Les origines et l’histoire de la langue luxembourgeoise







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Les origines et l’histoire de la langue luxembourgeoise
Traduction libre par Bertrand Dondelinger de la Conférence donnée par la linguiste Natalia Filatkina de l’Université de Trèves dans le cadre de la « Formatioun Lëtzebuergesch » organisée par Arelerland a Sprooch (Conférence tenue à la Fondation Universitaire d’Arlon le 09/12/2006)


Au vu de la courte histoire de la langue luxembourgeoise, il pourrait sembler facile de parler de sa naissance et de son évolution. En effet, le luxembourgeois est qualifié de « langue la plus récente parmi les langues germaniques occidentales », car au sens contemporain du terme, on ne peut parler réellement de langue qu’à partir du 19ème siècle. C’est à cette époque teintée de nationalisme patriotique dans toute l’Europe que l’on situe les débuts de la conscience nationale des Luxembourgeois et de leur identité propre au travers de la langue. Les premiers ouvrages littéraires, grammaires et dictionnaires datent également de cette époque. L’élan social se renforce progressivement après l’occupation nazie durant la 2ème guerre mondiale pour déboucher sur la loi de 1984 qui fait du luxembourgeois la langue nationale du pays.
Pour un historien cependant, une langue existe bien avant qu’elle n’acquière une fonction identitaire, politique ou administrative au sein de la société. Elle existe an tant que dialecte populaire et devient une réalité plus tangible au moment de la découverte des premiers écrits. Elle n’existe pas isolément mais en relation avec d’autres dialectes apparentés au sein d’un espace géographique plus large. Elle se dégage progressivement de cette structure sous l’influence de facteurs extra-linguistiques
Ainsi en est-il du luxembourgeois qui s’est développé en langue distincte à la suite d’événements historiques. Sa réalité historique n’est perceptible qu’à partir du 19ème siècle, mais des traces sont déjà bien présentes durant le haut Moyen-Âge en lien étroit avec l’histoire des dialectes germaniques occidentaux. Parler de cette « pré-histoire » en particulier est extrêmement difficile du fait des témoignages clairsemés et des recherches linguistiques lacunaires.
Au cours de ma présentation, je vais essayer d’esquisser au mieux l’histoire ainsi que la « pré-histoire » de la langue luxembourgeoise. Pour ce faire, il me semble indispensable d’aborder au préalable l’évolution historique du plurilinguisme au Luxembourg. Je conclurai par l’analyse systématique de quelques exemples qui illustrent l’évolution du luxembourgeois au sens strictement linguistique.
Je voudrais souligner que la présente conférence ne reflète que partiellement les résultats de mes recherches sur ce thème. Elle repose en réalité sur les connaissances accumulées au cours des recherches menées par mes collègues du centre de recherche linguistique de l’Université de Trèves. Au terme de cette conférence, j’aimerais aussi vous présenter brièvement notre centre de recherche sur la langue luxembourgeoise.



  1. Classification historique et linguistique

Le luxembourgeois est à classer du point de vue historique et linguistique parmi les dialectes mosellans du moyen-allemand occidental. Le francique mosellan étend son aire linguistique sur les régions de Trèves, de Luxembourg et de quelques territoires avoisinants. Il forme avec le francique ripuaire (autour de Cologne) et le francique rhénan (autour de Mayence et de Francfort-sur-le Main) ce que l’on appelle l’espace linguistique du moyen-allemand occidental. Il se distingue cependant des deux autres dialectes par des différences de prononciation : ainsi au nord, la ligne dorp/dorf sépare le francique mosellan du francique ripuaire ; au sud, c’est la ligne dat/das (ou wat/was) qui sépare le francique mosellan du francique rhénan.
Le luxembourgeois comporte encore quatre sous-dialectes au nord, au sud, à l’est et à l’ouest du pays. Les différences se manifestent essentiellement dans la prononciation des mots, mais elles n’empêchent pas la compréhension mutuelle.

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Hartmut Beckers, Westmitteldeutsch, dans : Althaus, Hans Peter /Henne, Helmut/ Wiegand, Herbert Ernst (Hg) : Lexikon der germanistischen Linguistik. 2. A., Tübingen, 468-473 (ici p. 472)

La structure phonétique des dialectes des différentes régions au début du 20ème siècle est largement documentée par les travaux de R. Bruch et H. Palgen ainsi que par le « luxemburgischer Sprach-atlas (LSA), comparer la bibliographie et l’exposé sur les développements phonétiques dans P. Gilles, Dialektausgleich im Lëtzebuergeschen, p. 47 et suivantes.

Ces dernières décennies, la modernisation de notre société et la mobilité croissante ont conduit à des modifications dans la structure et l’usage des dialectes. Une enquête empirique de P. Gilles confirme une tendance générale à l’uniformisation des patois. Cette tendance se manifeste par une réduction des variations dialectales au profit du luxembourgeois du centre du pays (vallée de l’Alzette). Cependant (et cette tendance opposée semble bien plus forte), on observe encore aujourd’hui une conscience forte des marques distinctives des dialectes locaux. Cela se traduit dans la conversation spontanée par une empreinte relativement constante des différents dialectes régionaux, que ce soit entre locuteurs d’un même dialecte ou avec des personnes utilisant un autre patois. D’après P. Gilles, la dynamique dialectale du luxembourgeois oscille constamment entre l’uniformisation linguistique d’une part et la conservation du patois régional d’autre part.
Par ailleurs, le luxembourgeois est fortement marqué par la proximité géographique de la frontière linguistique germano-romane. Nous ne pouvons aujourd’hui reconstruire que par approximation l’évolution de cette frontière linguistique à cause de l’absence de témoignages historiques et de cartes. La seule certitude, c’est qu’elle a son aspect actuel depuis le 11ème siècle environ. Les mots d’origine romane sont si ominiprésents et si intégrés dans le vocabulaire qu’ils ne peuvent plus être qualifiés d’étrangers et ne sont d’ailleurs pas ressentis comme tels par les Luxembourgeois eux-mêmes.
Comme déjà mentionné au début, le concept de langue luxembourgeoise au sens socio-linguistique du terme n’est applicable que depuis la fin du 19ème siècle. Son évolution historique est cependant retraçable depuis le haut Moyen-Âge.


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à cet endroit , page 256

P. Gilles, Virtual convergence, dans : Folia Linguistica XXXii/1-2,32 (1998), p. 74

P. Gilles, Die Konstriktion einer Standardsprache , dans : Dialectologie zwischen Tradition und Neuansätzen, p. 202.

Wolfgang Haubrichs, Geschischte der deutsch-romanischen Sprachgrenze im Westen, dans : Sprachgeschichte. Ein Handbuch zur Geschichte der deutschen Sprache und iher Erforschung. Hg v. Werner Besch – Anne Betten- Oskar Reichmann- Stefan Sonderegger. 2. A., 4. Teilbd. Berlin – New York 2004, p. 3331-3346



  1. Aspects de l’histoire de la langue luxembourgeoise




    1. Haut Moyen-Âge : de 750 à 1050 environ



En l’an 963 le comte Sigfrid de la Maison d’Ardennes acquiert un fortin du nom de lucilinburhuc (la petite forteresse) de l’abbaye Saint Maximin à Trèves, en échange d’un domaine qu’il possédait à Feulen. L’acte d’échange original en latin¹ est visible au musée de la Ville de Luxembourg. Ce document est considéré comme l’acte fondateur du Luxembourg. Par la suite, le château fortifié donna son nom à la ville et au pays. Sigfrid devient le fondateur de la Maison de Luxembourg.
Cet évènement ne modifia guère la situation plurilingue existante dans la région. Pendant la période celtique, la peuplade mixte celto-germanique des Trévires s’était établie sur ce territoire. Par la suite, la conquête des Romains (53 av. J.C.) incorpara le Luxembourg dans l’empire romain pendant environ 500 ans. Avec l’invasion des Francs au 5ème siècle après J.C., le dialecte francique occidental atteignit le territoire luxembourgeois. A la suite des politiques d’implantation des tribus germaniques, de la christianisation au Haut Moyen-Âge ainsi que des tentatives d’expansion des souverains luxembourgeois, le territoire du Luxembourg, auparavant de seule culture germanique (Germania), s’enfonce plus profondément à l’intérieur des terres romanes occidentales. Sous le règne de Henri IV l’Aveugle (père d’Ermesinde, de la Maison de Namur) le comté de Luxembourg acquiert les comtés de Namur, Laroche et Durbuy (Trausch 1989, 57-64 ; 1992, 21-25). A partir du milieu du 12ème siècle et du règne de Henri IV commence un recentrage des Luxembourgeois en direction de l’espace linguistique romanophone.
Dans cet espace, on écrit en latin, la lingua franca commune du Moyen-Âge en Europe. Le français devait être aussi enraciné dans l’ouest du comté que le moyen-allemand à l’est. Cette variété de l’allemand donnera plus tard naissance entre autres au luxembourgeois.
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¹ La traduction allemande donnerait : «  Au nom du fils de Dieu. Qu’il soit porté à la connaissance de tous les croyants maintenant et à venir, des religieux et des laïcs, que le comte Sigfrid de noble lignée, dans l’intention d’acquérir le castel de Lucilinburhuc, s’adressa à l’archevêque Bruno, frère de l’empereur, qui exerçait le pouvoir sur l’empire, en vue de lui exposer son souhait (…). »

On ne peut cependant encore parler de francique mosellan vers l’an 750, mais plutôt de moyen-allemand, un dialecte qui montre des similitudes avec les documents écrits retrouvés dans la région de Cologne. Sur base des analyses phonétiques et graphiques, les linguistes sont arrivés à la conclusion qu’il devait exister à l’époque un espace linguistique commun au moyen-allemand, qui unissait le francique ripuaire autour de Cologne et le francique mosellan.
Il n’est pas possible sur base des documents de retracer le francique moyen tel qu’il devait être parlé à l’époque. Il est cependant remarquable de constater que le francique moyen (en tant que précurseur du luxembourgeois) est déjà fixé au moment où l’on commence à écrire la langue allemande vers le haut Moyen-Âge. Echternach et Trèves peuvent revendiquer de posséder les plus vieux témoignages de la langue populaire. Ainsi les gloses, termes provenant du grec glossa = langue, qui prennent le sens de « remarque explicative » en latin. Par gloses, on entend des annotations en langue populaire – ici en francique moyen – dans un texte latin qui ont pour fonction de traduire, d’expliquer ou de commenter. Ces gloses furent pour la plupart annotées à l’encre et à la plume par des moines afin de mieux comprendre le texte ou d’améliorer les connaissances en latin. Cette technique fut introduite à Echternach par les moines anglais et irlandais qui fréquentaient l’abbaye fondée au 7ème siècle par Saint Willibrord. Le nombre de gloses dont la provenance est avec certitude Echternach s’élèvent à 13 (Bruch 1953, 102 ; Glaser/Moulin 9 et suivantes). La rareté de ces gloses au 8ème siècle augmente d’autant plus la valeur historique de ces documents.
La glossographie d’Echternach possède par ailleurs une autre caractéristique marquante : les gloses sont gravées dans le parchemin au moyen d’un style (sorte de poinçon en métal), une technique utilisée au 8ème et 9ème siècle qui rend le déchiffrage très difficile. On peut dire par exemple que les impressions réalisées par certaines imprimantes utilisent la technique de la glose par gravure.²
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² Entretemps, on a découvert 70 manuscrits qui contiennent des gloses gravées en vieil haut-allemand, ce qui fait 5 % de la totalité des manuscrits contenant des gloses par gravure.

A côté des gloses par gravure, on utilisait à Echternach aussi les gloses à l’encre. Dans de nombreux cas, elles étaient utilisées pour l’enseignement du latin qui se pratiquait à l’abbaye. Ainsi on retrouve à Echternach des gloses en langue populaire pour commenter ou expliquer les œuvres classiques de 12 écrivains romains (Virgile, Horace, Perse, Juvénal, Térence, Boèce, Avitus etc. ³ ).
Suit ici un extrait d’un codex réunissant différents auteurs latins accompagné de gloses explicatives.

Les glosses d’Echternach ont fait l’objet d’analyses linguistiques approfondies et ont toutes été classées parmi la famille du moyen-francique. Par conséquent, elles peuvent nous aider à comprendre quelle devait être la langue parlée à cette époque.

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³ Si l’on considère l’ensemble des gloses en vieil haut-allemand sur le sujet des auteurs romains classiques, celles d’Echternach en offrent une palette unique. Par ailleurs, ces gloses nous dévoilent un aspect de l’enseignement au Moyen-Âge. (Glaser/Moulin, 9)


    1. Du Moyen-Âge à l’époque moderne (environ 1050 à 1839)




      1. Yolande, poème épique du frère Hermann


On connaît très peu de la langue luxembourgeoise au Moyen-Âge entre 1050 et 1350 (4) La redécouverte du Codex Mariendalensis longtemps considéré comme disparu est d’autant plus importante pour l’histoire de la langue. Le Codex contient un manuscrit de l’an 1320 et fournit une copie relativement ancienne du poème du frère Hermann von Veldenz : Yolande de Vianden. Du point de vue linguistique, ce manuscrit est d’une importance considérable, car il constitue une pierre d’angle permettant de cerner la langue dans le pays de Luxembourg et le bassin mosellan au 13ème et 14ème siècles.
Suit ici un extrait de ce poème. Madame Filatkina détaille quelques caractéristiques linguistiques du moyen-francique.

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  1. Quelque rares documents ( p.ex. Annolied {vers1110}, Alexanderlied du curé Lamprecht {vers1130}, der Wilde Mann {1ère moitié du 12ème siècle}, Arsteiner Marienlie {vers 1140, mais fort proche du francique rhénan}, König Rother {vers 1160, mais rédigé en bavarois), Herzog Ernst {vers 1175 en bavarois} présentent une appartenance au francique mosellan. Plus tard, dans la 2ème moitié du 13ème siècle, ce profil linguistique s’estompe sous l’influence des langues administratives suprarégionales ou par le fait que les auteurs ne sont pas toujours d’origine mosellane.



A cette époque, le francique mosellan se distingue encore difficilement du francique ripuaire. Pourtant, le texte de « Yolande » laisse déjà apparaître quelques caractéristiques de la langue. Exemples : le « h » pour les pronoms « hin » et « her », les termes « dycke » signifiant « oft, sehr » ou « baz » pour « besser », le remplacement de la diphtongue « eu » par le son « u » comme « vure » pour « Feuer ». Les pronoms en « h » caractérisent aujourd’hui encore le francique mosellan et le luxembourgeois.


      1. Exemples de la langue des affaires


Au contraire des documents littéraires assez rares vers la fin du Moyen-Âge et le début de l’époque moderne (5), les documents relatifs au monde des affaires sont assez nombreux dans l’espace luxembourgeois.(6)
Pour comprendre l’utilisation qui est faite des langues écrites au Luxembourg, il faut se situer dans le contexte historique de l’époque. C’est aux 13ème et 14ème siècles que le comté de Luxembourg acquiert une importance politique indéniable. Il s’étend sur 10.000 km², soit 4 fois la superficie du Luxembourg actuel. Le petit état comporte cependant une multitude de petits territoires dotés d’une certaine autonomie mais restés vassaux du comte de Luxembourg. Sur une carte du 13ème siècle, on peut voir que la frontière linguistique romano-germanique divise le comté de Luxembourg en deux territoires de superficie sensiblement égale. Par ailleurs, le comte avait nommé deux sénéchaux (un francophone et un germanophone) pour l’administration des deux régions. La frontière administrative ne correspondait pas exactement à la frontière linguistique , car les sénéchaux avaient autorité sur quelques groupes de population appartenant à l’autre communauté. (Reichert 1997, 394)

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  1. Voir les documents du début de l’époque moderne les œuvres littéraires suivantes : Echternacher Volkslied (du 15ème), Johann Kecks, Fürstenlob (du 16ème siècle)

  2. Voir Trierer SFB, Edition Wampach, la version digitale en ligne dans BNL ; Fonds Nicolas van Werveke

Le sénéchal représente le plus haut fonctionnaire pour l’administration du territoire, pour les deux sénéchaux voir W. Reichert (1997, 391,394)


Dans le comté de Luxembourg, les langues écrites étaient le latin, le français et bien plus tard, vers le milieu du 14ème siècle, l’allemand. Le choix de la langue dépend de plusieurs facteurs. D’abord, il y a lieu de faire la distinction entre le Luxembourg roman (Romania) et le Luxembourg germanophone (Germania), car les deux régions connurent des évolutions différentes. Ensuite, l’usage de la langue semble dépendre de la catégorie sociale (7) : la langue utilisée à la cour comtale et dans la haute administration différait de celle en usage dans l’administration subalterne (chez les fonctionnaires des villes par exemple)
Je voudrais illustrer l’usage de la langue écrite par trois exemples. Commençons par la langue en usage à la cour.

Bien que la population d’expression germanophone était la plus nombreuse avant les extensions territoriales de Jean l’Aveugle (1310-1346), le français remplace progressivement le latin dans les documents échangés à la cour du comte de Luxembourg et ce malgré le fait que le le berceau des comtes se trouvait bien du côté germanophone. C’est l’orientation politique, l’extension vers l’ouest de la zone d’influence des comtes et le rayonnement du français qui favorisèrent l’usage de cette langue à la cour luxembourgeoise. Ainsi, c’est l’exemple des territoires voisins qui fut déterminant dans le choix de la langue écrite. Le français apparut pour la première fois en 1232 dans un document de la châtellenie de Durbuy, document probablement écrit par un secrétaire du comte de Luxembourg. Depuis lors, l’usage du français se renforce constamment et finit par supplanter le latin au tournant du 14ème siècle (Reichert 1997, 374). Déjà vers 1240 la cour comtale de Luxembourg semble être un centre de rayonnement du français écrit (Reichert 1997, 409) : 69 % des documents rédigés à la cour sont en français, même des actes rédigés par Henri V et destinés à des couvents ou des familles germophones du Luxembourg ( par exemple les comtes de Vianden).


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  1. Robert Bruch (1953, 80) : bilinguisme déterminé par la catégorie sociale

Cfr W. Reichert (1997, 395) ; les extensions territoriales de Jean l’Aveugle étaient dans la partie sud-ouest du comté, dans les Territoires de Damvillers, Orchimont, Mirwart, Ivois, Virton ( cfr à cet enfroit, 394)

cfr W. Reichert (1997, particulièrement 466-475)
Sous les règnes de Henri V, Henri VI et Henri VII, donc entre 1247 et 1313, on assiste à une percée du français dans les documents de la cour comtale. Le couronnement de Henri VII comme roi et empereur réoriente la politique vers l’est et le latin réapparaît dans les écrits. A partir de 1320 et l’avènement de son fils Jean l’Aveugle et pendant environ 100 ans, l’allemand fait son entrée dans les documents de la cour(8). La plupart des échanges épistolaires concernent les rapports entre Jean l’Aveugle avec ses vassaux. Cependant, on constate que la langue de ces écrits change assez souvent, comme le décrit l’historien Wilfried Reichert originaire de Trèves : (1997,439) « Comme les échanges entre les nobles et le comte comportent plusieurs lettres, la langue variait souvent même endéans des laps de temps assez courts. C’est ainsi que le comte Johann von Sponheim reçut en 1314 une lettre de créance en latin. Dix ans plus tard, le comte de Luxembourg lui expédie une lettre rédigée en allemand évoquant des liens de vassalité. Le comte Eberhard von Katzenelnbogen fut acquis comme vassal par la maison de Luxembourg dans une lettre rédigée en latin. Trois ans plus tard, il établit lui-même une contre-lettre en allemand. A partir de 1325, le comte Georg von Veldenz recut de Jean l’Aveugle trois lettres en allemand, mais s’adressa à lui entretemps en latin […] »
Mon deuxième exemple concerne les échanges épistolaires de la noblesse pour lesquels il faut distinguer les quartiers wallons (Romania) des quartiers allemands (Germania). La percée du français comme langue administrative de la maison comtale favorise sa diffusion auprès des familles nobles francophones,des chevaliers, de la bourgeoisie,des hauts-fonctionnaires. (Völker 2000, 40) ainsi qu’auprès du clergé. En 1270, le latin est entièrement remplacé par le français dans la « Romania » luxembourgeoise. Dans la « Germania », les choses se présentent de manière assez variable. A ce stade des recherches, on n’a pas découvert un code établissant avec certitude l’usage de la langue dans les échanges entre la maison comtale et les familles nobles (Reichert 1997, 434).
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(8) Le plus ancien document de la cour comtale date du 18 janvier 1322 : il décrit la vente des terres que détenaient les seigneurs de Blankenheim à Reuland.

Harald Völker : Altfranzösisch in deutscher Feder ? Sprache und Verwaltung in der Grafschaft Luxemburg im 13. Jh.

Dans : Schreiben in einer anderen Sprache. Zur Internationalität romanischer Sprachen und Literaturen. Romanistisches Kolloquim XIII. Hg. V. Wolfgand Dahmen, Günter Holtus, Johannes Kramer, Michael Metzeltin, Wolfgang Scheickard, Otto Winkelmann. Tübingen, 35-52.
Contrairement à la partie francophone du comté, on constate dans la partie germanophone un maintien assez tardif du latin (jusque 1256 environ ; Reichert 1997,450) et une légère tendance à un usage plus fréquent du français à partir de 1320. Les documents émanant du tribunal des chevaliers illustrent le mieux cet état de choses. Cette institution, organe de la noblesse et de la chevallerie, était née dans la partie germanophone pour régler les problèmes patrimoniaux. Pour la période entre 1266 et 1379, on répertoria 315 écrits, dont 121 pièces rédigées en latin, 115 en français et 69 en langue allemande.

Mon troisième exemple concerne les fonctionnaires subalternes principalement au niveau des villes. Dans ce cas, la langue écrite variait suivant les circonstances. Le bilinguisme latin/allemand concernait seulement la partie orientale du comté, à savoir les villes d’Echternach et Bitburg ; à Arlon, Thionville et Luxembourg on utilisa le français puis l’allemand vers 1350. L’usage de la langue en un lieu de la Germania luxembourgeoise dépendait de l’éloignement de ce lieu par rapport à la frontière linguistique. D’un point vue général, on peut dire aujourd’hui qu’il était fait usage de l’allemand dans les textes relevant de la coutume religieuse ou séculiere, dans les actes de donnation, les contrats de mariages, testaments, inventaires de biens, négociations juridiques et livres de compte. En guise d’exemple, on peut relever les livres de comptes de la ville de Luxembourg entre 1388 et 1500, exclusivement rédigés en allemand. Mme Filatkina expose à l’assemblée la première page d’un livre de comptes de 1415 reprenant la liste des recettes. L’allemand s’impose , malgré les importantes modifications historiques à cette époque : en effet, la lignée des comtes de Luxembourg expire vers 1443 et est remplacée par des souverains étrangers jusqu’au 19ème siècle qui utilisent le français comme langue parlée et écrite. De 1443 à 1506, ce sont les ducs de Bougogne (conquête de Philippe le Bon) ensuite les Espagnols (1506-1684 et 1697-1714), les Autrichiens (1714-1795) puis enfin les Français (1687-1697 et 1795-1814).


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