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Minhwa, peinture anonyme populaire de Corée Notes pour la conférence donnée pour le CFC, 21 février 2013, Institut français de Corée Une catégorie ambiguë Minhwa désigne la peinture populaire coréenne ou folk painting en anglais. Cependant cette catégorie d’invention moderne et largement utilisée est loin d’être évidente à définir : elle comprend aussi bien des peintures de tradition royale très raffinées que des compositions exécutées devant le client dans la rue aux formes schématiques, naïves, voire grossières. Les thèmes sont tout aussi variés, non seulement dans leur nature (animaux, plantes, bibliothèques de lettrés, sinogrammes, scènes de chasse, etc.) que dans leur origine (Chine, taoïsme, religion autochtone, peinture de cour, dynastie mongole, etc.). La production s’étend de plus sur plusieurs siècles, au moins du XVIIe siècle aux années 1950 (guerre de Corée). Mais pour compliquer la situation, l’artisanat des années 1970-1980 a connu un regain d’intérêt pour le minhwa à travers les mouvements folkloristes, et depuis les années 1990 l’art contemporain coréen a aussi réinvesti ses motifs dans des œuvres au second degré. Comment s’y retrouver ? Y a-t-il un ou des minhwa ? Est-ce que cette catégorie a vraiment une réalité ? Origine du terme Le terme est une traduction du mot japonais équivalent minga. Il a été créé par Soetsu Yanagi (1889-1961), écrivain, collectionneur et philosophe japonais qui en 1925 commença à théoriser le mingei (minye en coréen) ou art populaire, dont le minga est une catégorie. Il définit le mingei de la façon suivante : « Il doit être modeste mais non de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du mingei. » (L’idée du mingei, 1933) Soetsu Yanagi est très influencé par ses séjours en Corée dans les années 1930 et par l’art populaire qu’il y découvre. Il sera d’ailleurs un collectionneur de cet art, et un de ses avocats, sauvant bien des pièces de l’oubli, voire de la destruction. Son mouvement mingei est reconnu dans les années 1950 et ses idées naturellement adoptées en Corée. Sur le modèle japonais, il est créé en coréen les équivalents sino-coréens de mingei et minga. Cependant comme on le voit plus haut, la catégorie créée par Yanagi est plus morale que proprement esthétique, et elle ne repose pas sur des critères techniques ou artistiques stricts. Elle oppose principalement art bourgeois, beaux-arts élitistes (et européens) à l’esthétique simple et locale de l’artisanat. Elle reprend à peu près la catégorie sokhwa, mentionnée dès le XVIIIe siècle par un lettré coréen, Lee Gyu-gyeong (1788-1865), mais qui n’a jamais servi de terme générique pour un ensemble d’œuvres qui n’étaient pas perçu comme représentant un ensemble ou un genre unifié. Alors que le terme sokhwa était surtout dépréciatif, minga/minhwa revalorise les œuvres qu’il désigne. Ainsi cette appellation, aussi pratique soit-elle, recouvre des œuvres fort diverses par la nature et l’origine, et qui dans la tradition coréenne n’étaient pas nécessairement associées. Pour mieux comprendre l’essence du (ou des) minhwa, nous allons proposer différents modes de classification. Les thèmes Nous pouvons dans un premier temps reprendre la classification usuelle selon les thèmes :
Mais à être classifié par thèmes et non par l’origine (populaire vs aristocratique) et d’autres critères, le minhwa se dilue et finit par se confondre pour une large part avec la peinture de cour et lettrée qui a cultivé les mêmes thèmes. Les origines Les origines de ces multiples thèmes sont bien sûr diverses. Tous trouvent leurs racines symboliques dans le fond culturel sino-coréen au sens large : religions et écoles de pensée (chamanisme, taoïsme, bouddhisme, confucianisme), mais aussi culture mandarinale héritée de Chine (sagunja, sansuhwa, calligraphie, etc.), littérature, culture populaire. Il y a cependant des traditions plus proprement locales, dotées d’une symbolique et d’une expression formelle typiquement coréennes. A côté de ces origines géographiques local/importé, on peut aussi relever un clivage origine aristocratique/populaire. Certains thèmes sont clairement importés de Chine : nous avons évoqué la peinture lettrée, et cela vaut aussi pour toutes les peintures de cour (girokhwa, cartes, etc.), la peinture reposant sur des contes et légendes chinoises, les symboles religieux empruntés, certains depuis la plus haute antiquité, etc. Il ne faut pas penser cependant que la culture aristocratique serait d’origine chinoise, alors que la culture populaire serait autochtone. On trouverait à l’origine de la pratique et de la démocratisation du minhwa par des peintres itinérants peignant sur commande lors de festivités et marchés, la coutume venue de Chine vers le XVIIe siècle d’offrir de telles peintures de bon augure au nouvel an. Cette peinture sehwa aurait même été d’abord pratiquée à la cour. On notera encore que les scènes de chasse seraient héritées de la dynastie Yuan mongole ayant brièvement régné sur la Chine et la Corée. Pour les origines sociales de cette peinture, la situation semble elle aussi compliquée. Même si on trouve des symboles d’origine chamaniste et taoïste relevant de cultes, pratiques et croyances populaires (talismans, protection, longue vie, fertilité, etc.), cela n’empêche la pénétration de ces mêmes symboles dans la peinture de cour. On le voit avec les paravents placés à l’arrière du trône royal, sipjangsaengdo, d’origine très clairement taoïste. Inversement, les thèmes de cette dernière ont très naturellement avec le temps suscité le désir d’imitation tout d’abord des aristocrates proches de la cour qui les recevaient parfois en cadeau, puis des bourgeois et enfin des classes populaires elles-mêmes. Cette lente démocratisation de la peinture raffinée de cour, avec la simplification technique qui l’accompagne, très souvent inventive et riche de performances visuelles, s’est opérée depuis le XVIIIe siècle pour atteindre son acmé à la fin du XIXe siècle. Elle correspond à l’émergence d’une classe bourgeoise suite aux invasions des XVIe et XVIIe siècles. Doit-on voir dans cette esthétique différente de la peinture dite lettrée opérée en parallèle d’une récupération de certains thèmes de la peinture de cour et aristocratique, une forme d’imitation sociale doublée d’une résistance sourde à l’ordre établi, totalement fondé sur la culture chinoise des mandarins ? Toujours est-il que c’est l’occupation japonaise qui, bouleversant l’ancien ordre social de Joseon et opérant un contrôle sur l’expression des formes culturelles indigènes, ralentit le processus. La guerre de Corée et la modernisation du pays qui s’ensuivra marqueront un terme à ce mouvement. Ainsi, les chaekgado, morando (peintures de pivoines, fleur « impériale »), et autres thèmes aux origines aristocratiques évidentes ont été récupérés amplement par le minhwa le plus populaire. Si on prend comme principe de distinction entre la peinture lettrée et la peinture populaire le fait de signer l’œuvre ou non, on tombe sur une difficulté similaire. A côté des grands peintres de cour de premier rang qui signaient leurs œuvres et dont le style est si connu que même leurs œuvres non signées ont pu leur être attribuées (le plus célèbre étant Kim Hong-do), un grand nombre de peintres de rangs inférieurs exécutait des œuvres raffinées mais non signées à but décoratif (paravents, etc.). Même un peintre de cour aux talents de portraitiste ou de paysagiste pouvait s’adonner à des genres plus mineurs comme tigre et pie, scènes de genre de la vie rustique ou populaire, etc. Il y a donc des œuvres considérées comme relevant, par le thème, du minhwa qui sont issues des ateliers royaux et qui sont même signées ou attribuées. Comme on l’a vu plus haut, la coutume à l’origine de la pratique même du minhwa (sehwa) – ou tout au moins d’une partie de cette peinture - aurait pu être d’abord adoptée par la cour avant de gagner les couches aristocratiques et bourgeoises. Cependant hors de la cour et de l’exemple de ces quelques peintres d’exception qui ont laissé leur nom dans l’histoire de l’art, la grande différence entre la peinture de lettré « amateur » et la peinture populaire est bien la signature (sceau ou sceaux avec non de plume apposé en rouge). La quasi totalité des minhwa d’origine non royale, avant le XXe siècle, est anonyme. Cela peut donc constituer une forme de critère pour distinguer le minhwa des autres genres, mais ne peut être un critère unique. On a vu que des peintures de cour elles-mêmes pouvaient ne pas être signées… Si l’on entend respecter le sens moderne du mot minhwa forgé par Yanagi, il conviendrait en fait d’exclure la peinture de cour et de lettrés, pour ne garder que les peintures anonymes « populaires », celles-là même qui vont se répandre dans les classes bourgeoises puis populaires à partir du XVIIIe siècle et qui assureront le succès de ce « genre » et son omniprésence. Agency ou dimension fonctionnelle/opératoire Pour aller plus loin dans la définition du minhwa, il peut être utile de s’intéresser à la fonction ou pour être plus précis, à la dimension fonctionnelle et opératoire que ces œuvres ont pu avoir pour leurs commanditaires et propriétaires. Nous pouvons avoir recours au concept anglais très utile d’agency, difficilement traduisible dans ce contexte en français, et que nous proposons sous la forme insatisfaisante « d’agence ». Cette dernière est différente de la fonction proprement dite : une œuvre représentant des pivoines peut avoir une fonction explicite décorative (sur un paravent, sert à la fois de partition et de décoration), mais par ses symboles, sa provenance, sa qualité, avoir des agences symboliques et sociales implicites, comme la distinction sociale et la dimension propitiatoire (la pivoine est considérée comme la reine des fleurs – fleur royale par excellence, placée derrière les convives lors des banquets, elle a fait sont chemin dans les couches plus populaires, où elle symbolise la solennité et le faste, mais aussi associée aux rochers, l’homme et la femme dans le couple). Donc le fait de déployer un paravent peint de pivoine allait bien plus loin que la simple volonté de « décorer » (égayer et habiller) un lieu, mais avait une dimension performative plus ou moins délibérée : c’est l’agence de l’art, et en particulier du minhwa. On peut y trouver une grande différence avec la peinture de lettré, qui avait certes une fonction de marqueur social (peinture véhiculant les codes culturels d’une élite) et aussi éventuellement une dimension contemplative plus spirituelle, mais dont l’agence était plus simple, transitive, plus dénotée qu’opératoire. Par le feuilletage plus complexe, plus indirect, plus performatif aussi de son agence, la peinture populaire se distingue des autres genres picturaux.
Ces exemples n’épuisent pas les possibilités et demandent bien sûr une analyse plus détaillée. Une lecture psychanalytique des minhwa de tigre ou le motif caché Cette partie fait l’objet d’un article qui sera publié à part et ne sera donc pas communiquée ici par écrit. Conclusion Il ressort de ce que nous avons brièvement vu que le terme de minhwa recouvre des réalités bien différentes et que comme catégorie il a une dimension arbitraire qui ne résiste pas à l’analyse, et peut même gêner la compréhension des objets qu’il désigne. Cependant il correspond à un usage désormais ancré. S’il doit être conservé, nous avons vu quelques éléments pouvant aider à sa définition. Un minhwa est une œuvre, à quelques exceptions près, anonyme, d’une grande variété thématique, qui peut être de facture aristocratique, voire royale, tout comme populaire, dont la pratique s’est démocratisée du XVIIIe au début du XXe siècle, caractérisée par une forte « agence » à côté de sa fonction explicitement décorative (propitiatoire, protectrice, de simulacre, etc.). Un minhwa est en général une œuvre qui dépasse le cadre des beaux-arts voués à la seule contemplation (comme la peinture de lettrés) et qui comme objet même peut être doué d’une efficace propre. Ces notes préparatoires ont été utilisées pour une conférence et ne sauraient être reproduites, publiées ni citées, même partiellement, sans l’autorisation de l’auteur. |
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