G. Barthèlemy Lycée Champollion Classes de Math Spé Année universitaire 2015-2016







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G. Barthèlemy Lycée Champollion Classes de Math Spé Année universitaire 2015-2016

« L'amour et la vengeance, chassant de compagnie, n'auront jamais le dessous » (Lisbeth à Valérie, chap.47)
A PROPOS DES FEMMES FATALES

La Cousine Bette est une histoire de femme(s) fatale(s). Quelle est la pertinence de cette histoire dans l’univers balzacien, dont le réalisme s’identifie à un projet de description critique de la société de son temps, et en quoi est-elle éclairante pour nous qui cherchons à nous repérer dans le « monde des passions ? ». Pour répondre à ces questions, il faut nous pencher sur cette catégorie de la femme fatale.

La société bourgeoise du XIXe siècle est une société puritaine, c’est-à-dire une société dans laquelle la sexualité est à la fois l’objet d’une réprobation explicite, d’une peur intense et d’une fascination qui ne l’est pas moins. Ce « complexe puritain » a des conséquences très concrètes : une dégradation de la condition de la femme (car c’est d’elle que vient le danger), traduite en termes légaux par le Code civil, qui en fait une mineure à vie dont le destin se résume à la maternité dans le mariage, et une prolifération des névroses (des psychopathologies si l’on préfère) déclenchées par la répression du désir. La plus fameuse de ces psychopathologies est l’hystérie féminine, dont les crises spectaculaires vont stupéfier les contemporains dans la seconde moitié du siècle.

Un objet qui symbolise la femme du XIXe nous permettra de mieux comprendre sa condition, c’est le corset. Victimes du discours médical et d’une surprenante (quoique…) fixation érotique, les femmes se voient imposer cet instrument de torture dont la faculté déclare qu’il est indispensable à ces faibles créatures, dont le squelette et la musculature sont par nature insuffisamment formés, et l’étroitesse de la taille devient un critère décisif sur le marché matrimonial des classes dominantes. De quoi s’agit-il ? D’un appareil composé de tissu et de baleines semi-rigides, qui comprime la taille et le buste au prix d’un laçage vigoureux. On le porte dès la puberté, et les conséquences sanitaires sont considérables : la taille est étranglée, la cage thoracique se développe mal, la musculature est (en effet !) inexistante, la respiration insuffisante, et nombre de femmes souffrent de « maladies de langueur » (accompagnées parfois d’évanouissements à répétition). Sur le plan esthétique et érotique, le résultat est lui aussi frappant : l’étroitesse de la taille fait saillir les hanches (pour rester décent), et l’impossibilité de bouger la tête donne une allure étrange, solennelle, figée, un peu lointaine, aux victimes. Une femme qui porte un corset entretient un rapport difficile avec son propre corps : ses gestes sont entravés, et elle a besoin de quelqu’un pour le lacer quand elle s’habille et pour le délacer quand elle se déshabille1 – voir dans notre roman la scène au cours de laquelle Valérie et Wenceslas sont pris en flagrant délit par Henri, au moment même où Valérie se livre à un jeu de mots piteux2.

La femme est donc minorée sur le plan social, on prétend exercer sur elle un contrôle vigoureux que rend nécessaire son absence d’autonomie intellectuelle (sic), on nourrit une immense défiance à l’égard de son potentiel érotique (aussi lui prêche-t-on les devoirs et la pudeur), et dans le même temps celui-ci fait l’objet d’un traitement paradoxal, avec ce corps que l’on enferme, que l’on paralyse, que l’on met à distance, y compris avec la prolifération des vêtements de dessous : c’est le règne des jupons et des camisoles, et les hommes fantasment intensément le déshabillage, voué à tirer en longueur, et l’animation d’un corps soudain libéré du corset. Cette fantasmatique cohabite d’ailleurs avec une peur diffuse : la femme ainsi défaite de ses entraves ne va-t-elle pas révéler une nature infernale, un effroyable pouvoir sexuel qui détruira les hommes ?

Ajoutons encore quelques touches au tableau. La société bourgeoise (et puritaine) sépare les sexes, qui de ce fait se connaissent mal. On trouve là un germe d’incompréhension, de misère affective et sexuelle, et aussi une cause supplémentaire du développement de cette combinaison de peur et de fascination, mentionné ci-dessus, chez le mâle des classes supérieures au XIXe. Celui-ci peut-il espérer réaliser dans le mariage son rêve d’une intimité érotique et psychologique avec une femme ? Non : une épouse respectable ne se prête qu’avec réticence à l’acte de chair (elle a en tout cas été conditionnée en ce sens), sans jamais oublier qu’il s’agit pour l’essentiel de procréer (même remarque), et la stature impressionnante de l’Epoux ne l’invite guère à rêver de complicité conjugale (idem)3. Quand un époux bourgeois veut se laisser aller, goûter les joies d’une sexualité libre et d’une convivialité détendue entre les sexes, ce n’est pas à son domicile conjugal qu’il se rend, mais au bordel, dont le XIXe est le siècle d’or, et où règne une atmosphère débraillée, bon enfant, qui n’est pas pour rien (certes plutôt après 1850) dans le prestige auprès des étrangers de notre belle capitale.
Le lecteur perspicace aura compris qu’on vient de lui exposer la genèse de l’archétype de la femme fatale, qui prospère précisément entre désirs incandescents et peurs irrépressibles. Il s’agit donc d’une figure spécifique à un contexte historique et culturel bien déterminé, dans lequel la perception de la femme est fortement orientée, et la littérature, mais aussi la peinture, vont donner un écho considérable à cette orientation.

Les œuvres d’art, fussent-elles réalistes, ne recopient pas la réalité, elles en donnent une représentation qui sollicite la sensibilité, l’intelligence, l’imaginaire du lecteur – bref, sa conscience. Pour ce faire, elles convoquent souvent des archétypes, c’est-à-dire des figures qui parlent « directement » à l’imaginaire parce qu’elles incarnent des pulsions, des situations, des questions, qui sont universelles, qui comportent une part d’angoisse ou de fascination que l’être humain ne peut esquiver. En l’occurrence, la femme fatale évoque l’ambivalence de la sexualité, la manière dont se mêlent en elle la promesse de gratifications sans équivalent et le risque d’autodestruction - l’éblouissement et l’aveuglement. Des choses donc qui appartiennent à un fond universel ; mais l’incarnation de celui-ci dans un / des archétypes s’impose lorsque ce complexe connaît une actualité particulière, et c’est le cas dans la société bourgeoise du XIXe. En effet, les sociétés puritaines, qui prétendent neutraliser le potentiel destructeur de la sexualité en éloignant celle-ci et en la diabolisant, laissent leurs membres désarmés face à sa puissance. Elles la refoulent ; or, comme le disent les psychanalystes, le propre du refoulé est de faire retour. C’est ce retour du refoulé de la sexualité que la femme fatale incarne. Il existe une autre raison à son déferlement au XIXe : l’individualisme propre à la modernité fait de la quête du bonheur, du libre épanouissement de l’individu sur tous les plans, un impératif ; mais cette exigence se heurte au puritanisme bourgeois lorsqu’il est question de la composante érotique du bonheur amoureux ; or ce dernier est devenu dans la susdite société le noyau et le symbole du bonheur tout court, de l’accomplissement de l’existence individuelle. Ici encore, la figure de la femme fatale joue un rôle essentiel, puisqu’elle incarne l’ambivalence de la sexualité et le fait que la société puritaine n’a pas appris à ses membres à affronter la puissance de celle-ci. Car c’est bien de puissance, ou de pouvoir qu’il s’agit, comme nous le confirme Balzac au chapitre 52 :
La beauté, c'est le plus grand des pouvoirs humains. Tout pouvoir sans contre-poids, sans entraves autocratiques, mène à l'abus, à la folie. L'arbitraire, c'est la démence du pouvoir. Chez la femme, l'arbitraire, c'est la fantaisie.
Telle est bien la femme fatale : elle est mue par la « fantaisie », c’est-à-dire l’arbitraire de ses passions (qu’il s’agisse du lucre, du stupre ou de l’amour), mais aussi par la libido dominandi ; sa beauté lui assure la toute-puissance, et donc un pouvoir de destruction sans égal. C’est en cela qu’elle est « fatale » : ceux qu’elle captive ne peuvent espérer échapper à son pouvoir4.
Dans un livre intitulé La Divine et l’impure (éd. Du Jaguar, 1990), consacré à la peinture de nu au XIXe, voici ce que dit Michèle Haddad (p. 123) à propos de cette hantise d’une femme sursexuée et destructrice telle que les peintres la représentent :
Le sexe féminin est un continent noir, inconnu et satanique. La femme, dans le meilleur des cas, si elle n’est pas une sorcière, est un animal prisonnier de ses instincts. Il faut donc la contenir, la réduire même en esclavage, dénoncer ses pièges et fuir ses sortilèges, car son but est d’attirer l’homme dans les filets qu’elle tisse inlassablement. Pour les peintres comme pour les écrivains, la femme est le Diable en personne : elle fait peur et elle attire.
L’auteure met en regard de ce texte un tableau de Franz Von Stuck intitulé Le Péché (1893) : le corps très blanc d’une femme dont le regard semble une invite au spectateur se découpe sur un fond sombre (avec une touche de jaune, couleur qui symbolise traditionnellement la trahison). Cette blancheur est bordée par le corps d’un énorme serpent à la peau noire et ocellée qui fixe lui aussi de ses yeux, la gueule ouverte, le spectateur. Il semble servir d’écrin au corps nu de la femme, souligner la blancheur des seins et du ventre. C’est bien tentant – et d’ailleurs les peintres, possédés par le vieux thème chrétien de la tentation, vont multiplier les tableaux sur ce thème propre à exalter les pouvoir vénéneux de la femme, notamment lorsqu’elle s’en prend à ceux qui visent la sainteté (voir les innombrables variations sur la Tentation de Saint-Antoine, par exemple celle de Félicien Rops en 1978 ; c’est saint contre seins, si l’on ose dire).

Peinture et Littérature font donc cause commune, en attendant le cinéma, notamment pendant la grande période du cinéma états-unien, qui consacrera la femme fatale dans ce qu’on appelle les « films noirs » : La sublime Ava Gardner ensorcelle Burt Lancaster dans Les Tueurs de Robert Siodmack (1946), et Bette [une autre Bette, digne de celle de Balzac] Davis, si bizarrement laide, saccage la vie de Joseph Cotten dans La Garce de King Vidor (1949 ; l’affiche du film disait : « Nobody is as good as Bette Davis when she’s bad ») : l’image mobile était faite pour immortaliser la femme fatale, son diabolique pouvoir de fascination, et la société états-unienne, obsédée par le mal, puritaine et individualiste, était un terrain d’élection pour elle.
Le cinéma (en tout cas celui dont il vient d’être question) appartient à la culture de masse, aussi ne fait-il pas toujours dans la dentelle, et de ce fait sa dynamique s’harmonise avec celle de l’archétype : pour gagner en force d’expression, on sacrifie la subtilité et la nuance. Et Balzac ? Il fait la même chose dans La Cousine Bette : s’inspirant des codes du roman populaire et du mélodrame, il exalte le pathétique et les effets, donnant une force terrible à cette histoire de vengeance et de déchéance.

Si le mot « passion » n’est pas encore intervenu dans cet exposé, le lecteur perspicace aura deviné que c’est d’elle qu’il s‘agit : la femme fatale est une machine à provoquer les passions et à détruire ceux dont elles s’emparent. Et en l’occurrence, c’est Valérie la diablesse. L’originalité et la force du roman, et donc la dynamique spécifique conférée à l’archétype de la femme fatale tient ici toutefois à deux facteurs : une forme d’incongruité propre au personnage de Valérie qui est à la fois une femme fatale et une petite bourgeoise (une incarnation de la démesure et une incarnation de la médiocrité du conformisme), et le système des personnages. Passons assez vite sur le premier point : la médiocrité morale de Valérie, son absence d’élévation, sont destinées à faire d’elle l’emblème de la monarchie de Juillet c’est-à-dire aussi d’une courbe historique pitoyable : à père maréchal d’Empire, fille épouse d’un bureaucrate inconsistant (dont en outre la sexualité semble assez trouble), vénale et hypocrite, qui ne sait pas faire meilleur usage de sa beauté et de son intelligence que celui qui consiste à capter la richesse de ses amants. Elle n’est pas, toutefois, une « femme sans cœur », comme l’odieuse Foedora de La Peau de chagrin (1836), puisqu’elle-même connaît la passion (avec Henri et avec Wenceslas), mais son goût pour l’argent est impliqué dans sa relation avec le premier, son désir de venger Lisbeth et d’humilier Hortense dans sa passion pour le second.

Venons-en donc maintenant à certains aspects du système des personnages. Commençons par l’essentiel : l’organisation de la convergence dans le récit entre Valérie et Bette, convergence thématisée par la citation qui a donné son titre à cet exposé. Si Valérie incarne (parce qu’elle la provoque et en est l’objet) la passion libidinale, dont nous avons évoqué l’ambivalence, Bette incarne une « passion triste » par excellence, la vengeance. Celle-ci a pour elle, en termes de rendement romanesque, son caractère archaïque et régressif : la vengeance, c’est la tentation pulsionnelle de la régression vers une sphère infra-morale, dans laquelle l’individu qui subit un préjudice ne se préoccupe que d’infliger l’équivalent au coupable – soit le contraire de la justice, qui, elle, vise à restaurer le bien, la paix, au prix d’une réparation, et pas à organiser un cycle potentiellement infini de préjudices et de « contre-préjudices »5. Mais la vengeance est elle aussi, comme le désir, de l’ordre de la tentation – tentation de se soustraire aux règles qui balisent l’existence des hommes en société, et à l’effort harassant que nous impose la morale, celle qui dans la version sublimée qu’en offre l’Evangile nous dit que quand on nous frappe la joue gauche il faut tendre la joue droite (ou l’inverse, mais peu importe) : propos surprenants, qui illustrent ce que les théologiens appellent l’ « humour chrétien », c’est-à-dire cette manière paradoxale, sidérante, de prendre position dans le champ moral ou religieux pour signifier la rupture avec un ordre ancien et la nécessité d’instaurer un ordre nouveau entre les hommes ou entre l’homme et Dieu. La vengeance, elle, illustre un ordre ancien dans lequel l’individu érige sa passion en absolu indiscutable, et répond au mal par le mal.

Si l’on se souvient de la définition classique de la passion (« Tous les mouvements de l’âme », dit Furetière), on comprend que la vengeance appartient fondamentalement à cette sphère, et l’on sait à quel point, comme toutes les passions, elle peut conférer un terrible élan unificateur à l’existence individuelle et envahir tout le champ de la conscience, incarner ce que Zola appelait « le clou de l’idée fixe », cela d’autant plus qu’elle est aussi volontiers liée à un fantasme de toute-puissance : celui qui se venge médite et organise la mise à mort, réelle ou symbolique, de son ennemi, manipule les êtres et les circonstances, défie les précautions et les mises en garde, le pouvoir de la loi ou du contrôle social, en tout cas dans la fantasmatique si significative que la littérature populaire du XIXe (nous y revoilà), mais aussi la grande littérature, déchaînent autour d’elle. C’est ainsi qu’Edmond Dantès, le héros du Comte de Monte-Cristo de Dumas (1844) se venge de ceux qui l’ont fait injustement jeter en prison, ou que l’héroïne de La Vengeance d’une femme (1872) de Barbey d’Aurevilly se venge de son époux, aristocrate froid et vaniteux, qui a assassiné son amant et a qu’elle a vainement supplier de lui donner le cœur de celui-ci à manger (il a préféré le jeter à ses chiens), en devenant prostituée et syphilitique, traînant ainsi son nom dans la boue. Selon une logique comparable a celle évoquée plus haut, le cinéma états-unien fera là encore grand usage de ce motif, comme dans La vengeance aux deux visages, de et avec Marlon Brando en 1961, ou dans le remarquable
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