce thème ; cependant j'y renonce afin de passer à une autre catégorie d'objections. J'avais cru avoir pris toutes les précautions nécessaires pour montrer clairement que je n'ai pas écrit un livre politique et qu'il n'a pas été dans mon intention de plaider en faveur de telle ou telle thèse. Néanmoins, et à mon grand amusement, l'intention m'a été prêtée - à plus d'une reprise, mais non, tout au moins à ma connaissance, dans des publications imprimées - de « me faire l'avocat du collectivisme étranger ». Je mentionne cette critique, non pour son propre mérite, mais en vue de signaler une autre objection qui se dissimule derrière elle. Si je n'ai pas plaidé en faveur du collectivisme, national ou étranger, ou de toute autre doctrine, pourquoi donc avoir pris la plume? N'est-il pas entièrement futile d'élaborer des déductions en partant de faits observés, sans aboutir à des recommandations pratiques? Une telle objection m'a vivement intéressé, chaque fois que je l'ai rencontrée, en tant que symptôme parfait d'une attitude d'esprit qui joue un grand rôle dans la vie moderne. Nous faisons toujours beaucoup trop de plans et nous pensons beaucoup trop peu. Tout appel à la réflexion nous irrite et nous avons horreur des arguments non familiers qui ne cadrent pas avec ce que nous croyons ou avec ce que nous voudrions croire. Nous nous avançons vers le futur comme nous avancions vers la guerre, les yeux bandés. Or, c'est précisément à cet égard que j'ai voulu servir le lecteur. Je me suis proposé de le faire réfléchir. Cependant, pour atteindre ce but, il était essentiel de ne pas distraire son attention en discutant, à un point de vue quelconque, « ce qu'il y aurait lieu de faire à ce sujet » et en centrant, du même coup, son attention sur tel ou tel problème pratique. L'analyse poursuit une tâche distincte et c'est à cette tâche que j'ai entendu m'en tenir, tout en étant pleinement conscient du fait qu'une telle résolution me priverait d'une grande partie des résonances qui auraient été éveillées dans le public par quelques pages de conclusions pratiques. Cette observation m'amène, finalement, à l'accusation de « défaitisme ». Je refuse absolument d'admettre que ce terme soit applicable à un effort d'analyse. Le défaitisme dénote une certaine attitude psychique, laquelle n'a de sens que par référence à l'action. Les faits en eux-mêmes et les déductions que l'on en tire ne peuvent jamais être défaitistes, ni le contraire, quel qu'il puisse être. Le compte-rendu signalant qu'un navire est en train de couler n'est pas défaitiste. Seul peut l'être l'esprit dans lequel il est pris connaissance de ce compte-rendu : l'équipage peut se croiser les bras et se noyer. Mais il peut également courir aux pompes. Si les hommes se bornent à contester le compte-rendu bien qu'il soit soigneusement motivé, alors on doit les qualifier d'illusionnistes 1. De plus, même s'ils avaient un caractère de prédiction beaucoup plus marqué que celui que j'ai entendu leur donner, mes exposés des tendances d'évolution n'impliqueraient pas davantage des suggestions défaitistes. Quel homme normal refuserait de défendre sa vie pour la simple raison qu'il est absolument certain d'être appelé, tôt ou tard, à mourir d'une manière quelconque? Or, une telle attitude d'esprit vaut pour les deux groupes qui m'ont accusé de défaitisme : les partisans de la société fondée sur l'initiative privée et les partisans du socialisme démocratique. Ces deux groupes ne peuvent que gagner à reconnaître plus clairement qu'ils ne le font habituellement les caractéristiques de la situation sociale dans laquelle il est de leur destin d'agir. Un franc exposé des circonstances de mauvais augure n'a jamais été plus nécessaire que de nos jours, alors que, semble-t-il, nous avons développé l'illusionnisme jusqu'à en faire un système intellectuel. Tels ont été le motif pour lequel j'ai entrepris le présent ouvrage et mon excuse pour l'avoir écrit. Les faits exposés par moi et les déductions que j'en tire ne sont certainement pas plaisants, ni confortables. Mais ils ne sont pas défaitistes. Est défaitiste quiconque, tout en confessant du bout des lèvres le christianisme et toutes les autres valeurs de notre civilisation, refuse néanmoins de se dresser pour leur défense - qu'il considère leur disparition comme acquise d'avance ou qu'il se berce contre tout espoir d'espérances futiles. Car nous sommes en présence d'une de ces situations dans lesquelles l'optimisme n'est pas autre chose que l'une des formes de la défection. Joseph A. SCHUMPETER. première partie |
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