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LA DANSE MACABRE & LE DIT DES TROIS MORTS ET DES TROIS VIFS. (Au travers des ouvrages de la Bibliothèque Bleue et des éditeurs troyens). INTRODUCTION. La Dance macabre de Guyot Marchant (1485) n’existe plus qu’en un seul exemplaire déposé à la bibliothèque de Grenoble. Une étude accompagnée d’une reproduction intégrale de la dite Dance Macabre en a été faite sous l’égide de la Société des Bibliophiles Dauphinois sous l’autorité de Pierre Vaillant conservateur en Chef en 1969. Précédée d’une analyse rigoureuse, cette étude est maintenant à la portée de tous et mérite une considération toute professionnelle de la part des chercheurs et des historiens. Le Moyen Age, qui subit le pire des fléaux que fut la peste noire, va s’attacher plus encore à l’idée de la mort. Pour cela il va développer trois thèmes : le premier concerne la Vanité de la gloire terrestre qu’il puisera dans l’Antiquité ; le second insistera sur la vanité de la beauté humaine en s’étalant sur les horreurs de la décomposition des corps ; le troisième rappellera que la Mort nivelle toutes les conditions sociales et de ce fait introduira l’égalité des hommes. Ce dernier thème est celui qui nous intéresse aujourd’hui, il trouvera son expression dans le Triomphe de la Mort et dans la Dance Macabre ou Dance des Morts. Le Triomphe de la Mort est essentiellement un thème italien qui s’exprime dans les fresques d’Orcagna au Campo Santo de Pise (14° siècle). La Mort, sous l’aspect d’une femme ailée armée d’une faux, abat tout sur son passage, on dit d’Elle qu’Elle moissonne le champs de la vie, tandis qu’au dessus d’Elle, anges et démons se disputent les âmes. Par contre, les Dances Macabres sont communes à toute l’Europe des XIV° et XV° siècles. L’unique exemplaire de cette Dance Macabre fut découverte par Champollion Figeac et fit l’objet d’une description dans le Magasin encyclopédique de décembre 1811 sous la forme d’une notice. (Notice d’une édition de la danse macabre antérieure à celle de 1486 et inconnue aux bibliophiles). En 1826 ; Gabriel Peignot approfondit les recherches faites par Champollion Figeac et démontra l’origine française de la Dance Macabre et suggéra que son origine remontait au charnier des Innocents de Paris. (Recherches historiques et littéraires sur la danse des morts et sur l’origine des cartes à jouer… 1826). En 1874, l’abbé Valentin Dufour (La danse macabre des SS.Innocents de Paris d’après l’édition de 1484 précédée d’une étude sur le cimetière, le charnier et la fresque peinte en 1425) déterminera plus nettement le rapport avec la Dance Macabre de 1424. Il établit en effet l’identité du poème de 1485 avec celui de la Dance Macabre de 1425. Dans l’Epitaphier de Paris (BN manuscrit français 8220), manuscrit contemporain de la démolition du charnier en 1663, figure une description de la Dance Macabre, arcade par arcade. L’identité, en tout, est la même. Les gravures de l’édition princeps ont donc toutes les chances d’avoir été faites d’après les fresques originelles. Une preuve supplémentaire nous est donnée de cette relation étroite entre l’édition et les fresques par la première Dance Macabre peinte en Angleterre, celle de Saint-Paul de Londres, aujourd’hui disparue, qui fut faite à l’imitation de celle de Paris, un peu avant 1440, par un moine, John Lydyate, qui avait vu l’original et avait traduit, en anglais, le poème du charnier des Innocents. Emile Mâle, en 1908, supposera l’existence d’une peinture antérieure d’où toutes les Dances Macabres d’Europe tireraient leur origine. Il pensait aussi que le thème se serait tout d’abord présenté sous la forme d’un drame commun à cette époque moyenâgeuse. Ainsi savons-nous qu’en 1393 on a dansé à Caudebec en Normandie une Dance Macabre. L’édition de 1486 portera des personnages en plus, les pièces en vers du Dit des trois morts et des trois vifs et des sentences latines, en vers ou en prose, au dessus des gravures qui ne figurent pas dans l’édition antérieure. A signaler que la même année, Guyot Marchant publiera une Dance Macabre des femmes. Une hypothèse veut que la Dance Macabre de 1485 soit l’œuvre de Pierre Le Rouge, miniaturiste à l’école de Tours, c’est la seule hypothèse à ce jour qui ne doit être retenue que pour ce qu’elle est, à savoir une hypothèse. Enfin, contrairement aux reproductions ultérieures, la Dance Macabre de 1485 n’est pas introduite par les quatre squelettes musiciens. Lorsqu’il m’a fallu préparer cette courte étude sur les représentations des Danses macabres et du Dit des trois morts et des trois vifs, je ne m’attendais pas à devoir faire face à une brusque irruption du macabre au Moyen Age, à devoir observer cette sollicitation brutale de la Mort qui dut pétrifier plus d’un misérable pécheur. Encore aujourd’hui faut-il avoir l’esprit solide pour ne pas sombrer dans la morbidité vers laquelle veulent nous entraîner certaines représentations picturales définies avec un réalisme souvent paranoïde. Cependant, si nous nous en tenons aux images de la Mort des peintres de l’histoire, nous pouvons évacuer, sans crainte, la principale question qui taraude l’esprit du chercheur: La Mort a-t-elle une histoire? La complaisance et la recherche du style dans les représentations modernes des rites funèbres, des sacrifices parfois, des systèmes complexes imaginés par de commodes ancêtres issus d’un imaginaire bien plus folklorique que d’une réalité archéologique, nous fait répondre non, car l’impression macabre est vide d’angoisse. Cette angoisse, il nous faut aller la chercher au delà des discours de l’Eglise, au delà de cette suffisante certitude que faire la paix avec Dieu, au crépuscule de sa vie, suffit pour obtenir le viatique nécessaire au profond sommeil. Aujourd’hui, alors que nous entrons dans le troisième millénaire, il n’est pas rare d’entendre ou de lire qu’un tel est revenu de la proche frontière qui sépare la mort de la vie. Cette relation s’appelle une N.D.E, ou, pour oublier cet anglicisme qui se cache sous ce sigle, une “expérience de mort rapprochée” dans laquelle le moribond quittant provisoirement son corps de chair s’avance jusqu’au tunnel ou puits de lumière qui permet de passer d’un monde à l’autre en compagnie des anges ou des défunts chéris qui nous attendraient à cet endroit précis. Je serais tenté de dire que tout cela est chose sans valeur, si Jérôme Bosch n’avait représenté ces presque morts abordant ledit tunnel de lumière. Rêve ou expérience? (L’ascension vers l’Empyrée. Jérôme Bosch, après 1500). Le tabou, me semble-t-il, n’existe plus. La médicalisation supplante la mort familiale et la thanatologie se marchande dans les boutiques (“Mourez, nous ferons le reste”), le cercueil rustique rentre dans l’alignement du “prêt à porter”, les tâches administratives sont bien plus rebutantes que l’inhumation elle-même et si le chagrin est immense, le deuil n’a cependant plus sa place dans la société des grandes tours, c’est une affaire intime. Aujourd’hui, la mort est solitaire, presque clandestine. Au Moyen Age, par contre, la mort est un cataclysme, c’est ce que j’ai (re) découvert; une mort collective jusqu’au XVI° siècle où elle commencera son aventure individuelle. Les livres dont nous aurons à parler, de communautaires vont devenir d’usage privé; les représentations alarmantes sous la forme de fresques vont disparaître, il n’en reste aujourd’hui, attestées, qu’une douzaine en France, et pour certaines elles n’offrent guère plus d’intérêt que documentaire. Il me fallait donc retrouver la Mort, non pas celle transposée dans les textes par l’Eglise, ni celle des Romantiques, simplement celle de l’homme au quotidien Cette Mort plurielle m’interpella en m’envoyant son invitation au dixième congrès international d’études sur les danses macabres qui se tint du 6 au 10 septembre 2000 à Vendôme sous l’égide de l’association des Danses Macabres d’Europe, mais aussi au travers de quelques ouvrages de la Bibliothèque Bleue, une collection que Marie-Dominique Leclerc nous fait régulièrement redécouvrir au gré de ses communications, et enfin par le biais d’une définition, pour le moins originale et, oserai-je dire, vivante, donnée dans le supplément du dictionnaire de DU GANGE que je me permets de vous citer: “Danse des Macchabées, vulgairement Danse macabre, cérémonie en forme de divertissement instituée par les ecclésiastiques dans un but religieux et dans laquelle les gens de tous rangs, tant de l’Eglise que de l’Empire, menant ensemble une danse, disparaissaient l’un après l’autre, signifiant par là que la mort vient saisir chacun à son tour. Il est fait mention de cet usage dans un vieux codex ms. de l’église de Besançon. On y lit: “que le sénéchal a payé à Jean de Calais, matriculaire de Saint Jean, 4 simaises de vin (8 septiers) fournis par ledit matriculaire à ceux qui le 10 juillet dernier (1453) après l’heure de la messe, ont fait la danse des Macchabées dans l’église de Saint-Jean-l’Evangéliste.” ( A.B.F.1956). Donc, comme je la cherchais, cette grande faucheuse d’hommes revêtit, pour moi, ses plus macabres atours. Mais ce n’était que poudre aux yeux. En remontant le cours du Temps, je l’ai reconnue et dévoilée telle qu’elle est et sera toujours, en l’an 1347, alors qu’elle débarquait simultanément dans différents ports méditerranéens. Elle avait alors pour nom, Peste Noire. Elle déploya sa stratégie et ne donna à l’homme que quatre jours d’horrible sursis. Parfois elle gagnait 100 kilomètres en un mois. En dix ans elle submerge l’Europe. Chaque génération doit lui abandonner son tribut, enfants ou vieillards, servantes ou princes. Le choc psychologique est considérable, et l’Eglise ne peut conjurer cette mort dans le quotidien. Oraisons, gestes magiques ritualisés, intercesseurs privilégiés, rien n’arrête le fléau et ses compagnes épidémiques. Le coupable, puisqu’il en faut toujours un, sera le Juif qui empoisonne les puits. Les pèlerinages s’organisent; l’homme doit expier ses péchés causes de la colère du Très-Haut. Aux fléaux naturels s’ajoutent ceux organisés par les hommes devenus fous. Armagnacs contre Bourguignons; guerre des Deux-Roses; Jacquerie et autre révolte des Travailleurs. La psychose macabre s’installe sur un terrain fertile préparé par l’homme lui-même. La Mort est omniprésente et voici la vérité: “Sur le tas de fumier de Paris, vous eussiez pu trouver de-ci de-là vingt ou trente enfants, garçons ou filles, mourant de faim et de froid...” (Journal d’un bourgeois de Paris). “ (...) Certains, contre la mort, cherchèrent un recours dans les racines des bois, dans les plantes aquatiques; en vain. Il n’est à la colère vengeresse de Dieu de refuge qu’en soi-même. Raconter maintenant à quelle corruption en arriva alors le genre humain fait horreur, hélas ! Ah, douleur ! Chose autrefois presque inouïe: enragés par les privations, les hommes furent à cette occasion acculés à recourir à la chair humaine.” (Raoul Glaber. Histoires). Faute de place dans les cimetières, les corps sont mis à sécher. Au cimetière des Saints-Innocents, les inhumations de 1417 provoquèrent une élévation du sol de deux mètres. Il faut rappeler que ce cimetière avait la forme d’un rectangle de 60 mètres sur 100 mètres. Le cimetière des Saints-Innocents était situé au cœur de la ville de Paris. Depuis sa création, on estime à 1 200 000 corps enfouis dans ce rectangle sinistre. Lorsque les chairs étaient totalement décomposées dans cette terre « si pourrissante qu’un corps humain y était consumé en neuf jours » (Antiquitez de Paris. Corrozet) on empilait les os sur des emplacements réservés à cet effet. L’odeur y était infecte et Michaut dans sa « Dance aux aveugles » rapporte que les « biens nés » sentaient encore plus que les autres morts, car mieux nourris, leurs « viandes délicatives (qui) après leur corruption sont plus infectes que grosses viandes ». Et pourtant, cet enclos entouré de trois murs érigés par Philippe Auguste en 1186, attirait les promeneurs et les marchands. C’est aussi l’endroit privilégié des prédicateurs. En 1669, afin d’élargir la route, le mur qui supportait la fresque, oubliée de tous et en mauvais état, fut rasé. Il faut faire cesser cette omniprésence massive de la Mort. “De la mort subite, délivre-nous Seigneur” clament les clercs étourdis par tant d’horreurs. Alors le squelette grimaçant ou ricanant va laisser sa place, dans l’iconographie nouvelle, au cadavre répugnant, au transi qui va dès lors exhorter le passant à l’humilité: “Tu seras comme nous.” Voilà donc l’explication du sujet d’aujourd’hui; une courte chronique de la mort que vous retrouverez dans les ouvrages illustrés de gravures sur bois des éditeurs troyens des XV° et XVI° siècles et qui va nous rappeler qu’il a existé jadis un art de bien mourir (Ars moriendi) pour le moins original. Ce sujet fut, semble-t-il, mis en vers latins aux environs de 1460 par un membre de la famille Desrey (Desray, Desrez), une famille troyenne dont on retrouve la trace sous les règnes de Charles VII (1470-1498) et Louis XII (1462-1515) qui s’appuya pour ce faire sur un texte allemand d’un poète inconnu nommé Macaber (!). La première édition revue et corrigée donnée par Desrey, en latin, ne verra le jour qu’en 1490, bien après la version en français de Guy Marchant (le 28 septembre 1485) quelque soixante années après l’exécution de la fresque du cimetière des Innocents. La reproduction de la fresque que donnera Guy Marchant n’est pas une réplique exacte de celle d’origine. Elle va coller aux modèles, aux standards, de la l’iconographie de la fin du XIV° siècle. Les vêtements seront donc ceux que portaient les gens à cette époque. Dans l’édition suivante de la Dance Macabre, Guy Marchant ajoutera au cortège, dix nouvelles figures (le légat, le duc,le maître d’école, le sergent d’arme, le procureur d’office, le geôlier, le berger, l’hallebardier et le sot). On constatera que la Mort conserve avec le cordelier un visage humain. Deux remarques s’imposent ici. Il a été beaucoup discuté de l’étymologie du mot Macaber qui passe pour être le nom de l’auteur à l’origine des danses macabres et secondement il a tout autant été discuté de la date de 1460 pour la traduction de Desrey, une inversion typographique aurait eu lieu entre le 6 et le 9 donnant 1460 au lieu de 1490. Pour ne pas alourdir notre propos ces deux réflexions resteront dans le domaine réservé aux spécialistes. La bibliothèque de Troyes possède un exemplaire de cette version de Desrey “Eximii macabri speculum choreae mortuorum versibus Alemanicis”. De nombreuses rééditions vont suivre et, en 1491, Guillaume Le Rouge, imprimeur et graveur à Paris, Chablis et finalement installé à Troyes, va sortir sa “Danse macabre hystoriée suivie du Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, du débat d’un corps et d’une âme et des quinze signes du final jugement”. Nicolas Le Rouge, fils du précédent, suivra la même voie et rééditera à son tour le thème macabre ainsi que le non moins célèbre Calendrier des Bergers. Dans maintes versions on constatera un mélange des bois de l’un vers l’autre thème, nous y reviendrons. Un voile épais recouvre l’origine des Danses macabres sur le plan strictement littéraire. Les uns avancent une origine germanique, se basant sur les textes accompagnant la Danse de Bâle, à laquelle d’autres répondent en avançant que les textes qui accompagnaient la représentation au cimetière des Innocents étaient en français. Il est à noter que lorsque fut décrétée la fermeture définitive du cimetière des Innocents (arrêt du Conseil d’Etat du 9 novembre 1785, décret du 16 novembre 1786) on transporta les corps et les ossements dans les anciennes carrières du Mont-Souris (En 1860 on en retira encore 813 tombereaux d’ossements !). A cette occasion on recueillit précieusement les monuments, au nombre desquels figurait la statue de la Mort une oeuvre attribuée à Germain Pilon mais regardée comme étant née sous le ciseau d’un troyen, François Gentyl (1540). Cette statue de style gothique était à l’origine en albâtre avant d’être bronzée et restaurée par le sculpteur Deseine. On voit un squelette debout qui tient une lance de la main droite tandis que la main gauche repose sur un bouclier sur lequel sont inscrits les vers suivants cités par Alexandre Lenoir: Il n’est vivant, tant soit plein d’art, Ni de force pour résistance, Que je ne frappe de mon dart (sic) Pour bailler aux vers leur pitance. (Priez Dieu pour les trépassés.) D’abord déposée à Notre Dame de Paris, la statue passa au Musée des Monuments français, puis elle disparut lors de la fermeture dudit musée. L’évocation de la mort nous semble être le thème qui utilisa le plus l’expression iconographique, tant en Orient qu’en Occident. Nous n’aborderons pas dans cette étude le culte rendu aux morts, ni la survie possible de l’âme ou toute autre philosophie “thanatologique”, si je puis m’exprimer ainsi. Notre propos ne porte que sur un aspect double du problème représenté par la mort au XII° siècle, les tourments attendus et la vanité des honneurs et des richesses (et tout aussi bien de la convoitise, de l’avarice, de la cupidité, etc.) qui justifie lesdits tourments. Dans un esprit de simplification, nous dirons que la mort, sous la plume des clercs et autres prédicateurs religieux va devenir, en quelque sorte, le salaire du péché. Nous verrons que “La fin du Moyen Age est pleine de ces visions de chair décomposées et de squelettes. Le ricanement des crânes et le claquement des os l’emplissent de leur vacarme.” (Baltrusaitis) Les antiques distinguaient bien la Mort des Enfers et si nombre de clercs se référèrent aux écrits des philosophes porteurs de la parole chrétienne, les “Vers de la Mort” d’un Thibaut de Marly (1135-1190) ou ceux d’un Hélinant de Froidmont (v. 1194 / 97) seront les témoins du caractère misérable de la mort. Hélinant, moine de Froimont, inaugure un genre nouveau dans la poésie, annoncé par Euchère de Lyon (mort vers 450/55). Les deux hommes ont un thème commun : le mépris du monde. Hélinant va employer, pour persuader les épicuriens de son temps, un style d’écriture hallucinant, une nouveauté alors. Ses « Vers de la Mort » sont là pour réveiller les consciences et fustiger les adeptes du carpe diem. Pour Hélinant, la crainte de la mort ne peut être que salutaire et l’homme doit se détacher des biens matériels pour le salut de son âme. Mais plus encore, chose extraordinaire, il introduit le concept égalitaire de la Mort : « Mort, tu abats en un seul jour Le roi a l’abri de sa tour Et le pauvre dans son village … » Ce mépris du monde, nous le retrouverons dans le Dit des trois morts et des trois vifs . Dès lors, les mises en garde contre les vanités et les possessions exagérées de biens vont accompagner la marche dans la vie de l’homme du Moyen Age, qu’il soit riche ou pauvre, enfant ou adulte, l’escortant jusqu’à l’inéluctable échéance: la mort égalitaire. Le XIII° siècle va donc, pour cela, donner naissance à deux typologies littéraires complétives, si nous faisons abstraction des Vado Mori (Je me prépare à mourir) poèmes français en latin remontant au 13° siècle qui présentent des similitudes avec les Dances Macabres comme la division des personnages selon leur rang dans la société. Si les Vado Mori ne sont pas à l’origine des Dances Macabres, pas plus que le Dit des trois vifs et des trois morts, tous trois servent en quelque sorte d’antidotes pour conscience tourmentée. La plupart des historiens font remonter à Jean Le Fèvre (1322-v.1387) l’expression “danse macabre”, sitôt la Peste noire de 1348; d’autres parlent de Guillebert de Metz mais bien peu se sont penchés sur l’oeuvre d’un Jehan D’Orléans (d’Orléens selon l’orthographe de l’époque) qui serait à l’origine de la fresque des Innocents. Celui-ci était attaché au duc de Berry et nous les retrouvons tous deux sur le premier bois de la Danse macabre de Jean Charlier dit Gerson, de Gerson, Jarson ou Garson, chancelier de l’Eglise, professeur de théologie, ambassadeur du roi de France. Qu’importe le débat ! Danse macabre ou Danse de la mort, c’est la première appellation qui prévalut en France (Totentanz, en Allemagne; Dance of Death, en Angleterre; Dansa de la morte, en Italie; Danza general de la muerte, en Espagne; etc.) et l’adjectif qualificatif macabre fut choisi pour son caractère plus réaliste. Il semble qu’à l’origine, la Danse avait plutôt l’aspect d’un long cortège qui se transformera, par la suite, en une sorte de ronde. Lorsque nous parlons de “Dance Macabre”, il faut nous souvenir que le mot “Dance” s’écrivait alors avec un c et que le sens en était très général, indéterminé et différent de celui que nous lui accordons aujourd’hui. Il signifiait, à l’origine, un défilé pour les militaires; une procession pour les ecclésiastiques et une ronde pour les musiciens. Ce mot particulier apparaît dans le premier des six huitains qui accompagnent les représentations de ladite “Dance”: O creature roysonnable Qui desire vie éternelle Tu as cy doctrine notable Pour bien finer vie mortelle La dance macabre rapelle Que chascun a danser apprant A homme et femme est naturelle Mort nespargne petit ne grant. En ce miroer chascun peut lire Qui le convient ainsi dancer Saige est celui qui bien si mire Le mort le vif fait avancer Tu vois les plus grans commencer Car il n’est nul que mort ne fiere C’est piteuse chose y penser Tout est forgie d’une matière. Nous avons dit que la mort égalitaire frappait sans distinction d’âge, de rang ou de sexe, c’est pourquoi la liste des participants au cortège ne fut jamais limitative, elle varia en nombre et en genre au cours des décennies. La fresque des Saints-Innocents débute avec une introduction du récitant suivie par quatre musiciens squelettiques et du cortège ou Dance : le pape, l’empereur, le cardinal, le roi, le patriarche, le connétable, l’archevêque, le chevalier, l’évêque, l’écuyer, l’abbé,le bailli, le maître, le bourgeois, le chanoine, le marchand, le chartreux, le moine, l’usurier accompagné de sa victime, le médecin, le courtisan, l’avocat, le ménestrel, le curé, le paysan, le cordelier, l’enfant, le clerc et l’ermite. La conclusion revient au récitant accompagné du roi défunt. On remarque qu’aucune femme ne figure dans le cortège, il faudra une exception, la danse macabre de Guyot Marchant qui parut le 7 juillet 1486, sous la forme d’un volume composé d’une trentaine de pages, quatorze pour la Danse macabre des femmes, treize pour le Débat de l’âme et du corps et deux pour la Complainte de l’âme damnée, pour que nous ayons là une composition remarquable. Ce volume cependant ne comportera que trois gravures: - une représentant le lecteur. - la suivante montrant l’orchestre des quatre morts. - la troisième qui montre le premier tableau du cortège: la reine et la duchesse. mais il contiendra tout de même les strophes rimées relatives aux trente-deux femmes, de diverses conditions, mises en scène. (Les poèmes sont sous formes de sermons et énoncent, à l’intention du public, des sentences ou des proverbes en fin de strophes: “Contre la mort n’a médecine” ou pour l’empereur: “ laisser fault la pomme d’or ronde”, c’est à dire le globe). La seconde édition de la Danse macabre des femmes (1491) sera complète et portera le titre suivant: “Cy est la danse macabre des femmes, toute hystoriée et augmentée de nouveaulx personnaiges, etc. Paris, Guyot Marchant, le 2 mai 1491- Sensuivent les trois mors et les trois vifz, avec le débat du corps et de l’ame. Guyot Marchant, 1491, in fol. Fig.” Nous donnons la liste des personnages en annexe. Cette danse macabre illustre un poème de Martial d’Auvergne, une oeuvre médiocre dit-on. C’est dans ce que l’on nomme l’art fantastique que l’homme du Moyen Age va trouver une réponse à ses angoisses, comme si la représentation de la crainte de l’au-delà pouvait apporter un quelconque remède pouvant agir sur celle-ci. Il fallait frapper les esprits par un spectacle stupéfiant, les imagiers firent donc dans la répugnance et le morbide. Nous savons que les sculpteurs ou les peintres du Moyen Age ont largement puisé dans l’imaginaire des peuples de l’Antiquité, créant un répertoire de monstres hybrides qui aura sa place dans les représentations picturales que l’on retrouve dans les églises et les cathédrales médiévales, mais aussi dans les bestiaires. Rappelons qu’au XIV° siècle, vers 1380, va apparaître parmi les gisants issus du siècle précédent, celui qu’on nommera le transi. C’est à cause de cette peur de l’inéluctable échéance que vont se multiplier les représentations de la Mort personnifiée, fréquemment montrée sous la forme du squelette, armé de la faux, moissonnant le champ de la Vie. La Danse macabre, le Dit des trois morts et des trois vifs, le Triomphe de la Mort vont tenter de “visualiser” l’enfer et ses démons, la conscience du pécheur, les tourments et l’au-delà. Au XIII° siècle, la statuaire enseigne les éléments de la doctrine chrétienne et les phylactères donnent les explications nécessaires à la bonne compréhension du symbole; au XV° siècle ce sont les peintures qui vont accompagner les textes. La Danse macabre se situe à la frontière de ces deux typologies destinées à l’enseignement de l’homme. Pour le commun, la figure et pour le lettré, la légende. On remarquera que chaque huitain se termine également par une maxime mémorable (apophtegme) qui est passée dans le langage sous forme de proverbe: “Qui trop embrasse peu estraint” dit le marchand. “Petite pluie abat grand vent” dit l’amoureux “A toute peine est deu salaire” disent le curé et le laboureur. Et enfin, nous pouvons dire que la naissance de la Danse macabre est liée, historiquement, à l’assassinat du duc d’Orléans en 1407, point de départ de nombreuses calamités pour le pays. Tête à tête avec la Mort, trois jeunes chevaliers et leur troupe buttent contre trois cercueils ouverts montrant trois cadavres grouillant de vers. C’est le Triomphe de la Mort du Campo Santo qui dit que le corps est mortel et qu’à tout instant il peut devenir cette chose répugnante. Horreur de la révélation. Exhortation au repentir. Au bestiaire fantastique du Moyen Age vont donc venir s’ajouter des squelettes fossoyeurs de l’âme et du corps et, si la Renaissance porta un rude coup à cet art fantastique, la France raisonnable n’en conservera pas moins son inclination au surnaturel. Il nous suffit pour cela d’observer le surréel d’un Jérôme Bosch (Hieronimus van Aken, dit) pour y retrouver les cauchemars récurrents et éternels de l’homme ou le terrible Triomphe de la Mort d’un Bruegel l’ancien. Mais bien avant la grande parade de Jérôme Bosch, l’art connaissait le vaisseau fantôme à la carène fabriquée de planches de cercueils et aux voiles cousues de linceuls (Swanenburgh). A mi-chemin entre le romantisme (L’incube, par Johann Heinrich Füssli) et le surréalisme (Le corridor Thallia de Palladio, Dali), les squelettes des Danses macabres revêtiront le burlesque des carnavals et des kermesses. Mais l’angoisse reste toujours la même et, pour un Odilon Redon (1840-1916), le surnaturel se situera constamment sur la frange même du naturel. Aujourd’hui, le fantastique n’est plus agi par les peurs médiévales et les fresques ont disparu au profit des peintures sur toiles et, avec les ossuaires, le macabre est devenu art mobilisateur. La vue d’ensemble de la Danse macabre d’un Felix Hoffmann (1966) n’interpelle plus. Mais revenons au XIV° siècle afin d’y observer un changement significatif dans les représentations picturales de la Mort. Celle-ci apparaît de moins en moins comme le grand moissonneur de vies humaines, elle prend l’apparence d’un cadavre desséché vêtu de haillons, un être surnaturel épouvantable. Le gisant, disions-nous plus haut, devient un transi, un corps en décomposition. La Mort d’Hélinant de Froimont cède sa place au mort, au cadavre répugnant qui s’adresse directement au vivant stupéfait. -Je me présente à toi qui vis encore mais souviens toi désormais, je suis ce que tu seras tout à l’heure.- « Telz comme vous un temps nous fûmes Tel serés vous comme nous sommes. » (Guy Marchant). Dans le domaine de la représentation allégorique, la fresque est devenue l’intersigne qui permet de sensibiliser le plus grand nombre, mais les miniatures, plus intimistes, n’en sont pas moins aussi importantes et insupportables, comme nous allons le voir. Le Dit des trois morts et des trois vifs parait être d’une rédaction plus ancienne que la Danse Macabre, mais nous le retrouvons associé à celle-ci non seulement sur les monuments religieux, mais aussi dans les recueils appelés Moralités (sorte de pièces de théâtre allégoriques et moralisatrices), ou dans quelques livres d’heures qui proposèrent à leurs lecteurs des miniatures ou des enluminures ornées de représentations liées au thème macabre. Mais ces livres ne s’adressaient qu’à un public restreint (dans le livre d’heures de Louis II, duc d’Anjou, roi de Jérusalem et de Sicile, une vignette porte le texte suivant: “Cy après commence une moult merveilleuse et horrible hystoire que l’on dit des iij Mors et des iij Vis”. Un autre livre d’heures, imprimé en 1488, par Philippe Pigouchet, montre deux tableaux, en vis à vis, représentant le Dit des trois morts et des trois vifs dans lequel les jeunes seigneurs sont chevauchant et les faucons dans le ciel; la Mort est représentée par les trois squelettes dont l’un tient une bêche et les deux autres, chacun une faux). Si le but recherché par les auteurs était le même, leur expression seule, nous venons de le constater, fut différente. Le Dit des trois morts et des trois vifs apparaît au XIII° siècle, en langue vulgaire donc accessible à tous. Il est attribué à Baudoin de Condé (mort vers 1280). Ce sont en tout cinq poèmes qui racontent la rencontre faite par trois jeunes gens de haute lignée (duc, comte et fils de roi) avec trois cadavres au corps en décomposition et aux paroles accusatrices. « D’avance mirez vous en nous ». La scène se voulait horrible : « C’étaient trois morts de vers mangés… » La légende, puisque c’en est une, va connaître un développement spectaculaire par son iconographie nouvelle et extraordinaire pour l’époque. C’est elle qui inspirera la fresque du Campo Santo de Pise (vers 1385). Nous y reviendrons. Pour appuyer notre propos à l’intention des curieux, nous reporterons, à la fin de cette étude, la pièce 22 d’un manuscrit qui appartenait au duc de La Vallière et intitulé: CE SONT LI III MORS ET LI III VIS QUE BAUDOIN DE CONDE FIST. La Société Académique de l’Aube possède dans ses cartons ce curieux texte et peut le mettre à la disposition du curieux qui voudrait en prendre connaissance. C’est une pièce de 162 vers précédée d’une miniature qui représente trois squelettes, en face desquels sont trois jeunes seigneurs à pied dont le premier porte un faucon sur le poing. Les trois jeunes et riches seigneurs reçoivent des trois morts qu’ils rencontrent des leçons sur le néant de la vie et la vanité des grandeurs humaines Il est dit, dans une transcription plus ancienne, que la miniature qui précédait le texte était sinon exceptionnelle, du moins très intéressante, car elle portait trois jeunes femmes en place des trois jeunes seigneurs. Pendant tout le XIII° siècle et le XIV° siècle, les trois vifs de la Moralité seront constamment représentés à pied et le faucon sur le poing d’un des trois personnages. Ce ne sera qu’au XV° siècle que les jeunes gens seront représentés chevauchant, sans faucon ou ce dernier prenant son envol avec d’autres. La fresque sera donc le principal support qui vulgarisera le thème de la Mort et celle du cimetière des Innocents, la plus ancienne sans doute (celle du Grand Bâle date de 1440; celle de la Chaise-Dieu, de 1470) jouera un rôle essentiel dans la propagation du thème iconographique macabre. Nous sommes en 1424 et une importante partie du territoire est sous domination anglaise. En vertus du traité de Troyes (1420), la couronne de France repose sur la tête d’Henri VI. C’est cette même année 1424 que, pour la première fois, une jeune bergère de Domrémy entend des voix célestes. Le pays est exsangue, la famine et la peste sont maîtresses des villes et des campagnes. A Pâques 1425, la fresque de la Danse macabre est terminée sur le mur du charnier des Saints-Innocents. “ L’an 1424 fut faite la Danse macabre aux Innocens et fut commencée environ le moys d’aoust et achevée au karesme ensuivant.” (Journal d’un bourgeois de Paris). Les morts y sont représentés dégingandés, écorchés, momifiés et surtout ironiques. Quant aux vivants qui s’accrochent à leurs attributs fonctionnels, ils sont stupéfiés. La Danse macabre des “Innocens” deviendra célèbre et servira de modèle. Mais auparavant, en 1408, l’histoire des trois morts et des trois vifs fut représentée au portail méridional de l’église des Saints-Innocents (Denys Godefroi, 1653 Histoire de Charles VI). On y voyait d’un côté trois seigneurs chassant dans la forêt et de l’autre trois squelettes se dressant devant eux. Les vers suivants étaient gravés: En l’an mil quatre cent huit Jean, duc de Berry, très puissant En toutes vertus bien instruits Et prince en France florissant Par humain cours lors cognoissant Qu’il convient toute créature, Ainsi que nature consent, Mourir et tendre à pourriture Fist tailler icy la sculpture Des Trois Vifs, aussi des Trois Morts Et de ses deniers la facture En paya par justes accords: Pour montrer que tout humain corps Tant ait biens ou grande cité, Ne peut éviter les discords De la mortelle adversité Ayons de la mort souvenir Afin qu’après perplexité Puissions aux saincts cieux parvenir. Le Dit des trois morts et des trois vifs est donc bien, dans son expression iconographique ou xylographique, une image ancienne de la Mort et le poème de Baudoin de Condé (1285) fait partie des plus anciennes versions. Avec le Triomphe de la Mort de Clusone (Italie, 1485) qui regroupe sur un seul tableau tous les thèmes (le triomphe de la Mort, l’histoire des jeunes chevaliers dont l’un est atteint par une flèche mortelle, le cortège des morts), la Danse macabre éclipsera le Dit des trois morts et des trois vifs. A compter de l’invention de l’imprimerie, la Danse des morts sera imprimée avant le Dit. C’est ainsi que l’on relèvera dans la seconde édition de la Danse macabre de Guyot Marchant (1486) cette précision: “Cy finist la da(n)se macabre hystoriée et augme(n)tée de plusieurs nouueaux personnages et beaux dis et les Trois Morts et les Trois Vifs ense(m)bles nouvelleme(n)t ainsi co(m)posée et imprimée par Guyot Marchant demorant à Paris ou grant hostel du Collège de Navarre en champ qaillart lan de grace mil quatre cent quatre vingz et six le septième iou de iuing.” (Les lettres entre parenthèses sont remises par moi-même en place des signes abréviatifs). En 1491, Guyot Marchant fit tirer une nouvelle édition et précisa que: “Ici sont les Trois Mors et les Trois Vifz en francoys, et aussi Trois Mors et trois Vifz en lati(n).” Au début du XVI° siècle parut une nouvelle édition se terminant ainsi: “Cy fine la dance macabre auxque les dictz des Trois Mortz et des Trois Vifz. Imprimé à Paris par Maistre Nicole de la Barre, l’an 1500, le xxiij de Juillet.” En 1539, Jehan Lecocq de Troyes, repreneur des bois de Guyot Marchant, sort sa Grande Danse macabre contenant la Danse macabre des hommes, celle des femmes, le Dit des trois morts et des trois vifs, ainsi que le Débat du corps et de l’âme. Il ne semble pas qu’une nouvelle Moralité ait été de nouveau imprimée par la suite, pas même par le célèbre imprimeur Nicholas le Rouge qui pourtant réédita plusieurs fois la Danse macabre ainsi que le Calendrier des Bergers comme nous l’avons dit plus haut. Il nous a paru intéressant de faire remarquer qu’une certaine confusion régnera dans les éditions suivantes, qu’elles soient le fait d’un Oudot ou d’un Garnier, imprimeurs à Troyes, dans les ouvrages desquels on relèvera de nombreuses inexactitudes, des inversions de bois, etc. Ainsi, chez Jacques Oudot, la gravure qui est censée représenter l’auteur du poème est remplacé par celle du Calendrier des Berger reproduisant le cueillette des premières fleurs ou encore, un bois de chez Garnier se retrouve chez Oudot dans l’exhortation à bien vivre et à bien mourir. Mais déjà on remarque de nombreuses erreurs dans l’édition de 1486 de la Danse macabre de Gerson. Le Chartreux et le Sergent sont remplacés par le Légat et le Duc; le Maître devient “Astrologien” et l’on ajoute un orchestre formé de quatre morts. La représentation artistique se dégrade fortement et la Dance devient une sorte d’exercice chorégraphique. Au XVI° siècle, beaucoup d’imprimeurs s’établiront en Champagne et plus particulièrement dans la ville de Troyes (les premières presses se trouvaient à l’angle de la rue Notre-Dame et de la rue Raymond Poincaré). L’histoire a relevé, dès la fin du XV° siècle, la présence dans notre cité d’un imprimeur nommé Thomas Lecoq (ou Le Coq) ainsi que celle d’un Jean Lecoq, sans doute des notabilités à en juger par leurs avoirs. Jean Lecoq devait être locataire chez la veuve Guyot (à l’angle de la rue Notre-Dame et de la place de la préfecture). On suppose qu’il travaillait avec la famille des Lerouge. Thibaut Trumeau, autre imprimeur, se maria avec une fille Lecoq (Jean Lecoq), il eut un fils qui suivra les traces de son père. Jean II Lecoq, petit fils de Jean I Lecoq reprit l’édition du calendrier des bergers. Nombreux furent les imprimeurs qui travaillèrent essentiellement pour l’Eglise. Pour la petite histoire, notons que le dénommé Macé Moreau, qui ne fut pas un imprimeur mais plutôt un colporteur de livres imprimés par les protestants, fut convaincu de propager une littérature dangereuse. Pour cette raison il fut jugé, torturé et brûlé vif. Selon Nicolas Pithou le livre qui causa la perte de cet homme s’intitulait: “ Trafic et train de marchandises que les prêtres exercent en l’Eglise”. Nous trouvons aussi des Luce Nicolas, des Duruau Jean, un Moreau Jean dit Lecoq à la suite d’une succession qui lui permit de conserver l’enseigne et le nom des Lecoq (1660), un Collet Jean, un Deschamps Philippe, un Hupoye (Estienne de la) dit le Jeune qui sortira un “Traité des énergumènes”, un Regnault, un Girardon et la famille des Oudot. Oudot Jean I, imprime dès 1593. Oudot Nicolas I, fils de Jean, demeurant à l’enseigne du Chapon d’or couronné (non loin des Trois Ecus; le quartier des imprimeurs était situé dans cette partie de la rue Notre-Dame), édita de nombreux ouvrages dont les reproductions formeront le fonds de la Bibliothèque bleue. Oudot Nicolas II, fils de Nicolas I, reprit “la Grant Danse Macabre des hommes et des femmes...” édition Lerouge 1531, ainsi que “l’histoire de Mélusine” par Jean d’Arras (1649). Nous pouvons encore citer un Moreau Noël dit Lecoq, un Griffard Jean, un Chevillot Pierre qui imprima les prophéties de Nostradamus, etc. La liste est longue. C’est sans doute pourquoi un arrêt du Conseil d’Etat du Roi fixa le nombre d’imprimeurs-éditeurs dans les villes du royaume. A la date du 21 juillet 1704, il ne pouvait y en avoir que quatre dans les villes d’Amiens, Besançon, Caen, Dijon, Douai, Grenoble, Limoge, Lille, Nantes, Orléans, Reims, Rennes et Troyes. Enfin et pour conclure notre propos, un dernier mot pour saluer les graveurs et autres artistes qui furent pour beaucoup dans le succès des Danses macabres. Je citerai pour cela le petit texte qui figure en première page de l’ouvrage édité par Varlot père, “ Illustrations de l’ancienne imprimerie troyenne”: “Nous croyons être agréables aux amateurs, en publiant ce recueil de gravures sur bois, des Woériot, Rochienne, Vernier et autres artistes, dont les planches ont illustré les ouvrages sortis des presses des Lecoq, des Oudot et Garnier, notamment la Bibliothèque bleue si recherchée des bibliophiles, la Grande Danse Macabre, Gallien restauré, la Bible, les fables, les contes, etc., etc.” En conclusion: “Si l’idée exprimée par la Dance Macabre n’eut pas répondu à un besoin de l’époque, à un sentiment naturel, comment expliquer l’immense vogue de cette composition, sa reproduction dans les pays voisins de la France, surtout sa vulgarisation par l’imprimerie qui en vomit des milliers d’exemplaires et permit de mettre entre les mains de tous, de l’enfant pour lequel il était un enseignement, du vieillard auquel il servait d’avertissement, de consolation à tous les hommes auxquels il disait d’espérer une vie meilleure.” ( La Dance Macabre. Valentin Dufour.) ANNEXE. Les Trois Morts et les Trois Vifs. par Baudoin de Condé (Traduction Eugène Le Brun.) Autrefois il y eut, à ce que dit notre histoire, trois gentilshommes qui étaient tout au moins ducs ou comtes, car leurs vêtements étaient aussi riches et aussi somptueux que s’ils eussent été des fils de rois. Beaux et courageux ils n’auraient pas rencontré d’un bout du monde à l’autre quelqu’un qui les égalât. Un jour, cependant, pour abaisser leur orgueil, Dieu leur envoya une vue étrange et lugubre: c’était trois morts dont les corps rongés par des vers étaient plus laids et plus hideux qu’on ne saurait croire. Ils ne ressemblaient guère aux trois vifs dont le visage et le corps étaient des plus accomplis, tandis que ceux-ci étaient si affreux, qu’au prix d’eux, la mort elle-même eût paru belle. Les trois vifs voyant ces trois morts qui étaient morts deux fois, d’abord en perdant leur vie, ensuite par les outrages des vers, regardent leur visage, puis leur corps, et s’aperçoivent que la mort les a atteints la première, les vers après, qui, soit l’hiver, soit l’été ne les ont guère épargnés. Compagnons, dit l’un des trois vifs, ces trois morts me causent une peur effroyable; voyez donc comme la mort les a fait hideux et laids; en les voyant je tremble. Qu’ils sont horribles ! retournons sur nos pas, car j’éprouve une telle frayeur que je crains de m’égarer en chemin. Amis, dit un des deux autres, je n’aime pas plus que vous cette vue, cependant je veux m’y arrêter, car si Dieu nous a envoyé ce spectacle, s’il l’a placé sur notre route, c’est pour que nous nous y voyions comme dans un miroir. Assurément, il n’est homme si orgueilleux qui ne puisse profiter de cette dure leçon. Vraiment, je ne suis pas fâché que vous regardiez ces morts avec moi. Le troisième vif dit à son tour: Grand Dieu ! c’est pitié de voir en quel état leurs corps sont tombés! voyez donc ce que sont devenus leurs poitrines, leur dos et leur ventre; le plus gras d’entre eux n’est plus qu’os ! Plus rien d’entier chez lui, ni flancs, ni jambes, ni pieds, ni bras, ni mains. La mort et les vers ont fait tant de ravages, qu’ils n’ont plus de dos, plus de ventre, plus d’épaules et plus de poitrines. Quelle bouches ! quels nez ! quels yeux ils ont ! pas un n’a conservé un seul cheveu sur la tête, non plus que ses yeux, son nez, sa bouche, ni son visage; en les voyant ainsi secs et raides comme des fuseaux, qui ne se sentirait ému ? Il ne leur est pas resté le moindre vestige de chair. Quel enseignement pour nous ! Seigneurs, dit l’un des morts aux vifs, regards nos visages et nos corps; nous qui avons été puissants et riches, voyez ce que nous sommes devenus et apprenez par nous ce que vous deviendrez un jour. Autrefois, nous étions ce que vous êtes aujourd’hui et nos richesses étaient aussi grandes que peuvent être les vôtres, mais la mort nous a si bien dépouillés que nous n’en finirions pas, rien qu’à le dire. Il ne nous reste plus ni chair ni peau, ni nerfs sur les os. Regardez-nous bien. Jadis j’étais un duc renommé par mon courage et mes ancêtres, celui-ci était comte et celui-là marquis. Mais notre orgueil et l’envie que pendant notre existence nous portions à nos pairs, sont bien abattus maintenant. En vérité je vous le dis, jeunes gens, Dieu a vu votre orgueil; il a eu pitié de votre jeunesse, et nous a envoyés vers vous, afin que nous vous apprenions quel chemin vous devez suivre pour entrer dans la bonne voie où Dieu vous conduise! Le second mort dit alors: Hélas ! tous les hommes paient leur tribut à la mort, ensuite viennent les vers qui s’acharnent sur leurs restes en y cherchant leur nourriture. Ah ! mort! triste mort! perfide mort ! que tes atteintes sont cruelles ! car tu n’épargnes pas plus les rois, les princes, les ducs et les comtes que les plus obscurs des hommes. Tu les rends tous égaux en les anéantissant tous. Tu nous a été transmise de génération en génération et de père en fils depuis la mort de notre premier père qui s’appelait Adam et qui est le premier auteur de notre mal. Depuis qu’il eut mangé la fatale pomme, sa mort a engendré la nôtre; car jamais nous n’eussions été en proie à la mort, si la séduction d’Eve ne nous eût fait chasser d’un lieu de délices et précipiter sur cette terre, ainsi que dans les affreux tourments de l’Enfer. Nous devions tous y demeurer éternellement si Dieu n’eût apaisé sa colère et si la toute-puissance du Roi des Rois ne nous avait arrachés de cette horrible prison. Qu’il a été miséricordieux pour nous ! puisque si nous n’irritons pas Dieu par nos méfaits nous n’irions jamais en Enfers ! Le troisième mort parla ainsi: Pour Dieu, écoutez-moi bien, mes amis, puisqu’il est certain qu’on doit quitter la vie, que tôt ou tard on meurt, qu’on ne voit pas, qu’on n’a pas encore vu et qu’on ne verra jamais personne vivre sans mourir, mais qu’au contraire il en meurt beaucoup plus de jeunes que de vieux, attendu que pour un homme qui meurt à cent ans, on en voit mourir mille qui sont loin de cet âge; n’est-ce pas folie que de se fier à sa jeunesse, et peut-on jamais être sûr du lendemain, la mort atteignant inévitablement tous les hommes ! Or puisqu’il faut toujours en venir où nous sommes maintenant, et que la vie renferme plus de douleurs que de joies (si bien que je ne voudrais pas recommencer à vivre, quelle que fut ma richesse) et qu’on a beau faire, c’est à la mort qu’il faut tôt ou tard arriver, il n’y a qu’un seul moyen de se défendre contre elle: c’est de se toujours bien conduire et de vivre chaque jour comme si l’on devait mourir le soir même, et de n’être pas si osé que de rester une bonne heure dans le péché, car il peut arriver que pour avoir été une heure en faute on soit tout à coup frappé de la mort, qui dure éternellement et qui est d’autant plus inexorable qu’elle est plus rapide. Voilà ce que nous voulions dire; nous vous en supplions, priez souvent Dieu pour nous et qu’il vous fasse la grâce de bien mourir ! NOTES. La première édition de la Dance Macabre de Guyot Marchant (1485) compte 17 bois. Chaque représentation, exceptée la première, représente la Mort sous la forme d’un squelette animé qui accompagne des personnages choisis dans divers états de la société. Nous avons ainsi et dans l’ordre: - Le lecteur (ou l’auteur) assis devant un pupitre chargé de livres et de manuscrits. Devant lui se tient un ange qui déploie une sentence: Hec pictura decus: pompam luxum que religat: Inque choris nostris ducere festa monet. Suivent les vers : O creature roysonnable Qui desires vie eternelle, Tu as cy doctrine notable; Pour bien finer vie mortelle. La dance macabre rappelle: Que chascun à danser apprant, A l’homme et femme est naturelle. Mort nespargne petit ne grant. En ce miroir chascun peut lire Qui le connuient ainsi danser. Saige est celuy qui bien si mire. Le mort le vif fait auancer. Tu vois les plus grans commencer. Car il nest nul que mort ne fiere: C’est piteuse chose y panser, Tout est forgie dune matiere. Viennent, dans l’ordre des tableaux, les personnages suivants: le Pape l’Empereur. le Cardinal le Roy. le Patriarche le Connestable. Larchevesque le Chevalier. Levesque Lescuyer. Labbe le Bailly. le Maistre le Bourgeois. le Chanoine le Marchant. le Chartreux le Sergent. le Moine Lusurier (accompagné d’un homme agenouillé qui reçoit de l’argent). le Medecin Lamoureux. Laduocat le Menestrel. le Cure le Laboureur. le Cordelier Lenfant. le Clerc le Hermite. ung Roy mort Lecteur. L’ouvrage se termine par une moralité contenue dans un rouleau. “Cy est la danse macabre des femmes...” est le titre de l’ouvrage édité par Guyot Marchant, le 2 mai 1491. La liste des personnages féminins est la suivante: l’Auteur l’Orchestre des quatre morts la Reine la Duchesse. Trois morts et un Hermite deux personnages dont un Fou. la Bergère l’Impotente. la Bourgeoise la Femme-veuve. la Mort à cheval, emportant un cercueil et repoussant d’une flèche le diable qui la poursuit. la Régente la Femme du Chevalier. l’Abbesse la Femme de l’Ecuyer. la Marchande la Baillie. la Jeune épouse la Mignonne. la Pucelle la Théologienne. la Nouvelle mariée la Femme grosse. la Vieille demoiselle la Cordelière ou dévote. la Chambrière la Recommanderesse. la Femme d’accueil la Nourrice. la Prieure la Demoiselle. la Femme de village la Vieille chambrière. la Revenderesse la Femme amoureuse. la Garde-accouchée la Jeune fillette. la Religieuse la Sorcière. la Bigote la Sote (folle, ces deux personnages ne se retrouvent pas ailleurs) la Reine morte. “...Or, en tant que thème précis, avec son intention clairement déclarée dans son titre, la littérature populaire sur la Mort, dans la Bibliothèque Bleue, était tout sauf rare. Les best-sellers ne manquent pas dans la collection Montalba, des sélections et versions simplifiées du professeur Favre, avec plus particulièrement la Grande Danse Macabre, le Miroir du Pêcheur et la Préparation à la mort du jésuite P. Crasset. “... Ajoutons à une telle audience structurée, les “gens simples” qui “lisaient” intensément la Grande Danse Macabre ou le Miroir du Pêcheur et les uns trouveront une panoplie de lecteurs “ ...bonnes gens de veillées, clercs ou rabins, curés désireux d’enrichir leur prédications, écoliers et domestiques”. Alors que d’autres y verront une réelle littérature populaire.” (Australian Journal of French Studies Vol. XXIII /1 1986). Donnons la version de Favre (quatrain 1). Quatrain sur la vanité du monde. (Inclus dans les quatrains du seigneur de Pybrac. B. Bl. Vve Oudot 1737). “Pour vivre en Dieu, l’homme doit en Dieu vivre, Qui vit à foy meur soudain a son Dieu, Mais celuy-là qui dit au monde adieu, Mourant à foy vit bien pour mieux revivre.” * Version Mathieu, conseiller du Roy, quatrain de la Vie et de la Mort (inclus dans les quatrains de Pybrac). I “Estime qui voudra la mort espouvantable, Et la face et l’horreur de tous les animaux, Quand à moy je la tient pour le point désirable, Où commence nos biens et finissent nos maux.” * C “D’un éternel repos ta fatigue est suivie, Ta servitude aura un ample liberté, Où se couche la mort, et se lève la vie, Et où le temps n’est plus, là est l’éternité.” * Version Pybrac sur la vanité du monde: VIII “Les ans et les saisons, le mois, le jour et l’heure, Se forme d’un instant et cette instant n’est rien Encore la mort le frappe, et ravit comme sien Si qui de l’âge humain même un rien ne demeure.” * Terminons sur une description égalitaire de la Mort, une description audacieuse pour l’époque, car elle s’adresse, au travers des “quatre fins dernières de l’homme, sçavoir De la mort, du jugement dernier, des peines d’enfer et des joyes du Paradis” (B.Bl. Vve Oudot 1727, traduit par F. Jean de Chartenay, docteur en théologie): “ A la très illustre et vertueuse dame Sabine Paltine du Rhin, duchesse de Bavière”: (Chap. III) . “... Il faut une fois mourir, les bayaux et entrailles pleins d’ordures et vilenie (...). Expérimentez ce que je dis, rentrez dans un cimetière et faites comparaison des ossements des Papes, des Empereurs, des Roys et grands Seigneurs d’avec les ossements des pauvres et autres personnes de toutes les conditions pour voir si vous y trouverez aucune différence, non en vérité sinon que les corps des riches qui de leur vivant ont été nourris délicieusement, surmontent peut-être en puanteur les corps des pauvres qui n’ont été nourris que de pain bis et d’eau...” |
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