télécharger 1.81 Mb.
|
IIDieuTable des matière-2 Renan a dit de V. Hugo : « Est-il spiritualiste ? est-il matérialiste ? on l'ignore. D'un côté il ne sait ce que c'est que l'abstraction... Sur les âmes, il a les idées de Tertullien. Il croit les voir, les toucher. Son immortalité n'est que l'immortalité de la tête. Il est avec cela hautement idéaliste. L'idée, pour lui, pénètre la matière et en constitue la raison d'être... Son Dieu est l'abîme des. gnostiques. » Cette interprétation ne fait pas honneur à l'exégèse de Renan. Jamais Hugo ne fut matérialiste. Le panthéisme même n'est chez lui qu'une expression de la Nature, qui n'exclut pas le moi de Dieu. Au reste, un poète qui peint la Nature et l'anime est toujours plus ou moins panthéiste. Le dieu de Victor Hugo n'est « l'abîme des gnostiques » qu'en tant qu'il est inconnaissable; mais, en réalité, il est le Dieu de la conscience, le Dieu bon et juste. L'immortalité, pour Hugo, n'est pas uniquement celle de la « tête » ; c'est au contraire, nous le verrons plus loin, celle du cœur et de l'amour. Sans doute on peut appliquer à Hugo ce qu'il a dit lui-même d'un de ses héros : il n'a pas étudié Dieu, il s'en est « ébloui ». (Les Misérables.) Malgré cela, il y a chez lui des théories métaphysiques, - confuses, obscures, nuageuses, - mais enfin des théories. Le visionnaire, a-t-il dit, est parfois obscurci par sa propre vision, mais « c'est la fumée du buisson ardent ». D'abord, selon Hugo, le matérialisme se fond nécessairement en un conceptualisme, qui lui-même se change en idéalisme. « La négation de l'infini mène droit. au nihilisme » : tout devient alors « une conception de l'esprit »... « Seulement, tout ce que le nihilisme a nié, il l'admet en bloc, rien qu'en prononçant ce mot : Esprit 1. » Si l'esprit est la réalité fondamentale, l'idéal qui fait la vie même de l'esprit doit être plus vrai que le réel : il doit être la seule existence digne de ce nom. On pourrait renverser l'ordre d'affirmation : l'idéal avant le réel. Le vieux conventionnel, dans les Misérables, vient d'emporter l'un après l'autre tous les retranchements intérieurs de l'évêque. Il en restait un pourtant, et dans les paroles de monseigneur Bienvenu reparaît presque toute la rudesse du commencement : - « Le progrès, dit-il, doit croire en Dieu. Le bien ne peut pas avoir de serviteur impie. C'est un mauvais conducteur du genre humain que celui qui est athée. » Le Vieux représentant du peuple ne répondit pas. « Il eut un tremblement. Il regarda le ciel, et une larme germa lentement dans ce regard. Quand la paupière fut pleine, la larme coula le long de sa joue livide, et il dit presque en bégayant, bas et se parlant à lui-même, 1'œil perdu dans les profondeurs : - O toi ! ô idéal ! toi seul existes ! » Mais l'idéal infini que l'homme conçoit a-t-il une existence réelle, en dehors de notre esprit ? A-t-il même, contrairement au système de Strauss et de Vacherot, une personnalité ? Victor Hugo tente de le prouver par un argument qui est une variété intéressante de l'argument de saint Anselme. Selon Hugo, la personnalité est la condition même d'une infinité réelle. « Si l'infini n'avait pas de moi, le moi serait sa borne. » C'est-à-dire que la conscience humaine, se concevant sans être conçue par l'être infini, le limiterait; de plus, la volonté humaine pourrait, en niant l'idéal, lui enlever quelque chose de sa réalité au moins pour elle, le chasser d'elle-même. « Il ne serait donc pas infini; en d'autres termes, il ne serait pas. Il est, donc il a un moi. Ce Moi de l'infini, c'est Dieu. » Si Dieu, selon Hugo, est personnel, il n'en demeure pas moins immanent à l'univers : il est le Moi de l'univers. C'est la conciliation du panthéisme et du théisme. « Y a-t-il un infini hors de nous ? Cet infini est-il un, immanent, permanent ? nécessairement substantiel, puisqu'il est infini, et que, si la matière lui manquait, il serait borné là.; nécessairement intelligent, puisqu'il est infini, et que, si l'intelligence lui manquait, il serait fini là ? Cet infini éveille-t-il en nous l'idée d'essence, tandis que nous ne pouvons nous attribuer à nous-mêmes que l'idée d'existence ? En d'autres termes, n'est-il pas l'absolu dont nous sommes le relatif ? » - Ainsi Hugo renverse la hiérarchie des idées dans le spinozisme. Au lieu de dire : - Dieu est l'existence, la substance, dont les êtres expriment l'essence et sont les formes, - il dit : - Dieu est l'essence, l'essentiel, le formel, et nous ne pouvons nous attribuer à nous-mêmes que l'existence brute. Le fait d'exister est moins important que la manière d'être. L'absolu véritable est donc dans l'ordre de la qualité, non dans celui de l'existence. Toutes ces idées confuses hantent l'esprit de Victor Hugo. Et il ajoute : - « En même temps qu'il y a un infini hors de nous, n'y a-t-il pas un infini en nous ? Ces deux infinis (quel pluriel effrayant !) ne se superposent-ils pas l'un à l'autre ? Le second infini n'est-il pas pour ainsi dire sous-jacent au premier ? n'en est-il pas le miroir, le reflet, l'écho, abîme concentrique à un autre abîme ? » Le grand infini est-il « intelligent, lui aussi ? Pense-t-il ? aime-t-il ? sent-il ? Si les deux infinis sont intelligents, chacun d'eux a un principe voulant, et il y a un moi dans l'infini d'en haut comme il y a un moi dans l'infini d'en bas. Le moi d'en bas, c'est l'âme ; le moi d'en haut, c'est Dieu 1. » Hugo arrive à la même conclusion quand il critique la philosophie de la volonté : - « Une école métaphysique du Nord a cru, dit-il, faire une révolution dans l'entendement humain en remplaçant le mot Force par le mot Volonté. Dire : la plante veut; au lieu de : la plante croît; cela serait fécond en effet, si l'an ajoutait : l'univers veut. Pourquoi ? C'est qu'il en sortirait ceci : la plante veut, donc elle a un moi; l'univers veut, donc il a un Dieu. » Quant à Hugo, au rebours de cette nouvelle école allemande, il ne rejette rien a priori, mais il lui semble qu' « une volonté dans la plante » doit faire « admettre une volonté dans l'univers » 2. Il y a certainement dans toutes ces intuitions et rêveries de poète de quoi faire penser. Hugo n'en est plus, comme .Lamartine, à répéter purement et simplement le Vicaire Savoyard ou le catéchisme. Outre l'existence du moi conscient, volontaire, qui lui paraît impliquer un grand moi, une grande conscience, une volonté universelle, Hugo trouve encore dans le monde la beauté, qui lui paraît la forme visible et la révélation du divin. J'affirme celui Qui donne la beauté pour forme à l'absolu 3. Dans Ibo, la beauté est appelée sainte, et elle est rapprochée de l'Idéal et de la Foi. Enfin, comme Aristote, Hugo identifie la beauté, l'harmonie éternelle des choses, avec une volonté élémentaire du bien répandue en tout. Mais la vraie preuve de Dieu, pour Hugo, c'est la conscience morale. Kantien sans le savoir, il admet en philosophie la souveraineté de la raison pratique. La philosophie, selon lui, est essentiellement énergie et volonté du bien. « Voir et montrer, cela même ne suffit pas. La philosophie doit être une énergie; elle doit avoir pour effort et pour effet d'améliorer l'homme... Faire fraterniser chez les hommes la conscience et la science, les rendre justes par cette confrontation mystérieuse, telle est la fonction de la philosophie réelle. La morale est un épanouissement de vérités. Contempler mène à agir. L'absolu doit être pratique. Il faut que l'idéal soit respirable... C'est l'idéal qui a le droit de dire : Prenez, ceci est ma chair, ceci est mon sang. La sagesse est une communion sacrée 1. » La philosophie n'est donc pas une simple curiosité spéculative tournée vers l'inconnaissable : elle doit se le représenter pratiquement sous la forme de la moralité. « La philosophie ne doit pas être un encorbellement bâti sur le mystère pour le regarder à son aise, sans autre résultat que d'être commode à la curiosité 2. » Cependant, dira-t-on, le monde semble ignorer absolument nos idées morales : « La vertu n'amène pas le bonheur, le crime n'amène pas le malheur : la conscience a une logique, le sort en a une autre; nulle coïncidence. Rien ne peut être prévu. Nous vivons pêle-mêle et coup sur coup. La conscience est la ligne droite, la vie est le tourbillon 3. » - Hugo répond qu'il faut obstinément s’en tenir à la ligne droite, et, pour le reste, attendre l'avenir. Tu dis : - Je vois le mal et je veux le remède. Je cherche le levier et je suis Archimède. – Le remède est ceci : Fais le bien. Le levier, Le voici : Tout aimer et ne rien envier. Homme, veux-tu trouver le vrai ? Cherche le juste 4. Notre incertitude spéculative, pour Hugo comme pour Kant, est la condition même de notre liberté morale : Où serait le mérite à retrouver sa route, Si l'homme, voyant clair, roi de sa volonté, Avait la certitude, ayant la liberté ?... Le doute le fait libre, et la liberté grand 5. Les disciples de Kant n'ont pas manqué de faire observer que Victor Hugo pose le problème exactement à leur manière. La science ne peut nous apprendre d'une façon certaine si le fond des choses est le bien, si l'espérance a raison ou tort; d'autre part, notre conscience nous commande de tendre au bien et d'espérer : de là la nécessité d'un libre « choix » entre deux thèses spéculativement incertaines. Hugo, dans l'obscurité de la nature, prend parti pour la clarté de la conscience et pour la chaleur de l'amour : Je suis celui que toute l'ombre Couvre sans éteindre son cœur 1. L'immensité, c'est là le seul asile sûr. Je crois être banni si je n'ai tout l'azur 2. Erreur peut-être ! - Soit, répond Hugo : - « Prendre pour devoir une erreur sévère, cela a sa grandeur 3. » Mais, selon lui, c'est le devoir qui, loin d'être l'erreur, est la révélation même du vrai : Regarde en toi ce ciel profond qu'on nomme l'âme : Dans ce gouffre, au zénith, resplendit une flamme; Un centre de lumière inaccessible est là. … Cette clarté toujours jeune, toujours propice, Jamais ne s'interrompt et ne pâlit jamais; Elle sort des noirceurs, elle éclate aux sommets; La haine est de la nuit, l'ombre est de la colère; Elle fait cette chose inouïe, elle éclaire. L'idée du bien est donc la lumière sacrée du monde : Tout la possède, et rien ne pourrait la saisir; Elle s'offre immobile à l'éternel désir; Et toujours se refuse et sans cesse se donne 4. L'affirmation de Dieu n'est, en définitive, que le cri de la conscience morale : Il est ! il est ! Regarde, âme. Il a son solstice, La conscience; il a son axe, la justice 5. Au lieu de chercher raisonnements sur raisonnements et de bâtir systèmes sur systèmes, Il faudrait s'écrier : J'aime, je veux, je crois 6! Ce Dieu, je le redis, a souvent dans les âges Subi le hochement de tête des vieux sages; … Soit. Mais j'ai foi. La foi, c'est la lumière haute. Ma conscience en moi, c'est Dieu que j'ai pour hôte. Je puis, par un faux cercle, avec un faux compas, Le mettre hors du ciel, mais hors de moi, non pas. Si j'écoute mon cœur, j'entends un dialogue, Nous sommes deux au fond de mon esprit, lui, moi. Comme pour Kant, le devoir est pour Hugo une sorte de dette contractée par Dieu envers l'homme : En faisant ton devoir, tu fais à Dieu sa dette 1. La nature s'engage envers la destinée; L'aube est une parole éternelle donnée. … Marche au vrai, Le réel, c'est le juste... Selon Hugo, il n'y a en nous qu'une chose, une seule, qui puisse être complète, absolue à sa manière, inconditionnelle et adéquate : c'est l'idée du devoir, avec cette volonté de la réaliser qui est la justice : J'ai rempli mon devoir, c'est bien, je soufre heureux. Car toute la justice est en moi, grain de sable. Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable; Et je vais devant moi, sachant que rien ne ment, Sûr de l'honnêteté du profond firmament ! Et je crie : Espérez ! à quiconque aime et pense 2. Et ailleurs : Être juste, au hasard, dût-on être martyr, Et laisser hors de soi la justice sortir, C'est le rayonnement véritable de l'homme 3. Ce rayonnement éclaire à son tour la nature entière, lui donne un sens, un but, la rend belle et bonne, il la fois intelligible et aimable : ...Comprendre, c'est aimer. Les plaines où le ciel aide l'herbe à germer, L'eau, les prés, sont autant de phrases où le sage Voit serpenter des sens qu'il saisit au passage. … Bien lire l'univers, c'est bien lire la vie. Le monde est l'œuvre où rien ne ment et ne dévie, Et dont les mots sacrés répandent de l'encens. L'homme injuste est celui qui fait des contresens. Pour l'homme de bien, au contraire, tout s'explique ou parait explicable, tout reflète l'infinie vérité : L'éternel est écrit dans ce qui dure peu; Toute l'immensité, sombre, bleue, étoilée, Traverse l'humble fleur, du penseur contemplée; On voit les champs, mais c'est de Dieu qu'on s'éblouit; Le lis que tu comprends en toi s'épanouit; Les roses que tu lis s'ajoutent à ton âme. Les apparents désordres de la nature et ceux de l'humanité ne sont que des occasions de courage et de lutte pour l'homme du devoir, des symboles de notre destinée, telle qu'un Corneille l'a conçue : ...Quand la tempête gronde, Mes amis, je me sens une foi plus profonde ; Je sens dans l'ouragan le devoir rayonner, Et l'affirmation du vrai s'enraciner. Car le péril croissant n'est pour l'âme autre chose Qu'une raison de croître en courage, et la cause S'embellit, et le droit s'affermit en souffrant, Et l'on semble plus juste alors qu'on est plus grand 1. L'homme, parfois, voudrait faire intervenir directement l'éternelle justice au milieu de nos injustices; il oublie que c'est à nous, à nous seuls, de réaliser le juste par nos propres forces : Certes, je suis courbé sous l'infini profond; Mais le ciel ne fait pas ce que les hommes font; Chacun a son devoir et chacun a sa tâche ; Je sais aussi cela. Quand le destin est lâche, C'est à nous de lui faire obstacle rudement. Sans aller déranger d'éclair du firmament 2. La continuelle présence morale de Dieu à l'âme est exprimée dans les Misérables par une grande image. Jean Valjean fuit dans la nuit devant les policiers; il donne la main à la petite Cosette : « Il lui semblait qu'il tenait, lui aussi, quelqu'un de plus grand que lui par la main : il croyait sentir un être qui le menait, invisible. » Dans une autre page, il s'agit de la lutte de Jean Valjean contre lui-même lorsqu'il ne sait encore s'il ira ou non se livrer à la justice : « Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu'on pourrait appeler son propre abîme... On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage... Dieu soulève l'âme comme l'Océan. » Enfin tout le monde a présente à l'esprit la pièce célèbre sur l'œil de Dieu dans la conscience : On fit donc nue fosse, et Caïn dit : « C'est bien ! » Puis il descendit seul sous cette voûte sombre; Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain, L'œil était dans la tombe et regardait Cain. Mais si Dieu est, par rapport à nous, la justice, c'est qu'il est en lui-même l'amour. Il n'est pas seulement, selon Hugo, une « âme du monde », un principe de vie animant un grand corps; il est le cœur du monde : Oh ! l'essence de Dieu, c'est d'aimer. L'homme croit Que Dieu n'est comme lui qu'une âme, et qu'il s'isole De l'univers, poussière immense qui s'envole; … Je le sais, Dieu n'est pas une âme, c'est un cœur. Dieu, centre aimant du monde, à ses fibres divines Rattache tous les fils de toutes les racines, Et sa tendresse égale un ver au séraphin; Et c'est l'étonnement des espaces sans fin Que ce cœur, blasphémé sur terre par les prêtres Ait autant de rayons que l'univers a d'êtres. Pour lui, créer, penser, méditer, animer, Semer, détruire, faire, être, voir, c'est aimer 1. Dans les Misérables, on trouve une pensée dont la concision rappelle l'énergie et la profondeur des maximes orientales : « S’il n'y avait pas quelqu'un qui aime, le soleil s'éteindrait 2. » Même idée dans l'Année terrible : Au-dessus de la haine immense, quelqu’un aime. Deuxième partie: chapitre III: “L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine (suite). Victor Hugo” |
![]() | ![]() | ||
![]() | ![]() | ||
![]() | ![]() | «L'impact du web 0 dans la Production, la Promotion, et la Consommation de Musique Live.» | |
![]() | «témoignage exceptionnel de la continuité de l'installation urbaine sur plus de deux millénaires» | ![]() | «La conservation est l’ensemble des processus qui permettent de traiter un lieu ou un bien patrimonial afin de lui maintenir sa valeur... |
![]() | «le rôle du maître est de guider l'apprentissage, de fournir à l'élève des occasions d'expérimenter directement et de vérifier des... | ![]() | «l’apparence» à la «conception», a marqué le début de l’art «moderne» et celui de l’art «conceptuel». Tout art (après Duchamp) est... |