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l’association « Littérature à voix haute » présente Soirées Littéraires d’ Asnelles du 4 au 10 août 2012 - lectures de textes littéraires par des comédiens ou par les auteurs - - histoire de la littérature & critique - « - Vous ne lisez pas, vous ne vous faites pas faire la lecture ? » Le vieillard hoche la tête d’un air de triomphe malicieux et rusé. « Non, non. Dans la famille on n’a jamais été porté sur la lecture. Cela ne rapporte rien. Bêtises. Balivernes. Sottises. Non, non ! » Charles Dickens, La Maison d’Âpre-vent. • samedi 4 août, à 20h45 Nathalie Sarraute, Enfance, lecture par Martine Pascal « Me voici arrivé aux grands espaces, aux vastes palais de la mémoire […]. Quand je suis là, j’appelle à se présenter tous les souvenirs que je désire. Certains s’avancent aussitôt. Certains se laissent chercher plus longtemps, et comme arracher à des entrepôts tout en recoins. Certains se ruent pêle-mêle et, alors que l’on souhaite en quérir un autre, ils bondissent au premier plan, avec l’air de dire : ‘C’est nous, peut-être… ?’ » Confessions, Saint-Augustin. Aux alentours de ses 80 ans, Nathalie Sarraute entreprit d’« évoquer ses souvenirs d’enfance ». N’ignorant sans doute rien des principales œuvres qui jalonnent la longue lignée de l’Autobiographie (qui commence avec Saint-Augustin, prend son essor avec Jean-Jacques Rousseau qui ressuscite le genre, et semble trouver son accomplissement avec Marcel Proust), Nathalie Sarraute a senti tout le poids d’une telle tradition. Et si peut-être elle a craint d’en être accablée, du moins, certainement, elle a redouté de se livrer à une narration sur un terrain balisé qu’elle ne s’était pas permis jusque-là. En passant outre, et cédant comme à la tentation du péché, s’est alors posé à elle la question de comment restituer le passé sans l’abuser par de fausses ou tendancieuses reconstructions ? Ou plus fondamentalement, quelle forme trouver pour rendre la ténuité de la vérité : « Ce que je crains, cette fois, c’est que ça ne tremble pas… pas assez… que ce soit fixé une fois pour toutes, du ‘tout cuit’, donné d’avance… » écrit-elle. Et plus loin : « Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir ne serait-ce que quelques instants ce qui m’est arrivé. » N’était-ce pas déjà ce que Tchékhov, dans La Mouette, faisait dire à Tréplev ?... Le livre s’ouvre donc sur un dialogue -Enfance est d’abord le récit du combat que l’écrivain livre à lui-même. Et petit à petit, dans une langue simple, d’une limpidité qui n’est troublée qu’à bon escient, sans grandiloquence, Nathalie Sarraute, qui ignore les afféteries auxquelles succombe parfois la très aimée Marguerite Duras, parvient aux « cavernes secrètes » du souvenir ; mais la volonté est moins agissante que ne le dit Saint-Augustin : des zones d’ombre persistent, irrémédiablement. Nathalie Sarraute s’en accommode avec philosophie, car si elle espère bien braver la mort en arrachant au néant quelques instants de Son Histoire (trois secondes d’éternité), elle entend aussi nous rappeler, nous faire sentir, la juste et belle perspicacité de l’Enfant, qui, dans ces fragiles années d’éveil, déchiffre le monde étrange des adultes et le sien, qui n’est peut-être pas si éloigné du leur qu’on pourrait le croire. Enfantin et infantile n’ont pas le même sens, me disait un ami. Martine Pascal est née dans une famille d’artistes ; ses grands-parents étaient musiciens, ses parents comédiens. Elle a choisi le métier d’acteur par amour de la littérature et de la poésie. Martine Pascal connaît ce texte de Nathalie Sarraute depuis sa parution. Elle en avait joué une première adaptation à Paris, au Théâtre du Rond-Point dans une mise en scène de Simone Benmussa –Nathalie Sarraute avait enregistré la voix qui questionne l’écrivain ; en 2006 à l’Artistic-Athévains, et cet hiver-ci au Théâtre de l’Atalante, Martine Pascal en a présenté une autre version sous le regard de Michel Ouimet. Cette dernière mise en scène ne sera pas transportée chez ‘Douce Souvenance’, puisqu’il ne saurait y être tout à fait question de théâtre ; c’est donc sans les accompagnements de la scène que Martine Pascal lira des extraits de Enfance. Nous la remercions ici de tenter l’expérience. • dimanche 5 août, à 20h45 Jean-Jacques Rousseau, Confessions, lecture par Thomas Sacksick « Je forme une entreprise qui n’eût jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. » Confessions, Jean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui que nous ne lisons plus guère dans la littérature du 18ème que quelques contes de Voltaire, Les rêveries du promeneur solitaire et les Confessions, ces dernières semblent sans filiation, n’arriver de nulle part, n’être le fait que de l’audace et de la toute puissance de leur auteur. Pas tout à fait. Jean-Jacques Rousseau, quoiqu’il s’en soit parfois défendu, fut un lecteur passionné. Et dans ses Confessions, du moins dans la première partie qui nous intéresse ici, Rousseau conjugue en effet les nombreuses formes littéraires qui lui sont contemporaines : mémoires, pseudo-mémoires romanesques (on a entendu l’an passé la Vie de Marianne), romans picaresques, confessions chrétiennes, vies spirituelles, essais philosophiques, qui toutes revendiquent, peu ou prou, une ‘histoire de soi véritable et particularisé’1, prônent le dévoilement des apparences pour exposer à la connaissance des hommes les plis et replis de leur intériorité. Rousseau puise à pleines mains dans ce background, et, comme ses prédécesseurs, il entend révéler les « mouvements intimes du cœur ». Mais c’est en poète accompli qu’il jongle avec les topoï de son temps. C’est en philosophe qu’il innove en énonçant l’importance de l’Histoire primordiale de l’individu pour comprendre son caractère –ouvrant ainsi, c’est une banalité de le dire –mais disons-la-, la voie de la psychanalyse. Parfois d’un narcissisme irritant, c’est néanmoins en homme perspicace, conséquent, audacieux, en Romain héroïque –Rousseau fut un fervent lecteur de Plutarque- qu’il s’applique à rédiger avec une sincérité qui n’est encore que très imparfaitement comprise, ses Confessions ; lesquelles troublent toujours –nous en avons fait l’expérience. Les Confessions, le livre qui inaugure l’Autobiographie ; livre viscéral d’un homme policé, qui a marqué toute la production littéraire du jour de sa première parution2 jusqu’aux nôtres. Sans les Confessions que fussent devenues les Mémoires d’outre-tombe ? A quoi ressembleraient les jeunes filles de Marcel Proust ? « […] et dont l’exécution n’aura point d’imitateur » écrivait Jean-Jacques en tête de sa narration ; sur ce point, il se sera trompé ! Thomas Sacksick lira les premières pages des Confessions. L’ouverture, les premières années auprès de son père, le séjour à Bossey chez les Lambercier. Thomas Sacksick, titulaire d’une maîtrise de Lettres Modernes, lauréat de la Fondation de la Vocation, crée en 1989, après trois ans passés au Cours Simon, une compagnie avec laquelle il joue dans de petites salles parisiennes et en province, auteurs classiques et contemporains. Au début des années 2000, il découvre et enregistre le texte inédit d’un jeune autiste, Les Ecrits de Julien, qui retient l’attention d’Olivier Py. Ces aventures théâtrales sont l’occasion de collaborations répétées avec son père Gilles Sacksick qui est peintre ; en 2005, cette complicité décide Thomas, avec ce même esprit d’entreprise, à ouvrir une galerie d’art à Paris où il accompagne aujourd’hui son père dans la présentation au public de son œuvre picturale. A l’occasion, dans un cadre privé, il y propose des lectures. Enfin, en 2008, Thomas Sacksick renoue avec sa prime enfance en faisant, avec son épouse Marion Rochmann, l’acquisition d’une petite maison à Asnelles curieusement appelée ‘Douce souvenance’ (hommage à Chateaubriand ?). Cette remémoration lui suggère la création de ces soirées littéraires d’Asnelles, pour lesquelles il fonde l’association Littérature à Voix Haute. • Lundi 6 août, à 20h45 Charles Dickens, La pension Lirriper, lecture par Martine Pascal « Nous savons qu’il y a de bons côtés chez nous tous –si seulement nous savions où ils se trouvent chez certains d’entre nous […]. » L’Héritage de Mme Lirriper3, Charles Dickens. En 1843, Dickens a l’idée d’écrire une histoire pour la fête de Noël : le très fameux Un chant de Noël –que Dickens lira avec un succès croissant, et qui depuis ne cessera d’être périodiquement adapté par le cinéma, la radio, la télévision. Pendant plusieurs années, Dickens fera paraître à cette occasion des contes, qui, rapidement, n’auront plus rapport direct avec Noël. La pension Lirriper est l’un de ces ‘récits’ ; et comme le chant de Noël , ce sera la belle histoire d’une métamorphose, d’une renaissance. Madame Lirriper nous raconte qu’à la mort de son mari, elle s’est vue contrainte de trouver de nouveaux moyens de subsistance, et que, pour ce faire, elle a eu l’idée de louer les chambres de la maison qu’elle occupe. C’est la pension Lirriper. Cette occupation ne va pas sans poser de problèmes à la puritaine, victorienne et surtout naïve Mme Lirriper. Les clients indélicats, les domestiques fantasques ou instables, la concurrence (menteuse et déloyale, il va de soi), la mettent à rude épreuve. Il lui faut bien du courage pour, malgré ces traverses, faire perdurer la pension Lirriper dans toute son honorabilité ! Et puis, coup sur coup, c’est la venue d’un pensionnaire affable, le commandant Jackman (commandant d’opérette), avec lequel elle se lie d’amitié ; et celle d’un jeune couple –probablement illégitime. Rapidement, l’homme du jeune couple disparaît aux colonies ; il y meurt, abandonnant la jeune femme dans un état embarrassant –entendons enceinte4 ; celle-ci, bourrelée de remords, persuadée de son indignité, donne le jour à un petit garçon, puis meurt à son tour. Et Mme Lirriper se laisse toucher par la fragilité du nouveau-né ; elle adopte le petit, qui croît en beauté et en intelligence, et qui, surtout apporte la joie dans la maison. Et, comme par hasard, il n’est plus question de pensionnaires chapardeurs, de domestiques capricieux ; la concurrence infâme devient même comique de ridicule… Et pourtant, pour en arriver là, il a bien fallu que Mme Lirriper fît quelques entorses aux bons principes ! Lecteurs et critique négligent parfois La pension Lirriper. Bien à tort ! car c’est en maître du style et en maître d’humanité, avec l’humour qu’on lui connaît, que Dickens fait parler Mme Lirriper. Mme Lirriper, dont éclatent d’abord les petitesses (mais qui y échappe ?) et qu’on finit par aimer comme on aime sa grand-mère. Enfin, à ceux qui trouveraient la corde un peu grosse, on rappellera qu’Evguénia Guinzbourg (Sous le ciel de la Kolyma), en relégation après des années au Goulag, disait qu’elle avait adopté une enfant, autant pour sauver l’enfant que pour se sauver –moralement- elle-même… Cette lecture de Martine Pascal peut être entendue d’un jeune public. • Mardi 7 août, à 20h45 Victor Hugo et l’enfance, conférence de Gérard Pouchain « L’Art d’être Grand-père est un livre d’avenir. On ne l’a pas encore bien lu. », Louis Aragon. Toute sa vie, Victor Hugo aura été préoccupé par l'enfance, toujours au centre de ses pensées. « Il y a des hommes qui sont faits pour la société des femmes, écrivait-il vers 1830, moi je suis fait pour la société des enfants. » En cette année du cent cinquantième anniversaire de la publication des Misérables, on s'intéressera évidemment aux deux jeunes héros, Cosette et Gavroche, mais aussi à des petits enfants, le plus souvent déshérités, qui apparaissent, frêles silhouettes, dans d'autres romans. On découvrira également, grâce à des poèmes ou des extraits de correspondance, les relations très étroites entretenues par Victor Hugo avec ses deux frères et, plus tard, avec ses enfants et ses petits-enfants. On s'intéressera enfin aux préoccupations politiques et sociales de l'écrivain, profondément engagé dans les luttes de son temps, qui osa notamment proclamer « les droits de l'enfant, cette responsabilité de l'homme ». Agrégé de Lettres Modernes, chercheur associé à l’Université de Rouen, auteur de nombreuses publications, lauréat de plusieurs prix littéraires, fin connaisseur de la vie et de l’œuvre de Victor Hugo, Gérard Pouchain est avant tout connu pour sa biographie (Editions Fayard) consacrée à Juliette Drouet. Outre son minutieux travail d’exégète, Gérard Pouchain a rassemblé, au fil des années, une collection de caricatures originales évoquant la vie politique et littéraire de Victor Hugo de 1835 à 1885. Depuis 2002, cette collection ne cesse de circuler à travers le monde. Une exposition de 200 caricatures sera présentée du 8 décembre 2012 au 31 mars 2013 au Salon international du dessin de presse et d'humour de Saint-Just-le-Martel, près de Limoges. Il vient de publier, avec Marva Barnett, professeur de littérature française à l'Université de Virginie, aux Presses universitaires de Rouen et du Havre, 105 lettres inédites de Juliette Drouet à Victor Hugo retrouvées aux Etats-Unis. Il travaille en outre au sein d'une équipe universitaire à l’édition intégrale des lettres de Juliette Drouet : plus de 20 000 seront progressivement lisibles sur le site de l'Université de Rouen. Au milieu de l'année 2013 il publiera aux Editions de l'Amateur un ouvrage abondamment illustré, Victor Hugo par la caricature. • Mercredi 8 août, à 20h45 Colette, La vagabonde, lecture par Marion Rochmann « Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas […] . » Les Vrilles de la vigne, Colette. « Comme s’il n’y avait pas de soin plus impérieux, dans ma vie, que de chercher des mots, des mots pour dire combien le soleil est jaune, et bleue la mer, et brillant le sel en frange de jais blanc […], comme s’il n’y avait d’urgent au monde que mon désir de posséder par les yeux les merveilles de la terre. » La Vagabonde, Colette. Dans son Abécédaire de Colette, Guy Ducrey nous apprend qu’en ce début de 20ème siècle, tant en France qu’en Allemagne et en Angleterre, on ne compte plus les romans consacrés au music-hall. Romans qui s’inscrivent dans le registre de la gaillardise : « Les dessous du french-cancan, les jambes haut levées et les sourires peints, les ‘poses plastiques’ s’offrent comme autant d’invites aux sous-entendus émoustillés. Mais plus encore que la scène, la coulisse et les loges s’attirent les faveurs des écrivains qui ne se lassent pas de décrire ces royaumes odorants du demi-nu, où la chair luisante se livre au regard et presque déjà à la caresse des visiteurs. A ces derniers, il ne restera plus alors que le souper galant en cabinet particulier et la course en coupé à travers la ville, pour n’avoir plus rien à désirer des fées de la rampe. » Le plus étonnant étant peut-être que « les femmes écrivains du temps ne se démarquent en rien ici de leurs confrères masculins […] qui < comme eux > reproduisent le cliché de la danseuse-objet et du balletomane libidineux. » Et puis, en 1910, paraît La Vagabonde ; « pour la première fois, c’était par les yeux d’une de ces artistes que le music-hall se laissait percevoir –double transparent de Colette elle-même » (car Colette fut pendant près de sept ans danseuse et mime, se produisant dans les théâtres, cafés-concerts, casinos, et dans des soirées en ville5). Ce nouveau point de vue bouleverse le genre –et y mettra fin ! La danseuse est au travail, elle peine, elle transpire, et l’attente de ces messieurs qui se glissent dans la coulisse après le spectacle est si lourdement cousue de fil blanc ! Colette peint par là même, avec délicatesse, ce petit monde miséreux des saltimbanques errants où l’amour de l’Art semble bien dérisoire, où les petites combines complètent les cachets ; mais La Vagabonde est aussi l’histoire (encore celle de Colette) d’une femme qui vient de divorcer, d’une femme qu’on suppose ‘disponible’. Face aux avances courtoises et obstinées de l’un de ces spectateurs –lequel s’avère plutôt avenant et lui propose le mariage-, elle jauge, sonde, interroge son désir de vie conjugale… car ce Maxime aurait finalement tout pour plaire à l’artiste vagabonde. « Vagabonde », qu’on trouve dès l’incipit de Claudine à l’école, semble bien le maître mot de Colette. Nous lui adjoindrions volontiers celui de « courage ». Certes, bien des paragraphes sont de véritables petits poèmes en prose –Colette n’a pas ‘de soin plus impérieux que de chercher des mots pour dire combien le soleil est jaune’; pour autant, la poésie n’élude en rien les vérités de son tourment. Bien plutôt, les détours de la phrase déploient ces dures vérités, ces vérités dont nous ne nous ouvrons qu’à notre miroir. Et la gaze qui les nimbe, les protège des lourdauds impatients. Parallèlement à sa formation juridique, Marion Rochmann a fréquenté le cours Florent et le Charpentier Art Studio. En rencontrant Thomas Sacksick, elle a interprété le rôle de Bélise dans la pièce de Garcia Lorca intitulée Les Amours de Don Perlimplin et de Bélise en leur jardin, mise en scène par Gilles Sacksick. Marion Rochmann, qui nous fera entendre de larges extraits de ce roman de Colette, reçoit Littérature à Voix Haute dans sa maison d’Asnelles. • Jeudi 9 août, à 20h45 Isaac Bashevis Singer, Yentl, lecture par Nathalie Boutefeu « Faut-il toujours appartenir à un groupe et traîner derrière soi le fardeau de superstitions et de discriminations qu’il implique ? » Un jeune homme à la recherche de l’amour, I.B. Singer. « Je vous déclare que mon dessein n’est pas de renoncer au monde, et de m’enterrer toute vive dans un mari. Parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous […] ? ». Ces paroles d’Angélique à George Dandin pourraient aussi bien être celles de la jeune Yentl. Comme souvent chez Isaac Bashevis Singer, l’histoire de Yentl se passe dans le monde hassidique, en Pologne, dans l’un de ces petits villages de la communauté juive de son enfance, l’un de ces shtetls6 qui disparurent comme on sait. Qui dit communauté, dit organisation, hiérarchie, règlements, traditions ; mais communauté dit aussi, à l’inverse, conformisme, et une liberté surveillée, qui peut se vivre comme un enfermement, ou, si l’on a des velléités de regarder par-dessus la barrière, comme mise à la marge du vaste monde, comme ostracisme. La mort inopinée de son père oblige la jeune Yentl, qui déjà n’avait plus de mère, à aborder une vie nouvelle. A vrai dire, pour la communauté, la seule alternative est dans le choix du mari –et Yentl doit s’estimer heureuse que les partis ne lui fassent pas défaut. Mais plutôt que de s’engager sur ce chemin tout tracé pour lequel elle n’éprouve pas d’attirance, Yentl songe plutôt, comme elle le faisait avec son père, à étudier les textes sacrés, pratique normalement réservée au sexe masculin. Avec un peu d’inconscience, elle choisit donc –son physique le lui permet- de rejoindre la maison d’étude (yeshiva) d’un village éloigné en se faisant passer pour un jeune homme. Cette presque innocente imposture exigera de Yentl bien de l’à propos, et donnera lieu à de bien cocasses situations, posant aux personnages de terribles interrogations : deux garçons peuvent-ils s’aimer ?, et quand Yentl (en tant qu’homme) sera mariée, pourra-t-elle aimer son épouse ?! Mais les conséquences de ce marivaudage yiddish ne seront pas anodines… On a pu voir dans cette histoire de travestissement un plaidoyer en faveur de l’accès à la connaissance pour les femmes. Peut-être bien ; mais Singer, quoiqu’il ait des convictions, n’est pas un militant. Avec une tendresse qui n’appartient qu’à lui, une grande mansuétude pour autrui, et par une écriture mystérieusement évidente, il pose ici la douloureuse question de la transgression : en éprouvant les inconvénients de sa fausse situation, Yentl découvre les insurmontables limites de ceux auxquels elle est attachée, et qu’elle ne saurait pourtant quitter – à moins de se renier. Une question qui, bien sûr, occupe le judaïsme au premier chef, mais que tout un chacun a pu rencontrer ; car Isaac Bashevis Singer est beaucoup plus qu’un folkloriste, il parle à tous. Cette lecture de Nathalie Boutefeu peut être entendue d’un jeune public. Isaac Bashevis Singer est né près de Varsovie en 1902, d’une très ancienne famille hassidique. Emigré aux Etats-Unis en 1934, il est l’auteur d’une dizaine de romans, de nombreux recueils de nouvelles, qui lui valent le Prix Nobel de littérature en 1978. Il meurt à Miami en 1991. Tout Singer est à lire, Ombres sur l’Hudson, Le Manoir, Le Domaine, Le Certificat, Au Tribunal de mon père, Gimpel le naïf, Le Spinoza de la rue du marché… Nathalie Boutefeu est une ancienne élève du Conservatoire National de Strasbourg. On a pu la voir dernièrement au Théâtre Antoine, où sous la direction de Pierre Laville elle jouait Vie Privée de Philip Barry, et elle vient d’achever une série de 60 représentations de Emily Dickinson, la belle d’Amherst mis en scène par Frédérik Wiseman au Lucernaire. Au cinéma, ses premiers rôles lui sont donnés par Jérôme Bonnell lors de quatre longs métrages. Rappelons ici Le Chignon d’Olga et Les Yeux clairs où elle tient le rôle principal. Elle joue également de nombreux seconds rôles remarqués comme dans Rien sur Robert de Pascal Bonitzer, Son frère de Patrice Chéreau, Un secret de Claude Miller, Rois et Reine de Desplechin, et l’an passé dans La permission de minuit de Delphine Gleize. Nathalie Boutefeu a reçu en 2006 le prix Suzanne-Bianchetti. Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages, elle remporte en 2009 le Grand Prix du meilleur scénariste avec son premier scénario de long-métrage, Des bonnes. • Vendredi 10 août, à 20h45 Apulée, L’Âne d’or ou les métamorphoses (histoire de Psyché), lecture par Thomas Sacksick « Tout l’univers obéit à l’Amour ; / Belle Psyché, soumettez-lui votre âme. / Les autres dieux à ce dieu font la cour. » Les amours de Psyché, La Fontaine. Hormis auprès des latinistes qui ne peuvent l’ignorer et de quelques rares esthètes, le nom d’Apulée semble provoquer la sidération (s’agit-il d’un volcan, d’une contrée déshéritée ?). Pourtant, cet Âne d’or a inspiré Shakespeare, Cervantès7 ; La Fontaine l’a imité, Nerval, Hoffmann en furent très amateurs, et Cézanne qui, comme bien d’autres peintres l’a mis en image, en connaissait par cœur des morceaux entiers8. Du résultat de l’abandon de l’enseignement des Lettres Classiques ? Apulée, auteur latin du 2ème siècle de notre ère, est un Africain né près de Constantine appartenant à la bourgeoisie des cités provinciales de l’Empire. En jeune homme épris de philosophie, curieux de science, il se rend en Grèce, et parcourt l’Orient jusqu’aux abords l’Asie. De retour, il s’installe à Carthage, où il exerce les professions d’avocat et de conférencier, et où il écrit : ne nous sont parvenus que cet Âne d’or ou Métamorphoses et quelques écrits résiduels qui, au dire de Pierre Grimal, n’intéressent plus que les historiens. Dans cette ville de Carthage, où de son vivant on lui érige une statue, il doit aussi répondre à l’accusation d’avoir ensorcelé une riche veuve pour l’épouser. Avec la magie, nous entrons de plain-pied dans l’Âne d’or. Car, quoique ce récit soit une adaptation d’un bref roman grec, Apulée l’a visiblement amplifié du souvenir de ses pérégrinations et de son goût de l’étrange : l’Âne d’or (l’or s’applique à l’âne en tant qu’ouvrage d’Apulée, comme on dit « bouche d’or »), l’Âne d’or narre l’histoire du jeune Lucius qui se rend en Thessalie pour commercer et aller à la rencontre du vaste monde et de ses mystères. Or, voici qu’il est hébergé par un couple dont la femme, au coucher du soleil, pratique justement la sorcellerie… elle se mue en hibou et s’envole ; pour reprendre forme humaine à l’aube. Le noble Lucius recourt aux mêmes artifices, mais, lui, est métamorphosé en âne, et irrémédiablement. Dès lors, en conservant sa conscience d’homme, il connaît les tribulations d’une bête de somme qui passe tumultueusement d’un maître à l’autre, acteur malgré lui d’infortunes comiques –et même d’une curieuse bonne fortune, spectateur de sombres et périlleuses aventures de brigands, de meurtres, de fantômes et de cavernes. Et auditeur d’histoires… Dans cet enchaînement à la façon des Mille et une nuits (L’Âne d’or est aux antipodes du récit structuré à la façon d’un Virgile), il est une histoire qu’Apulée développe au point d’en faire un roman dans le roman. C’est celle de l’Amour et de Psyché –La Fontaine traduit par Les amours de Psyché et Cupidon- qu’une vieille dévouée aux brigands raconte à une jeune fille éplorée qu’ils viennent d’enlever : l’histoire justement d’une jeune fille, Psyché, si belle que le langage humain n’a pas de mots pour en dire la beauté. S’ouvre alors un véritable conte tel que ceux que Perrault puis les frères Grimm fixeront mille cinq cents ans plus tard, où il sera question de beauté et de monstruosité, d’épreuves et de féeries, de curiosité et d’interdit, de méchantes sœurs et d’une marâtre cruelle, et qui s’achève par un heureux dénouement. Apulée, ébloui, inquiet même de son éblouissement, semble s’être senti le devoir de rapporter ce conte, comme venu du fond des âges. Une lecture qui, bien sûr, peut être entendue d’un jeune public. 1 Bussy-Rabutin, Mémoires. 2 voir par exemple, Monsieur Nicolas, de Rétif de la Bretonne où, il tente de détourner la nouveauté à son profit –en dénigrant Rousseau, de surcroît. 3 Dickens donnera une suite à ce récit avec L’Héritage de Mme Lirriper, où l’on a plaisir à retrouver les mêmes personnages. 4 A ce sujet, le 19ème siècle britannique aurait pu faire sien ces vers des Femmes savantes : « Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend, / Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant ? / De quelle étrange image on est par lui blessée ? » 5 une sacrée trajectoire pour une femme qui eut l’honneur de funérailles nationales ! 6 On ne résiste pas à recommander ici les magnifiques photographies de Roman Vishniac –digne d’un Cartier-Bresson-, rassemblées dans le livre Un monde disparu, publié au Seuil. 7 Le combat de Don Quichotte avec les outres vient tout droit de l’Âne d’or. 8 Joachim Gasquet, Cézanne. |
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