REAAP 07, Forum participatif sur la parentalité, Accompagner les parents pour construire ensemble la société de demain, samedi 10 novembre, la Voulte sur Rhône.
REAAP 07, Forum participatif sur la parentalité, Accompagner les parents pour construire ensemble la société de demain, samedi 10 novembre, la Voulte sur Rhône.
Gérard NEYRAND
LES ENJEUX DU SOUTIEN A LA PARENTALITE1.
1) Les conditions de l’émergence de la notion de parentalité
Commençons par être un peu provocateur, en renversant la perspective qui veut que les parents soient considérés comme les premiers, si ce n’est les seuls éducateurs des enfants, car il faut prendre au sérieux l’apport des anthropologues, et réaffirmer avec Maurice Godelier2 que la vie en société est constitutive de notre condition d’humain, et qu’en tant que telle elle préexiste à la famille.
En d’autres termes, la famille n’est pas forcément « la cellule de base de la société », la responsabilité de l’élevage des enfants est d’abord sociale avant même d’être parentale, ce qui justifie que la société s’en préoccupe, et que cela puisse faire débat. En quelque sorte les parents sont les premiers dépositaires d’une autorité qu’ils exercent sur leurs enfants avec mission de les socialiser.
Comme le formule François de Singly et Emanuel Maunaye3 la responsabilité de l’enfant incombe en dernière instance au représentant de la société que constitue l’Etat, celui-ci déléguant à ceux qu’il reconnaît comme parents (d’où la nécessité de la déclaration de naissance) la tache d’élever et d’éduquer l’enfant. Si les parents constituent bien ainsi les premiers éducateurs de leurs enfants c’est sous l’égide de l’organisation sociale, et éventuellement son appui si cela s’avère nécessaire. Il s’en suit que leur mission parentale est encadrée par la définition sociale de droits et de devoirs dévolus aux parents, qui sont enregistrés comme tels dans un système juridique organisant non seulement la filiation (les liens aux enfants) mais aussi le cadre de la parentalité (la façon dont on doit s’en occuper).
La difficulté aujourd’hui réside en ce qu’une partie des fonctions parentales (notamment celles concernant le soin et l’éducation), qui étaient dévolues aux parents d’origine peuvent leur échapper et alors être prises en charge par des personnes « faisant office de », que l’on appellera beaux-parents, famille d'accueil, parents adoptifs, ou autres… du fait de la formidable mutation qu’a connue la famille en l’espace de quelques décennies.
Je vais donc rapidement évoquer l’importance de cette mutation de la famille et plus globalement de la sphère privée, car si on ne comprend pas bien tout ce qu’elle implique, on ne peut comprendre le questionnement contemporain à l’égard de la parentalité. La mutation de la famille
Si cette mutation se concrétise au tournant des années 70, dans le prolongement de la contestation de l’ordre ancien initiée en mai 1968, elle peut être interprétée comme la cristallisation de tout un ensemble d’évolutions sociales de natures et de temporalités différentes : éducation des filles, travail féminin, contraception, tertiarisation, mœurs… Ce qui a amené à parler de Démocratie familiale (liberté, autonomie, égalité, amour). Evolutions qui se traduisent sur le plan des rapports familiaux par la remise en cause de la position dominante du père de famille, de l’autorité répressive symbolisée par la figure paternelle, du contrôle de la sexualité des jeunes et des femmes… et la prévalence accordée au plaisir, à la liberté, au sentiment et à la libre disposition de soi.
Se succèdent alors très rapidement tout un ensemble de lois destinées à mettre le système juridique en harmonie avec les valeurs et les comportements affirmées par les individus, en même temps que le couple devient une affaire de plus en plus personnelle : l’union libre se banalise, alors qu’explosent les divorces et séparations (le taux de divortialité de 10% en 1970 est aujourd’hui quasiment à 45% ; cf. lois de 1970, 1975, 1987, 2002). Le conjugal se dissocie ainsi du parental, alors qu’en parallèle, les progrès médicaux ont permis une maîtrise du processus de procréation qui permet de dissocier sexualité et reproduction (1970 contraception, 1982 Amandine).
La conséquence de cette véritable « révolution anthropologique » : ce n’est plus comme autrefois le mariage qui constitue la famille, mais la venue de l’enfant… alors que se multiplient les acteurs susceptibles d’occuper une position parentale à l’égard de l’enfant du fait de la diversification des situations familiales, avec une part de plus en plus importante prise par les familles monoparentales, et les familles recomposées…4. L’aspect le plus contradictoire de cette évolution est qu’elle s’est déroulée presque en parallèle avec une précarisation économique touchant des proportions de plus en plus importantes des familles. En effet, dès 1974 le premier choc pétrolier signe l’arrêt de la croissance économique caractéristique des « trente glorieuses » qui ont précédé. Commence une phase de montée du chômage, qui va faire entrer dans la précarité de plus en plus de familles, notamment celles dont les parents sont les moins qualifiés, et celles qui sont déstabilisées par des séparations conjugales5… On est ainsi amené à constater « l’extraordinaire écart qui se creuse entre le modèle libéral privé, individualiste que les classes moyennes et cultivées revendiquent pour leurs comportements familiaux et éducatifs, et la normativité accrue qui semble devoir s’imposer aux familles et aux jeunes les plus modestes6. » Deux modèles de famille co-existent désormais, celui, asymétrique, de la femme au foyer, et celui, égalitaire, du couple à double carrière. Chaque famille réalise un compromis entre les deux.
C’est précisément contre cette tendance lourde que les mesures de soutien et d’accompagnement des parents ont eu pour ambition de lutter – à l’image des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, les REAAP, créés en 1999 ; suivis par la création des contrats locaux d’accompagnement à la scolarité, les CLAS, créés en 2000. L’insécurisation familiale
Toujours est-il que l’importance et la rapidité d’une telle évolution n’ont pu que générer quelques inquiétudes liées à la montée des incertitudes en matière familiale, et la nécessité du soutien aux parents est devenue de plus en plus nette.
Désormais, il y a donc des familles plurielles, et c’est sans doute l’importance croissante prise par ces nouvelles situations et la multiplication de parents « additionnels » qui ont présidé à la montée dans les discours du terme parentalité, comme susceptible de rendre compte de la nouvelle façon dont on pouvait appréhender les enfants aujourd’hui. Des parents à la parentalité
Etre parents ce n’est pas seulement contribuer à la mise au monde d’un enfant, sinon on ne distinguerait pas les parents et les géniteurs, c’est aussi être reconnus et légitimés dans la mission sociale d’avoir à élever cet enfant – la déclaration de naissance et la reconnaissance de l’enfant sont à cet égard nécessaires pour accéder au statut social de parents entériné par le droit. Mais tout cela aurait peu d’importance si ce processus de rattachement d’un enfant à ses parents ne s’accompagnait pas de l’élaboration d’un lien psychique fort entre eux, les affiliant les uns aux autres.
C’est sur cette idée d’affiliation psychique d’un enfant et de ses parents que met plus particulièrement l’accent la notion de parentalité. Cela renvoie au fait que devenir parent – et devenir enfant de ces parents – passe par un processus d’adoption psychique réciproque entre enfant et parents.
Cette approche a plusieurs conséquences :
- Elle permet de montrer qu’il peut y avoir des ratés dans le processus de parentalisation, et que certains parents géniteurs peuvent ne pas se sentir parents de leur bébé, ne rien ressentir à son égard, ce que nous montre la pédopsychiatrie.
- Elle permet aussi de rappeler que ce processus peut concerner des parents qui ne sont pas les géniteurs de l’enfant, que l’on appellera parents adoptifs, et pour lesquels le lien à l’enfant apparaît identique aux parents biologiques ; mais qu’il peut concerner aussi des parents additionnels, comme les beaux-parents, qui voient s’élaborer à un moment de la vie de l’enfant une relation avec eux de type parental, qui vient s’ajouter aux relations déjà existantes… avec les éventuelles difficultés que l’on imagine, notamment du fait qu’ils n’ont aucun statut juridique particulier.
- Cette approche permet aussi de montrer que si le lien parental se construit dans cette affiliation réciproque, il peut aussi se déconstruire et provoquer une désaffiliation d’un parent et d’un enfant, par exemple à la suite d’une séparation conjugale qui s’est mal passée… La principale caractéristique du fait parental aujourd’hui, c’est sans doute que ces trois dimensions de la parentalité, biologique, soico-juridique et psycho-éducative, qui étaient liées à l’époque précédente par le biais du contrat de mariage, ont connu la possibilité d’une déliaison de plus en plus fréquente.
De nos jours, existent des acteurs parentaux qui ne sont que géniteurs, comme les donneurs de sperme ou d’ovule dans les procréations médicalement assistés ; d’autres qui continuent à être socialement reconnus comme parents, mais n’ont plus ou ont peu d’action éducative à l’égard de leurs enfants avec lesquels ils ne vivent plus, comme certains parents séparés de leur conjoint ou d’autres qui ont vu leur enfant placé en famille d’accueil ou en institution ; d’autres, enfin, qui n’interviennent qu’à un niveau psycho-éducatif en partageant la vie de l’enfant, comme les beaux-parents, on les homo-parents…
On se trouve ainsi dans une situation de diversification des places parentales, qui peuvent être occupées de façons différentes, par des personnes différentes, et à des moments différents. Ce qui vient considérablement complexifier la question parentale, en montrant non seulement qu’un enfant peut avoir plus de deux parents, mais aussi que cette situation peut évoluer au long de sa vie.
Ce qui n’est pas sans provoquer des interrogations majeures pour notre société, et à terme, la remise en cause de la structure même de sa parenté. Le principe fondateur sur lequel s’organise notre droit de la famille est ainsi directement interrogé, en l’occurrence l’exclusivité de la bi-filiation. En effet, dans notre système juridico-politique un enfant ne peut avoir que deux parents et deux seulement. Ce qui nous oblige à effacer la filiation biologique d’un enfant lorsque celui-ci bénéficie d’une adoption pleinière. Il est censé ne pas pouvoir avoir d’autres parents que ses parents officiels, adoptifs, et cela même si ses caractéristiques physiques montrent à l’évidence que ce n’est pas le cas.
D’où les multiples difficultés à définir la place des acteurs parentaux à l’égard d’un enfant lorsque la vie les met en quelque sorte en concurrence pour exercer une fonction parentale à l’égard de celui-ci. Ainsi du beau-parent et du parent non-gardien après une séparation conjugale, ou de l’assistante familiale de la famille d’accueil et la famille d’origine…
Mais cette évolution de la parentalité s’est accompagnée d’une évolution tout aussi fondamentale du regard sur l’enfance.
2) Evolution du regard sur l’enfant et sur l’éducation parentale
La promotion de la petite enfance par les discours savants
Le bilan critique de l’évolution des savoirs sur la petite enfance réalisé il y a 10 ans pour la Cnaf (Neyrand, 2000) m’a permis d’appréhender à quel point l’image de la petite enfance s’est transformée après la Seconde guerre mondiale, non seulement dans le monde médical mais aussi dans le grand public. Se réalise dans les années 1950 la conjonction de deux évolutions de niveaux fort différents : la diffusion dans le monde médical des connaissances cliniques d’inspiration psychanalytique sur le bébé et le jeune enfant, et l’essor des moyens de communication de masse. Ces deux évolution sont liées d’une certaine façon à la guerre, qui, d’une part, en multipliant les situation de bébés placés en institution, a mis en évidence l’importance du relationnel précoce dans le développement affectif ; d’autre part, en impulsant un effort de reconstruction économique majeur, a inauguré l’entrée dans ce qui deviendra rapidement une société de consommation, et exemplairement de consommation médiatique (presse, radio, télévision…).
Les travaux de René Spitz sur l’hospitalisme, puis ceux de John Bowlby sur l’attachement, enfin ceux de Françoise Dolto sur la psyché enfantine, vont avoir un impact majeur tant dans le milieu pédiatrique que dans le grand public. Progressivement, l’image du bébé comme simple tube digestif va s’estomper pour être remplacée par celle d’un bébé où l’affectif s’avère primordial et le relationnel central dans son développement. Une médiatisation ambiguë
Les connaissances produites par la psychanalyse des enfants sont désormais largement diffusées, et rapidement complétées par celle sur l’essor précoce de l’intelligence que mettent en évidence les psychologues du développement. Le succès d’une émission de télévision sur l’œuvre de Dolto va permettre de symboliser cette nouvelle façon de concevoir la petite enfance, dans une formule hautement médiatisée : « Le bébé est une personne » (Martino, 1985). Mais les termes mêmes utilisés indiquent bien les risques dont est porteuse la médiatisation : simplification et caricature, pouvant faciliter les mauvaises interprétations. Interrogée Dolto disait, par exemple, qu’elle utiliserait plutôt le terme de « sujet en devenir » pour caractériser le bébé…
Tant et si bien que l’image du nouveau rapport au jeune enfant qui se diffuse dans le grand public, à partir des travaux sur l’importance du relationnel et de l’affectif dans la constitution de la psyché conjugués au mouvement de libéralisation des mœurs initié à la fin des années 1960, va être celle, quelque peu erronée, de la permissivité dans l’éducation, bien loin des mérites de la sanction éducative reconnus par les psychanalystes et théorisés par la principale intéressée sous le nom de « castrations symboligènes » (Schauder, 2004).
Les représentations de l’enfance évoluent ainsi de façon hétérogène, manifestant des divergences plus ou moins importantes selon le niveau de proximité des personnes avec les connaissances produites… sans compter, bien sûr, les divergences internes au champ des connaissances lui-même, divergences entre options théoriques qui se sont exacerbées. L’exacerbation des conflits d’orientations théoriques
Aujourd’hui semble se réaliser quant au regard porté sur l’enfant une sorte de connivence entre l’ordre économico-politique, à la recherche de solutions permettant une adaptation de l’enfant à son environnement social, et une approche bio-comportementale du psychisme enfantin, que les immenses progrès des sciences rendant compte de l’aspect biologique du psychisme (génétique, neurologie…) ont revivifiée. La sociologie et les branches les plus relationnelles et interprétatives de la psychologie, comme la psychanalyse, s’en trouvent écartées, soit du fait de leur prétention à renvoyer les comportements aux rapports sociaux qui les fondent, soit parce que la prise en compte de la dimension relationnelle de la socialisation désamorce la volonté politique d’intervention.
Un fossé aujourd’hui clive les professions de la petite enfance, à l’image d’une psychiatrie gagnée par la tentation bio-pharmacologique et voyant s’opposer au « tout moléculaire » quelques irréductibles pédopsychiatres, conscients qu’en matière de petite enfance la dynamique relationnelle demeure la meilleure clé interprétative du fonctionnement psychique…
S’il n’y a plus harmonie des interprétations savantes sur l’enfance, comment s’étonner que les parents se trouvent désorientés, eux pour lesquels l’enfant est de plus en plus souvent le premier, et qui sont à la fois plus âgés et plus isolés qu’autrefois quand celui-ci arrive. En témoigne le succès des magazines parentaux, depuis la parution du premier numéro de celui qui fait figure d’ancêtre, la revue Parents, en 1969. On y trouve une multitude de conseils et de recettes à destination des jeunes parents, renouvelant cet art de bien « accommoder les bébés » qu’avaient épinglé Geneviève Delaisi et Suzanne Lallemand en 1980.
Prise dans toutes ces influences, l’image du petit enfant ne peut qu’être éclatée, contradictoire, incertaine… oscillant entre l’enfant innocent, toujours susceptible d’être en danger, et l’enfant incontrôlé, et donc dangereux, en passant par l’enfant sujet et acteur ; et ce n’est pas la diversification des acteurs amenés à participer à sa socialisation qui va permettre d’unifier cette image.
Pris entre cette complexité des discours sur l’enfance et l’importance des mutations familiales, le soutien aux parents est devenu une nécessité sociale. 3) Le développement du soutien
De fait, l’institutionnalisation du soutien aux parents, avec la création des REAAP a été précédée de tout un ensemble d’initiatives associatives, qui ont été les grands précurseurs de cette logique de soutien et d’accompagnement. Les grands précurseurs : initiatives associatives en direction des parents (crèches parentales, LAEP, points rencontre, médiation, groupes de parole...)
La société civile et le tissu associatif ont favorisé le développement d'initiatives destinées à prendre en compte les différentes formes de parentalité (lieux d’accueil enfants-parents, points rencontre pour l’exercice du droit de visite en situation conflictuelle, médiation familiale, crèches parentales, groupes de parole…), parallèlement à la mise en place par les institutions (Sécurité sociale, Impôts, Éducation Nationale, Justice, CAF…) de mesures prenant en compte des situations parentales non conformes au modèle matrimonial, sans compter les multiples associations constituées pour défendre les droits de certains parents - ou enfants - (associations de pères séparés, de parents ou futurs parents gays et lesbiens, d’adoptants, de famille d’accueil, voire d’enfants nés sous X ou par IAD…).
Les initiatives associatives mises en place dans les années 1970-80 vont progressivement être reconnues et soutenues par les institutions, à l’image de la Cnaf, qui dégage en 1996 une ligne budgétaire (prestation de service) pour le financement des LAEP ; ou de la Justice pour les points rencontre et la médiation familiale. Les REAAP et la mise en réseau : une dynamique d'accompagnement appuyée sur une morale politique (la charte)
D’une certaine façon, la mise en place en 1999 des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAPP) puis des CLAS en 2000, et du comité de soutien à la parentalité en 2010, vient parachever ce travail de constitution d’un dispositif de parentalité, qui permet à l’enfant d’être en lien avec ses différentes figures parentales, quelle que soit la forme et l’évolution de la configuration familiale où il est socialisé, et qui offre aux parents en difficulté des formes de soutien et d’accompagnement, susceptibles d’être remplacées par des formes beaucoup plus intrusives de contrôle, de correction ou de sanction, lorsque se développera le discours sécuritaire.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que c’est un peu en réaction contre la montée du discours sur la « démission des parents » que l’idée des Reaap s’est élaborée. Ces parents sur lesquels on rejette toute la responsabilité des difficultés éducatives, par lesquelles on explique les actes d’incivilité ou de délinquance de leurs enfants. Les Reaap se désolidarisent de telles interprétations simplistes, à l’image du délégué à la famille Pierre-Louis Rémy, pour promouvoir une logique d’appui aux parents, qui les place au centre du dispositif.
Participation des parents, coordination des intervenants, et production d’une confiance partagée en sont les maitres mots. Mais le consensus va être de courte durée, car avec les années 2000 vont se profiler les risques de dérive 4) Les années 2000 et les risques de dérive Si l’époque est encore à une certaine ouverture à l’égard de la diversification des situations parentales, l’évolution socio-politique va manifester une frilosité croissante à son égard, avec le développement d’une revendication sécuritaire et une réorientation des politiques dans cette direction… Les préoccupations à l’égard de la délinquance deviennent, en effet, centrales dans le discours socio-politique jusqu’à la confrontation opposant le ministre de l’intérieur en poste en 2005 (et dont je tairai le nom) au collectif « pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans »7 s’opposant à l’idée que la délinquance pouvait être prédite dès l’âge de 3 ans, et, dont la pétition internet recueille 200 000 signatures. Ce qui permet que la mesure soit retirée de la loi votée en mars 2007. Elle sera pourtant réintroduite de façon plus ou moins atténuée dans la loi qui suivra réorganisant la Protection de l’enfance… Dans la même logique vont être successivement proposées diverses mesures visant au contrôle d’une parentalité jugée défaillante : le Contrat de responsabilité parentale, votée en mars 2006 et le Stage de responsabilité parentale en septembre 2007, en application de la loi sur la Prévention de la délinquance. Ces nouvelles dispositions confèrent au président des conseils généraux, aux maires ou aux juges de nouveaux pouvoirs de contrôle de la parentalité, largement controversés, et qui seront de fait peu utilisés par les instances locales.
Depuis, le 3 novembre 2010, a été créé le « Comité national de soutien à la parentalité », instance importante, mais diversement interprétée, ainsi l’ancienne Secrétaire d’Etat chargée de la famille, Nadine Morano, a déclaré que son objet était « de mieux coordonner les actions d’aide à la parentalité et de prévention de la délinquance des mineurs ». Remarquons qu’il s’agit dans ces propos non plus de soutien et d’accompagnement mais d’une aide, qui remet les parents en position d’assistés, et cela en les liant à l’idée de prévention de la délinquance. On comprend que les représentants de la société civile, notamment le président de l’Unaf ait manifesté quelques craintes quant à la fonction de ce nouveau comité…
On se retrouve bien face à un risque manifeste de détournement politique de la parentalité. Essayons de voir comment il se décline. Les risques du détournement politique de la parentalité
On l’a compris, l’accentuation depuis une bonne dizaine d’années du discours sur la responsabilité quasi-exclusivement parentale des dérives et incivilités enfantines et adolescentes, justifiant l’idée reçue d’une « démission » parentale à l’origine de tous ces maux s’appuie sur une autonomisation factice de ce que serait la parentalité par rapport au milieu et au système social dans lesquels les parents sont intégrés.
Conscient de cette volonté politique de masquage des logiques de relégation favorisées par l’organisation néolibérale de l’économie, et à sa suite de plus en plus de la société, la plupart des intervenants du social se démarquent à l’égard des injonctions sécuritaires et de contrôle social prônées par les mesures organisant le contrôle ou la punition des parents. Cela n’empêche pas que l’idée d’une causalité essentiellement parentale de l’agressivité ou de l’hyper-activité chez l’enfant, comme de la délinquance chez l’adolescent, est devenue de plus en plus répandue dans les discours politiques, relayés par les médias, seulement concurrencée par l’hypothèse d’une causalité génétique de ces troubles.
Ces propos sont d’autant plus préoccupants, qu’ils s’accompagnent d’une restriction de moyens à l’égard d’un cadre d’accueil de la petite enfance que pourtant beaucoup nous enviaient, et qui a vu l’accueil précoce à l’école maternelle progressivement disparaître. Cette réorientation n’est pas aller sans provoquer de violentes protestations des représentants de la société civile… qui, depuis, ont été quelque peu entendues - réouverture à 2 ans de l’école maternelle dans les quartiers précarisés.
Les nouvelles mesures votées ou proposées ont pour caractéristique commune de se centrer sur les parents comme principal, voire unique, levier sur les enfants, se dédouanant ainsi de ce qui faisait la spécificité du travail social auparavant : la prise en compte du contexte et de l’environnement dans le cadre d’analyse des situations et dans les stratégies de réponse proposées.
Faute de pouvoir agir efficacement sur les conditions de vie des familles précarisées, les pouvoirs publics sont de plus en plus tentés par les mesures d’encadrement-contrôle des parents plutôt que celle de soutien-accompagnement, qui présentent le double défaut d’être moins spectaculaires et plus coûteuses en temps. Ce à quoi tentent de s’opposer les instances territoriales, et notamment les REAAP.
Mais ce n’est pas le seul risque de dérive, un autre touche plus globalement l’ensemble du système social : le risque managerial. Le risque managerial
En effet, la nécessaire distinction entre procédures de soutien et procédures de contrôle doit s’accompagner d’une critique à l’égard de l’excès managérial, c’est-à-dire la volonté de gérer le social avec un outil économique. Au-delà de la souhaitable rationalisation de la gestion budgétaire, la volonté managériale peut déboucher, si elle est déconnectée de la logique du champ dans lequel elle est appliquée, sur la remise en cause des fondements humanistes de l’Etat social au bénéfice d’une rationalité comptable à courte vue, qui va privilégier le spectaculaire. Elle s’appuie sur une évaluation essentiellement statistique des pratiques d’aide ou de soutien, bien mal adaptée au secteur, alors même que la participation des parents est de plus en plus requise8…
De fait, la prégnance d’une telle logique gestionnaire risque de remettra en question des pratiques associatives ou institutionnelles de soutien, qui se prêtent bien mal à un tel type d’évaluation, qu’il s’agisse des lieux d’accueil enfants-parents, des groupes de parole, de la médiation familiale, du soutien scolaire, ou des multiples interventions qualitatives développées auprès des familles… Alors qu’existent des procédures d’évaluation participative.
Pour terminer sur les risques, je voudrais évoquer un autre type de risque, qui apparaît sans doute moins directement évident, car il n’est pas porté par une mesure particulière, ni un outil spécifique, mais concerne, au contraire, très globalement le discours sur les parents et leur responsabilité éducative. Je veux parler du risque que je qualifierais de parentaliste. Le risque parentaliste
La position parentaliste peut, en effet, amener à plusieurs risques, dont il conviendrait que les acteurs du social aient pleinement conscience pour pouvoir les affronter et réguler leurs actions de soutien :
- Sa première manifestation, la plus évidente, est de minimiser la façon dont les rapports sociaux surdéterminent en large part les conditions d’exercice de la parentalité, en négligeant la façon dont les conditions de vie mais aussi les conditions de la socialisation des parents ont exercé leur influence sur la position parentale. Le risque est bien alors de sur-responsabiliser des parents démunis des ressources qui leur auraient permis de tenir de façon plus efficace leur position parentale, et les variantes maternelle et paternelle de cette position.
- Car le second risque réside dans la tentation naturaliste, c’est-à-dire renvoyer chaque parent à une spécificité de rôle maternel ou paternel qui apparaît naturelle, alors que cette spécificité est bien sociale et historiquement datée. Céder à cette tentation naturaliste ne permet pas de soutenir le parent dans un processus de confrontation au nouveau « contrat de genre » contemporain, qui veut que soient redéfinies les places des pères et des mères au regard de la reconfiguration des rapports de sexe. En effet, le soutien à la parentalité, notamment en milieu populaire, en arrive souvent à légitimer des rôles de sexe très traditionnalistes, sans toujours montrer leur relativité.
- La troisième expression de ces risques parentalistes concerne la réduction de l’être humain à sa fonction parentale. En effet, la logique parentaliste dénie à l’individu sa dimension de personne, en rabattant sur la fonction parentale des préoccupations sociales qui ne le concernent pas en tant que sujet mais en tant que simple support d’une socialisation de son ou ses enfants(s) conforme aux attentes normatives de la bonne éducation.
Passons maintenant à ce qu’on peut attendre de l’idée d’accompagnement. 5) Les attendus de l'accompagnement : quelle élaboration de la pratique ?
Parmi les différentes façons d’intervenir sur la parentalité, le soutien et l’accompagnement s’inscrivent dans une approche qualifiante, à distinguer d’autres approches plus centrées sur l’aide, voire le contrôle parental. L’approche « qualifiante » tient à sa détermination à mettre en valeur les ressources des parents. Elle vise à ce qu’ils se sentent qualifiés, c'est-à-dire autorisés, légitimés dans leur responsabilité et leur savoir-faire et savoir-être parentaux.
A l’encontre d’une approche « compensatoire » qui tend à souligner les carences et enjoindre aux adultes en position parentale de les compenser, l’approche qualifiante prend le parti des adultes en position parentale, de sorte que la limite de leurs compétences soient spontanément compensées non plus par l’expertise professionnelle mais par leurs propres ressources. Aussi l’incompétence parentale n’est plus considérée comme le mal dont il faudrait guérir les parents mais comme un aléa de la condition humaine de l’être-parent. C’est aider le parent à reconnaître et accepter qu’il ne peut pas être tout-puissant et que la difficulté d’être parent est consubstantielle à la parentalité9.
Passer à cette position de « soutien qualifiant » suppose donc, du côté du professionnel, une forme de renoncement à occuper une place de savoir et de pouvoir sur l’autre : savoir ce qui est bon pour le parent ; savoir comment le parent doit bien se comporter avec son enfant ; pouvoir soulager sa souffrance, corriger son inconduite ou réparer la défaillance sinon le défaut parental ; etc. Ce qui suppose une formation à cette façon de faire, et renvoie à l’idée de l’accompagnement des professionnels.
Le « soutien » se propose comme un outil mis à disposition : celui qui l’utilise n’y est pas assujetti en ceci que l’utilisateur le met au service de sa propre cause. Le soutien offre un point d’appui qui laisse au parent la charge éducative, c'est-à-dire la responsabilité parentale, mais qui conçoit que la difficulté d’être parent légitime le recours à un étayage. Ce qui signifie que la parentalité s’exerce à plusieurs. En tant que fonction elle est nécessairement distribuée et ne peut être la prérogative d’un seul. Aujourd’hui les parents sont souvent plus de deux, et la délégation parentale l’élargit à d’autres : accueillants, enseignants, etc. C’est ainsi que le partage de la parentalité ouvre sur la dimension de l’accompagnement.
La parentalité s’appuie ainsi non seulement sur les liens d’alliance (le conjoint, le beau-parent…) mais aussi sur les liens sociaux avec ceux qui concourent à la satisfaction des enfants, et encadrent ou accompagnent la fonction parentale. Ainsi, la notion d’accompagnement implique l’idée du « côte à côte », du cheminement partagé, de l’avancer ensemble.
Accompagner prend le relai du soutien, s’appuyant sur la production d’une confiance partagée entre les différents parents et les intervenants, et prétend œuvrer autrement que par le contrôle à une prévention d’un tout autre ordre que celle qui prétend imposer des stages parentaux à des parents jugés déficients.
C’est bien ce qu’essaye de réaliser, par exemple, la médiation familiale : soutien + accompagnement sur la base de la confiance. 6) Une mise en oeuvre interpartenariale centrée sur une éthique de participation des parents
Cette démarche suppose pour bien fonctionner, et répondre pertinemment à la diversité des demandes ou des besoins parentaux, au moins deux choses, me semble-t-il :
La mise en réseau des intervenants, afin que chaque parent puisse être accompagné vers le type d’action qui correspond le mieux à sa situation ;
La mise des parents au centre du dispositif de soutien, en leur permettant de définir avec les intervenants les actions qui leur correspondent. De participer à la construction, et à l’évaluation, de ces actions leur permet d’y être véritablement concernés et de s’y sentir à l’aise. Car la construction d’une confiance partagée est sans doute le principal ingrédient de la réussite d’un dispositif où parents et intervenants participent ensemble à la réussite de ses objectifs définis en commun…
Ce qui me semble être là exemplifié est bien l’intérêt de faire remonter que toute éducation est une co-éducation, qui met en relation de multiples intervenants avec les parents, depuis les professionnels de lieux d’accueil jusqu’aux enseignants, en passant par les représentants des divers institutions généralistes ; et puis, lorsqu’il s’agit de situations particulières, de plus en plus fréquentes, des intervenants dont le savoir-faire s’avère prépondérant et qui vont permettre aux parents de mettre en œuvre un travail sur le lien avec l’enfant, et sur leur propre positionnement.
Le travail avec les familles les plus fragilisées participe donc de la double dimension du soutien, d’un côté au regard de tout ce qui est commun à l’ensemble des parents et bénéficie d’être soutenu, et de l’autre côté au regard de ce qui est spécifique à chaque situation, que ce soit une spécificité familiale (centre maternel, médiation, monoparentalité, violences conjugales) ou une spécificité sociale (précarité, incarcération, demande d’asile, handicap…).
Pour conclure, je ferai mien ce propos d’un parent d’un groupe de parole :
« Cela m’a permis d’apprendre des choses qui peuvent aider pour le futur ! »
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