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IntroductionL'œuvre de Perret a été mise au programme de terminale dans le cadre de la question "Un artiste dans son temps". Il s'agit d'étudier les réalisations les plus représentatives et le parcours professionnel de cette figure éminente de l'architecture française de la première moitié du XXe siècle, et je suppose qu'après une journée et demi passée dans ce séminaire vous commencez à être familiarisé avec la personnalité de Perret et avec les grandes lignes de son esthétique architecturale. Mon intervention ne portera donc pas directement sur l'architecture de Perret mais sur un autre point de la question au programme. Il est en effet spécifié que le questionnement doit s'ouvrir à la place de Perret dans le paysage artistique et culturel français, non seulement à travers l'analyse de son œuvre mais aussi à partir des relations qu’il a entretenues avec le monde artistique et intellectuel de son époque. Je centrerai donc mon propos sur cet aspect de la question au programme, qui est fondamental car on ne peut isoler une production, quelle qu'elle soit, du contexte qui l'a vu naître. Certes Perret n'a pas pratiqué d'autres disciplines artistiques, à la différence de Le Corbusier, et son esthétique, très tôt affirmée, n'a guère été sensible aux évolutions artistiques de la première moitié du XXe siècle. Il n'en a pas moins été une personnalité de premier plan dans le paysage intellectuel de l'époque tant par l'étendue de son réseau relationnel que par ses prises de position dans les débats contemporains et les responsabilités qu'il a assumées. 1. La constitution et l'extension d'un réseau relationnel étendu et diversifiéBénéficiant dans un premier temps du réseau relationnel établi dans le cadre de l'entreprise familiale, Perret l'a étendu progressivement grâce aux relations d'atelier nouées au sein de l'Ecole des Beaux-arts. Mais c'est en grande partie grâce à son beau-frère, Sébastien Voirol, qu'il est entré en contact avec les milieux artistiques novateurs de l'époque, tandis que les relations nouées lors de l'édification du Théâtre des Champs-Elysées lui ont permis d'élargir ce réseau.Le réseau de l'entreprise familiale et les relations d'écoleParmi les relations que son père Claude-Marie (1847-1905) avait établies en tant qu'entrepreneur, durant son exil en Belgique, c'est sans conteste celle avec Albert Ballu (1849-1939) [Diapo 2] qui a été la plus déterminante pour les frères Perret. La construction du palais de justice de Charleroi (1878-1880) par l'entreprise bruxelloise de Claude-Marie Perret a marqué le début d'une collaboration durable avec l'architecte, qui a joué un rôle non négligeable dans l'implantation de l'entreprise en Algérie. Après les problèmes survenus dans l'exécution du chantier de la cathédrale d'Oran (1906-1912) [Diapo 3], à la suite d'une erreur de conception des fondations par l'entreprise Cottancin, c'est en effet aux frères Perret que Ballu s'est adressé pour construire l'édifice ; ils ont ainsi eu l'occasion de faire preuve de leur maîtrise du béton armé en imaginant des solutions structurelles qui ont permis de corriger les désordres survenus et d'achever l'édifice, non sans modifier certains aspects du projet, avec l'assentiment de Ballu. La réussite exemplaire de ce chantier a contribué à asseoir la réputation de l'entreprise ainsi qu'à son implantation en Algérie et au Maroc. Toutefois, comme l'a montré Guy Lambert en s'appuyant sur un manuscrit inédit de Marcel Mayer1, la sphère culturelle familiale s'étend au-delà du milieu professionnel du bâtiment. D'anciens exilés de la Commune sont des familiers de la table toujours ouverte de Claude-Marie, où sont également invités des hommes politiques de gauche comme Paul Strauss (1852-1942)2 [Diapo 4], conseiller municipal de Paris puis sénateur et ministre de l'Hygiène, ou Gustave Martin, maire de Montrouge de 1881 à 1884. Bien que l'on ne sache pas grand-chose sur les positions idéologiques de Perret, parfois ambiguës3, en dehors de son athéisme, il est vraisemblable qu'il a été marqué par les orientations socialistes et communardes de son père. On sait aussi par l'étude de la correspondance que la famille se rendait régulièrement à des représentations théâtrales ou musicales privées chez des amis, auxquelles participaient des chanteurs de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. La formation à l'Ecole des Beaux-arts a permis à A. Perret d'élargir ce premier réseau, grâce aux relations d'amitié nouées avec quelques camarades d'atelier et notamment avec le fils de son patron d'atelier, Paul Guadet, avec lequel il fonde le "Club des sept", qui se réunit régulièrement chez les Guadet4. Il ne fait pas de doute que cette relation personnelle a joué un rôle dans la formation théorique de Perret5, notamment dans sa volonté d'opérer une synthèse entre le respect des fondamentaux de la composition classique et le rationalisme de Viollet-le-Duc. Si les relations que les frères Perret ont tissé dans le milieu des architectes à l'école ou à travers l'entreprise sont assez fluctuantes et n'ont pas forcément eu d'influence sur l'évolution de leur œuvre, elles ont contribué à les inscrire fortement dans le paysage architectural et ont été la source de nombreuses commandes à l'entreprise. Ainsi P. Guadet qui partage les préoccupations d'A. Perret pour une expression architecturale du béton armé et avec lequel il a voyagé pour visiter des monuments français confiera à l'entreprise Perret la construction de quatre bâtiments :
Il semble toutefois que ces relations se soient émoussées dans l'entre-deux-guerres, peut-être en raison des attaques de Perret contre les institutions officielles et le code Guadet. Jacques Guiauchain qui a connu A. Perret à l'École des beaux-arts s'adresse à lui, en 1928, pour solliciter des dessinateurs afin de répondre à plusieurs commandes d'édifices à Alger, dans le cadre des festivités du Centenaire de la colonisation, prévues en 1930. Envoyés par Perret, Denis Honegger (1907-1985) et Pierre Forestier (1902-1989) se mettent au travail sur le projet de Maison de l'agriculture (1929-1934) [Diapo 7]. La présence sur place de ces deux collaborateurs, qui fournissent à l'entreprise tous les renseignements utiles, et l'appui de Guiauchain sont des atouts de poids face aux entreprises concurrentes et permettent aux Perret de remporter le marché de construction de cet édifice puis, dans la foulée, celui des bureaux du Gouvernement général d'Algérie (1929-1934). Cette collaboration étroite avec Guiauchain, jusqu'au milieu des années 1930, a été décisive dans l'implantation en Algérie de l'entreprise Perret qui diversifie progressivement ses activités, menant des projets
Le réseau Voirol C'est toutefois grâce au mariage de leur sœur Augustine (dite Claudine) avec l'écrivain Sébastien Voirol (1870-1930)6, le 29 avril 1901, que les frères Perret ont considérablement élargi un réseau de relations à travers lequel ils sont entrés en contact avec les avant-gardes artistiques et intellectuelles du moment. Grand voyageur et polyglotte, issu de la moyenne bourgeoisie suédoise, S. Voirol s'est installé à Paris en 1889 et a fait la connaissance des Perret en 1898. Auteur d'une dizaine d'ouvrages d'inspiration orientalo-ésotérique, traducteur de romans américains, allemands, danois et norvégiens, donnant des articles et des chroniques à des organes de presse tels que Les Lettres, La Grande Revue ou Le Figaro, franc-maçon dès 1901, il est intégré à un milieu littéraire et artistique à la fois cosmopolite, mondain et d'avant-garde :
Au contact de son beau-frère, Perret enrichit donc son goût pour la poésie et le théâtre et s'ouvre à des mouvements d'avant-garde tels que le cubisme ou le simultanéisme11 littéraire, proche du futurisme de Marinetti. Cette ouverture aux courants contemporains se renforce avec leur entrée dans le Club artistique de Passy,
Les Perret qui accueillent dans leur agence de la rue Franklin des réunions du Club sont ainsi à même d'enrichir leur pensée en tissant des liens avec les représentants des courants artistiques les plus récents :
Inversement ce réseau artistique et intellectuel leur offre une tribune exceptionnelle pour diffuser leurs idées sur l'architecture.
2. Elargissement et diversification du réseau Le club de Passy et l'association Art et Liberté Le réseau du Club artistique de Passy s'élargit avec la création, le 21 mai 1916, de l'association Art et Liberté19, dont l'objet est
Une de ses premières actions est d'ailleurs de dénoncer publiquement les ultranationalistes et les "faux traditionalistes" qui qualifient d'"œuvre de boche" toute nouveauté telle que
Elu vice-président, A. Perret assure le secrétariat avec S. Voirol, l'agence de la rue Franklin servant de siège social et à l'occasion de lieu de réunions.
En août 1919 l'association passe sous le contrôle des Autant-Lara, entraînant la démission de Perret qui ne partage pas les orientations idéologiques de ces derniers mais n'en restera pas moins en contact avec nombre d'artistes qui gravitaient autour de ce cénacle. Il sera ainsi l'un des premiers appuis de la revue L'Esprit nouveau [Diapo 34] Le réseau de Gabriel Thomas Parallèlement Perret a l'occasion d'élargir et de diversifier ce réseau grâce aux relations qu'il établit avec des personnalités qui deviennent parfois les clients de l'agence et surtout à l'occasion de la construction du Théâtre des Champs-Elysées qui l'introduit dans le réseau de Gabriel Thomas.
C'est d'ailleurs grâce à ses réseaux que Perret est introduit dans l'opération du Théâtre des Champs-Elysées
On connaît la suite. Après une entrevue (le 29 janvier 1911) avec Gabriel Thomas (1854-1932), l'administrateur de la Société, Perret est invité à soumissionner.
Les relations amicales avec Gabriel Thomas introduisent Perret dans le réseau de ce dernier tandis que des relations durables s'établissent alors entre Perret et certains des artistes qui sont intervenus au Théâtre des Champs-Elysées :
Ce nouveau réseau dans lequel Perret est intégré par G. Thomas interfère parfois avec Art et Liberté ;
Mais dans l'ensemble il s'agit d'un milieu
G. Thomas est un amateur et un collectionneur d'art [Diapo 43] qui possède des œuvres de Paul Gauguin, Georges Desvallières, Hippolyte Flandrin, Édouard Vuillard, Pierre-Auguste Renoir, Ker-Xavier Roussel, Édouard Manet et Berthe Morisot. Mécène d'A. Bourdelle et M. Denis, ce catholique conservateur entré à l'ordre des dominicains de Paris, comme Denis avant lui, et membre de la société de Saint-Jean pour l'avancement de l'art chrétien contemporain, à partir de 1916, est au centre d'un réseau apparemment hétérogène. On y trouve :
Mais il comprend aussi des représentants d'idéologies réactionnaires et antirépublicaines comme :
En fait au-delà des croyances ou des engagements idéologiques qui les différencient, les membres de ce réseau partagent une même aspiration
On comprend dès lors que l'alternative proposée par l'architecture de Perret emporte l'adhésion de ce groupe
Les relations que Perret tisse dans ce milieu lui amènent des commandes (Raincy, rénovation du magasin de Paul Poiret 1924-1925, monument Jamot 1914-1920). Mais elles le mettent aussi en contact avec des artistes ou des écrivains qui l'incitent à préciser sa pensée et orienter de plus en plus son esthétique architecturale sur la voie d'une modernité originale,
C'est dans ce cadre que Perret rencontre Paul Valéry qui publie Eupalinos ou l'Architecte en 1921)33
La relation avec Marie Dormoy (1896-1974) est une conséquence indirecte de la construction du théâtre. La jeune romancière rencontre Perret en 1921, à une séance de pose dans l'atelier de Bourdelle.
3. Une participation active dans les débats du temps Malgré une activité d'architecte et de constructeur qui l'accapare de plus en plus et à laquelle s'ajoute le temps consacré à l'enseignement, à partir de 1923, Perret prend part aux débats esthétiques contemporains et assume des responsabilités dans divers organismes. Dès 1923, il siège au comité du Salon des Tuileries fondé par des artistes qui ont quitté le Salon des artistes français et dont il est le seul architecte,
Vice-président du comité d'architecture de l'Exposition des Arts décoratifs et industriels de Paris, il engage dès 1923 une vive polémique contre les avant-gardes architecturales.
Dans les années 1930, son aura devient internationale.
Toutefois, ce souci d'être présent sur tous les fronts pour défendre ses convictions l'amène à des engagements qui peuvent paraître contradictoires.
L'appartement de la rue Raynouard devient le lieu de rencontre d'un milieu culturel où figurent des écrivains et des artistes comme P. Valéry, A. Gide, Jacques-Émile Blanche, Jules Romains, Jules Supervielle, G. Braque, M. Denis, ou André Abbal mais aussi des personnalités liées au monde des musées comme L. Hautecœur, Henri Focillon (1881-1943) ou P. Jamot. Son double statut d'architectes et d'entrepreneurs l'a longtemps tenu écarté des sphères officielles, et notamment des sociétés d'architectes, mais
Dès lors il ne va cesser d'accumuler les charges et les distinctions.
Malgré ses fonctions officielles, il n'est pas inquiété à la Libération, comme beaucoup de techniciens de l'architecture ou de l'urbanisme,
1 M. Mayer, "Auguste Perret. L'homme, l'œuvre, le novateur", mai 1926, manuscrit inédit ; I.F.A., 535 AP 553. Guy Lambert, "La famille Perret", in Encyclopédie Perret, op. cit., p. 24-29. 2 Paul Strauss (Ronchamp, 23 septembre 1852 - Hendaye 22 février 1942) fut un journaliste parlementaire renommé. Conseiller municipal de Paris et Conseiller général de la Seine, il est élu au Sénat en 1897 et y restera pendant près de 40 ans. Il concentre son activité dans le domaine de l'hygiène, de la prévoyance et de l'assistance, rapportant en particulier la loi sur le repos des accouchées désignée sous le nom de "Loi Paul Strauss". En janvier 1922, il devient ministre de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociales. Le 9 mai suivant, il met en place la première Commission du cancer et le 25 novembre 1922, il adresse à tous les préfets une circulaire qui fixe les grands principes de fonctionnement des Centres de lutte contre le cancer. Cette circulaire constitue la première réflexion sur les objectifs et l'organisation des Centres de lutte contre le cancer. Enfin, le 30 mars 1924, un arrêté conjoint du Garde des Sceaux, du ministre de l'Instruction Publique et du ministre de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance Sociales, crée le Centre régional de lutte contre le cancer de Strasbourg qui prend le nom de Centre Paul Strauss, en témoignage de reconnaissance à un ministre de la Santé particulièrement clairvoyant en matière de lutte contre le cancer. 3 Cf. ses relations avec Margherita Sarfatti (1883-1961) ou son projet de livre sur Mussolini bâtisseur avec Léandre Vaillat (1876-1952) 4 Outre les Perret et P. Guadet, ce groupe était composé de Paul Lebret (1875-1933), René Degeorges, Georges Tzakiri, Henri Turban. 5 Cf. Peter Collins, Splendeur du béton. Les prédécesseurs et l'œuvre d'Auguste Perret, Paris, Hazan, 1995, p. 274-282. 6 Pseudonyme de Gustaf Henrik Lundqvist. Cf libre abbaye de Créteil : http://www.sitec.fr/users/akenatondocks/DOCKS-datas_f/collect_f/auteurs_f/P_f/PETRONIO_F/CRETEIL_F/CRETEILPETRONIO.htm |
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