télécharger 367.31 Kb.
|
Parcours de l’expositionIII. Les Enfants de Saturne. La Renaissance Nourrie de traductions arabes recueillant des traditions romaines et orientales, l’astrologie médiévale établit un lien entre les planètes et les humeurs, en particulier entre Saturne et la bile noire. On interprète généralement comme néfaste l’influence de cet astre et, au delà des tempéraments mélancoliques, on finit par ranger sous l’appellation d’« enfants de Saturne » tous les êtres déchus ou marginaux de la société, notamment les artistes. Dans le chant XXI du Paradis, Dante évoque Saturne comme l’astre de la contemplation et de la sagesse : c’est dans la sphère saturnienne que le poète aperçoit les anime speculatrici, d’où s’élève l’échelle lumineuse qui conduit au Divin. La Renaissance florentine redécouvre le génie mélancolique de l’Antiquité. Pour Marsile Ficin (1433-1499), la folie divine et l’héroïsme spirituel manifestent l’influence de Saturne. Quant à la célébrissime gravure de Dürer, Melencolia I (1514), qui est au cœur de l’exposition, elle a donné lieu à de multiples interprétations sollicitant tous les champs du savoir – interprétations souvent contradictoires. Elle marque ce que l’on pourrait appeler l’Âge d’or de la mélancolie. Aux xvie et xviie siècles, le thème suscite des représentations particulièrement riches, où l’espace, les figures et les objets acquièrent un caractère allégorique. On le constate notamment dans les natures mortes dites « vanités » ou dans les paysages de ruines, qui vont connaître un grand succès au xviiie siècle. Enfin, l’artiste peut se représenter lui-même comme génie, parce qu’en proie à la mélancolie. Œuvres de : Albrecht Dürer, Hans Baldung-Grien, Giuseppe Arcimboldo, Nicolas de Leyde, Nicholas Hilliard… Gravures, objets de cabinets de curiosités et instruments scientifiques. IV. L’Anatomie de la Mélancolie. L’Âge classique Le courant de valorisation de la mélancolie qui s’est développé en Europe, particulièrement dans l’Angleterre élisabethaine et à la cour de Rodolphe II, à Prague, commence à décliner au début du xviie siècle. En 1621, la publication en Angleterre de l’Anatomie de la mélancolie, du pasteur Robert Burton, marque le retour à une conception médicale de la mélancolie et à la dénonciation des maux qu’elle cause. Mais, dans le domaine artistique, le thème de la mélancolie perd ses spécificités et ne suggère plus guère que des idées de solitude et de méditation. Dans l’Iconologie de Cesare Ripa (première édition en 1593), la Mélancolie est une jeune femme esseulée assise sur un rocher, et ce modèle, devenu un poncif, se retrouve au long des xviie et xviiie siècles. Ainsi réduit à des sentiments vagues, le thème peut « contaminer » d’autres images, la figure de Démocrite dans le domaine profane, celles de saint Jérôme et de sainte Marie-Madeleine dans le domaine religieux. Œuvres de : Domenico Fetti, Valentin de Boulogne, Georges de La Tour, Michael Sweerts, Nicolas Poussin… Parcours de l’exposition V. Les Lumières et leurs ombres. Le xviiie siècle L’âge des Lumières crée dans un premier temps un nouvel ordre en classant la mélancolie dans le domaine de la déraison et de la folie. Si Descartes, dans ses Méditations métaphysiques, parlait de ces « insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois lorsqu’ils sont très pauvres », cette bile noire de la folie devient avec Diderot une faiblesse intellectuelle et physique : « C’est le sentiment habituel de notre imperfection. […] elle est le plus souvent l’effet de la faiblesse de l’âme et des organes : elle l’est aussi des idées d’une certaine perfection, qu’on ne trouve ni en soi, ni dans les autres, ni dans les objets de ses plaisirs, ni dans la nature […] » (Encyclopédie). Pour le savoir désormais laïque, la mélancolie est une maladie de l’esprit et trouve sa place dans une nosologie ; en tant que telle, elle est appelée à être traitée dans des institutions comme l’asile ou l’hospice. Ceci étant, la rationalité engendre aussi une nouvelle subjectivité. Tout ce qui ne se laisse pas subsumer par la raison est rassemblé dans un territoire qui s’appellera plus tard l’intériorité. La mélancolie bourgeoise du xviiie siècle devient un malaise de vivre général, une sentimentalité. Son décor est la Nature dont la solitude permet au sujet de se détourner du monde et de prendre conscience de lui-même. Ainsi, avec une figure comme le René de Chateaubriand (le roman est publié en 1802), c’est tout le courant romantique qui s’inaugure. Œuvres de : Antoine Watteau, Giovanni Battista Piranesi, Johann Heinrich Füssli, Jan Tobias Sergel, Francisco de Goya… VI. Dieu est mort. Le Romantisme Avec la mort de Dieu proclamée par Nietzsche se termine la longue histoire de la perte d’un monde garanti par la foi ; désormais la solitude de l’homme dans le monde est scellée. À partir d’une fuite devant une réalité décevante, l’attitude mélancolique se transforme en une négation tragique du monde. Vers la fin du siècle, la mélancolie se radicalise et conduit à un véritable désespoir métaphysique qui s’exprime avec force dans la littérature, de Baudelaire à Huysmans. Dans la figure de Satan ou dans des visions d’un érotisme exacerbé, dans l’attention portée aux cauchemars et l’exaltation de la folie, c’est tout le vocabulaire de l’acedia qui réapparaît. Mais il ne s’agit plus de combattre des tentations pour maintenir une foi, il s’agit de subir le malheur de la condition humaine. L’une des plus fortes images de cette aliénation est alors celle de l’homme solitaire au milieu des grandes villes. Et de même que la flânerie manifeste l’ennui et l’oisiveté du sujet, le spleen (en anglais, le mot désigne d’abord la rate, siège de la bile noire) devient l’expression moderne de la mélancolie. Œuvres de : Eugène Delacroix, Théodore Chassériau, Théodore Géricault, Caspar David Friedrich, Arnold Böcklin… Parcours de l’exposition VII. La naturalisation de la mélancolie La psychiatrie se constitue dans le champ de la médecine dès la première décennie du xixe siècle. Les figures de la mélancolie et de son autre pôle, la manie, deviennent un objet d’étude privilégié de la science nouvelle. On hésite sur les appellations : de l’hypocondrie et de la neurasthénie à la lypémanie, avant de parler de « psychose maniaco-dépressive » et de « dépression bipolaire »… Si le xixe siècle renforce ainsi l’isolement de la mélancolie et la mainmise sur elle de la médecine, de la psychiatrie et de la psychologie, l’histoire de l’aliénation, de Charcot ou Kraepelin à Freud ou Tellenbach, continue à s’écrire tout au long du xxe siècle. La philosophie décrit l’homme moderne, son état d’expérience et son rapport au réel comme contingents, un état d’équilibre précaire. Sans faire l’objet d’une définition unanimement reconnue, la mélancolie devient un topos de la science nouvelle de l’âme. Œuvres de : Franz Xaver Messerschmidt, Thomas Eakins, Vincent van Gogh… Nombreuses photographies et gravures. VIII. L’Ange de l’Histoire Mélancolie et temps modernes Au XXe siècle, la conscience malheureuse liée à la subjectivité solitaire du mélancolique se trouve aggravée par les effets de l’Histoire, qu’il s’agisse de l’échec des grandes utopies sociales et des idéologies politiques, ou des catastrophes collectives comme la Grande Guerre. Les totalitarismes favorisent le repli mélancolique sur soi. Le moment esthétique devient un moyen de distanciation par rapport au monde. Le présent se définit dès lors comme le temps de la postériorité : une « posthistoire » après une époque d’optimisme à l’égard de l’Histoire, une postmodernité après des innovations visionnaires et après la fin de la grande foi dans le Progrès. De même, les espoirs liés au projet fondamental des Lumières semblent s’amenuiser. Ne pourrait-on pas imaginer, comme dépassement de la postériorité et comme nouvelle vision, une utopie qui inclurait la mélancolie (et le travail de deuil) comme paradoxe d’un nouveau projet historique révolutionnaire ? Œuvres de : Odilon Redon, Edvard Munch, Auguste Rodin, Giorgio de Chirico, Edward Hopper, Otto Dix, Antonin Artaud, Pablo Picasso, Ron Mueck, Claudio Parmiggiani, Anselm Kiefer… |