Notes sur l’éclaircie de l’être







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nulle part ?

Nulle part, toutefois, ne veut pas dire n'importe où. La voie est précise, unique, entre toute choisie, élue par amour. Dans le « nulle part » de ce cheminement, qui doit évoquer les sentes forestières, il n'y a rien d'aléatoire. C'est une certitude qui nous guide de ne point retourner au bourg, aux normes sociales et profanes, mais d'aller vers des hauteurs provisoirement inconnues. Au contraire du « n'importe où » qui témoigne d'indifférence, du consentement passif et nihiliste à n'importe quoi, plus rien n'ayant d'importance, le « nulle part » marque le refus créateur d'aller quelque part, en un lieu connu, d'avance délimité, qui impliquerait l'abandon de la recherche avant même d'arriver au but. Qu'à l'exemple des Holzwege nos méditations se refusent d'aller quelque part, qu'elles soient éprises de « nulle part », n'est-ce point là déjà une promesse que le chemin sera long ?

Il me plaît ainsi de penser avec, devant moi, la transparence d'une belle et presque vertigineuse distance. Quel sens donner au départ et au voyage si déjà nous connaissons la nature exacte du lieu où nous allons arriver ? Notre pensée qui débute ici avec la question de l'être et du Temps, ignore où elle doit arriver. Elle ignore même si elle doit arriver quelque part. Et d'ailleurs, pourquoi arriver ? Cette rage d'arriver quelque part, ces remontrances haineuses que l'on fait à la pensée qui ne mène nulle part, ne sont-elles point le fait d'une inaptitude foncière à la connaissance de l'être ?

L'être, nous dit Heidegger, est l'éclaircie elle-même. Non point telle ou telle chose, pas même la lumière, mais l'éclaircie. Heidegger nous dit aussi que le langage est la demeure de l'être. C'est en ce sens que le philosophe diffère de l'idéologue. Le premier débute sa carrière en se détachant de toutes les convictions alors que le second débute la sienne en empruntant au philosophe des arguments destinés à légitimer une conviction. L'idéologue sait d'avance ce qu'il veut trouver, il va « quelque part » et ne risque point de s'égarer ni d'aller trop loin. Ce pourquoi dans un monde où la culture est devenue pour l'essentiel journalistique, l'idéologue, par l'efficacité de son discours sera toujours mieux entendu que le philosophe; il pourra même jouer le rôle du philosophe sans que généralement l'on s'aperçoive de la supercherie. Le pouvoir de l'idéologue reposant sur le journalisme et la culture de masse, on comprend facilement son empressement à vanter les avantages de l'ère de la « communication » sur d'autres époques sommairement qualifiées d'obscurantistes ou d'esclavagistes,- ce qui reste au demeurant un procédé publicitaire, l'après étant toujours infiniment mieux que l'avant. La paresse et l'autosatisfaction y trouvant leur compte on est assuré de n'avoir qu'un nombre infime de contradicteurs.

Les procédés de l'idéologue désirant consolider son pouvoir sont des plus simples : il s'agit de rendre impossible toute objection à sa toute-puissance en accusant l'adversaire qui s'obstinerait, en dépit des moyens d'intimidation « démocratiques » de n'être rien d'autre qu'un suppôt du diable. Ainsi l'idéologue n'aura de cesse d'avoir réduit au silence les philosophes, les penseurs, les poètes qu'il pille en les accusant d'être les responsables des horreurs du temps. Rien ne séduit autant les idéologues que cette sorte d'amalgame où l'on peut accuser Kleist d'être responsable du pacte germano-soviétique ou Jean-Jacques Rousseau du massacre des Vendéens. Alors que l'idéologue travaille dans le répétitif et le quantitatif, ses procédés étant toujours la simplification outrancière, la généralisation, et son but, le pouvoir, le philosophe, lui, œuvre dans le non-répétitif et le qualitatif, ses voies étant la subtilité et la nuance, et son dessein, la célébration de l'unique souveraineté de l'Esprit.

Rien en ces temps modernes rien n'est devenu plus étranger à l'homme que cette célébration, ainsi d'ailleurs que toute célébration essentielle. Les commémorations se multiplient, politiques, publicitaires, sportives, tout cela prenant de plus en plus une allure de « variétés »,- mais ces incessants rappels du passé confirment que le passé en question est mort et que seule est réelle la distance qui nous en sépare.

Tout autre est le sens d'une célébration essentielle. Loin de marquer, fût-ce d'une pierre blanche, la distance qui nous sépare du passé, la célébration essentielle abolit le temps et nous établit immédiatement au cœur du site que nous célébrons. La distance est réduite à l'inexistence, tout se tient au cœur de la flamme célébratrice de la Présence.

Pour que le présent devienne Présence, il faut que s'élève en lui la flamme d'une célébration essentielle. Célébrer essentiellement dans le présent autre chose que lui, c'est ouvrir le présent et lui donner les dimensions inévaluables de la Présence. Toute célébration essentielle est ainsi une liturgie où la Présence est réelle, comme il se doit, où nous revivons l'événement fondateur qui nous sauve du devenir, de l'insignifiance, de la confusion et de l'usure.

L'essence de la célébration est dans la Présence de même que l'essence de toute Présence vécue est célébratrice. Ainsi l'unique souveraineté de l'Esprit arde en nous et nous élève jusqu'à l'Ether où notre conscience, de toutes parts traversée de luminations célestes, devient la véritable pierre philosophale... Elevée dans l'Ether, brûlée et illuminée par le feu subtil de l'Ether la conscience se livre d'elle-même aux puissances transfiguratrices.

La conquête de l'Ether et le secret de la parole humaine
La conquête de l'Ether par la raison héroïque, le dépassement de la métaphysique, mais par le haut, c'est-à-dire par une question en amont de toutes celles que le monde nous pose, le dessein ardent de l'esprit d'ascendre aux régions lumineuses,- tel est pour nous le véritable désir philosophique. Et sans doute était-il nécessaire de commencer notre périple par des citations de Trakl et d'Heidegger, aux confins de l'extrême Occident, l'Orient et l'aube demeurant dans le pressentiment du désir.

« L'âme, écrit Trakl, n'est plus qu'un instant d'azur », de telle sorte que Heidegger peut écrire à son tour: « L'essence de l'âme devenue chant n'est plus dès lors que divination de l'unique dans l'azur de la nuit où s'abrite la profondeur du matin. » Nous comprenons ainsi que la question de l'être, quoiqu’au-delà de toutes philosophies et métaphysiques classiques ou aristotéliciennes, demeure, de toute évidence, au-delà de la physique, et au-delà de ce premier au-delà. Nous comprenons que la métaphysique affirme sa suprématie dans son dépassement : « L'être est le transcendant pur et simple » est-il écrit dans Sein und Zeit et ceci: « L'être est essentiellement au-delà de tout parce qu'il est l'éclaircie elle-même. » De même, nous dirons que le Sens de l'œuvre est le transcendant pur et simple, que le Sens d'une œuvre est essentiellement au-delà toute signification, car il est l'éclaircie elle-même où l'œuvre se manifeste.

Herméneute soucieux d'exhausser le Sens des ténèbres, notre cheminement risque de paraître quelquefois trop audacieux, voire illégitime, et certains voudront même poser comme une borne à nos méditations cette question: "Mais Heidegger voulait-il seulement dire cela ?" Nulle question ne pouvant faire office d'objection, surtout dans le domaine de la pensée essentielle, toute réfutation, comme le rappelle Heidegger lui-même, étant un non-sens, essayons de comprendre qu'il est plus important de penser les questions que Heidegger nous propose plutôt que d'essayer d'évaluer ce que lui aurait pu ne pas en penser !

Or, nous dit Heidegger, la mise en relation de l'essence de l'homme et de la vérité de l'être est encore impensée. L'effort que nous pouvons faire pour pressentir cette relation, fût-ce en nous aidant de philosophies antérieures à la philosophie dite moderne, et, en particulier de philosophies « gnostiques » (qui elles aussi, prétendirent, à juste titre dépasser la métaphysique et la conception de Dieu comme « étant suprême »), cet effort me paraît aujourd'hui autrement plus efficient, dans son audace même, que le provincialisme timoré de ces « heideggériens » français, farouchement attachés à la pensée du Maître et résolus à tenir la pensée par les brides de la plus puritaine rigueur pédagogique .

Ce qu'il faut penser de cette attitude, Heidegger lui-même nous le dit dans sa belle conférence intitulée Que veut dire penser: « Montrer de l'intérêt pour la philosophie ne témoigne nullement que l'on soit préparé à penser. Même le fait que, depuis de longues années, nous soyons ardents à étudier les traités et les écrits des grands penseurs, ne garantit point que nous pensions ni que nous soyons seulement prêt à apprendre à penser. S'occuper de philosophie peut au contraire, de la façon la plus tenace, entretenir l'illusion que nous pensons, parce que, n'est-ce pas, nous philosophons. »

Apprendre à penser, ce n'est pas essayer de calculer, d'évaluer la réponse que le Maître eût apporté à la question qu'il pose mais se poser soi-même la question, ou, mieux encore, poser la question en soi et consentir à son déploiement. On se souvient de l'apostrophe de Zarathoustra à ses disciples: « Je ne reviendrai parmi vous que lorsque vous m'aurez tous reniés ». Ce pourquoi, d'ailleurs, Zarathoustra ne revient pas. La tentation de ne pas avoir à penser est plus forte que la tentation de penser. Chacun, certes, revendique de penser par soi-même en formulant des opinions ou en affirmant des convictions, mais ce ne sont que des simulacres et des parodies de pensée. Ce n'est qu'après avoir outrepassé tous les « pour » et tous les « contre » que la pensée retrouve sa région native, qui se nomme « plus haut ! ». Au-dessus de nous, l'inaltérable clarté de l'Ether nous est une promesse de devenir ce que nous sommes de toute éternité et dont un funeste oubli nous sépare. L'oubli est à l'origine de notre déchéance. L'Ether est la transréverbérante clarté de la Toute-Mémoire.

Mais comment atteindre à cet Ether du ressouvenir total, à cette conquête infinie de soi-même au-delà de soi-même ? La réponse est dans le secret de la parole humaine. Quoique déchue dans son usage quotidien, la parole humaine, si nous osons en réveiller les redoutables puissances, peut redevenir l'impérieuse action philosophale. Mieux que le marc à café, la boule de cristal ou les entrailles d'animaux, les mots humains et divins, sensibles et suprasensibles, détiennent aujourd'hui la clef du secret de l'être.

La notion d'inconscient, telle qu'elle fut utilisée par la psychanalyse, fut sans doute l'un des principaux obstacles aux agissements altiers du secret de la parole humaine. Outre le paradoxe inhérent à toute notion privative (comment parler de ce qui n'est pas encore conscient et comment le dire inconscient dès lors que cela s'impose à la conscience et que l'on peut en parler ?), il ne fait aucun doute que la théorie de l'inconscient fut, jointe aux théories matérialistes et déterministes, l'une des étapes décisives de l'avènement de la force comme antithèse victorieuse à la vérité. Fidèles en cela aux belles hiérarchies des philosophies néoplatoniciennes ou « gnostiques », nous serions enclins davantage à parler d'une infra-conscience, d'une transconscience, d'une supra-conscience, voire d'une métaconscience, selon des degrés ascendants, allant du banal au divin, en passant par le poétique et le prophétique. Les plus anciennes cosmogonies de l'Inde et de la Perse font également état de cette victoire par étapes, ou par « stations », de l'ordre sur le chaos. Après les errements prométhéens, sans doute le moment est-il venu de retourner vers ce dessein originel et d'y puiser une fraîcheur nouvelle; sans doute est-il venu le moment d'invoquer un dieu.

Invoquer un dieu, ce ne doit pas être renoncer à l'humain, tomber dans la déraison mais éprouver à l'extrême, dans ses plus vertigineuses hauteurs et ses plus profondes abysses, le secret de la parole humaine.

Le secret de la parole humaine est dans cette invocation qui la dépasse et par laquelle elle se dépasse. Par l'invocation du dieu, la parole humaine se fait divine. Elle conquiert sa plus haute liberté qui s'accorde avec sa nécessité la plus intime. Ainsi le secret de la parole humaine est de se parler à elle-même, de se faire autre en demeurant la même: elle s'exhausse hors d'elle-même comme une source inépuisable. Alors la question n'est plus de savoir si le dieu va ou non répondre à l'invocation. De toute éternité, le dieu est déjà présent dans l'invocation. Une parole humaine vraiment invocatrice assiste toujours à l'éclosion de la divinité. Le dieu naît de la parole qui l'invoque. Cela certes ne veut pas dire qu'il n'existe pas ou qu'il n'existe qu'à partir de la parole qui l'invoque. Le secret de la parole humaine réside justement en son pouvoir à manifester autre chose qu'elle-même. En ce secret sont les fiançailles miroitantes des règnes, le passage entre le mortel et l'immortel. Le secret de la parole humaine, de la parole des mortels, danse immortelle dans le libre Ether.
Eté 1988

Luc-Olivier d'Algange

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