Saint-Domingue/Haïti : histoire, géographie, enseignement (collèges, lycée professionnel) Nadine Baggioni-Lopez
Professeure agrégée d’histoire-géographie
De la Perle des Antilles au temps de la première colonisation au pays le plus pauvre du continent américain : de l’esclavage au sous-développement, une construction de la domination.
Nadine Baggioni-Lopez Je tiens ici à remercier Joël Brugier et Claudine Barbier pour leur patience et leurs corrections pertinentes. Pour Neel.
Une étude de cas emblématique.
Loi du 21 mai 2001 dite loi Taubira sur l'esclavage.
Article 1er
La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.
Article 2
Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. […] Avec l’article 2 de la loi du 21 mai 2001 dite loi Taubira de Reconnaissance des Traites et des Esclavages comme Crime contre l'Humanité, l’enseignement de l’histoire de la première colonisation et de l’esclavage a pris une place plus importante dans les programmes de l’enseignement secondaire. Soulignons que c’est aussi un chapitre de notre histoire nationale. Si l’étude de l’esclavage n’était pas prévue jusqu’ici en tant que telle dans les programmes du second degré, elle était toujours néanmoins abordée dans les manuels et avec les classes, mais au détour d’autres questions. En 5ème, le chapitre de géographie sur la population de l’Afrique et en histoire celui sur les Grandes Découverte, en 4ème celui sur l’essor du commerce atlantique au XVIIIème siècle permettaient d’aborder cette question, mais ce n’était jamais de façon cohérente et globale. Enfin l’esclavage colonial était abordé à l’occasion de l’étude de son abolition de 1848 en France (l’abolition de 1794 était très rarement étudiée et même mentionnée dans les manuels), et donnait lieu à des chapitres relevant parfois du roman de l’histoire nationale sur la République libérant les esclaves de leurs chaînes, en abordant rarement la question des résistances et des révoltes serviles. L’édition des nouveaux programmes de collège et de lycée professionnel fait dorénavant la part belle à cet enseignement. Il ne s’agit pas a contrario de faire maintenant une histoire compassionnelle s’intégrant dans une surenchère des mémoires victimaires.
Nous proposons dans ce mémoire de relier différents chapitres des programmes d’Histoire et de Géographie de collège et de lycée professionnel à travers une étude de cas : celle de Saint-Domingue devenue Haïti en 1804. L’étude de l’histoire et de la géographie d’Haïti permet de filer une étude de cas sur deux classes en collège et sur la quasi-totalité du programme de seconde bac pro en LP. Il permet de lier les programmes d’Histoire et de Géographie qui se nourrissent l’un de l’autre.
Pourquoi ce choix ? Haïti est sorti prématurément de l’espace colonial français. C’est dans cette île que la première colonisation connut sa forme la plus aboutie et la plus oppressive, un modèle colonial. C’est pourquoi la question des colonies sous la Révolution française et donc celle des Droits de l’Homme a connu là sa forme la plus conflictuelle et a abouti à la révolte des esclaves en 1791 et à leur émancipation en 1793. L’indépendance, tôt acquise, a rapidement mené Haïti sur le chemin du néocolonialisme qui a construit un sous-développement précoce. Aujourd’hui, l’ancienne Perle des Antilles est l’un des pays les plus pauvres du globe. Ce sous-développement est clairement une construction historique prenant ses racines dans la colonisation, même après deux siècles d’indépendance. Il ne s’agit pas de faire une histoire téléologique ou une géographie déterministe, mais de comprendre et de faire comprendre aux élèves les processus en cours dans le passé et dans le présent, de dépasser le seul tableau descriptif du sous-développement et d’utiliser l’histoire comme mode d’explication d’une situation contemporaine : il faudra nuancer le propos face aux élèves qui s’accommodent facilement d’explications simplistes ou simplifiées.
L’inégal développement est une construction historique et le cas Haïtien est particulièrement frappant à plusieurs points de vue. Ce pays cumule la totalité des critères du sous-développement et de ses conséquences, y compris environnementales. Cet exemple permet de lier les différences de développement à la mondialisation, dans la longue durée. Haïti, comme toutes les Antilles, a été au cœur de la mondialisation liée aux Grandes Découvertes. La première colonisation, dont Saint-Domingue/Haïti était un paradigme, a construit une économie extravertie et dominée. L’histoire particulière de ce pays, celle de l’unique révolte servile de l’Histoire qui ait abouti, liée à la Révolution française et aux différentes interprétations possibles de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et celle de son indépendance, l’a mené de l’état de périphérie dominée, à celui de périphérie délaissée. Créé par la première mondialisation, ce pays est aujourd’hui totalement inclus dans la mondialisation d’aujourd’hui tout en étant exclu de la croissance créée par celle-ci.
Il ne s’agit pas pour les élèves d’étudier toute l’histoire de ce pays, mais d’étudier un exemple à la fois dans le programme d’Histoire et celui de Géographie. Toutes ces problématiques seront les fils rouges de cette étude. Nous commencerons par un exposé de l’histoire et de la géographie de Saint-Domingue et d’Haïti à destination des collègues, puis nous ferons quelques propositions pédagogiques avec des documents et des exercices à proposer aux élèves.
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