Notes sur l’éclaircie de l’être







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Le feu royal du matin ou la fulgurance d'Apollon



Dans ce chemin vers l'intérieur, dans ce chemin ésotérique, l'âme d'azur commence par se détacher des signes, des rituels sociaux, des coutumes et des convenances. Revenant sur elle-même, elle se défie des fascinations et des pouvoirs du monde afin de retrouver « l'obscure paix de l'enfance » dont parle Trakl. L'obscurité de l'enfance est la chose la plus profonde et la plus sacrée. Elle témoigne d'une temporalité ou le monde était encore monde. Le destin de l'âme d'azur est d'aller vers l'azur mais à travers la nuit qui se trouve devant elle et la renvoie à toutes les nuits antérieures. De même que Rimbaud sut dire « cet azur qui est du noir », cette ténèbre incessante qui s'approfondit au cœur de l'été dans l'abîme de l'azur le plus profond, de même il faut entrer ici dans le mystère de l'élucidation dont Heidegger nous dit qu'elle « promeut l'élément limpide qui rayonne à travers tout ce qui est dit poétiquement, à une première splendeur. »

La promesse qui nous est faite d'un « autre Levant » est contenue dans le sens du voyage où nous ne sommes point des vagabonds mais des pèlerins. Or, il est dit que le pèlerinage de l'âme d'azur commence par le déclin du jour et la connaissance du mystère du crépuscule. La connaissance de ce mystère est primordiale car c'est elle qui va guider l'obscure pérégrination vers Là-bas « où tout est autrement assemblé ». En notre chemin de déclin vers l'ultime Occident et les ténèbres se tient attentive la clarté renaissante qui nous sauve, de même que c'est au cœur de l'œuvre-au-noir que l'alchimiste découvre l'étincelle de la lumière incréée, philosophale: « Du sein de l'azur, écrit Heidegger, resplendit mais en même temps se voile de l'élément obscur qui lui est propre, le Sacré. Il prodigue son arrivée en se recevant dans la retenue du retrait. Clarté en l'obscur celée est l'azur. » L'âme d'azur, qui pour reprendre le mot de Trakl, est « chose étrange sur cette terre » doit donc débuter son voyage avec le déclin pour se retrouver elle-même dans la transparence de son élément natif. Dans la nuit qui maintenant envahit le monde, elle doit retrouver le pressentiment de sa patrie d'ondées lumineuses.

Face à l'obscure paix de l'enfance, il y a, nous dit Heidegger, « l'enfance plus limpide parce que plus sereine et par cela autre qui est le matin en lequel le Dis-cédé est entré en déclinant. Cette enfance, paix plus sereine, le dernier vers d'un poème de Trakl la nomme début: "Regard d'or du début, sombre patience de la fin" ». Mais qui est le Dis-cédé ? Celui qui est mort sans mourir, détaché des lois de l'espèce, mais sans être décédé. Dis-cédé, il devient ce qui est dans le départ, dans la séparation d'avec le monde qui n'est plus un monde. Dis-cédé, l'Etranger disparaît dans un autre temps pour accomplir sa pérégrination vers le Levant, à travers le mystère du crépuscule et des ténèbres.

« Ce qui est étranger pérégrine en avant, écrit Heidegger. Mais il n'erre pas, dénué de toute destination, désemparé de par le monde. La quête de l'Etranger marche à l'approche du site où comme pèlerin il pourra trouver demeure ». Le Dis-cédé est celui qui, s'éloignant du monde que domine l'espèce déchue, s'approche du site immémorial: « La fin précède, comme fin de l'espèce corrompue, le début de l'espèce ingénérée. » L'espèce « ingénérée » est l'espèce délivrée de l'espèce où se reconnaît le désir du pèlerin ; l'aurore déjà advenante en tant qu'espérée, l'aurore d'une autre conception du temps, ou, mieux encore, le matin d'un autre temps: « Car, écrit Heidegger, en un tel matin est sauvegardé le sens originel du temps qui, encore et toujours, demeure sous le voile. Pour la pensée qui nous régit il persistera, même à l'avenir, dans sa clôture, aussi longtemps que se maintiendra en vigueur la représentation du temps qui, depuis Aristote, fait autorité. En vertu de quoi le temps, qu'on le représente mécaniquement, dynamiquement, et fût-ce même à partir de la désintégration de l'atome, reste la dimension du comput quantitatif et qualitatif de la durée qui s'écoule dans la succession. Mais le temps véritable est la venue de l'être en tant que déjà lui. Déjà n'indique pas un passé pur et simple mais le recueil de l'éclosion qui, ramenant tout à elle, devance toute venue en revenant sans cesse puiser au secret de la source que lui est, dès l'aube, sa percée. » Le sens de ce qu'est une âme d'azur apparaît ainsi dans la nuit lumineuse d'un autre temps, d'un temps non plus linéaire, ni aristotélicien mais semblable à l'aurore boréale de la mémoire. Elle est, cette âme, ce qui chemine vers la patrie perdue, comme le chevalier de la gravure de Dürer, entre la mort et le diable, vers la Jérusalem céleste.

L'âme d'azur est vivante. Toute vive, elle passe de l'autre côté, ouverte à l'ouverture d'un autre temps. Elle trouve, comme l'eût dit Eyrenée Philalèthe « L'entrée ouverte au palais fermé du roi ». De là, elle témoigne pour nous qui sommes restés, d'une vérité encore pressentie mais déjà inscrite en runes sacrées dans notre mémoire. « Au Dis-cès, écrit Heidegger, appartient la priorité de l'enfance la plus sereine, appartient ce bleu de la nuit avec les cheminements de l'Etranger, avec le battement de l'aile de l'âme, avec déjà le crépuscule comme porche du déclin. » Et ceci encore: « Dans le Dis-cès, l'Etranger prend entière mesure de la discession en laquelle il s'est séparé de l'espèce jusqu'ici advenue. Il est en marche sur son chemin. »

Trakl nous dit que le sentier de l'étranger est l'euphonie de ses années musiciennes. La musique et l'Esprit sont ici nommés avec une mesure du temps. Mais ce temps, de par sa provenance musicale et spirituelle, n'est plus un temps profane. C'est un temps sacré, le temps d'un regard qui « surflambe, divinateur ». Dès lors, tout, dans le destin du voyageur, lui est musique. Toute chose résonne d'un sens qui infiniment retentit en elle dans une présence dont aucune durée ne peut se départir.

Ainsi le Dis-cédé entre dans un pays où l'unique souveraineté de l'Esprit s'exerce dans une grande et haute liberté. L'Esprit ici n'est point seulement ce qui se distingue de la matière; ce n'est pas un concept philosophique dont participerait la raison ou l'idéologie. L'Esprit est ce qui s'élève et ce qui élève, la pure assomption de la délivrance de toute pesanteur de toute appartenance. « L'Esprit, écrit Heidegger, est ce qui flambe, flamme qui embrase, suscite, transporte, dessaisit ». L'Esprit embrase la pensée, suscite son envol qui nous transporte et par lequel nous nous dessaisissons enfin du monde des titans, du labeur, de la volonté et des lois de l'espèce.

Le domaine de l'Esprit ne débute point là où cesse le domaine de la matière, sans quoi il serait absurde de parler de son unique souveraineté. Cette souveraineté est à la fois créatrice, au sens où elle fait advenir amoureusement le Sens qui nous sauve de l'insignifiance, et destructrice, comme peut l'être aussi, quelquefois, la fulgurance d'Apollon: « L'Esprit ainsi entendu déploie son être selon la double puissance de la douceur et de la destruction. » La puissance destructrice de l'Esprit peut donc s'exercer sur le monde matériel ou ce qui, en l'absence de la flamme de l'Esprit en notre regard, apparaît comme étant un « monde matériel ». La dualitude de l'Esprit est celle de la flamme qui à la fois éclaire et brûle. « Le flamboyant, écrit Heidegger, est l'extase qui illumine et fait resplendir mais dont la puissance n'en finit plus de tout ronger et de tout consumer jusqu'au blanchissement de la cendre. » Celui qui arrive en des contrées où s'exerce l'unique souveraineté de l'Esprit doit, plus que jamais, faire usage de sa vigilance. Dis-cédé, le monde qui n'en était plus un, ne le protège plus. Tout, dès lors, est dans l'interprétation, dans l'écoute attentive à ce que divulguent les signes à l'orient du Sens qui, de façon imminente, va embraser l'horizon de la pensée. Toute la vigilance du voyageur doit se tenir, inaltérée, dans l'imminence.

L'imminence d'un autre Levant, telle est la vérité essentielle de la pensée méditante, qui, en ses ultimes retranchements, exige la présence du chant. L'âme d'azur reconnaît sa suprématie, son audace, sa fougue amoureuse et chantante dans l'ultime ténèbre qui précède le feu royal du matin: « C'est dans la mesure où l'essence de l'Esprit réside dans l'embrasement qu'il fraye la voie, lui donne ouverture et met en route. Comme flamme, l'Esprit est la tempête qui monte à l'assaut du Ciel, et à la conquête de Dieu. L'Esprit jette l'âme sur la route où la marche est devancement. L'Esprit transplante en nature étrangère. »

Comment ne pas voir alors, l'irrémédiable ineptie de ceux qui réclament du poète une obéissance aux règles du bon-goût, du bon sens, un consentement à la mesure, selon des normes universitaires ou sociales ? L'exigence même d'une poésie « à hauteur d'homme » est absurde car, si l'homme est la mesure de toute chose, toute hauteur, fût-elle vertigineuse, aux voisinage des aigles et des Anges, est humaine, - ou bien il faut admettre que l'exigence d'un poésie « à hauteur d'homme » n'est rien d'autre qu'une interdiction de dépasser la hauteur de l'homme ordinaire, ce à quoi nul vrai poète ne saurait consentir. Ainsi, le « lyrisme ordinaire » que certains cherchent à promouvoir n'est pas seulement une assez basse démagogie, c'est aussi un renoncement à l'essence de l'homme (dont la « hauteur », toujours, est le sens même du dépassement) et un renoncement à l'essence de la poésie dont la destinée est de flamboyer dans l'Ether.

Dépassement ou suprématie de la métaphysique

C'est un fâcheux signe des temps que la philosophie se trouve réduite à n'être qu'une affaire de spécialistes. Nietzsche, dans ses conférences sur « l'avenir de nos établissements d'enseignement » remarquait déjà que cette outrancière spécialisation n'était que le revers d'un affaiblissement général de la culture. Répandue et parodiée par le journalisme, la culture s'universalise au point de ne plus pouvoir fonder aucun privilège ni aucun respect. L'élargissement est ici un nivellement par le bas, de même que la spécialisation est une réduction à des considérations subalternes: « Selon la première tendance, écrit Nietzsche, la culture doit être transportée en des cercles de plus en plus vastes, selon la seconde, on exige de la culture qu'elle abandonne ses plus hautes prétentions à la souveraineté et se soumette, comme servante, à une autre forme de vie, nommément celle de l'Etat ».

Issue de ces considérations inaugurales, mais non moins intempestives aujourd'hui que naguère, toute l'œuvre de Nietzsche va tenter d'opposer la concentration au rétrécissement et la souveraineté à l'élargissement, de la même façon que l'unité s'oppose à l'uniformité. Que l'œuvre de Nietzsche fût à cet égard inentendue ou trop peu méditée, les prétendus philosophes qui hantent l'université moderne, qui elle-même ne dispense plus qu'un enseignement spectral, détaché de toute véritable expérience de la pensée et de l'être, en fournissent à chaque instant des preuves accablantes par leur refus, prétendument humble, mais en réalité vaniteusement obstiné, à sortir de leurs provinces respectives au nom d'une « rigueur » scientifique qui s'apparente singulièrement à une profonde paresse intellectuelle.

A refuser systématiquement de prendre en considération tout ce qui se trouve au-delà de l'horizon historique et géographique auquel ils furent dévolus de par le choix de leur thèse, les spécialistes de la philosophie réduisent celle-ci à n'être, au mieux, qu'une technique particulière d'explication par les causes ultimes, voire un phénomène culturel, que l'on étudie comme tel, en toute ignorance de cause.

En toute ignorance de cause veut dire ici en toute ignorance du dessein qui préside inévitablement à l'élaboration des œuvres philosophiques, en toute méconnaissance de ce dont il est question et qui, certes, ne concerne jamais exclusivement telle époque ou tel espace culturel particulier. La question de l'être et du temps, la question de la conscience en tant que dépassement sont posées de façon diverses mais, ubique et semper, concernent quiconque peut venir à se les poser. Et comment ne pas voir que les plus grandes disparités existent en des espaces bien circonscrits et que de profondes connivences spirituelles s'affirment au-delà des pays et des siècles, - et, en particulier dans la tradition dite « néoplatonicienne » qui unit, en une même fidélité et un même dessein, une même nostalgie et un même pressentiment, les œuvres du grec Plotin, du persan Sohravardî, de l'italien Pic de la Mirandole et des théosophes allemands qui, tels Franz von Baader ou Jacob Böhme annoncent déjà les hautes flambées du Romantisme allemand et du Symbolisme. Ainsi, si l'œuvre de l'immense poète Saint-Pol-Roux est, pour l'essentiel, étrangère à ses contemporains et à ses compatriotes naturalistes ou positivistes, elle est, en revanche, toute-résonnante des échos de Porphyre, de Proclus ou de Damascius.

Une idée domine ici le paysage que nous esquissons: l'idée d'une filiation spirituelle qui dépasse l'histoire mais l'éclaire, dans ses profondeurs lumineuses, de l'Idée d'une sophia perennis. Dans un remarquable entretien accordé à Philippe Némo, Henry Corbin faisait remarquer ceci: « On se dit, il y a les germanistes et il y a les orientalistes, il y a les islamisant, les iranologues etc... Mais comment irait-on du germanisme à l'iranologie ? Si ceux qui se posent cette question avaient une petite idée de ce qu'est le philosophe, la quête du philosophe, s'ils se représentaient que les incidents linguistiques ne sont que des incidents de parcours, ne signalement que des variantes topographiques d'importance secondaire, peut-être seraient-ils moins étonnés ? »

Rien à cet égard ne me paraît plus riche d'enseignements que le cheminement qui va conduire Henry Corbin de Heidegger à Sohravardî. Henry Corbin, sans doute l'un des philosophes majeurs de sa génération, va ainsi accomplir ce « couronnement de la métaphysique » que veut être l'ontologie en découvrant chez les gnostiques iraniens l'existence d'une gnose qui n'a jamais cessé de penser la différence de l'être et de l'étant et de s'interroger sur la vérité de l'être et non point seulement sur l'étant en tant que tel.

Dieu, qui d'ailleurs ne peut être nommé, loin de n'être, dans la théosophie sohravardienne, qu'un « étant suprême » est véritablement « l'éclaircie de l'être » comme en témoigne la méditation sur l'Unique fulgurant dans le traité intitulé L'incantation de la Simorgh et dont la lecture , elle-même infiniment méditée, devrait à jamais nous prémunir contre cette outrecuidance moderniste qui trop souvent nous donne l'illusion d'être, de par notre seule appartenance au vingtième siècle, « en avance » non seulement chronologiquement mais aussi spirituellement sur les philosophies antérieures.

A Henry Corbin nous devons aussi de mieux comprendre l'ambiguïté de la pensée de Heidegger, comme d'ailleurs l'ambiguïté de toute phénoménologie moderne concernant le sens de la parole: « Est-ce, s'interroge Henry Corbin, un crépuscule qui serait la laïcisation du Verbe ou bien une aurore... La réponse dépendra des uns et des autres et les options décelables dans ces réponses me font penser que si la philosophie de Hegel donna naissance à un hégélianisme de droite et à un hégélianisme de gauche, la question peut amener la philosophie de Heidegger à donner naissance à un heideggérisme de droite et à un heideggérisme de gauche. »

L'ambiguïté, de toute évidence, se tient dans l'expression même « dépassement de la métaphysique ». Par dépassement, Heidegger veut dire couronnement et l'on ne couronne point ce que l'on veut abolir ou réfuter. Le dépassement de la métaphysique dont il est question dans les écrits de Heidegger n'est en aucune façon une réfutation de la métaphysique. Comprendre le dépassement comme étant une réfutation, c'est s'interdire la possibilité même de s'interroger sur la vérité de l'être: « 
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