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C. Prolongement culturel : Racine, Britannicus – Tacite, Annales P18 Textes complémentaires Racine, Britannicus (1669) Acte III, scène 8, vers 1041- 1056. Racine, dans sa tragédie, fait de nombreuses entorses à la chronologie et aux faits historiques. La pièce se clôt bien sur l'empoisonnement de Britannicus sur l'ordre de Néron, en 55 ap.J.C, mais la rivalité entre les deux princes est ici amoureuse : Néron médite de répudier sa femme Octavie pour épouser Junie, mais celle-ci aime Britannicus et en est aimée. Cependant, en arrière-plan, c'est la lutte entre Néron et Agrippine pour le pouvoir personnel, leurs ambitions et leurs manœuvres, qui sont le ressort de l'action. On voit progressivement le Néron amoureux et capable de bonté se changer en un despote sanglant, sous l'aiguillon de la jalousie et la crainte des complots tramés par sa mère. Le dialogue suivant montre la naissance du tyran. Néron Ainsi par le destin nos vœux sont traversés : J'obéissais alors, et vous obéissez. Si vous n'avez appris à vous laisser conduire, Vous êtes jeune encore, et l'on peut vous instruire. Britannicus Et qui m'en instruira ? Néron Tout l'empire à la fois, Rome. Britannicus Rome met−elle au nombre de vos droits Tout ce qu'a de cruel l'injustice et la force, Les emprisonnements, le rapt et le divorce ? Néron Rome ne porte point ses regards curieux Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux. Imitez son respect. Britannicus On sait ce qu'elle en pense. Néron Elle se tait du moins : imitez son silence. Britannicus Ainsi Néron commence à ne plus se forcer. Néron Néron de vos discours commence à se lasser. Britannicus Chacun devait bénir le bonheur de son règne. Néron Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne. Tacite, Annales, livre XIV. 4-10 (Traduction de J.L Burnouf, 1859) Tacite donne ici son propre récit des attentats de Néron contre sa mère et de la mort d'Agrippine. Cette version est à confronter avec celle de Suétone. Un vaisseau plus orné que les autres attendait la mère du prince, comme si son fils eût voulu lui offrir encore cette distinction; car elle montait ordinairement une trirème, et se servait des rameurs de la flotte: enfin, un repas où on l'avait invitée donnait le moyen d'envelopper le crime dans les ombres de la nuit. C'est une opinion assez accréditée que le secret fut trahi, et qu'Agrippine, avertie du complot et ne sachant si elle y devait croire, se rendit en litière à Baies. Là, les caresses de son fils dissipèrent ses craintes; il la combla de prévenances, la fit place, à table au-dessus de lui. Des entretiens variés, où Néron affecta tour à tour la familiarité du jeune âge et toute la gravité d'une confidence auguste, prolongèrent le festin. Il la reconduisit à son départ, couvrant de baisers ses yeux et son sein; soit qu'il voulût mettre le comble à sa dissimulation, soit que la vue d'une mère qui allait périr attendrit en ce dernier instant cette âme dénaturée. Une nuit brillante d'étoiles, et dont la paix s'unissait au calme de la mer, semblait préparée par les dieux pour mettre le crime dans toute son évidence. Le navire n'avait pas encore fait beaucoup de chemin. Avec Agrippine étaient deux personnes de sa cour, Crepereius Gallus et Acerronia. Le premier se tenait debout près du gouvernail; Acerronia, appuyée sur le pied du lit où reposait sa maîtresse, exaltait, avec l'effusion de la joie, le repentir du fils et le crédit recouvré par la mère. Tout à coup, à un signal donné, le plafond de la chambre s'écroule sous une charge énorme de plomb. Crepereius écrasé reste sans vie. Agrippine et Acerronia sont défendues par les côtés du lit qui s'élevaient au-dessus d'elles, et qui se trouvèrent assez forts pour résister au poids. Cependant le vaisseau tardait à s'ouvrir, parce que, dans le désordre général, ceux qui n'étaient pas du complot embarrassaient les autres. Il vint à l'esprit des rameurs de peser tous du même côté, et de submerger ainsi le navire. Mais, dans ce dessein formé subitement, le concert ne fut point assez prompt; et une partie, en faisant contrepoids, ménagea aux naufragés une chute plus douce. Acerronia eut l'imprudence de s'écrier "qu'elle était Agrippine, qu'on sauvât la mère du prince" et elle fut tuée à coups de crocs, de rames, et des autres instruments qui tombaient sous la main. Agrippine, qui gardait le silence, fut moins remarquée, et reçut cependant une blessure à l'épaule. Après avoir nagé quelque temps, elle rencontra des barques qui la conduisirent dans le lac Lucrin, d'où elle se fit porter à sa maison de campagne. Là, rapprochant toutes les circonstances, et la lettre perfide, et tant d'honneurs prodigués pour une telle fin, et ce naufrage près du port, ce vaisseau qui, sans être battu par les vents ni poussé contre un écueil, s'était rompu par le haut comme un édifice qui s'écroule; songeant en même temps au meurtre d'Acerronia, et jetant les yeux sur sa propre blessure, elle comprit que le seul moyen d'échapper aux embûches était de ne pas les deviner. Elle envoya l'affranchi Agermus annoncer à son fils "que la bonté des dieux et la fortune de l'empereur l'avaient sauvée d'un grand péril; qu'elle le priait, tout effrayé qu'il pouvait être du danger de sa mère, de différer sa visite; qu'elle avait en ce moment besoin de repos." Cependant, avec une sécurité affectée, elle fait panser sa blessure et prend soin de son corps. Elle ordonne qu'on recherche le testament d'Acerronia, et qu'on mette le scellé sur ses biens : en cela seulement elle ne dissimulait pas. Néron attendait qu'on lui apprît le succès du complot, lorsqu'il reçut la nouvelle qu'Agrippine s'était sauvée avec une légère blessure, et n'avait couru que ce qu'il fallait de danger pour ne pouvoir en méconnaître l'auteur. Éperdu, hors de lui même, il croit déjà la voir accourir avide de vengeance. "Elle allait armer ses esclaves, soulever les soldats, ou bien se, jeter dans les bras du sénat et du peuple, et leur dénoncer son naufrage, sa blessure, le meurtre de ses amis : quel appui restait-il au prince, si Burrus et Sénèque ne se prononçaient ?" Il les avait mandés dès le premier moment : on ignore si auparavant ils étaient instruits. Tous deux gardèrent un long silence, pour ne pas faire des remontrances vaines; ou peut-être croyaient-ils les choses arrivées à cette extrémité, que, si l'on ne prévenait Agrippine, Néron était perdu. Enfin Sénèque, pour seule initiative, regarda Burrus et lui demanda s'il fallait ordonner le meurtre aux gens de guerre. Burrus répondit "que les prétoriens, attachés à toute la maison des Césars, et pleins du souvenir de Germanicus, n'oseraient armer leurs bras contre sa fille. Qu'Anicetus achevât ce qu'il avait promis." Celui-ci se charge avec empressement de consommer le crime. À l'instant Néron s'écrie "que c'est en ce jour qu'il reçoit l'empire, et qu'il tient de son affranchi ce magnifique présent ; qu' Anicetus parte au plus vite et emmène avec lui des hommes dévoués." De son côté, apprenant que l'envoyé d'Agrippine, Agermus, demandait audience, il prépare aussitôt une scène accusatrice. Pendant qu'Agermus expose son message, il jette une épée entre les jambes de cet homme; ensuite il le fait garrotter comme un assassin pris en flagrant délit, afin de pouvoir feindre que sa mère avait attenté aux jours du prince, et que, honteuse de voir son crime découvert, elle s'en était punie par la mort. Cependant, au premier bruit du danger d'Agrippine, que l'on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux-ci montent sur les digues ; ceux-là se jettent dans des barques; d'autres s'avancent dans la mer, aussi loin qu'ils peuvent ; quelques-uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de vœux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux : enfin l'on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d'une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. Anicetus investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu'il rencontre, et parvient à l'entrée de l'appartement. Il y trouva peu de monde ; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. Dans la chambre, il n'y avait qu'une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agermus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. Comme la suivante elle-même s'éloignait : "Et toi aussi, tu m'abandonnes," lui dit-elle : puis elle se retourne et voit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeius et d'Obaritus, centurion de la flotte. Elle lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent ; que le prince n'avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups. Voilà les faits sur lesquels on s'accorde. Néron contempla-t-il le corps inanimé de sa mère, en loua-t-il la beauté ? Les uns l'affirment, les autres le nient. Elle fut brûlée la nuit même, sur un lit de table, sans la moindre pompe; et, tant que Néron fut maître de l'empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l'endroit le plus haut de la côte, domine au loin tout le golfe. Quand le bûcher fut allumé, un de ses affranchis, nommé Mnester, se perça d'un poignard, soit par attachement à sa maîtresse soit par crainte des bourreaux. Telle fut la fin d'Agrippine, fin dont bien des années auparavant elle avait cru et méprisé l'annonce. Un jour qu'elle consultait sur les destins de Néron, les astrologues lui répondirent qu'il régnerait et qu'il tuerait sa mère : "Qu'il me tue, dit-elle, pourvu qu'il règne." D. Entraînement à l'examen P15 Exercice autocorrectif n°2 : Comparaison de traductions Comparez les deux traductions de l’extrait suivant. Extrait : [X] Et cum de supplicio cujusdam capite damnati ut ex more subscribere admoneretur : « Quam vellem », inquit, « nescire litteras ! » Traduction n°1 : H. Ailloud (1961). Un jour qu'on le priait de signer, selon l'usage un arrêt de mort, il dit : « Comme je voudrais ne pas savoir écrire ! » Traduction n°2 : P. Klossowski (2010). Et comme on le pressait de souscrire, selon l'usage, une condamnation à mort, il s'écria : « Que j'eusse aimé n'être qu'un analphabète ! » => Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre. P18 Lecture cursive bilingue : Le matricide (§ XXXIV)
P15 Exercice autocorrectif n°3 Comparez le récit que fait Suétone de la mort d'Agrippine avec la version donnée par Tacite dans ses Annales, que vous avez pu lire dans le texte complémentaire ci-dessus. => Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre. P15 Exercice autocorrectif n°4 : Analyse de l’image Étudiez la composition de ce tableau et notamment comment est mise en scène l'absence d'humanité de Néron. À quels indices voit-on que l'artiste a lu l’œuvre de Suétone ? => Vous confronterez vos réponses avec le corrigé en fin de chapitre. Placer ici le document 5 : « Néron au cirque », 1897. H.Siemiradzki (1843-1902) |
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