L’Argent selon Zola : «La pire et la meilleure des choses»1







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L’Argent selon Zola : « La pire et la meilleure des choses »1
Introduction

L’originalité, la complexité et l’ambivalence de la position d’Emile Zola à l’égard de l’argent suppose une vigilance toute particulière de la part du lecteur du roman (et des formulations nuancées en dissertation !) A une époque qui voit triompher, depuis Balzac, la marchandisation des rapports sociaux en général et de l’art en particulier, l’industrialisation de la littérature, revers de sa démocratisation (avec, depuis Balzac, les grands tirages, la multiplication des cabinets de lecture –ancêtres de nos bibliothèques de prêt– et le roman-feuilleton destiné à fidéliser un lectorat populaire et bourgeois, le premier étant La Vieille Fille de Balzac en 1836), l’écrivain, qu’il soit poète ou romancier, riche ou pauvre, campe généralement sur une position de mépris haineux à l’égard de l’argent, dont la préoccupation paraît incompatible avec le sacerdoce artistique.

Sans renier les effets pervers ou destructeurs de l’argent, Zola aura toujours à cœur de défendre une conception plus nuancée et moins hypocrite. De ce point de vue, il est faux d’affirmer comme certains de ses détracteurs contemporains (jaloux) que le succès de L’Assommoir (1877) est l’opérateur d’une palinodie dans le discours tenu par l’écrivain sur l’argent : sa vie durant, Zola a été conscient de la nécessité pour l’écrivain de vivre dignement, de faire de son travail un métier méritant rémunération, et de se préoccuper à partir de là des réalités sonnantes et trébuchantes, à condition qu’elles ne deviennent pas une fin en soi.
I) La position centrale de l’argent dans la vie et l’œuvre d’Emile Zola
1) Présentation biographique : une vie tournée vers les préoccupations matérielles

Sources : Découvertes Gallimard consacré à Zola par Henri Mitterand, Notice bibliographique des éditions Folio et de la Bibliothèque de la Pléiade par Henri Mitterand, article réalisé par Colette Becker pour les Cahiers naturalistes sous le titre « Zola et l’argent ».

a) Une jeunesse marquée par les préoccupations pécuniaires (1840-1861)

Zola naît à Paris le 2 avril 1840.

Son père, François Zola, est un ingénieur civil d’origine vénitienne, né en 1795, et qui a servi comme officier dans la légion étrangère. Sa mère, née Emilie Aubert, beaucoup plus jeune que lui (née en 1819) est fille d’un artisan vitrier et d’une couturière.

Les Zola s’installent à Aix-en-Provence en 1843. François, entrepreneur énergique et créatif (des qualités qu’il léguera à son fils), « pionnier des grands travaux » selon Mitterand, a été chargé par la ville d’Aix de construire un barrage et un canal destiné à alimenter la ville en eau potable. Pour financer les travaux, il va créer une société, avec plusieurs commanditaires parisiens. Malheureusement, il meurt en 1847 d’une pneumonie contractée sur le chantier : c’est le malheur et la ruine pour la famille, au moment où elle devait faire fortune.

Emilie Zola va engager sans succès des procès contre la Société du canal, et l’écrivain remboursera pendant des années (jusque pendant l’affaire Dreyfus !) des créances contractées par sa mère pendant cette période.

C’est la lutte pour préserver les apparences : Zola reçoit une éducation de fils de bonne famille, d’abord dans une école catholique, la pension Notre-Dame, puis au Collège Bourbon, où il fait la connaissance de Paul Cézanne, fils de banquier très riche et futur peintre, l’un de ses plus grands amis.

C’est un bon élève, de tempérament un peu mélancolique, lisant les poèmes de Hugo et de Musset avec enthousiasme, allant applaudir les drames romantiques, et lui-même écrivant des vers lyriques (dont nous n’avons rien gardé). L’été, il nage et chasse dans la campagne provençale avec ses amis de la bourgeoisie aixoise. Il sera pourtant le seul parmi eux à « monter » à Paris.

A la suite de la mort de sa grand-mère, fin 1857, sa mère part à Paris. Zola la rejoint début 1858. La famille loue un petit appartement rue Monsieur-Le-Prince, dans un quartier alors très modeste. Grâce à la recommandation d’un ami de son père, avocat au Conseil d’Etat (Alexandre Labot), Zola entre comme boursier au lycée Saint-Louis à Paris, en classe de seconde. Il gardera des souvenirs cuisants de sa situation de boursier.

Commencent des années difficiles : résultats scolaires décevants, nostalgie de la Provence comme en témoigne sa correspondance avec Cézanne, fièvre typhoïde contractée fin 1858, difficultés d’adaptation à l’univers de la bourgeoisie parisienne, intérêt seulement pour la littérature française. En 1859, il échoue aux deux sessions du baccalauréat, véritable certificat de bourgeoisie nécessaire pour faire des études supérieures et obtenir certains emplois dans l’administration.

Il va immédiatement chercher du travail pour ne plus être à la charge de sa mère. Il essuie des refus humiliants, courant les administrations, multipliant les demandes, en vain. A Cézanne, il écrit (le 30 décembre 1859) « On meurt avec du génie, et l’on mange avec de l’argent ».

Finalement, grâce à la protection d’Alexandre Labot, il entre comme employé à l’administration des Docks de Paris, où il gagne à peine de quoi manger (60 francs par mois, soit environ 274 euros selon Colette Becker). Il « tient » psychologiquement grâce à des randonnées dans les environs de Paris le dimanche et grâce à des lectures de classiques (Shakespeare, plus tard Molière et Montaigne) et d’auteurs contemporains, Michelet, Sand. Il quitte au bout de deux mois ce qu’il appelle une « immonde écurie ».

Pendant deux ans environ, il mène une vie de bohème, à la limite de la misère. On sait peu de choses de l’hiver 1860-61. Zola s’enfonce dans le spleen, entretient une relation avec une fille galante, Berthe, habite bientôt dans un hôtel garni, rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont. L’hiver suivant n’est pas moins obscur ni ingrat, en dépit de l’arrivée récente sur Paris de son ami Cézanne avec lequel il visite le Salon de Peinture et les académies.

b) Les années d’apprentissage (1862-1871)

Le 1er mars 1862, Zola entre à la librairie Hachette, à cent francs par mois, où après un simple travail d’employé au bureau des expéditions, il devient chef de la publicité, et pour ainsi dire, d’attaché de presse, car Louis Hachette lui a reconnu du talent et s’intéresse à lui. Pendant quatre années, il va apprendre à connaître tous les métiers liés au livre, se faire des relations dans les milieux des journaux et des revues, mais aussi comprendre les rapports de force régissant le champ littéraire, l’importance du journalisme et de la publicité dans le lancement des œuvres.

31 octobre de l’année 1862, il est naturalisé français. Il ne cesse de déménager, mais finit par s’installer avec sa mère en 1864 dans un appartement convenable de la rue Saint-Jacques, grâce à un salaire désormais de 200 francs.

Il écrit des contes, des proverbes en vers, des chroniques, des compte rendus pour un nombre croissant de journaux, à Paris et en province, se convertit enfin du romantisme au réalisme, notamment grâce à la lecture de Stendhal et de Flaubert, qui deviendra un ami proche, élargit le cercle de ses relations littéraires.

Sa première victoire d’écrivain est constituée par la publication des Contes à Ninon, en décembre 1864, par Albert Lacroix, l’éditeur de Hugo.

En 1865, on retrouve sa signature dans La Vie parisienne, La Revue française, Le Figaro.

Son premier roman, La Confession de Claude, paraît en décembre 1865, sans rencontrer de succès, et il écrit également deux pièces de théâtre.

Cette période de la vie de Zola sera évidemment indirectement évoquée dans L’Argent à travers la figure de Jordan, double idéalisé de l’auteur car d’un désintéressement suspect (nous y reviendrons), grand travailleur, portant une double casquette de journaliste et de romancier attendant le succès.

Zola un travailleur acharné, un petit dormeur, à l’existence austère : tous ses textes sont écrits dans le temps qui lui est laissé par les dix heures quotidiennes de son emploi chez Hachette. Ses articles lui permettent de doubler ses appointements.

Un début d’aisance et de confiance en soi se fait sentir au cours de cette année 1865, qui est par ailleurs celle de sa rencontre avec Alexandrine Meley, sa maîtresse, puis sa femme, dont il ne se séparera jamais.

En février 1866, Zola quitte la librairie Hachette pour vivre de sa plume. Il multiplie ses collaborations avec plusieurs journaux importants, devenant courriériste littéraire de L’Evénement, proclame son admiration pour Balzac, Flaubert et les Goncourt.

Il publie coup sur coup Mon Salon et Mes haines, le premier contenant la défense scandaleuse des peintres Manet et Courbet, réalistes et ancêtres de l’impressionnisme, autrement dit des peintres honnis par l’Institution, le salon officiel et le bon goût bourgeois, le deuxième recueillant des articles critiques parus dans plusieurs journaux.

Mais l’année 1867 est de nouveau difficile (une « année noire » selon Mitterand) et met à mal son optimisme : plusieurs collaborations journalistiques sont interrompues, ou espacées. Il fait la rencontre au cours de cette année au café Guerbois, Grande-Rue des Batignolles, des peintres de la nouvelle école : Manet, Pissaro, Monet, bientôt Renoir, Fantin-Latour et Bazille. En décembre, il publie ce qui est considéré comme son premier chef-d’œuvre, Thérèse Raquin, roman qui fait déjà la part belle aux tempéraments et à l’étude des tares : une femme faussement flegmatique, en réalité au tempérament de feu, fait assassiner par son amant, une brute épaisse, lâche mais capable de colères terribles, son mari, une sorte de froussard dégénéré. La culpabilité du crime va les empêcher de vivre et les conduire au suicide. Zola publie en même temps pour Le Messager de Provence un roman-feuilleton ouvertement inspiré des Mystères de Paris d’Eugène Sue (l’un des plus phénoménaux succès du roman-feuilleton), Les Mystères de Marseille.

En 1868, Zola collabore à la Tribune un journal d’opposition républicaine né de la libéralisation de la presse (rappel : le Second Empire connaît, à partir de 1864 et après une période dite « autoritaire », une période « libérale » : voir la contextualisation dans l’étude consacrée au roman dans le GF par Bernard Darbeau). Il découvre les études « médicales » consacrées à l’hérédité (notamment celles du docteur Prosper Lucas), à la physiologie, et élabore sa première ébauche de ce qu’il appelle alors Histoire d’une famille, en dix volumes.

A partir de 1869, alors que l’opposition à l’Empire grandit, il va faire du journalisme d’orientation plus nettement politique, dans La Tribune, puis dans Le Rappel, journal fondé par des proches de Victor Hugo.

C’est à cette époque qu’il écrit les deux premiers romans du cycle, La Fortune des Rougon et La Curée, qui retracent les origines du Second Empire et simultanément de la fortune de la branche légitime de la famille Rougon (voir plus loin).

L’éditeur Albert Lacroix accepte le plan des Rougon-Macquart avec un contrat de cinq cents francs par mois pour l’auteur.

Malheureusement, 1870, l’ « année terrible », année de son mariage avec Alexandrine Meley, compromet ce début de prospérité. La guerre déclarée à la Prusse le 19 juillet se solde par la terrible défaite de Sedan le 4 septembre.

Si Zola échappe grâce à l’effondrement de l’Empire aux poursuites que lui auraient valu ses articles de plus en plus violemment anti-bonapartistes, il voit compromis le succès de son œuvre. La presse est en crise, et la publication de La Fortune des Rougon dans Le Siècle est interrompue.

Afin d’échapper au siège, les Zola quittent Paris le 7 septembre pour Marseille. Puis il part seul pour Bordeaux où siège une Délégation du gouvernement, dont un membre le prend pour secrétaire. Après l’armistice du 28 janvier 1871, une nouvelle Assemblée nationale est élue, siégeant à Bordeaux. Zola propose au journal La Cloche de devenir chroniqueur parlementaire, ce qui lui permettra de s’intéresser de près aux rouages de la vie politique.

De retour à Paris, il assiste avec stupeur à la répression de la Commune de Paris par les troupes versaillaises : c’est la Semaine sanglante, qu’il mettra en scène dans la dernière partie de La Débâcle, le grand roman qui suit L’Argent dans le cycle des Rougon-Macquart.

C’est l’instauration d’une République conservatrice, voire monarchiste. Elle vaudra à Zola un interdit de publication dans la presse parisienne jusqu’en 1876, en raison de ses prises de position trop polémiques à l’égard de la politique menée.

De 1872 à 1877, Zola va entamer ce que Mitterand appelle la « conquête du succès ». Il est présent sur tous les fronts. D’abord, sur celui de son cycle romanesque, qui reste son principal cheval de bataille. La faillite de son éditeur Lacroix va occasionner son transfert chez Gustave Charpentier, l’éditeur dont Zola fera le succès. Il négociera âprement son contrat, la vente de sa propriété littéraire, conservant d’abord le même contrat qu’avec Lacroix (les cinq cents francs mensuels), puis le faisant modifier à partir de 1877, s’occupant alors lui-même de ses publications à l’étranger, des traductions, des adaptations au théâtre, des contrats avec les directeurs de journaux et les éditeurs.

Il refait donc publier chez Lacroix La Fortune des Rougon et La Curée, puis enchaîne avec Le Ventre de Paris, La Conquête de Plassans, La Faute de l’abbé Mouret et enfin Son Excellence Eugène Rougon, lesquels connaissent des succès variables mais entretiennent la publicité autour de celui qui est perçu comme le chef de file du naturalisme.

Zola contribue en outre à sa notoriété en tant que critique d’art, en défendant les expositions impressionnistes organisées à partir de 1874, puis en éreintant à coup d’articles la littérature à la mode.
c) La gloire littéraire (1877-1893)

Janvier 1877 marque un véritable tournant dans sa carrière, avec le succès sulfureux de L’Assommoir, paru en feuilletons l’année précédente dans deux journaux différents. Le roman, qui met en scène l’ascension puis la lente chute dans la misère et l’alcoolisme de Gervaise, une blanchisseuse du quartier de la Goutte d’Or à Paris, lui vaut à la fois la fortune et la célébrité, mais également la réputation, qui ne le quittera plus, d’écrivain pornographe et ordurier, se complaisant dans la fange.

On a souvent fait remarquer que la prospérité matérielle de Zola coïncidait avec l’instauration définitive d’une république parlementaire (avec le départ du président monarchiste Mac-Mahon) et l’émergence politique, idéologique et esthétique d’une nouvelle bourgeoisie).

Dans un article intitulé « L’Argent dans la littérature », et qu’il reprendra dans son recueil Le Roman expérimental, en 1880, Zola s’explique sur sa conception du rapport des écrivains à l’argent. Il ne s’agit pas du tout d’une étude littéraire du thème de l’argent dans les œuvres romanesques, mais d’une réflexion sur le statut social et matériel de l’écrivain. Contre la position romantique de l’artiste nécessairement incompris, maudit et misérable (celle par exemple illustrée par la pièce de Vigny Chatterton), Zola refuse l’idée que l’argent soit une chose grossière qui rabaisse la dignité des lettres. Au contraire, il affirme « L’argent a émancipé l’écrivain, l’argent a créé les lettres modernes ». En effet, autrefois, l’écrivain était tributaire de protecteurs puissants, de mécènes, et par conséquent n’était pas libre dans ses propos. L’avènement après 1789 d’une société démocratique a permis à l’auteur de se mettre à vivre de son travail, et de toucher un public plus large, grâce aux progrès de l’instruction, du livre à bon marché. Dès l’instant que l’auteur gagne en autonomie financière, il peut se consacrer pleinement à la vérité : le naturalisme, esthétique de la vérité, trouve donc son essor dans cette autonomie de l’écrivain. Zola n’aura de cesse de revendiquer ce statut d’ouvrier de la plume. Sans être un homme d’affaires comme Balzac, il se servira de tous les moyens disponibles pour assurer la vente de ses œuvres, notamment la publicité.

C’est pourquoi Colette Becker dit de lui qu’ « Il y a en lui de l’Octave Mouret et du Saccard », personnages qui savent monter des machines à pièces de cent sous.

Cette conception explique également son action en tant que membre puis en tant que président de la Société des Gens de Lettres, destinée à protéger les écrivains, à défendre leurs droits (cette structure existe toujours, située dans le quatorzième arrondissement de Paris).

Grâce aux droits d’auteur produits par les ventes de L’Assommoir, Zola acquiert une maison à Médan, dans les Yvelines, au bord de la Seine (visite recommandée, avec conférence passionnante incluse dans le prix modique du billet ! Bientôt le musée de l’affaire Dreyfus y ouvrira ses portes, sous la présidence de Pierre Bergé).

Zola passera chaque année l’été et l’automne à Médan, fera agrandir la maison.

Il continue à publier ses romans, au rythme presque invariable de un par an : Une Page d’amour, en 1878, Nana, énorme succès de scandale, orchestré par une publicité énorme qui fera bondir Maupassant, la trouvant humiliante pour les écrivains (il évoque dans une lettre à Flaubert les hommes en blouse portant des bannières sur lesquelles on lit Nana par Emile Zola), roman qui fera l’admiration pleine et entière de Flaubert, et qui raconte la vie d’une cocotte de luxe (la fille de Gervaise, Anna Coupeau). En 1882, Pot-Bouille, qui aggrave sa réputation de pornographe, en 1883 Au Bonheur des dames, en 1884 La Joie de vivre.

Il travaille en outre avec plus ou moins de succès, à des pièces de théâtre, la plupart du temps adaptées de ses romans. Ainsi, en 1879, l’adaptation de L’Assommoir connaît un beau succès à L’Ambigu. Il faut enfin nommer le recueil collectif de nouvelles publiés en 1880 sous le titre des Soirées de Médan (avec des collaborations de Maupassant et Huysmans, mais aussi Alexis, Céard et Hennique) et la publication du Roman expérimental la même année. Ces deux ouvrages achèvent de poser Zola en chef de file, théoricien autant que romancier à succès, incarnant l’avant-garde littéraire.

Le sommet des Rougon-Macquart et son plus grand succès reste Germinal en 1885. Selon Mitterand « une œuvre où convergent le génie narratif et la puissance prophétique, et à laquelle aucun roman contemporain ne peut se mesurer. Zola rejoint Balzac, Stendhal, Flaubert. Il faudra, désormais, attendre Proust. » Ce jugement est encore aujourd’hui soumis à caution, Zola apparaissant toujours légèrement en retrait par rapport aux quatre géants mentionnés.

Les publications se poursuivent : L’OEuvre en 1886, roman sur un peintre génial et raté à cause duquel Cézanne prendra ses distances avec lui, La Terre, en 1887, roman des paysans de la Beauce, d’une violence inouïe, et qui lui vaudra une campagne calomnieuse de la part de proches de Jules de Goncourt, qui jaloux du succès de Zola, orchestre en sous-main l’entreprise. Après la parenthèse mystique et douceâtre du Rêve, en 1888, qui montre à quel point Zola sait stratégiquement faire alterner récits violents et récits plus doux, pour ne jamais être là où on l’attend, ne pas lasser son public et continuer à faire parler de lui, il publie La Bête humaine (1890), nouveau très grand succès, puis L’Argent, en 1891, enfin La Débâcle, en 1891 et Le Docteur Pascal en 1893.

Zola est alors au sommet de sa carrière de romancier. Il ne retrouvera jamais semblable inspiration. Sa position s’ « institutionnalise », jusqu’à un certain point : il est fait officier de la Légion d’honneur en 1893, il est président de la Société des gens de lettres, il est reconnu et respecté. En revanche, l’Académie française, temple du bon goût et de la maîtrise du français « pur », lui refusera toujours ses portes, en dépit de candidatures multiples. Et ses succès entraînent des haines et des jalousies féroces de la part de supposés amis, comme Maupassant, Léon Bloy, Goncourt, qui l’accuse rageusement de le plagier, ou Huysmans qui dans sa correspondance dénonce la propension de Zola à parler d’argent, « l’odeur de soupe » des conversations de Médan, et le matérialisme des naturalistes, qu’il appelle « marchands de bouton ».

Sur le plan de la vie privée, il a connu depuis 1888 un véritable bouleversement : tombé amoureux d’une jeune lingère engagée par sa femme, Jeanne Rozerot, il en fait sa maîtresse. Elle lui donnera deux enfants : Denis en 1889 et Jacques en 1891.

d) Les dernières années (1894 à 1902).

Zola se lancera encore dans deux ensembles cycliques, de moindre envergure.

De 1894 à 1898, il s’attelle au cycle des Trois villes, faisant paraître successivement Lourdes, Rome et Paris, trois romans situés à l’époque contemporaines : il y décrit l’inquiétude religieuse et sociale, les tendances mystiques, les mouvements nationalistes et anarchistes, la corruption parlementaire et les scandales politico-financiers comme l’affaire de Panama.

Il se lancera à partir de 1899 dans un cycle intitulé de manière plus ou moins blasphématoire Les Quatre évangiles. Il publiera effectivement Fécondité, Travail et Vérité (ce dernier directement inspiré par l’affaire Dreyfus) mais sa mort laissera à l’état d’ébauche le dernier volume, Justice. Ce cycle sent le déclin de l’inspiration, de l’avis de la critique. Zola y bascule dans un mysticisme laïque un peu fumeux, voire idéologiquement douteux, tombant du naturalisme au naturisme, c’est-à-dire, en sortant de la voie réaliste, dans une sorte d’exaltation païenne de l’homme et de la femme de demain, retrouvant une sorte d’instinct naturel et païen et s’occupant de la régénération de l’humanité par la préoccupation et le travail. Selon Henri Mitterand, ce sont des « romans longs et touffus, où passent les rêves et les mythes laïques, scientistes et socialisants de 1900.

Mais ces dernières années sont surtout tragiquement magnifiées par le combat en faveur de la réhabilitation de Dreyfus. Le capitaine Alfred Dreyfus avait été condamné en 1894 à la déportation perpétuelle à l’île du Diable pour avoir prétendument livré des renseignements à l’Allemagne. En 1897, Zola, convaincu par des amis de l’innocence de Dreyfus (le véritable coupable, démasqué dès 1896 par le colonel Picquart est le commandant Esterhazy), se lance dans la campagne, avec un courage et une générosité admirables.

Le 13 janvier 1898, il publie dans L’Aurore, journal de Clémenceau, sous le titre J’accuse un virulent réquisitoire contre l’état-major, faisant la démonstration de l’innocence de Dreyfus et enflamma l’opinion. La France se divise entre dreyfusards (rassemblant autour de la Ligue des droits de l’homme des anti-cléricaux plutôt de gauche) et anti-dreyfusard (pour faire simple la France catholique, nationaliste, partisane de l’ordre, et largement antisémite). Zola sera injurié, inculpé de diffamation et condamné à 3000 francs d’amende et à un an de prison : il s’exilera en Angleterre pour échapper à la prison.

Le 31 août 1898, le principal accusateur de Dreyfus, le commandant Henry, convaincu de faux, se suicide, ce qui entraînera le retour en France de Zola et la révision du procès : Dreyfus est encore condamné mais gracié en 1899. Il sera réhabilité et réintégré dans l’armée en 1906, après la mort de Zola.

Dans les dernières années de sa vie, Zola se passionne pour la photographie, partage son temps entre Alexandrine, Jeanne et ses enfants.

Mais dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, Alexandrine et Emile sont asphyxiés par une cheminée qui tire mal à Médan : il a été à peu près prouvé depuis que Zola a été assassiné, en représailles pour son engagement dans l’affaire Dreyfus.

Ses funérailles, d’une ampleur comparable à celles de Hugo en 1885, sont suivies par une délégation de mineurs de Denain. Il est panthéonisé en 1908.
2) L’argent, élément structurant de l’œuvre zolienne
a) Le projet des Rougon-Macquart : l’argent au cœur des déterminismes familiaux et du Second Empire.

Les vingt romans du cycle zolien portent tous la mention, en première page, du titre général de l’œuvre : Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire.

Plusieurs éléments de ce titre général méritent d’être commentés : Zola reprend à Balzac le principal génial du retour des personnages d’un roman à l’autre, mais le limite à une seule famille, métonymique de la société prise dans son ensemble, puisque ses membres en exploreront pris tous ensemble à peu près tous les milieux, des plus misérables aux plus glorieux.

Ensuite, Zola, par le choix de deux adjectifs lourds de signification, suggère une perspective et une méthode d’apparence scientifique. L’idée de départ est de montrer que l’individu est soumis à un double déterminisme, version moderne de la fatalité antique, et qui conditionne aussi bien sa psychologie que sa trajectoire existentielle (et donc romanesque, dans la perspective de l’œuvre). Dans la préface de La Fortune des Rougon, il parle de « la double question des tempéraments [histoire naturelle] et des milieux [et sociale] ».

Le déterminisme biologique recouvre à la fois le tempérament (sanguin, nerveux, mou, flegmatique, équilibré) et l’hérédité. La transmission des tares, qui peut prendre plusieurs formes, toutes étudiées par Zola (depuis la fusion entre le « patrimoine » maternel et le « patrimoine » paternel, jusqu’à la transmission indirecte, qui saute une génération), est l’une des théories héritées du docteur Prosper Lucas auxquelles Zola est le plus attaché.

Le deuxième déterminisme est un déterminisme social qui se combine avec le premier et souvent l’aggrave : l’influence du milieu social et professionnel, des « habitus » d’une classe sociale, et donc de l’argent, du capital détenu, joue en faveur ou en défaveur de l’individu qui se trouve ainsi « programmé ».

Enfin, Zola pose un cadre spatio-temporel pour réaliser ce qu’il considère explicitement comme une expérience, sur le modèle de la méthode expérimentale de Claude Bernard. En effet, loin de se contenter de reproduire la réalité, à la façon d’un Balzac ou d’un Stendhal, le roman naturaliste, tel que Zola définit son rôle dans Le Roman expérimental, suppose une expérimentation, soit la vérification in situ d’une hypothèse préalablement posée (en l’occurrence l’influence du milieu et du tempérament). Zola est sérieusement convaincu de la dimension scientifique de son expérience, comme le prouve la préface de La Fortune des Rougon. Ainsi, l’auteur dit vouloir suivre le fil « qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre homme » Par ailleurs, le naturaliste choisit de systématiser l’exploration sociale, ce qui lui vaudra une réputation de fouille-ordures. En effet, si Balzac le premier explorait dans certains romans le milieu des petits artisans et ouvriers parisiens, voire du crime, avec le personnage du bagnard Vautrin, Zola va plonger de manière approfondie dans tous les milieux, des plus aisés aux plus précaires, offrant en particulier une étude des conditions de vie des classes laborieuses (les ouvriers artisans dans L’Assommoir, les mineurs dans Germinal, les paysans dans La Terre) mais également de l’envers du décor d’une société opulente et respectable : dépravation crasseuse (Pot-Bouille), prostitution (Nana), alcoolisme (L’Assommoir), pulsions criminelles (La Bête humaine).

La dimension « scientifique » du projet, enfin, s’appuie sur une documentation volumineuse. Zola, procédant systématiquement de la même manière, va réaliser de véritables carnets d’enquêtes, préalables à l’élaboration du plan de ses romans, puis à leur rédaction à proprement parler. Il se rend souvent sur les lieux dont il entend s’inspirer (ainsi quand il fait tout l’itinéraire de l’armée française pour décrire la défaite de Sedan dans La Débâcle), prend des notes, réalise des croquis, interroge les spécialistes (des médecins quand il s’agit de décrire la crise de Delirium tremens de Coupeau dans L’Assommoir, des économistes pour se faire expliquer les mécanismes boursiers et les reproduire dans L’Argent), il effectue la liste minutieuse des mots relevant du vocabulaire technique, de l’argot des différents corps de métier.

La détermination matérielle de la famille explique le rôle crucial joué par l’argent dans les Rougon-Macquart. Elle va de pair avec une configuration à la fois biologique, sociale et historique, que confirme l’étude de l’arbre généalogique de la famille.

Adélaïde Fouque, la « tante Dide », née en 1768, est en effet la seule héritière d’un terrain important (son père est mort fou, et on a là l’origine de la « fêlure » familiale transmise de génération en génération). Elle épouse le jardinier Rougon, paysan mal dégrossi des basses-Alpes, ce qui occasionne un premier scandale, et dont elle a un fils, Pierre. Rougon meurt au bout de quinze mois de mariage. Elle prend alors pour amant un contrebandier doublé d’un braconnier, Macquart, qui la bat comme plâtre, et dont elle a deux bâtards, Ursule et Antoine.

Le statut d’enfant légitime, dans la société du dix-neuvième siècle, est évidemment plus facile à vivre que celui de bâtard. La transmission du patrimoine est interdite à celui-ci.

S’expliquent alors les différentes branches de la famille, toutes parties du peuple, mais s’élevant à des hauteurs très contrastées. La famille Rougon, branche légitime, accédera aux plus hautes distinctions professionnelles et sociales : le pouvoir politique (Eugène, l’aîné des trois frères), le savoir scientifique (Pascal, le médecin du cycle), l’argent (Aristide). La branche bâtarde sera celle de la condition ouvrière, paysanne et industrielle, et plus largement de toutes les déchéances sociales, de toutes les marginalités : alcoolisme (Gervaise), prostitution (Nana), pulsions criminelles (Jacques Lantier) ou suicidaires (Claude Lantier), de toutes les révoltes de l’art et de la politique (Claude dans L’œuvre, Etienne dans Germinal). La branche intermédiaire, sera une branche socialement moyenne. La bâtardise d’Ursule sera compensée par un tempérament plus équilibré, et surtout le mariage de son fils François avec sa cousine Marthe Rougon sera à l’origine de la naissance d’Octave Mouret, personnage sans doute le plus équilibré et le plus accompli du cycle : c’est l’entrepreneur agressif, ambitieux, et heureux de deux romans qui se font suite, Pot-Bouille et Au Bonheur des dames.

Historiquement, le point de départ des ascensions sociales, la condition de leur possibilité, est bien entendu la Révolution française, qui a permis les fortunes rapides, à la fois par la libéralisation de l’économie et par la nationalisation des biens du clergé (voir de ce point de vue l’origine des fortunes des personnages balzaciens, qui remonte toujours à la Révolution). Les enfants d’Adélaïde naissent en effet autour de la Révolution, Pierre en 1787, Antoine, le premier bâtard, symboliquement en 1789, et Ursule en 1791. La Préface de La Fortune des Rougon explique : « Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine. »

Si le point de départ presque mythologique de la fortune de la famille est la Révolution de 1789, avec la libération de l’antique cellule conjugale (la possibilité de mésalliances) ainsi que des appétits de l’individu, il faut attendre symboliquement le coup d’Etat de 1851 pour que cette famille puisse enfin « saisir au cou » cette fortune. En effet, avant cela, Pierre et Félicité Rougon se contentent d’aiguiser leur appétit. Ils devront attendre leur heure, voir se succéder les régimes (Empire, Restauration, monarchie de Juillet), sans parvenir « en un tiers de siècle », à mettre « cinquante mille francs de côté ». Félicité Puech ira jusqu’à se persuader de l’acharnement du « guignon » qui l’empêche d’accéder à la fortune, symbolisée par l’installation rêvée dans le quartier bourgeois du Nord Est de la ville. C’est le Second Empire qui lui permettra, par l’arrivée au pouvoir d’hommes de main du Président, et de toute une nouvelle classe d’individus, de parvenus, d’atteindre enfin la richesse et la respectabilité convoitées.

La famille inventée par Zola est ainsi explicitement présentée comme une réduction métonymique de la société française sous le Second Empire, et elle apparaît d’emblée comme le support d’un discours assez violent et négatif sur l’argent, sur la force des appétits et des convoitises agitant l’époque moderne, au détriment de toute moralité. Zola revient constamment sur ces mots –cupidité, avidité, appétits –et ce dès la préface de 1871 « Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le largement soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances ».

L’argent fait évidemment partie de ces objets de l’appétit familial, parce qu’il est l’instrument privilégié de l’accès aux jouissances.

Ainsi, le premier roman du cycle, au titre explicite, La Fortune des Rougon, jouant sur le double sens du mot « fortune », narre et dénonce les origines criminelles de cette richesse aussi bien que de ce changement heureux de destinée, à savoir une occasion historique : le coup d’Etat de décembre 1851. En effet, le roman narre simultanément les origines crapuleuses et sanglantes du Second Empire, régime de l’éclat, de l’opulence, du luxe insensé, de l’indigestion, mais qui a pour acte de naissance l’assassinat d’une République, un coup d’Etat et l’écrasement dans le sang de la résistance à ce coup d’Etat.

Il semble bien dès lors que l’argent soit originellement associé à la malhonnêteté et à la violence, aux manœuvres crapuleuses ; dans les premiers romans du cycle, en particulier, le discours porté sur l’argent est volontiers un discours de dénonciation. Par un effet d’analogie et de mise en abyme de la situation nationale, en effet, le couple formé par Félicité Puech, la fille d’un marchand d’huile, peut-être fille naturelle d’un marquis et par Pierre Rougon, a du sang sur les mains : celui de Silvère Mouret, un jeune neveu exalté faisant partie des insurgés républicains et qu’ils laisseront exécuter pour assurer leur fortune.

L’argent est souvent associé à la couleur jaune dans ce roman qui joue fortement du symbolisme des couleurs. Ce jaune ambivalent (la fortune, l’huile, l’envie jusqu’à la jaunisse, la traîtrise) n’est jamais pur. Tantôt, il tire du côté du marron crasseux, du caca d’oie : c’est le fameux salon jaune de la jaunâtre Félicité, elle-même fille d’un marchand d’huile, et qui est maculé de mouches de merde. Dans ce salon, dont les fenêtres donnent sur la terre promise du quartier des nouveaux riches, se trament toutes les conspirations politiques de la ville, et se lisent les humiliations ainsi que tous les désirs de revanche de Félicité. Tantôt, le jaune s’empreint de rougeoiements sanglants. Au chapitre VI, Pierre et Félicité, complotant leur fortune au lit, imaginent devant leurs yeux « une pluie de sang dont les gouttes larges se changeaient en pièces d’or sur le carreau. ». A la fin du roman, Pierre Rougon reçoit la rosette, le talon de sa botte encore maculé du sang de son neveu Silvère, qu’Aristide n’a pas cherché à sauver.
b) Aristide Rougon-Saccard dans l’édifice zolien

Aristide Rougon apparaît dans quatre romans du cycle, dont il est donc l’un des personnages emblématiques.

Présenté au chapitre II de La Fortune des Rougon, Aristide, frère cadet d’Eugène et de Pascal, est l’enfant chéri de sa mère, qui le croit l’homme supérieur de sa famille. Physiquement, il lui ressemble d’ailleurs. Elle est décrite constamment comme une petite cigale olivâtre et maigrichonne, très gaie. Lui a également ses petits yeux noirs, une « mine chafouine ». Mais l’ambition de la mère est gâtée par les appétits vulgaires du père, dont il récupère les bas désirs de jouissance. C’est un jouisseur paresseux à la recherche d’une « fortune rapide ». Né en 1815 (juste après la chute de Napoléon, son modèle), Aristide va mettre à l’épreuve la patience de sa mère, convaincue de son grand avenir. Il mène à Paris une vie de bohème « sale et oisive », ne passe pas ses examen, et se marie à son retour, en 1856, avec Angèle Sicardot, fille d’un capitaine retraité, qui lui a apporté une belle dot de 10 000 francs mais dont l’appétit énorme exaspère Félicité et Pierre, qui logent le couple chez eux. Aristide mène alors une vie d’oisiveté complète, jusqu’à l’épuisement complet de ses ressources. Ses appétits s’aiguisent alors, il se réveille enfin, sous la pression d’une ambition exacerbée. Il est obligé de prendre un travail minable à la sous-préfecture, mais attend une meilleure occasion. A la veille du coup d’Etat du 2 décembre 1851, Aristide est un républicain enthousiaste, qui a fondé un journal, L’Indépendant, alors que son frère est devenu l’un des proches collaborateurs du président et futur empereur, l’un des artisans du coup d’Etat. Pendant une bonne partie du roman, Aristide l’opportuniste va se fourvoyer, ne comprenant pas immédiatement que le vent est en train de tourner contre les républicains. Mais plutôt que de se mouiller au moment des événements du coup d’Etat, il se met le bras en écharpe pour faire croire à une fracture l’empêchant d’écrire ses articles ; puis, il va célébrer le coup d’Etat, une fois certain de la tournure des événements. C’est en fait lui qui assiste à l’exécution de Silvère, sans chercher à sauver celui-ci.

Aristide reparaît à Paris dans La Curée, le deuxième roman du cycle, consacré aux grands travaux d’urbanisation menés par le baron Haussmann. Il est devenu Saccard, en partie pour ne pas compromettre son frère, devenu, le ministre de l’empereur, par ses malversations dans le domaine de la spéculation immobilière, en partie car « il y a de l’argent dans ce nom là ; on dirait que l’on compte les pièces de cent sous » (chapitre II). De son mariage avec Angèle, décédée au début du Second Empire, il a eu deux enfants : Clotilde, qui retourne vivre à Plassans, et qui aura avec son oncle Pascal l’enfant du renouveau, et Maxime. Saccard au début de ce second roman a épousé une jeune femme très riche, de la bonne bourgeoisie parisienne, Renée Beraud du Châtel, une fille de magistrat.

Eugène a trouvé à Aristide un emploi à la mairie de Paris qui permet à Saccard d’avoir accès aux plans du baron Haussmann. Ces informations lui permettent d’acheter une bouchée de pain des terrains qui vont être rachetés à prix d’or par la ville de Paris. En spéculant sur les terrains de la ville de Paris menacés d’expropriation, Saccard acquiert ainsi une immense fortune, qui lui permet de faire construire un magnifique hôtel particulier du côté du Parc Monceau, et de donner de grandes réceptions.

Mais il est insatiable, rate plusieurs entreprises, et finit par escroquer sa propre épouse, qui détient un riche capital immobilier. Sa cupidité lui fait fermer les yeux sur la relation incestueuse et adultérine de sa femme et de son fils. Il parvient à la déposséder de sa fortune en lui faisant signer certains papiers, avant que celle-ci ne meure de méningite. C’est au début de L’Argent que l’on apprend que Saccard a été ruiné dans ses spéculations hasardeuses.

On retrouve fugitivement Aristide dans le dernier volume du cycle, Le Docteur Pascal, qui met en scène les amours de sa fille Clotilde et de son frère Pascal. On apprend alors que la chute de l’Empire lui a permis de revenir en France. Il reprend du service dans la presse en devant directeur du journal L’Epoque, journal républicain à grand succès, et il songe à s’enrichir de nouveau en mettant la main sur la fortune de son fils Maxime, mourant d’une ataxie (sorte de paralysie par incoordination des mouvements volontaires).

Le personnage apparaît ainsi, par ses multiples incarnations, comme une figure de l’énergie infatigable, mais reste caractérisé négativement par sa vénalité, son amoralité et son opportunisme. C’est encore L’Argent qui le présente avec le plus de nuances comme un être capable de faire le bien (si tant est qu’il y trouve son intérêt).
II) Le roman de l’argent : une exhaustivité dynamique

Zola étant, peut-être plus encore que Balzac, un écrivain du systématisme romanesque, il est soucieux d’offrir un roman à la hauteur de l’ambition signifiée par le titre. L’Argent, titre totalisant, comme l’indique l’article défini, témoigne du désir d’embrasser toutes les réalités recouvertes par ce mot complexe, sans pour autant tomber dans le statisme de l’exposé. Ce serait en effet trahir l’une des caractéristiques fondamentales de l’argent : sa circulation, son mouvement incessant.

1) Les multiples incarnations de l’argent

a) Une réalité systématiquement chiffrée

Le roman réaliste, puis naturaliste, a pour ambition de montrer le monde dans sa matérialité, en s’intéressant précisément aux réalités de la chair (le corps, la maladie, la sexualité) et de la chère (la nourriture), mais également de l’argent. A partir des romans de Balzac, tout est chiffré, dans un roman. On sait à quel montant s’élèvent la fortune d’un personnage ou le prix d’un hôtel particulier. Mais ceci tient aussi, bien entendu, à l’envahissement de l’argent dans le monde moderne désormais presque exclusivement régi par des rapports marchands (voir II).

En raison de son thème, L’Argent systématise bien entendu ce procédé de chiffrage des objets et des échanges : il y a des prix partout (= universalité de l’outil de l’argent), et des variations vertigineuses, des écarts sidérants (impliquant souvent une inégalité dans la possession de ce moyen universel). On va ainsi du « sou », pièce la plus insignifiante qui fait le fond des économies d’un Dejoie « grattées sou à sou » (p. 162) aux 300 millions de la princesse d’Orviedo et au milliard de Gundermann.

Dans l’ordre croissant, on peut donner quelques exemples de ces variations de prix, en prenant pour point de départ l’évaluation donnée par Christophe Reffait de la fourrure de Jantrou, au chapitre VI, p. 219.

Le salaire d’un petit employé est d’environ 200 francs mensuels (salaire initial de Zola lui-même). C’est donc dix fois moins que la fourrure de l’ignoble Jantrou (environ 2000 francs). Si on considère que le sou vaut le vingtième d’un franc et un peu moins d’un centime d’euro, et que dans les romans balzaciens, un ouvrier gagne environ 30 sous par jour, soit un franc cinquante, on peut estimer qu’un ouvrier, vers 1850, gagne à peine 550 francs par an, soit presque quatre fois moins qu’un petit employé : c’est à peine plus que le prix initial d’émission d’une seule action de l’Universelle ! (=500 francs). Mais L’Argent ne met guère en scène la condition ouvrière. Le peuple des gogos, c’est plutôt celui des petits employés, pouvant avec leurs économies se payer quelques actions.

Clarisse, femme de chambre de la baronne Sandorff, trahit sa maîtresse pour 200 francs (soit un mois de salaire de petit employé).

Les Maugendre, pour avoir perdu 2000 francs à la Bourse, refusent d’en prêter 200 à leur fille, et Mme Maugendre se limite à 50 francs.

Mme Caroline accepte de devenir l’intendante de Saccard au chapitre 2 pour 300 francs par mois, ce qui est donc présenté comme une exigence très modeste.

Les billets signés par Saccard pour dédommager Rosalie Chavaille s’élèvent à 600 francs, soit trois mois de salaires de petit employé.

Flory touche suite à la spéculation liée au délit d’initié dans l’affaire de la victoire de Sadowa 10 000 francs (5 années de salaire de petit employé), qui vont lui permettre de s’installer avec Chuchu et de dîner dans des restaurants chers. Mais il va en perdre 100 000 (soit dix fois plus) dans l’effondrement boursier de l’Universelle au chapitre X.

Mme de Jeumont a négocié sa nuit avec l’empereur 100 000 francs, et avec Saccard 200 000 francs, soit cent salaires annuels d’un employé et mille fois plus que le prix de la trahison de Clarisse.

La dot, pour une fille de petit employé destinée à un artisan cordonnier, Nathalie Dejoie, s’élève à 6000 francs (somme non acquise au début du roman). La dot présentée comme « maigre » pour Alice de Beauvilliers s’élève elle à 30 000 francs (20 000 francs d’économies + 10 000 francs de bijoux), soit 5 fois plus. Mme Mazaud, la femme de l’agent de change à qui une prestigieuse charge est confiée, apporte quant à elle à son mari une confortable dot de 1 million 200 000 francs (douze cent mille), soit 40 fois plus !)
b) De l’argent dans sa matérialité à l’argent comme jeu d’écritures : l’exploration d’une réalité foisonnante.
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