Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres







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André Durand présente
Jules VALLÈS

(France)

(1832-1885)





Portrait de Jules Vallès par Gustave Courbet


Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres

qui sont résumées et commentées.
Bonne lecture !
Né au Puy-en-Velay le 11 juin 1832, il eut une enfance malheureuse, déchirée par l'image du père. Il subit les duretés et les ridicules de sa famille, l’oppression du système scolaire. Il vécut à la campagne et le souvenir de la terre demeura vivace dans son esprit et dans son jugement : «Mon berceau fut au pied des montagnes, je suis moitié Auvergnat, et moitié Cévenol. J'aime la ville parce que j'y ai beaucoup lutté, un peu souffert, que j'ai des revanches à prendre. Mais je tiens par les racines à la terre des champs». Il se souvenait de la course des saisons, des nuances végétales, et du soleil ou de la neige par-dessus l'arbre et l'herbe. En 1848, il vit passer, tristes et enchaînés, en route vers le bagne, les vaincus de la révolution de juin.

Cependant, doté de brillantes qualités intellectuelles, il remporta des succès scolaires à Saint-Étienne et à Nantes, il montra toujours beaucoup de curiosité pour les choses de l'esprit, fréquenta assidument les cabinets de lecture et les bibliothèques, acquit une soculture classique qui, n'en déplaise à, Brunetière, était solide, fit des essais littéraires tenaces et discrets, durant de nombreuses années, pour atteindre à la maîtrise du style. Comme tout jeune homme mordu par l'ambition littéraire, il a longtemps hésité avant de trouver le genre le mieux adapté à son génie si étrangement personnel. Tour à tour, et avec des fortunes diverses, il s'essaya dans la poésie, dans le théâtre, dans la chronique, dans le pamphlet et dans le roman.

Arrivé dans la capitale à l'âge de seize ans, Vallès avait connu la République bâtarde de Louis-Napoléon Bonaparte, le Coup d'État, le Second Empire avec ses guerres et ses fastes, les désastres de 1870 et les drames de la Commune

Venu à Paris pour se consacrer aux lettres, l'adolescent hanta le pavé, mangea le pain amer de l'infortune citadine, côtoya les irréguliers de la grande ville. À peine arrivé au quartier Latin, il fit de la politique et des vers... Et c'est dans l'ordre : il serait fâcheux qu'un provincial fraîchement débarqué sur le pavé parisien ne sacrifiât point à ces deux passions de la jeunesse intellectuelle. Il est vrai que le Deux Décembre déflora bientôt les illusions de ce révolutionnaire mélancolique. Combien de vers produisit-il? Dix mille ou presque, dont il ne reste que de banales épaves. Mais il comprit lui-même la vanité de ses projets, et démissionna, jeune encore, de la carrière poétique.

Ayant échoué dans le genre poétique, Vallès risqua sa chance dans le théâtre. Mais, dans ce genre encore, son insuccès fut complet : soit qu'il ne parvînt pas à nouer une intrigue, soit qu'il versât trop souvent dans l'extravagance ou dans le paradoxe, soit, enfin, qu'il ne réussit jamais à sortir tout à fait de lui-même, à insuffler la vie à des personnages vraiment autonomes.

C'est comme chroniqueur que Vallès connut ses premiers succès. La chronique, avec son cadre, sa technique, son objet, répondait mieux, en effet, à son tempérament, elle lui laissait plus de liberté dans le choix des sujets ; elle s'accommodait fort bien du pittoresque, de l'ironie et de la confidence ; elle permettait à son audace révolutionnaire plus de licence, du fait même qu'elle passait pour anodine aux yeux des censeurs. Dès 1857, au “Présent”, la signature de Max apparaissait fièrement à côté de celles de Baudelaire et de Leconte de Lisle ; mais c'est au “Figaro” que s'épanouit, de 1858 à 1868, son talent. Il collabora aussi à “L’événement” où écrivait aussi Émile Zola.

Mais il se lassa bien vite de son métier d’«amuseur du boulevard». Mais, déjà, encouragé par ses triomphes, Vallès ne voulait plus se contenter du rôle de chroniqueur. Il rêvait d'un organe de combat bien à lui, rien qu'à lui, où il pourrait attaquer à sa guise (jusqu'à la prison, inclusivement), les ridicules ou les injustices de son temps. il lança avec brio l'une des feuilles les plus curieuses du Second Empire : “La rue” (1867), la formule de l'hebdomadaire d'avant-garde, essentiellement littéraire l'habile pamphlétaire s'entoura d'une équipe ardente de collaborateurs.

Cette maîtrise dans le journalisme et dans la chronique, Vallès eût voulu l'égaler dans les œuvres d'imagination. Il s'eflorça d'y atteindre, mais ce fut en vain ; et il semble bien que cette impuissance à briller dans le genre romanesque ait été la douleur secrète de sa vie. Mais eût-t-il réussi à «machiner» ses petits romans, qu'il se fût aussitôt heurté à un autre obstacle : la femme. C'est ce que nous fait observer Léon Séché : «Cet homme terrible, qui tombait si facilement en puissance de femme, était incapable de faire parler la femme, dans ses livres». Vallès ne pouvait qu'échouer dans le romanesque, car il ne savait conter que ses souvenirs et que traduire ses propres sensations.

Il déclara : «Je voudrais, moi aussi, bâtir ma “Comédie humaine”». Ce furent “Histoire de vingt ans” (1848-1868), puis, quelques années plus tard, “Histoire de la génération 1848-1871”. Mais ce beau rêve s'évanouit, du fait des hésitations de l'éditeur et surtout du fait que l'auteur ne parvenait pas à tisser la trame de son grand roman social.

Il dut s’astreindre à différents métiers, l’ordre social du Second Empire condamnant ce journaliste d’opposition à vivoter. Polémiste sans concession, il mettait de la politique partout, la politique n'étant cependant, à ses yeux, jamais l'excuse de la médiocrité : il voulut ouvrir l'horizon à toute force, il préféra parfois une droite farouche aux tièdes de la république. Pamphlétaire soucieux de formules hautes en couleurs, féroces mais d'une étonnante justesse d'oreille, il déclara, par exemple, son hostilité d'avant 1871 envers Hugo : «Je souffre à voir finir dans les sabots de Polichinelle celui qui avait chaussé les souliers du Dante» ; il attaqua Baudelaire, en 1867 : «Il n'avait pas la santé d'un débauché et avait dans son enfer une petite porte masquée par où l'on pouvait remonter au ciel» ; il se moqua de Thiers : «Soixante-douze hivers et quatre pieds dix pouces». Il réunit ses différents articles dans “Les réfractaires” (1865) et “La rue” (1866) où il montra un enthousiasme sincère pour les prolétaires. Il donna plusieurs récits d’inspiration autobiographique, notamment "Jean Delbenne" (paru en feuilleton dans “L’époque” en 1865) et "Testament d’un blagueur" (paru en feuilleton dans “La parodie” en 1869).

La Commune dont il fut un des membres, siégeant à l’Hôtel de Ville, montrant alors un souci de justice et de modération, jouant sa partie dans le premier gouvernement populaire qui tenta d’exister dans l’Histoire, et qu’il défendit dans son journal, “Le cri du peuple, qu’il appela «la grande fédération des douleurs», lui donna enfin le sentiment de connaître liberté et spontanéité. Durant la Semaine Sanglante, il fit preuve d’un héroïsme tranquille sur les barricades. Condamné à mort à la fin de l’insurrection, il se réfugia à Londres où, habitant un grenier, donnant quelques leçons, lisant dans les salles du “British Museum, il connut la misère.

Mais où il devint aussi un romancier, les drames de la Commune l'ayant obligé à faire un retour sur lui-même. Les souffrances de l'exil aidant, il put évoquer dans son amère solitude, avec une intensité et une émotion accrues, ses impressions des premières années, ses humiliations de la famille et du collège, tournant ainsi l'obstacle redoutable pour lui de l'intrigue. Il rédigea en quatre mois unn manuscrit dont son ami Hector Malot se chargea auprès des éditeurs, car il ne pouvait en effet publier sous son nom à Paris :

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L’enfant”

(1879)
Roman
Jacques, le narrateur, a au début du récit, cinq ans. Le chapitre 1, intitulé "Ma mère", fait le portrait d’une paysanne aux conceptions archaïques, bornée, sournoise, oppressive et injuste, qui ne cesse de le fouetter : «Ma mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants et elle me fouette tous les matins ; quand elle n’a pas le temps le matin, c’est pour midi et rarement plus tard que quatre heures». Son père, petit instituteur de campagne, est moins arriéré, mais il fait également preuve d'une violence issue d'un sentiment de frustration sociale. Sous prétexte de l’aguerrir, on s’ingénie à lui rendre la vie rude, on le crétinise à longueur de journées, on finit par lui reprocher le pain qu’il mange. Quoi qu’il fasse, le pauvre garçon, qui est triste et seul, ne parvient jamais à gagner l’affection de ses parents. Heureusement, «la Famille» comporte un certain nombre d'oncles et de tantes, qui sont plus sympathiques, des cousines aussi, qu’il regarde énamouré (chapitre 2).

C’est dans cette atmosphère viciée qu’il fait ses études, car, après l'oppression maternelle, il connaît une autre oppression dans un collège où on mange mal, où on est surveillé et puni et où il subit l’absurdité et la cruauté de l’éducation. Les professeurs sont d'affreux pédants. L'un d'eux, un philosophe ridicule, prétend même lui apporter les preuves de l'existence de Dieu (chapitre 3). Bien qu’il soit assez doué, il prend vite en aversion les «humanités». Il est écœuré par le latin et le grec, matières dont il ne perçoit pas la finalité, qui lui paraissent aussi barbares l’une que l’autre, qu’il «avale comme de la boue». Qu’il s’agisse de Thémistocle, de Scipion ou d’Amilcar, il se sent incapable de leur prêter sa voix pour haranguer des soldats qu’il n’a jamais vus. Aussi brûle-t-il du désir de déserter cette maison maudite. Il évoque aussi les rues et les magasins de «la petite ville», ainsi que «la toilette» ridicule dont sa mère l’affuble (chapitres 4 et 5). Heureusement, les vacances apportent une détente, car il y retrouve un semblant de liberté, un univers naturel, plein de sauvagerie (chapitre 6). Mais il faut rentrer et «les joies du foyer» ne lui proposent que des plaisirs peu chers ou gâchés (chapitre 7), même si un cirque égaie la grisaille du quotidien (chapitre 8, “Le fer-à-cheval").

Son père est nommé à Saint-Étienne, occasion d’une scène entre le mari et sa femme, et toute la famille déménage avec lui (chapitre 9). Or ce père dont il est le martyr, il n’hésite pas à le défendre quand il voit insulté par un tiers, fût-ce le plus justement du monde. Il se bat en duel, un duel à l’épée qui ne tourne pas à son avantage. Perdant son sang, il retourne au logis et passe la chose sous silence. Il y a heureusement de «braves gens», un cordonnier et un épicière grâce auxquels on peut parfois jouer (chapitre 10). Mais «le lycée» est pénible : Jacques y apprend la sournoiserie et l’ennui, malgré la lecture de “Robinson Crusoé” (chapitre 11). «Frottage», «gourmandise», «propreté» sont d’autres «joies» de la famille : les repas sont toujours pénibles car il faut manger ce que l’on n’aime pas et laisser ce qu’on préfère (chapitre 12). Et les vieilles habitudes maternelles resurgissent. «L’argent» est épargné férocement (chapitre 13).

Un «voyage au pays», le Velay, donne un peu plus de liberté : on y mange et aime à son gré (chapitre 14). D’où certains «projets d’évasion» (chapitre 15), quand il faut rentrer à la maison qui est agitée par «un drame» : celui des infidélités du père qui cherche du réconfort dans d'autres bras (chapitre 16). “Souvenirs" rappelle deux chagrins du narrateur (chapitre 17). Puis c’est «le départ» vers Nantes où la mère du narrateur ne cesse de lui faire honte, tout en exploitant cruellement ses domestiques successives (chapitre 18), avant le départ vers Nantes, Jacques évoque ses souvenirs. Sa mère ne cesse de lui faire honte. Elle se montre également intraitable et cruelle envers les domestiques successives qu'elle exploite. «Louisette», la fille d’un ami de la famille, meurt des mauvais traitements infligés par son père (chapitre 19).

Jacques rapporte, dans “Mes humanités", ses réussites hypocrites de bon élève (chapitre 20). Mais, à la suite d’une aventure avec «Madame Devinol» (chapitre 21), il est envoyé à «la Pension Legnagna» à Paris (22). “Madame Vingtras à Paris" parce qu’après son échec au baccalauréat, elle vient chercher son fils (chapitre 23) pour "Le retour à Nantes” (chapitre 24). C’est "La délivrance": se réconciliant avec son père après avoir pris sa défense dans un ultime affrontement avec la mère, Jacques annonce sa décision : il sera ouvrier, trahissant ainsi les ambitions de ses parents (chapitre 25).
Commentaire
Ce roman autobiographique est dédié «À tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents....» Jules Vallès entendait jeter un cri d'alarme. Dès la dédicace, il dénonçait une double oppression :

- celle d’abord d’une mère horrible, avare, ridicule et sadique, paysanne qui s’est mariée à un petit professeur, faible, inquiet pour sa carrière, et elle se venge de son inadaptation sociale en brimant son enfant dans ses joies et ses désirs, et en l’incitant ainsi à une révolte permanente ;

- celle de l’école où la plupart des adultes sont eux-mêmes infantilisés et où l’enfant apprend seulement le mensonge et la bassesse : on y trafique les fausses exemptions, on y flatte l’inspecteur et les pouvoirs politiques.

À la bêtise, à l’avarice et surtout à une cruauté qui ne peut qu’en susciter une autre en retour, le narrateur oppose les plaisirs naturels et simples de la liberté :

- quand des vacances lui permettent de retrouver une campagne odorante, savoureuse ;

- quand l’absence de la mère ou son inattention lui permettent d’aller au cirque, de rencontrer une jolie cousine ;

- quand les paysans ou les artisans l’intègrent dans une vie souriante et pratique qui l’attirera tant qu’il voudra la partager pour toujours.

Vallès aborda de front, et sans ménagements le problème de l'enfance malheureuse, blessée dans son cœur ou dans sa chair. Il dévoila le drame d'une éducation fondée sur la violence qui méconnaît les droits essentiels de l’enfance, une éducation livresque qui empêche un garçon de devenir un simple ouvrier pour en faire une bête à concours un bachelier, un inutile que guette la misère la plus noire, qui favorise le développement d'un prolétariat intellectuel, composé d'une cohue de déclassés et de ratés inassimilables. Car, dans son esprit, l’histoire de Jacques Vingtras, c'était non seulement sa propre histoire, mais encore, comme l'a fortement dit Léon Daudet, «la personnification de l'enfant dont toutes les tendresses natives ont été étouffées par les premières oppressions ; qui, né oiseau, s'est tout d'abord meurtri la tête aux barreaux d'une cage». Il se dégage du livre de terribles leçons pour les parents car que pouvait-il attendre des siens en matière d’éducation? Vingtras ressent très tôt un désir de révolte, et grandit en lui une haine diffuse envers le monde qu'il conserva toute sa vie.

Vallès brosse aussi un tableau de la vie de province.

Mais cette lecture serait réductrice car elle ignorerait le vrai charme du livre qui est avant tout celui d’un style aigu : point de narration suivie, mais des anecdotes, des instantanés, des «moments» rassemblés dans des chapitres souvent hétéroclites, des séquences rapides, ponctuées d’exclamations, d’éléments ironiques (l’autodérision est permanente) ou sarcastiques (la pension Legnagna !) car, quoique, d’un bout à l’autre, il voie les choses en noir, il se garde bien de montrer un esprit trop systématique. En effet, toutes les fois que l’occasion s’en présente, il tempère son récit par un brin d’humour et par des trouvailles d’une exquise délicatesse.

Il fait preuve aussi d’une poésie toute particulière, sensible aux odeurs et aux images, qui fait voir les brioches comme de gros nez et sentir la poudre d’un jour d’orage... Battant en brèche les clichés littéraires, les Grecs et les Latins, faisant découvrir un monde social vrai, des sentiments forts, même durs, “L’enfant” propose une vision décapante, qui laissa la critique partagée, mais à laquelle furent sensibles des lecteurs aussi différents que Barbey d’Aurevilly ou Paul Bourget. Car, parmi tous les livres qui ont été consacrés à l'enfant, inquiet ou martyr, qui connurent la faveur du public, aucun n'éclipse, n'égale ou même n'approche, par son intérêt dramatique ou par sa perfection artistique, ce roman qui demeure sans conteste le chef-d'œuvre du genre.

Le roman fut d’abord publié en 1878 à Paris en feuilleton dans “Le sièclesous le titre de “Jacques Vingtras” et sous le pseudonyme de La Chaussade. Le titre “L’enfant” et le nom de Vallès apparurent dans la troisième édition, en 1881. Jeté dans la mêlée naturaliste, il fut salué d'acclamations et de vitupérations tout ensemble, ce qui est le signe certain d'un triomphe complet.
‘’L'enfant’’, de Jules Vallès, roman méconnu mais fondateur de la littérature du XXe siècle. Une ode drôle et déchirante à l'enfance malheureuse,

Ex-gosses rossés qui n'avez pas été nourris au lait de la tendresse, ce livre est pour vous. Heureux chérubins

qui avez échappé à l'enfer, ce livre est pour vous. ‘’L'enfant’’ raconte les misères du jeune Jacques Vingtras, alias Jules Vallès. Un Petit Chose qui fut fouetté de bonne heure. En guise de mère, une Folcoche qui a la torgnole et l'humiliation faciles. Le père? Un pion agrégatif froid comme la mort. Bien avant Gide, Vallès lança en 1878 son « Famille, je vous hais » et se met en scène, ancêtre oublié de l'auto-fiction. Une littérature d'ex-môme qui a morflé et qui écrit comme on appuie sur ses bleus, pour savoir si ça fait ma Le gosse ne pardonne pas.

Mais Vallès n'est pas une pleureuse. Cosette peut-être, mais Guignol d'abord. Il fut donc l'ahuri de service, qui n'en loupe pas une. Rires assurés quand, vêtu en charbonnier pour une fête, il se retrouve par erreur expédié à la plonge pour la nuit : au petit matin, sa mère, venue le chercher se refuse à le reconnaître : « J'étais orphelin », s' exclame-t-il soulagé. Mais, en voyant sur son derrière « certaine place couturée et violacée », elle s'écria : « C'est mon fils ! » Vallès, qui se contrefiche du ridicule, se déculotte comme jamais en littérature française. Et signe le livre le plus hilarant du XIXe siècle. La voix de l'enfant permettant tout, il se l'approprie avec génie. Tous les infortunés qui ont dû un jour enfiler un beau pantalon qui gratte boiront avec Vallès du petit-lait. Mme Vingtras a encore frappé : redingote rêche avec boutons en noyaux d'olive. L'ironie mord : « Ta mère t'aime et veut te le prouver. Te figures-tu qu'elle te laissera entrer dans ta redingote sans ajouter un grain de beauté, une mouche, un pompon? Tu ne connais pas ta mère, Jacques. » Des sous-pieds sont ajoutés, qui craquent devant toute la société, et voilà le vilain petit canard, grimé en vieillard, qui montre son caleçon. Scandale ! Vallès pousse, en rajoute, comme plus tard Céline, qui l'a lu de très près. Car Vallès, écorché vif, crache, éructe. Logique : son professeur de latin le surnommait « le Volcan». De la sensation, de la force ! Pas de gras chez Vingtras, qui, ballotté, sacrifié petit, se venge, devenu grand, avec des phrases qui claquent. L'écriture elle-même a été une torture : pour la fête du pater familias, il faut faire un mot. Un pâté : une claque. Une rature : une taloche. Finalement, il apporte dans le lit paternel un pot de fleurs qui se renverse.

Pourquoi un tel humour du désespoir? Vallès écrit en banni. Depuis 1871, le communard, ex-journaliste, vit en exil à Londres. Il relit Dickens, si simple, si familier. Cette liberté, appelée de ses vœux en politique, il va l'appliquer en littérature. Déjà, en 1865, il éreintait Balzac et Sand, qui voient la nature avec « des verres grossissants ». Aux fronts trop grands, il préfère les Petit Chose tragi-comiques. Il est contre l'objectivité, mais pour le « je» vivant, turbulent. Contre les humanités - il faut voir comment il se moque de ses professeurs - et pour une syntaxe moderne, qui fait exploser la langue. À sa parution, on cria à l'ingratitude familiale. Seul Zola salua l'importance littéraire de ce grand récit, qui dit «  je» avec une telle insolence. « Quelle joie pour une mère de sentir son fils à sa portée et de se dire : c'est lui, c'est mon enfant, mon fruit, cette joue est à moi - clac ! » À l'heure où les mères congèlent leurs rejetons, Vallès rappelle, avec une ironie féroce, quelques droits de l'enfant.

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Ce succès incita Jules Vallès à continuer le récit, à la première personne, de la vie de son héros, depuis son arrivée au quartier Latin jusqu'à l'écrasement de la Commune. Deux autres livres s’ajoutèrent donc :

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Le bachelier”

(1881)
Roman
Après son échec au baccalauréat, Vingtras fait sa malle et part pour Paris afin d’y tenter la fortune : «Vingt-quatre sous, dix-sept ans, des épaules de lutteur, une voix de cuivre, des dents de chien, la peau olivâtre, les mains comme du citron et les cheveux comme du bitume». Mais sans métier, c’est dur. Il ne trouve pas de travail pour la raison bien simple que, quoiqu’il advienne, il a résolu de défendre ses intérêts, de faire preuve d'intransigeance sur les questions de principes, d’être susceptible en matière d’honneur : «J'ai dix ans de colère dans les nerfs, du sang de paysan dans les veines, l'instinct de révolte... ne voyant la vie que comme un combat, espèce de déserteur à qui les camarades même hésitent à tendre la main, tant j'ai des théories violentes qui les insultent et qui les gênent; ne trouvant nulle part un abri contre les préjugés et les traditions qui me cernent et me poursuivent comme des gendarmes». Aussi connaît-il les pires tribulations, cette rigidité étant la cause principale de sa grande instabilité professionnelle. Il exerce divers petits métiers alimentaires, tous plus ingrats et humiliants les uns que les autres : le journalisme, le commerce, la publicité. Aucune de ces occupations ne lui donne d’ailleurs de quoi subsister. L’atmosphère de Paris ajoute à sa détresse : il participe en spectateur à la brève révolution de 1848, durement matée par Cavaignac. Il en approuve certains aspects, et se construit une méthode d'action : le système politique français étant mauvais, il décide de l'attaquer sur le plan idéologique. Sa prose, d'une qualité certaine, lui permet de devenir journaliste politique. Cette activité lui convient, mais la virulence de ses articles lui vaut vite des déboires. Nul journal, en effet, ne le garde suffisamment longtemps pour qu'il puisse y exprimer totalement ses opinions iconoclastes. Il s’oppose au coup d’État de Napoléon III, le 2 décembre 1851, et au pouvoir du Second Empire, manifeste au Quartier latin, échafaude avec ses amis mille projets révolutionnaires. Il se solidarise avec les miséreux. La Commune se profile à l'horizon. En attendant il faut vivre : même s’il déteste l’enseignement plus que tout au monde : il est pion dans divers pensionnats et, en fin de compte, échoue dans une crèche. Sachant manier la plume, il revient au journalisme. Mais, à chaque porte, il se casse le nez. Dans la prese politique, la hardiesse de ses idées lui suscite des difficultés. Comment ne se méfierait-on pas d’un homme qui attire la foudre partout où il met les pieds? Son génie, en somme, ne peut que le desservir. Il retombe un temps dans la misère et, par chance, trouve un emploi dans une mairie parisienne. Pour la première fois de sa vie, le malheureux pourra étourdir la grosse faim. Mais des annnées passent sans qu’il puisse améliorer sa condition.
Commentaire
Dans ce deuxième volume autobiographique, l'écriture est toujours aussi enflammée et pleine d'humour. Le bachelier s'est métamorphosé en insurgé. Il exècre Napoléon III mais ne croit plus que le tyrannicide soit un remède efficace. Ce qu’il faudrait tuer, songe-t-il, c’est tout le mal engendré par la question sociale. L'un des premiers parmi les écrivains français, Vallès a souligné avec force le danger que constitue, au sein de la société, la présence d'un prolétariat intellectuel. Par réaction contre le romantisme douceâtre et la gaîté facile de la bohème bourgeoise de Murger, il brossa des portraits de déclassés, victimes de leur éducation et du mirage de la gloire littéraire. Pour avoir cru naïvement au prestige des diplômes, la plupart de ces irréguliers avaient quitté leur province natale, où ils se fussent fait un nom peut-être, où ils eussent vécu dignement, en tout cas. Mais ils avaient préféré monter à Paris, leur parchemin en poche, et le cœur gonflé d'illusions. Or, bientôt, de déception en déception, ils s'abîmaient dans les bizarreries et l'abrutissement, avant d'être mordus par la faim ou acculés au suicide. Ces «misères savantes» émurent Vallès d'autant plus qu'elles lui révélaient la déchéance dans laquelle il eût sombré, n'eut été son orgueil farouche et sa ténacité. C'était poser le problème redoutable de l'ascension sociale ; c'était s'inquiéter du rôle des intellectuels et des forts-en-thèmes dans la Cité future.

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L’insurgé”

(posthume, 1886)
Roman
Jacques Vingtras, animé d’un esprit de révolte, très impliqué dans les mouvements socialistes, prend fait et cause pour la Commune de Paris qui l'enthousiasme. Il en devient l’un des membres les plus influents et les plus acharnés. Il participe à la semaine effroyable quand l’armée des Versaillais pénètre dans Paris, que se livre une guerre de barricades, que sont allumés des incendies et que sont massacrés des otages. En fin de compte, Thiers est maître de la situation. Vingtras se croit tout de bon perdu : «Je m’imagine que nous n’avons plus que quelques heures devant nous pour embrasser ceux que nous aimons, bâcler notre testament et nous préparer à faire bonne figure devant le peloton d'exécution.» Par miracle, il peut y échapper, parvient à quitter la capitale, prend le large. Regardant alors le ciel du côté de Paris, il est frappé par sa couleur : «On dirait une grande blouse inondée de sang». C’est sur ces mots que se termine le livre.

 

Commentaire
Les sentiments de Vingtras y sont portés à leur comble. Étant homme de parti, Vallès se soucia moins de penser juste que de frapper les esprits.

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Le proscrit”

(posthume)
C’est la corespondance adressée par Vallès à cet autre réfractaire, Arthur Arnould.

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L’oeuvre de Jules Vallès est donc restée une trilogie intitulée “Jacques Vingtras”. Elle est largement autobiographique, car, lorsqu'on a passé au crible la vie de l'auteur, on constate que les faits relatés dans la trilogie ont été vraiment vécus. Arthur Ranc, l'ancien camarade du bachelier, affirmait en 1905 : «Il n'y a pas, à ma connaissance, de faussetés dans les volumes Vingtras, tout au plus quelques exagérations sans importance». En fait, il a pris des libertés avec la chronologie, et, de plus, il a pratiqué des omissions non négligeables, faites sciemment, tantôt pour assombrir davantage l'atmosphère de “L'enfant” et du “Bachelier”, tantôt pour éviter de froisser l'amour-propre de certains contemporains, comme ce fut le cas, dans “L'insurgé”, pour les survivants de la Commune, car Vallès fut toujours moins sévère pour autrui que pour lui-même.

La trilogie trouve son fil conducteur dans la personnalité dynamique qui relie les trois ouvrages, leur confère une unité à la fois psychologique et dramatique. Le portrait du héros principal est brossé de main de maître : portrait physique, intellectuel, moral et politique, sans cesse repris ou retouché par l'artiste parce que la vie y circule avec une intensité étonnante. Le destin de Jacques Vingtras s'y dessine dans une sorte de crescendo dramatique, sous la pression d'une implacable logique, interne et externe, psychologique et sociale tout ensemble. On peut parler d’un véritable mouvement épique qui, douze cents pages durant, faiblit à peine en quelques endroits.

Le récit, au présent, est rapide, direct. Les dialogues sont concis comme des assauts d'esprit, cruels ou meurtriers comme des passes d'armes. Il respecte la loi d'alternance du dramatique et du comique, étonnant le lecteur par la drôlerie naïve, primesautière, de trouvailles amusantes comme tout, de coups de couleur violente et gaie, de tourbillonnantes, d'étincelantes, de furieuses visions au fusain.

La trilogie, qui a une valeur documentaire exceptionnelle, relève aussi du roman social, faisant le pont entre le romantisme révolutionnaire des “Misérables” et le réalisme truculent de Zola et d'Huysmans première manière. On peut même considérer la Misère comme le personnage central de la trilogie.

On a dit et répété qu'il n'y avait chez Vallès aucune idée originale, aucune pensée féconde. Certes, on y trouve peu de variété. Jacques Vingtras lui-même en convient, avec un excès de modestie qui nous paraît suspect : «Rien que MES idées À MOI, c'est terrible ! Des idées comme en auraient un paysan, une bonne femme, un marchand de vin, un garçon de café !» L'œuvre de Vallès, c'est «l'envers de l'esprit philosophique ou scientifique, lequel voit les choses par formules». Il est l'ennemi déclaré du livresque, des abstractions ou des systèmes. Il ne parle que de ce qu'il a vu ou vécu, et c'est dans son expérience personnelle qu'il puise la substance de ses écrits. Cela limite la valeur purement intellectuelle de son œuvre ; mais cela explique aussi qu'elle ait moins vieilli que tant d'ouvrages à prétentions philosophiques.

La trilogie marque l'apogée chez Jules Vallès d'un art étrangement personnel et néanmoins classique. Certains voient en lui un romantique altardé. Il l’était de tempérament, sans doute, mais point d'esthétique. Romantique par son lyrisme, réaliste par la vérité implacable de ses observations, très moderne de ton, vivant toujours, il possède en outre les qualités majeures de nos classiques : la concision el le naturel. La trilogie mérite, du fait de sa singulière originalité, de prendre place parmi les chefs-d'œuvre de la littérature française.

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Jules Vallès ne regagna Paris qu’en 1880 où il décéda le 14 février 1885.
Il a souffert presque toute sa vie du sentiment d’être un exclu.

Révolté par les injustices de la société bourgeoise et de l’éducation qu’elle dispense, il n’avait pas prétendu à l’objectivité mais avait rédigé en un style instantané, vif, enrichi d’images inattendues et avec une syntaxe parfois déconcertante, des oeuvres dont le réalisme, par sa violence, est souvent saisissant et parfois animé d’un lyrisme révolutionnaire.

Aussi connut-il encore un exil posthume, le plus injuste de tous les purgatoires littéraires : on ne le lisait pas, on évitait de parler de lui, on le citait du bout des lèvres. Ce formidable empêcheur de danser en rond, qui ne négocia jamais sur l’essentiel, gênait par sa conviction acharnée. La conscience bourgeoise demeurait sourcilleuse et s'interdisait de parler la même langue que les insurgés ou de ceux-là que la liberté (la vraie) rend avides. Les politiques disent qu'il lui arriva de se tromper ; c’est qu’il voulait aller plus vite et plus loin sans s'embarrasser de théories, ces sortes de nuages de l'intelligence, méprisant tous les cultes, fussent-ils ceux de la gauche. D’ailleurs, il ne fut pas un vrai polémiste, car le polémiste est un logicien passionné qui s'attaque de préférence aux idées de l'adversaire, les analyse, les dissèque, les réfute, ce qui suppose une philosophie (ou du moins une doctrine) et de la ténacité. Il fut un pamphlétaire, c’est-à-dire un émotif, voire un instinctif, qui crie ses colères ou ses mépris, menace ou vitupère. Mais, cela dit, il reste que Vallès fut un des maîtres du journalisme. Il forma une légion d'élèves (parfois ingrats) ou de disciples ; et, soit dans ses propos, soit dans sa correspondance, il formula à leur intention une véritable esthétique du journalisme moderne.

En fait, Vallès fut un vivant considérable, toujours en mouvement, livré aux appétits du corps, soucieux avec humour d'une nourriture épaisse et savoureuse, bouillant, et plus souvent qu'à son tour brouillon : il éleva au sommet les caractères, mais se moqua des suiveurs. Et c’est un écrivain remarquable, jouisseur du bien écrire, novateur en diable, tant sur le plan du style et de la conception romanesque que sur le terrain du bon usage ou de l'utilité des lettres.
André Durand

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