Thèse pour obtenir le grade de docteur de l’Université Paris I panthéon-Sorbonne







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3) La seconde guerre mondiale : la rencontre du Général de Gaulle et des Français d’Algérie
« Pendant la guerre de 1939-1940, l’armée des pieds-noirs et des musulmans d’Algérie est surtout employée à organiser la défense de la ligne Mareth, dans le Sud tunisien, contre une attaque éventuelle venant de l’est. Elle est aussi présente en France par ses divisions de marche qui se battent dans le Nord, en mai 1940, en subissant des pertes considérables. »581 Pourtant, l’Algérie est restée préservée du conflit pendant de nombreux mois. Elle continue de vivre dans un relatif calme provincial, qui ne laisse en rien présager le désastre que la métropole est sur le point de vivre. « L’évolution de l’opinion algérienne ne peut s’expliquer sans la prise en compte de ce décalage initial qui l’amène dès lors à réagir à contretemps par rapport à la situation métropolitaine. Privée d’information directe par son éloignement du conflit, n’ayant pas connu le spectacle des réfugiés qui dans de nombreuses régions françaises précède et annonce l’exode, l’Algérie est totalement tributaire d’une presse soumise au régime de la censure qui minimise tout au long du mois de mai la gravité de la situation militaire »582. Malgré l’instauration d’un système de rationnement, tout comme en métropole, c’est avec stupeur que l’Algérie apprend « l’incroyable désastre militaire de mai 1940. C’est avec angoisse que la population attend les conditions de l’armistice. « La seule peur des populations est de « voir se conclure un accord qui ne sauvegarderait pas dans l’honneur l’intégrité de l’Empire ». »583 Le 25 juin, elle découvre avec soulagement que l’intégrité de l’Empire colonial est maintenue, et, dans sa majorité, elle semble se rallier au régime du maréchal Pétain. Le ton de cette « Révolution nationale » la séduit, par cette espèce de retour aux sources des débuts de la conquête du pays. »584
Ainsi, « chez les Européens, le sentiment dominant est qu’en tant que Français - qu’importe leur origine sicilienne, maltaise, espagnole, etc.-, ils appartiennent à la France, pour le meilleur et pour le pire. C’est à elle qu’ils s’en remettent pour décider de la conduite à tenir. (…) le rayonnement d’un homme, la force d’une personnalité comptent bien plus aux yeux de la masse que tout autre chose. »585 C’est pourquoi, selon Annie Rey-Goldzeiguer, « Pétain rassure par ses victoires et son image tutélaire. Les Européens d’Algérie sont pétainistes avec passion, car le vieillard leur a permis de surmonter le choc de la défaite en conservant intactes les structures (…) du monde colonial. »586

Ainsi que le raconte d’ailleurs Frédérique D. qui parle de son père :

« En plus, il était pétainiste. Alors, ça, maintenant, je ne comprends pas tellement… avec le recul, j’ai fait ma propre opinion sur Pétain, mais… je devrais m’appeler Philippe si j’avais été un garçon. Ma sœur devrait s’appeler Philippe si elle avait été un garçon… pour vous dire que la famille… dans mon enfance, j’ai toujours vu la photo de Pétain dans le hall de mes grands-parents. »587
Nicolas D. rappelle également :

« La plupart des Pieds-Noirs, 90 % peut être 95 % étaient tous des pétainistes… on n’était pas des enfants de cœur prêts à se mettre à genou devant le gaullisme, n’oubliez pas cette donnée, elle est fondamentale… de Gaulle ne pouvait pas porter un jugement de valeur non subjectif donc objectif en traitant le problème sachant qu’en face de lui, il y avait un million de Pieds-Noirs qui avaient été des pétainistes et ça, il y avait je ne sais pas… et d’ailleurs quand les américains ont débarqué à Oran, l’armée française qui était… à l’époque était sous la direction du ministre de la guerre de Pétain, qui était également en Algérie même sous la direction de Giraud… du général Giraud et de je ne sais plus qui… quand les américains ont débarqué, l’Algérie a tiré à boulets rouges les Français d’Algérie, les Pieds-Noirs… ont tiré à boulets rouges sur les Américains il y a un ou deux bateaux qui a été coulé dans le port d’Oran parce qu’on ne voulait pas laisser l’Amérique, pas plus aux Allemands, qu’aux Italiens, qu’aux Américains qu’à qui que ce soit… et les Américains, d’ailleurs, ont eu de nombreuses victimes quand ils ont débarqué alors qu’ils pensaient arriver en pays conquis, en pays accueillant… pas du tout… l’occupation américaine a été très mal ressentie en Algérie par les Pieds-Noirs et même par les Arabes et ce sont les éléments annexes quelque part qui peuvent corroborer cette espèce de négligence qu’a eu de Gaulle à ne pas préparer cette décolonisation. »588
Pour Mme P. :

« Nous habitions dans une rue où en face il y avait un local, et c’était au temps du maréchal Pétain là que je vous parle… c’était au temps du maréchal Pétain… on faisait des défilés. On chantait « Maréchal nous voilà ! Devant toi, le sauveur de la France ! » et tout ça. Regardez comme je me rappelle hein ! Mais alors, à cette époque-là je devais avoir… eh bien à la guerre, je devais avoir une dizaine d’années, dix onze ans, puisque je suis née en 32… 42, il y a eu la guerre. Mais, tout ça, c’est des souvenirs qui me sont restés. »589
Passée la prise de conscience, à laquelle succède une phase de crise, l’opinion algérienne demeure désorientée et « oscille entre deux champs d’attraction opposés. (…) Dans la presse, La Dépêche algérienne et L’Echo d’Oran (…) sont parmi les premiers à prôner le ralliement au maréchal Pétain. La figure du Maréchal permet de reléguer au deuxième plan le débat sur l’armistice. Le devoir de résistance à l’ennemi est subordonné à celui d’obéissance à « l’homme providentiel » (…). »590 Leur soutien au Maréchal Pétain leur sera d’ailleurs longtemps reproché, et restera au centre du contentieux qui les opposera par la suite au Général de Gaulle, et, plus loin, aux gouvernants français, dont ils analyseront, en leur faveur, le comportement à la lumière de leur propre attitude du temps de l’Algérie française, comme le rappelle Joseph Hattab Pacha, président de Veritas, comité pour le rétablissement de la vérité historique sur l'Algérie française :

« Quand je pense qu'il fut un temps, on a reproché à un chef d'état, alors que nous étions vaincus, d'avoir accepté de serrer la main d'Hitler. Mais eux maintenant font beaucoup mieux, parce que monsieur Chirac, comme nos gouvernants, reçoivent un assassin, car tout le monde... (…) car tout le monde sait que monsieur Bouteflika était un chef du FLN, et ils se permettent de leur étaler le tapis rouge pour les recevoir. »591
Il existe bien sur le sol algérien des gens qui « n’ont pas admis la défaite et sont hostiles à toute idée de collaboration active avec l’Allemagne et à l’étouffement de toutes les libertés. »592 Mais il n’y a, pas encore du moins, de vaste mouvement de soutien aux résistants, et surtout pas aux résistants de « l’extérieur ». Le général de Gaulle en particulier, dont la relation avec les Français d’Algérie, nous le verrons, jouera pour une grande part dans l’issue du conflit menant à l’indépendance de l’Algérie ainsi que sur le positionnement même de cette population au sein de la société française, ne dispose pas en Algérie, d’un soutien populaire massif. Pire, il est véritablement détesté. Ainsi, « André Philip, délégué de de Gaulle en Amérique, doit avouer que « les gaullistes ne disposent d’aucune cellule dans ce pays593 ». »

C’est autour du drame de Mers-el-Kebir que s’est cristallisée cette rancœur contre le général de Gaulle. Proche des Anglais, le général de Gaulle va se trouver associé à cet événement au cours duquel va se construire en partie sa future relation avec la population française d’Algérie. En effet, « dans les milieux militaires, l’émotion suscitée par l’armistice persiste dans les premiers jours du mois de juillet. L’attaque anglaise sur la base navale de Mers-El-Kébir et la mort de mille sept cents marins clôturent pour beaucoup la phase des cas de conscience. (…) L’incompréhension et la colère l’emportent également auprès des populations européennes désemparées par le nouveau cours de la guerre mondiale »594.

« Le 3 juillet 1940, la flotte anglaise se présente devant Mers el-Kébir et donne l’ordre à la marine française (…) soit de se saborder, soit d’appareiller pour l’Angleterre. (…) les autorités de la colonie rejettent les propositions anglaises. Ce jour-là, la marine française est envoyée par le fond. (…) Ce jour-là aussi, l’anglophobie s’empare de la population coloniale. »595

René Fa. raconte :

« Vous savez, le 3 juillet, quand les bâtiments anglais ont attaqué la flotte française qui était à Mers El Kébir… le 3 juillet dans l’après-midi, on a entendu tout à coup des coups de canon. Alors, vous savez ce que c’est que la rumeur. Tout de suite, il y a des gens qui disent… « c’est les Allemands qui lâchent des bombes, qui veulent… »… on pensait que c’était des avions qui bombardaient la ville. Et ça n’est que tard dans la nuit qu’on a appris ce qui s’était passé… événement qui s’est reproduit 48 heures après, puisque le 6 juillet, ils sont revenus pour finalement achever les bâtiments qui étaient encore à peu près debout. »596
De même, pour Nicolas D. :

« Je peux vous dire que j’ai pas gardé un bon souvenir de Mers El Kébir, il y a eu près de 3 000 jeunes marins, jeunes français qui étaient là-bas avec la force française… enfermés, contrôlés par la commission italienne et allemande donc désarmés, les Allemands tiraient là-dedans. Ils sont restés quatre jours à régler leurs tirs et là avec toute la flotte anglaise, il y avait … les tirs étaient réglés précis, la mer était calme, ça a été un massacre et il y a encore 2 000 ou 3 000 jeunes Français, patos  comme nous disions nous, qui n’étaient pas des Pieds-Noirs qui sont enterrés là-bas au cimetière… c’est un des mauvais souvenir effectivement qui nous a marqué, donc nous aimons pas les Anglais parce que les Anglais ont fait de l’ombre aux Pieds-Noirs puisque c’était pour délivrer les Pieds-Noirs mais en fait ce qu’ils ont fait aux Français eux-mêmes, c’était un coup splendide, c’était une occasion inespérée de détruire la flotte française qui était la troisième flotte au monde après la flotte anglaise… américaine, anglaise… ça les Anglais l’ont fait tout au long de leur histoire à chaque fois qu’ils ont pu nous couler, ils l’ont fait . Non, je ne porte pas les Anglais dans mon cœur. »597
Personne en Algérie française n’oubliera jamais cet événement, ni la solidarité de la résistance française et du général de Gaulle, à ceux qui auront osé s’en prendre à l’armée française. En septembre 1942, L’écho d’Oran écrira même : « Quant à vous, Monsieur de Gaulle, qui traînez dans la honte et dans le sang les lambeaux d’un uniforme français, vous êtes un misérable, un traître et un assassin. »598

Il est donc possible de déceler dans cet événement l’une des origines de l’immense tension qui caractérisera les rapports qu’entretiendra le général de Gaulle avec les Français d’Algérie. En effet, parmi les personnes interviewées ici, nombreuses seront celles qui affirmeront que l’ « épisode » de la seconde guerre mondiale aura été déterminant, tant pour le général de Gaulle que pour les Français d’Algérie, dans la façon dont chacun percevra l’autre. Bien souvent, l’opinion ainsi forgée par de Gaulle sera déterminante dans le déroulement du conflit qui mènera à l’indépendance de l’Algérie.

Pourtant, pour les mêmes raisons qui l’avaient « poussée » à s’affirmer pétainiste, par patriotisme, l’Algérie française va devenir gaulliste, lorsque le « chef de la « France libre » lui paraîtra mieux qualifié pour relever le pays. »  Même si, nous le verrons, de Gaulle et la population des Français d’Algérie n’auront jamais vraiment d’empathie l’un envers l’autre, il saura pourtant reconnaître, et utiliser, l’Algérie française comme une de ses meilleures scènes politiques. Et, de même, avant que ne se dégradent, plus tard, ses rapports avec la colonie, il reconnaîtra dans sa ferveur patriotique l’une des plus belles images du peuple français, confirmant ainsi la pleine appartenance des anciens émigrés à la communauté nationale.
Le 30 mai 1943, de Gaulle arrive à Boufarik et gagne Alger. « Plus tard, le 14 juillet, « c’est Alger », écrit-il dans ses Mémoires de guerre, « capitale de l’Empire et de la France combattante, qui offrit la démonstration de la renaissance de l’Etat et de l’unité nationale retrouvée. Ainsi, déclarai-je, après trois années d’indicibles épreuves, le peuple français reparaît. Il reparaît en masse, rassemblé, enthousiaste, sous les plis de son drapeau. Mais, cette fois, il reparaît uni. Et l’union que la capitale de l’Empire prouve aujourd’hui d’une éclatante manière, c’est la même que prouveront demain toutes les villes et villages dès qu’ils auront été arrachés à l’ennemi et à ses serviteurs… ». »599 Fiers d’être en première ligne, de s’être sacrifiés pour le sauvetage de la France, patrie idolâtrée, les Français d’Algérie se voit encouragés dans leur nationalisme. Ainsi, estiment-ils «que les sacrifices consentis pour libérer la mère patrie méritent la reconnaissance de celle-ci et justifient le maintien de la communauté européenne dans son rôle dominant. »600

Toutefois, il faudra qu’ils s’y accoutument, il va être mis à rude épreuve. En effet, de Gaulle ne se précipite pas particulièrement pour reconnaître l’énorme effort fourni par la colonie, engagée de toutes ses forces dans la défense de la patrie. Encore une fois, il convient de voir ici ce qui se joue, à moyen terme, de la relation entre le futur chef de l’Etat et la population française d’Algérie. Elle soutient la France, il ne le reconnaît pas. Elle contribue à protéger et sauver la métropole, il ne met d’abord l’accent sur les réussites de l’armée métropolitaine. A n’en pas douter, ce défaut originel de reconnaissance pèsera à l’avenir d’un poids certain sur l’opinion des Français d’Algérie sur le général de Gaulle, et, plus loin, sur la métropole.

En effet, « peu importe à de Gaulle si, dans la hargne qu’il met à effacer la gestion non-gaulliste, il efface du même coup le travail de préparation à la revanche qui a été accompli en Algérie. (…) En dépit de cette légèreté à son égard, celle-ci va lutter sur le territoire italien à partir de décembre 1943. »601 «  A l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, la participation des pieds-noirs à l’histoire nationale est encore plus remarquable. En 1939, comme de 1914 à 1918, les combats ne se déroulent pas sur leur territoire et, en ce sens, l’Algérie ne se distingue pas du Centre ou de la plupart des régions méridionales de la France. Ce sont [donc]120 000 hommes, soit un quart des effectifs engagés en Italie, qui prennent une part déterminante dans les combats pour la libération de Rome et reconquièrent ainsi une partie du prestige perdu par l’armée française après la débâcle. »602

Ainsi Hervé H. rappelle-t-il :

« Mon père est parti faire la campagne d’Italie. Donc, ils ont été en masse… c’était l’armée française, la seule… l’armée de l’extérieur, des colonies. Voilà… et mon père a été... au Maroc, avec les Tabors marocains. Ensuite, il a été en Syrie, et puis au Liban. Et puis ensuite, il a été… il a franchi la Méditerranée. Il a fait le débarquement à Naples. Il a été à Monte Casino, qui a été pris par les Tabors marocains, justement, à dos de mulet. Et puis, ensuite, il a fait le débarquement en Provence… quand il est arrivé en Allemagne, c’était quasiment fini. »603
Pour Jean-François C. :

« Ils sont venus mourir à Casino, en Italie, sans se poser de questions. En 14, c’était pareil. En 70, aussi. On ne voyait pas du tout le problème… que des bombes puissent arriver à faire que ça ne soit plus français… (silence)… ensuite, l’histoire a passé… de l’Algérie française à l’autodétermination, à l’indépendance. »604
Pour Jean-Pierre R. :

« Tous mes oncles ont fait le débarquement… ont débarqué en Italie… ils ont fait l’Italie. J’ai un oncle qui a fait Monte Casino. Ils ont débarqué sur les plages du sud de la France. »605
Pour Jean-Pierre Z. :

« Les générations passées qui ont connu la guerre en France étaient aussi patriotes. Il est évident que quand on prend casino etcetera, ce sont des gens de nos origines… enfin, arabes ou français… ou… enfin musulmans ou catholiques si vous voulez, qui sont montés à l’assaut de Casino, effectivement… mais peut-être on était plus patriotes. »606
Quant à René M., il raconte de quelle façon la participation de l’armée d’Afrique à la campagne d’Italie notamment, a été détournée et comment les bénéfices en ont été, a posteriori et grâce à une force médiatique dont cette armée ne bénéficiait pas, attribués aux Américains et aux résistants suivant de Gaulle :

« Tout Hollywood, toute la puissance médiatique de Hollywood a fait film sur film, projetés à la télévision française, montrant des soldats américains harnachés comme pour faire l’ascension de l’aiguille du Dru, attaquant le Monte Casino… Monte Casino, il avait été détruit par un bombardement depuis trois mois… c’est aussi pour dire la réalité historique de la filmographie. Enfin bon, peu importe. D’autre part, il n’y avait pas un Américain à Monte Casino. C’était des Français. Alors, il y a donc toute la puissance médiatique américaine. Il y a toute la puissance de propagande gaulliste… ça, si il y a une arme dont de Gaulle a su magnifiquement se servir. »607
Durant les dernières années de la seconde guerre mondiale, les Français d’Algérie confirment leur attachement sans faille à la France, «  à la cause commune et (…) aux grands ancêtres adoptifs. Ils se conçoivent désormais comme les libérateurs de leurs frères de l’autre rive et pensent s’être bien acquittés de leur dette envers l’histoire de France. C’est à elle qu’ils doivent leur naissance et leur histoire propre. Ils lui ont témoigné leur reconnaissance en la secourant à plusieurs reprises. Ils rentrent chez eux avec la satisfaction du devoir accompli. »608

Mais, jamais l’armée d’Afrique ne sera redevable à de Gaulle. « Il n’y a pas de malentendu : malgré la contribution commune au relèvement de la France, le divorce entre l’armée d’Afrique et le chef de la Résistance est consommé (…). »609 Le rapport entre le Général de Gaulle et les Français d’Algérie, fait de tensions, d’incompréhensions, de rancoeurs réciproques, prend donc racines bien avant le conflit qui viendra secouer l’Algérie et mener à son indépendance, comme le rappelle d’ailleurs Michel V. :

« Les événements d’Algérie ont été essentiellement politiques... tout ça ça remonte à la deuxième guerre mondiale, je pense que ça a été précipité par de Gaulle qui s’est fait élire, si vous voulez sur la base d’une Algérie française alors qu’il savait sciemment qu’il donnerait l’indépendance à l’Algérie... donc une hypocrisie totale parce que de Gaulle avait une haine tenace contre les Pieds-Noirs, qui n’en avaient pas voulu pendant la guerre en fait... donc de Gaulle n'a agi que par rancune essentiellement... »610
Ils seront donc nombreux à considérer que leurs actions libératrices n’auront pas été reconnues à leur juste valeur. Même si, comme le dit Daniel Leconte, « tout [le] sang répandu prendra, pour les survivants, la valeur d’une preuve sans appel »611, malgré les efforts consentis par les Français d’Algérie lors des dernières années du conflit mondial, la campagne d’Italie, pourtant déterminante, « n’aura, dans le souvenir des Français de métropole, qu’une place bien mince. La France occupée entend à peine les échos du Belvédère ou du Garigliano. (…) sa principale source d’information, la radio de Londres, lui parle assez peu de Juin et de ses hommes. »612 C’est pour cette raison notamment que les Français d’Algérie garderont une rancœur tenace à l’égard du général de Gaulle notamment, contre lequel ils garderont, jusqu’au bout, et malgré quelques retournements ponctuels, une rancœur particulièrement tenace. Une nouvelle fois, ils auront constitué, pour de Gaulle comme pour la métropole, de bien utiles « outils ». Mais ils se raccrocheront à « cette autorité suprême qui remplace celle du Maréchal (…). Ils en oublient leur haine du gaullisme pour s’accrocher à ce dernier espoir : l’homme providentiel qui les comprend et veut rétablir la souveraineté française. »613
A partir de mars 1944, les événements s’accélèrent et la seconde guerre mondiale semble toucher à sa fin. « Le 30 août 1944, la presse algérienne annonce le départ, pour Paris libéré, des membres du gouvernement et de l’Assemblée consultative. Les Français de France ont fait leurs valises. Alger se vide. L’Algérie est privée de ses enfants qui se battent dans les unités combattantes de Corse, de Sicile, d’Italie et de Provence. Les prisonniers de 1940 ne sont pas rentrés. Les femmes elles-mêmes sont dans l’armée. Le pays s’est vidé de toute sa jeunesse et vit au rythme de la guerre. Fière de sa fonction de métropole qui légifère, gouverne, signe des traités et frappe monnaie, heureuse de s’être découvert un rôle politique qui lui a toujours été dénié et de se considérer comme acteur en première ligne, Alger (…) tombe de haut. Elle redevient la petit ville provinciale qu’elle était auparavant, revient à son rythme lent, à sa vie étriquée et guindée. »614 L’évolution en dents de scie des rapports entre l’Algérie française et la métropole a pour effet d’ « évacuer » le problème algérien des considérations des Français.
Déjà, depuis le début du conflit mondial, les relations entre citoyens et sujets français en Algérie étaient allées en se délitant. C’est dans un contexte de grande radicalisation politique « qu’une grave crise économique accentuée par une mauvaise récolte touche l’Algérie et provoque la famine dans les campagnes. On voit alors affluer vers les villes des milliers de paysans affamés, qui, faute de travail et de moyens, se raccrochent aux soupes populaires. Le 8 mai 1945, jour de la signature de l’armistice, dans la plupart des villes d’Algérie, des cortèges d’Algériens musulmans défilent avec des banderoles portant comme mot d’ordre : « A bas le fascisme et le colonialisme. » A Sétif, la police tire sur les manifestants algériens. Ces derniers ripostent en s’attaquant aux policiers et aux Européens. C’est le début d’un soulèvement spontané. »615 Mais qui en Algérie, en cette date de célébration de la capitulation allemande, « peut se soucier de ces soubresauts (…) ? La chute de Berlin, la signature de Reims, la fin des combats, tout porte à l’euphorie. Et pourtant, l’Algérie entre dans le cauchemar. »616 Pourtant, en Algérie, « rien ne sera plus comme avant l’épisode tragique de mai 1945. Le fossé s’est considérablement élargi entre la masse des Algériens musulmans et la minorité européenne. Une nouvelle génération entre en scène, qui en viendra à faire de la lutte armée un principe absolu. »617 Le général de Gaulle démissionnera du pouvoir en janvier 1946, pour y revenir, en 1958, et de nouveau « grâce » à la scène algérienne.
Jusqu’en 1954, le nationalisme algérien va continuer de mûrir pendant que la société des Français d’Algérie ne se soucie guère des conséquences des mises à l’écart répétées des Musulmans. C’est finalement le 7 mai 1954, avec la chute de Dien-Bien-Phu en Indochine et l’échec de l’armée française que s’engage réellement le « processus de désagrégation de l’Empire colonial français qui peut permettre aux masses algériennes d’affirmer leur droit à l’indépendance. »618 Par ailleurs, au fur et à mesure, s’instaure entre les deux rives de la Méditerranée une distance symbolique sur laquelle aucune des deux ne reviendra plus. Un même peuple, certes, mais tant de méconnaissance et de désintérêt. Ce n’est finalement que sous le coup des épreuves, passées et à venir, vécues communément que les Français d’Algérie vont brutalement prendre conscience de ce que, même douloureux, ils partagent un même destin.
Depuis la conquête, les Français d’Algérie partagent beaucoup de choses en commun : un exil originel, un rapport particulier à la terre, un sentiment nostalgique. Parallèlement, ils ont été inscrits, malgré eux, dans une dynamique d’uniformisation et d’homogénéisation, entreprise par l’Etat français. Ces éléments constituent, selon nous, une « structure collective » ou une « base collective » que les Français d’Algérie n’ont pas immédiatement investie ou habitée. En effet, il a fallu qu’ils traversent, ensemble, une succession d’événements bouleversants et, souvent, traumatisants, pour qu’apparaisse chez eux une prise de conscience de ce qu’ils formaient un groupe au destin commun. Du temps de l’Algérie française, la population d’Algérie n’était encore qu’une « communauté de forme », sans conscience d’elle-même. La précipitation des événements va accélérer en son sein le développement d’un sentiment communautaire. La période du conflit menant à l’indépendance de l’Algérie traduit, selon nous, le passage d’une communauté « obligée » à une communauté « vécue ». 
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