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![]() Parcours thématique ![]()
Introduction Paysages et intérieurs La représentation picturale de l’espace Œuvres de Braque, Matisse, Kandinsky, Dubuffet, Richter, Rouan, Kiefer Présenter l'espace À l’intérieur de l’expérience sensible Œuvres de Dubuffet, Nauman, Bourgeois, Penone, Boltanski, Beuys, Rondinone Mesurer l'Œuvre à l'espace L'art quitte les limites de l'atelier Œuvres de Miró, Buren, Serra Bibliographie sélective Introduction ![]() La représentation de l’espace sous la forme de paysage ou de vues d’intérieurs est relativement récente. Dans la peinture religieuse, historique, mythologique, les paysages sont des fonds que la figure humaine, au premier plan, se doit d’animer. C’est seulement au 19e siècle que la peinture de paysage s’affirme comme un genre à part entière et comme lieu de recherche déterminant, avec Constable, Courbet, Turner, Van Gogh, Seurat et d’autres. Néanmoins, Baudelaire, dans son Salon de 1859, considère encore le paysage en tant que tel, c’est-à-dire étendue de visible, extérieure au sujet qui regarde, comme un « genre inférieur ». Vers la fin du 19e siècle, malgré des réticences critiques, le paysage s’affranchit de la subordination à la figure et devient un thème de prédilection des recherches sur la couleur, la lumière, l’espace. Les Impressionnistes en font leur sujet préféré, Cézanne s’y mesure à plusieurs reprises affirmant, dans les différentes versions de La Montagne Sainte-Victoire par exemple, la nature dans sa variété ainsi que les principes de structuration et de géométrisation propres à sa peinture. Depuis, la représentation de l’espace n’a pas cessé de nourrir la peinture. Diffracté (Cubisme), réduit à ses lignes de force ou à la couleur pure (Abstraction), ouvert à l’infini ou se portant vers l’intérieur, cet espace représenté, s’adressant principalement à la vue, laisse la place, dans la deuxième moitié du 20e siècle, à l’espace présenté sous forme d’installations qui investissent l’espace vital du spectateur, sollicitant plusieurs de ses sens. Mettant en jeu sa relation à l’environnement, l’œuvre d’art se mesure aussi au lieu où elle s’expose, qu’il soit naturel ou muséal, comme le signifie l’expression in situ. Ce dossier propose, à travers un parcours des collections du Musée national d’art moderne, une analyse de ces déclinaisons de l’œuvre d’art et de son espace, du début du siècle à nos jours. Paysages et intérieurs ![]() LA REPRESENTATION PICTURALE DE L'ESPACE S’affranchissant de la relation au modèle extérieur, la représentation picturale de l’espace est bouleversée par l’expérience cubiste. Au cœur de l’abstraction de Kandinsky, elle hante par la suite la pratique picturale et sculpturale de Dubuffet, devient le lieu d’un questionnement sur l’image chez Richter, sur l’essence de la peinture chez Rouan, ou sur le rapport à l’histoire chez Kiefer. Le paysage dans l’expérience cubiste Georges Braque (1882-1963) ![]() Huile sur toile 72,5 x 59 cm Le thème du Viaduc à l’Estaque a été traité à trois reprises par Braque. Cette version, la deuxième, réalisée en juin-juillet 1908, et conservée par l’artiste dans son atelier, est la seule où l’horizontale du viaduc tranche sur le ciel sans être surmontée par d’autres édifices. Elle rompt donc avec la composition pyramidale propre à Cézanne qui avait inspiré la première version. Les dominantes chromatiques en bleu, vert et ocre montrent encore la référence aux Montagnes Sainte-Victoire et aux Grandes Baigneuses du peintre d’Aix, mais ici l’importance est donnée aux constructions cubiques du premier plan qui envahissent la toile. Le passage du Fauvisme au Cubisme s’opère, en effet, à cette époque et transparaît dans cette œuvre charnière. Braque rejette la perspective traditionnelle avec son point de vue fixe ainsi que la lumière naturelle. « Je porte ma lumière avec moi », affirme-t-il. L’espace est divisé en plans cernés de noir. Les couleurs se réduisent aux ocres-jaunes, ocres-rouges, verts et bleus encore vifs. Elles s’adouciront en des bruns et verts doux, avant de se limiter à partir de 1911 aux seuls gris et beiges du Cubisme analytique. La représentation d’intérieurs Henri Matisse (1869-1954) Comme pour le paysage, la représentation des intérieurs s’affranchit du rôle de décor et de la mimesis. L’intérieur n’est plus ce réceptacle de l’action humaine cher à la peinture des 17 et 18e siècles. On est loin des intimistes hollandais, maîtres dans le sujet, peignant des décors à des galantes leçons de musique, à des jeunes filles lisant une lettre d’amour ou faisant des dentelles. ![]() Huile sur toile 146 x 97 cm Chez Matisse, qui consacre au motif de l’intérieur un grand nombre de ses toiles, l’espace créé par les objets représentés suffit à garantir l’intérieur pictural. La dialectique dessin-couleur, platitude-profondeur qui travaille son œuvre est ici synthétisée. On retrouve en effet, placés l’un à côté de l’autre sur le mur, une toile et un dessin au lavis, représentant en abyme deux intérieurs qui témoignent de la maîtrise de l’artiste dans ces deux modalités d'expression. Néanmoins c’est la couleur, resplendissante, qui domine ici. « Je n’ai jamais été aussi clairement en avant dans l’expression des couleurs », écrit-il à propos de cette série. Le peintre y met à l’œuvre son langage plastique fondé sur les oppositions entre droites et courbes, vides et pleins, intérieur et extérieur, et joue sur l’illusion de l’ouverture simulée par le dessin et le tableau au mur qui, comme deux fenêtres, semblent s’ouvrir sur le dehors. Mais tout s’inscrit dans le même plan-surface qui est celui de la lumineuse couleur rouge s’étalant partout. Selon Matisse, il faut réduire la gamme des couleurs qui ne rejoignent leur véritable force expressive qu’en lien avec l’intensité de l’émotion du peintre. Ici, l’intensité du rouge, accentuée par la chaleur des jaunes et des orangés, rend tout le reste comme immatériel y compris les objets. Le dessin noir crée une dimension d’espace, introduisant, par l’oblique de la table et de la chaise, une profondeur aussitôt démentie par les tapis jaunes au sol qui, se dressant parallèles au plan du tableau, accentuent encore la planéité de la surface proclamée par l’omniprésence du rouge. Au-delà de la représentation fidèle d’un espace intérieur, le sujet se prête ici à ses recherches picturales sur la forme et la couleur, la surface et la profondeur. Paysages et Abstraction Vassily Kandinsky (1866-1944) Universellement reconnu comme l’inventeur de l’abstraction lyrique, Kandinsky est, de même que Paul Klee, peintre et théoricien. Dans son ouvrage, Du Spirituel dans l’art, écrit en 1910, il médite sur les rapports entre forme et couleur, peinture et musique, tentant de définir la valeur expressive des formes, des couleurs et de leurs combinaisons. Couleurs et formes déterminent des impressions particulières, véhiculent des sensations et des sentiments différents. Au bleu mystique et froid s’opposent le jaune chaud et agressif, le vert paisible, les différents silences des blancs et des noirs, la passion du rouge, qu’il met en relation avec ronds et triangles, lignes ouvertes ou fermées. Le spirituel est du ressort de la peinture qui agit directement sur les sens et sur l’émotion. « Créer une œuvre c’est créer un monde. » Ce monde n’est pas à l’image du réel mais est une création pure, ne répondant qu’à « la nécessité interne au tableau », écrit-il. L’artiste souligne qu’il ne faut pas se borner à voir la nature mais la vivre. C’est cette vie saisie dans un élan cosmique, dans une effusion spirituelle, que le peintre rend dans sa période la plus intense de l’abstraction lyrique. ![]() Huile sur toile 106 x 157,5 cm ![]() Délaissant l’attrait pour le motif, Kandinsky s’éloigne de la réalité apparente de ses premiers paysages par un travail sur la couleur qui acquiert une fonction propre ainsi que par le choix de cadrages singuliers, désirant traduire non pas la précision des éléments mais une atmosphère. Avec Impression V (Parc), il franchit le pas supplémentaire qui l’amène à l’abstraction. Le titre descriptif a disparu, l’artiste appelle désormais ses tableaux du mot général d’Improvisation, Impression ou de Composition. Dans une anecdote fameuse, le peintre raconte la découverte, dans son atelier, d’un de ses tableaux posés sur le côté et qu’il n’identifie pas. Il est saisi par la beauté indescriptible qui en émane et écrit après coup : « Je sus alors que l’objet nuit à mes tableaux. » Déclaration qui marque profondément les débuts de l’Abstraction caractérisée par la dissolution de l’objet et la recherche d’une peinture qui, comme la musique, doit rendre l’émotion. Ici, le double titre perturbe la lecture entièrement abstraite de l’œuvre par une allusion vague à un jardin qui autorise à reconnaître des silhouettes humaines dans le paysage. Mais en réalité dans cette toile, qui est une des premières œuvres abstraites, tout se joue dans les oppositions des rouges, des bleus et des jaunes, dans le mouvement et la fluctuation des formes emportées par un trait de pinceau rapide et dramatisé par la force des noirs. La remise en cause du rapport forme-fond Jean Dubuffet (1901-1985) Le paysage traverse toute l’œuvre de Dubuffet qui lui consacre de nombreuses séries allant des Campagnes (heureuse, nervurée, etc.) aux dramatiques Non-lieux, passant par les arides Paysages grotesques, les lourds Paysages du mental, les erratiques Sites, les tracés énergiques et colorés des Mires. Qu’il soit maçonné dans la matière épaisse, gravé comme un graffiti sur un mur de peinture ou réduit à une mince couche d’acrylique sur le papier marouflé, le paysage est le lieu omniprésent d’une remise en cause du rapport canonique fond-forme, la forme, le plus souvent humaine, s’engloutissant dans un fond où elle se confond et se perd. ![]() Huile sur isorel 118,5 x 155 cm ![]() Dubuffet peint au sortir de la Deuxième Guerre mondiale des paysages sans sortie pour le voyageur égaré dans une forêt de matière informe. Ils parlent du désarroi de l’homme contemporain qui a connu les deux conflits les plus meurtriers de tous les temps, la mort de Dieu annoncée par Nietzsche et la montée du nihilisme. Dans ce paysage macabre, où la ligne d’horizon placée très haut ne laisse plus d’espace au ciel, le regard du spectateur se trouve lui aussi englouti dans les aspérités d’une matière qui se plisse et semble révéler, comme dans une coupe géologique, des sédimentations de cadavres. Interroger le visible Gerhard Richter (1932) Né en Allemagne de l’Est, Gérhard Richter s’établit en 1961 à Düsseldorf où il découvre l’Expressionnisme abstrait américain, Duchamp, le Pop art, par rapport auxquels sa peinture prend position. Réagissant aux affirmations sur la mort de l’art, il décline tous les modes de la peinture, de l’abstraction au réalisme photographique, remettant toujours en cause les moyens de la peinture qui ne montre plus le visible mais cherche à l’interroger. « L’art est un moyen d’aborder ce qui nous est fermé, l’inabordable », écrit-il. Ne s’attachant pas à un style particulier, son art vise une interrogation sur la peinture et sur ses moyens. Ainsi, du monochrome à la peinture abstraite en passant par une série d’immenses panneaux où les différentes couleurs sont montrées comme des échantillons, le peintre revoit aussi les genres les plus classiques : paysages, portraits, natures mortes, les soumettant à l’épreuve du temps et du nouveau médium qu’est la photographie. C’est le cas pour Chinon. ![]() Huile sur toile 200 x 320 cm ![]() Se déployant à l’horizontale dans un format monumental qui semble convoquer le réel dans la peinture, Chinon célèbre et questionne la tradition du paysage. La peinture est élaborée à partir de l’image photographique, posant inévitablement la question du tableau à l’époque de la « reproductibilité technique ». Qu’est-ce qui fait ici l’œuvre, son « aura » ? Est-ce la présence singulière qui se dégage du lieu ? Est-ce ce flou propre à un appareil photographique mal réglé, ou l’effet de brume qui envahit le paysage pictural ? Le paysage du Val-de-Loire, où règne une sensation de calme et de silence, se déploie dans une lumière d’automne sans qu’aucune silhouette humaine en perturbe la perception. « La peinture fait semblant d’être une image mais n’est pas une image » écrit Philippe Sollers, elle ouvre à d’autres sensations, une certaine tactilité que l’œuvre suggère ici. Dans un coin de l’image, malgré le flou, l’œil perçoit le détail d’une centrale nucléaire troublant la paix du paysage. Le vrai sujet du tableau serait alors à la limite du visible, dans le détail perdu qui donne un autre sens à l’œuvre ? Plus largement, le message du peintre serait celui d’aller au-delà de l’apparence pour percer les profondeurs de la peinture ? Le paysage comme lieu de mémoires |