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La Bibliothèque électronique du Québec est la propriété exclusive de Jean-Yves Dupuis. 1 Ce que nous appelions, je ne sais pourquoi, un village est un chef-lieu de canton auquel le Guide Joanne donne près de 3000 habitants. 1 J’avoue que certain emploi de l’imparfait de l’indicatif – de ce temps cruel qui nous présente la vie comme quelque chose d’éphémère à la fois et de passif, qui, au moment même où il retrace nos actions, les frappe d’illusion, les anéantit dans le passé sans nous laisser comme le parfait la consolation de l’activité – est resté pour moi une source inépuisable de mystérieuses tristesses. Aujourd’hui encore je peux avoir pensé pendant des heures à la mort avec calme ; il me suffit d’ouvrir un volume des Lundis de Sainte-Beuve et d’y tomber par exemple sur cette phrase de Lamartine (il s’agit de Mme d’Albany) : « Rien ne rappelait en elle à cette époque... C’était une petite femme dont la taille un peu affaissée sous son poids avait perdu, etc. » pour me sentir envahi aussitôt par la plus profonde mélancolie. – Dans les romans, l’intention de faire de la peine est si visible chez l’auteur qu’on se raidit un peu plus. 1 On peut l’essayer, par une sorte de détour, pour les livres qui ne sont pas d’imagination pure et où il y a un substratum historique. Balzac, par exemple, dont l’œuvre en quelque sorte impure est mêlée d’esprit et de réalité trop peu transformée, se prête parfois singulièrement à ce genre de lecture. Ou du moins il a trouvé le plus admirable de ces « lecteurs historiques » en M. Albert Sorel qui a écrit sur Une ténébreuse affaire et sur L’Envers de l’histoire contemporaine d’incomparables essais. Combien la lecture, au reste, cette jouissance à la fois ardente et rassise, semble bien convenir à M. Sorel, à cet esprit chercheur, à ce corps calme et puissant, la lecture, pendant laquelle les mille sensations de poésie et de bien-être confus qui s’envolent avec allégresse du fond de la bonne santé viennent composer autour de la rêverie du lecteur un plaisir doux et doré comme le miel. – Cet art d’ailleurs d’enfermer tant d’originales et fortes méditations dans une lecture, ce n’est pas qu’à propos d’œuvres à demi historiques que M. Sorel l’a porté à cette perfection. Je me souviendrai toujours – et avec quelle reconnaissance – que la traduction de La Bible d’Amiens a été pour lui le sujet des plus puissantes pages peut-être qu’il ait jamais écrites. 1 Cet ouvrage fut ensuite augmenté par l’addition aux deux premières conférences d’une troisième : « The Mystery of Life and its Arts ». Les éditions populaires continuèrent à ne contenir que « des Trésors des Rois » et « des Jardins des Reines ». Nous n’avons traduit dans le présent volume, que ces deux conférences, et sans les faire précéder d’aucune des préfaces que Ruskin écrivit pour Sésame et les lys. Les dimensions de ce volume et l’abondance de notre propre commentaire ne nous ont pas permis de mieux faire. Sauf pour quatre d’entre elles (Smith, Elder et Cie) les nombreuses éditions de Sésame et les lys ont toutes paru chez George Allen, l’illustre éditeur de toute l’œuvre de Ruskin, le maître de Ruskin House. 1 Sésame et les lys, Des Trésors des Rois, 6. 1 En réalité, cette phrase ne se trouve pas, au moins sous cette forme, dans Le Capitaine Fracasse. Au lieu de « ainsi qu’il appert en l’Odyssée d’Homerus, poète grégeois », il y a simplement « suivant Homerus ». Mais comme les expressions « il appert d’Homerus », « il appert de l’Odyssée », qui se trouvent ailleurs dans le même ouvrage, me donnaient un plaisir de même qualité, je me suis permis, pour que l’exemple fût plus frappant pour le lecteur, de fondre toutes ces beautés en une, aujourd’hui que je n’ai plus pour elles, à vrai dire, de respect religieux. Ailleurs encore dans Le Capitaine Fracasse, Homerus est qualifié de poète grégeois, et je ne doute pas que cela aussi m’enchantât. Toutefois je ne suis plus capable de retrouver avec assez d’exactitude ces joies oubliées pour être assuré que je n’ai pas forcé la note et dépassé la mesure en accumulant en une seule phrase tant de merveilles ! Je ne le crois pas pourtant. Et je pense avec regret que l’exaltation avec laquelle je répétais la phrase du Capitaine Fracasse aux iris et aux pervenches penchés au bord de la rivière, en piétinant les cailloux de l’allée, aurait été plus délicieuse encore si j’avais pu trouver en une seule phrase de Gautier tant de ses charmes que mon propre artifice réunit aujourd’hui, sans parvenir, hélas ! à me donner aucun plaisir. 1 Je la sens en germe chez Fontanes, dont Sainte-Beuve a dit : « Ce côté épicurien était bien fort chez lui... sans ces habitudes un peu matérielles, Fontanes avec son talent aurait produit bien davantage... et des œuvres plus durables. » Notez que l’impuissant prétend toujours qu’il ne l’est pas. Fontanes dit : « Je perds mon temps s’il faut les croire, Eux seuls du siècle sont l’honneur » et assure qu’il travaille beaucoup. Le cas de Coleridge est déjà plus pathologique. « Aucun homme de son temps, ni peut-être d’aucun temps, dit Carpenter (cité par M. Ribot dans son beau livre sur les Maladies de la Volonté), n’a réuni plus que Coleridge la puissance du raisonnement du philosophe, l’imagination du poète, etc. Et pourtant, il n’y a personne qui, étant doué d’aussi remarquables talents, en ait tiré si peu : le grand défaut de son caractère était le manque de volonté pour mettre ses dons naturels à profit, si bien qu’ayant toujours flottant dans l’esprit de gigantesques projets, il n’a jamais essayé sérieusement d’en exécuter un seul. Ainsi, dès le début de sa carrière, il trouva un libraire généreux qui lui promit trente guinées pour des poèmes qu’il avait récités, etc. Il préféra venir toutes les semaines mendier sans fournir une seule ligne de ce poème qu’il n’aurait eu qu’à écrire pour se libérer. » 1 Je n’ai pas besoin de dire qu’il serait inutile de chercher ce couvent près d’Utrecht et que tout ce morceau est de pure imagination. Il m’a pourtant été suggéré par les lignes suivantes de M. Léon Séché dans son ouvrage sur Sainte-Beuve : « Il (Sainte-Beuve) s’avisa un jour, pendant qu’il était à Liège, de prendre langue avec la petite église d’Utrecht. C’était un peu tard, mais Utrecht était bien loin de Paris et je ne sais pas si Volupté aurait suffi à lui ouvrir à deux battants les archives d’Amersfoort. J’en doute un peu, car même après les deux premiers volumes de son Port-Royal, le pieux savant qui avait alors la garde de ces archives, etc. Sainte-Beuve obtint avec peine du bon M. Karsten la permission d’entre-bâiller certains cartons... Ouvrez la deuxième édition de Port-Royal et vous verrez la reconnaissance que Sainte-Beuve témoigna à M. Karsten » (Léon Séché, Sainte-Beuve, tome I, pages 229 et suivantes). Quant aux détails du voyage, ils reposent tous sur des impressions vraies. Je ne sais si on passe par Dordrecht pour aller à Utrecht, mais c’est bien telle que je l’ai vue que j’ai décrit Dordrecht. Ce n’est pas en allant à Utrecht, mais à Vollendam, que j’ai voyagé en coche d’eau, entre les roseaux. Le canal que j’ai placé à Utrecht est à Delft. J’ai vu à l’hôpital de Beaune un Van der Weyden, et des religieuses d’un ordre venu, je crois, des Flandres, qui portent encore la même coiffe non que dans le Roger van der Weyden, mais que dans d’autres tableaux vus en Hollande. 1 Le snobisme pur est plus innocent. Se plaire dans la société de quelqu’un parce qu’il a eu un ancêtre aux croisades, c’est de la vanité, l’intelligence n’a rien à voir à cela. Mais se plaire dans la société de quelqu’un parce que le nom de son grand-père se retrouve souvent dans Alfred de Vigny ou dans Chateaubriand, ou (séduction vraiment irrésistible pour moi, je l’avoue) avoir le blason de sa famille (il s’agit d’une femme bien digne d’être admirée sans cela) dans la grande Rose de Notre-Dame d’Amiens, voilà où le péché intellectuel commence. Je l’ai du reste analysé trop longuement ailleurs, quoiqu’il me reste beaucoup à en dire, pour avoir à y insister autrement ici. 1 Paul Stapfer : Souvenirs sur Victor Hugo, parus dans La Revue de Paris. 1 Schopenhauer, Le Monde comme Représentation et comme Volonté (chapitre de la Vanité et des Souffrances de la Vie). 1 « Je regrette d’avoir passé par Chartres sans avoir pu voir la cathédrale » (Voyage en Espagne, p. 2). 2 Il devint, me dit-on, le célèbre amiral de Tinan, père de Mme Pochet de Tinan, dont le nom est resté cher aux artistes, et le grand-père du brillant officier de cavalerie. – C’est lui aussi, je pense, qui, devant Gaëte, assura quelque temps le ravitaillement et les communications de François II et de la reine de Naples. Voir Pierre de la Gorce, Histoire du second Empire. 1 La distinction vraie, du reste, feint toujours de ne s’adresser qu’à des personnes distinguées qui connaissent les mêmes usages, et elle n’« explique » pas. Un livre d’Anatole France sous-entend une foule de connaissances érudites, renferme de perpétuelles allusions que le vulgaire n’y aperçoit pas et qui en font, en dehors de ses autres beautés, l’incomparable noblesse. 2 C’est, pour cela sans doute que souvent, quand un grand écrivain fait de la critique, il parle beaucoup des éditions qu’on donne d’ouvrages anciens, et très peu des livres contemporains. Exemple les Lundis de Sainte-Beuve et la Vie littéraire d’Anatole France. Mais tandis que M. Anatole France juge à merveille ses contemporains, on peut dire que Sainte-Beuve a méconnu tous les grands écrivains de son temps. Et qu’on n’objecte pas qu’il était aveuglé par des haines personnelles. Après avoir incroyablement rabaissé le romancier chez Stendhal, il célèbre, en manière de compensation, la modestie, les procédés délicats de l’homme, comme s’il n’y avait rien d’autre de favorable à en dire ! Cette cécité de Sainte-Beuve, en ce qui concerne son époque, contraste singulièrement avec ses prétentions à la clairvoyance, à la prescience. « Tout le monde est fort, dit-il, dans Chateaubriand et son groupe littéraire, à prononcer sur Racine et Bossuet... Mais la sagacité du juge, la perspicacité du critique, se prouve surtout sur des écrits neufs, non encore essayés du public. Juger à première vue, deviner, devancer, voilà le don critique. Combien peu le possèdent. » 1 Et, réciproquement, les classiques n’ont pas de meilleurs commentateurs que les « romantiques ». Seuls, en effet, les romantiques savent lire les ouvrages classiques, parce qu’ils les lisent comme ils ont été écrits, romantiquement, parce que, pour bien lire un poète ou un prosateur, il faut être soi-même, non pas érudit, mais poète ou prosateur. Cela est vrai pour les ouvrages les moins « romantiques ». Les beaux vers de Boileau, ce ne sont pas les professeurs de rhétorique qui nous les ont signalés, c’est Victor Hugo : « Et dans quatre mouchoirs de sa beauté salis Envoie au blanchisseur ses roses et ses lys. » C’est M. Anatole France : « L’ignorance et l’erreur à ses naissantes pièces En babils de marquis, en robes de comtesses. » Le dernier numéro de La Renaissance latine (15 mai 1905) me permet, au moment où je corrige ces épreuves, d’étendre, par un nouvel exemple, cette remarque aux beaux-arts. Elle nous montre, en effet, dans M. Rodin (article de M. Mauclair) le véritable commentateur de la statuaire grecque. 1 Prédilection qu’eux-mêmes croient généralement fortuite : ils supposent que les plus beaux livres se trouvent par hasard avoir été écrits par les auteurs anciens ; et sans doute cela peut arriver puisque les livres anciens que nous lisons sont choisis dans le passé tout entier, si vaste auprès de l’époque contemporaine. Mais une raison en quelque sorte accidentelle ne peut suffire à expliquer une attitude d’esprit si générale. 1 Je crois par exemple que le charme qu’on a l’habitude de trouver à ces vers d’Andromaque : « Pourquoi l’assassiner ? Qu’a-t-il fait ? À quel titre ? « Qui te l’a dit ? vient précisément de ce que le lien habituel de la syntaxe est volontairement rompu. « À quel titre ? » se rapporte non pas à « Qu’a-t-il fait ? » qui le précède immédiatement, mais à « Pourquoi l’assassiner ? » Et « Qui te l’a dit ? » se rapporte aussi à « assassiner ». (On peut, se rappelant un autre vers d’Andromaque : « Qui vous l’a dit, Seigneur, qu’il me méprise ? » supposer que « Qui te l’a dit ? » est pour « Qui te l’a dit, de l’assassiner ? »). Zigzags de l’expression (la ligne récurrente et brisée dont je parle ci-dessus) qui ne laissent pas d’obscurcir un peu le sens, si bien que j’ai entendu une grande actrice plus soucieuse de la clarté du discours que de l’exactitude de la prosodie dire carrément : « Pourquoi l’assassiner ? À quel titre ? Qu’a-t-il fait ? » Les plus célèbres vers de Racine le sont en réalité parce qu’ils charment ainsi par quelque audace familière de langage jetée comme un pont hardi entre deux rives de douceur. « Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle. » Et quel plaisir cause la belle rencontre de ces expressions dont la simplicité presque commune donne au sens, comme à certains visages dans Mantegna, une si douce plénitude, de si belles couleurs : « Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée... « Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder. » Et c’est pourquoi il convient de lire les écrivains classiques dans le texte et non de se contenter de morceaux choisis. Les pages illustres des écrivains sont souvent celles où cette contexture intime de leur langage est dissimulée par la beauté, d’un caractère presque universel, du morceau. Je ne crois pas que l’essence particulière de la musique de Gluck se trahisse autant dans tel air sublime que dans telle cadence de ses récitatifs où l’harmonie est comme le son même de la voix de son génie quand elle retombe sur une intonation involontaire où est marquée toute sa gravité naïve et sa distinction, chaque fois qu’on l’entend pour ainsi dire reprendre haleine. Qui a vu des photographies de Saint-Marc de Venise peut croire (et je ne parle pourtant que de l’extérieur du monument) qu’il a une idée de cette église à coupoles, alors que c’est seulement en approchant, jusqu’à pouvoir les toucher avec la main, le rideau diapré de ces colonnes riantes, c’est seulement en voyant la puissance étrange et grave qui enroule des feuilles ou perche des oiseaux dans ces chapiteaux qu’on ne peut distinguer que de près, c’est seulement en ayant sur la place même l’impression de ce monument bas, tout en longueur de façade, avec ses mâts fleuris et son décor de fête, son aspect de « palais d’exposition », qu’on sent éclater dans ces traits significatifs mais accessoires et qu’aucune photographie ne retient, sa véritable et complexe individualité. 1 « Et Marie dit : « Mon âme exalte le Seigneur et se réjouit en Dieu, mon Sauveur, etc. – » Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit et il prophétisa en ces mots : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël de ce qu’il a racheté, etc. » « Il la reçut dans ses bras, bénit Dieu et dit : « Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix... » 1 À vrai dire aucun témoignage positif ne me permet d’affirmer que dans ces lectures le récitant chantât les sortes de psaumes que saint Luc a introduits dans son évangile. Mais il me semble que cela ressort suffisamment du rapprochement de différents passages de Renan et notamment de saint Paul, pp. 257 et suiv. ; les Apôtres, pp. 99 et 100, Marc-Aurèle, pp. 502-503, etc. |
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