Surtout ‘’Roman’’, ‘’Le dormeur du val’’, ‘’Ma bohème’’, ‘’Voyelles’’







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L’éclair
Voir RIMBAUD - ‘’L’éclair’’

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Matin
Rimbaud avait peut-être primitivement songé à clore par ce texte sa relation d'’’Une saison en enfer’’Aujourd'hui, je crois avoir fini Ia relation de mon enfer. C’était bien l’enfer ; l’ancien, celui dont le fils de l’homme ouvrit les portes. », dit-il. Si, parvenu au seuil de la démence (« Je ne sais plus parler »), usé par des excès de toute sorte, Rimbaud se livre à un douloureux retour sur lui-même, le texte se termine cependant sur une note relativement optimiste, et le ton en est las, mais plus calme que dans le précédent.

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Adieu
Cet ‘’Adieu’’ plein de désenchantement, vraie sortie de l'enfer (« Tous les souvenirs immondes s'effacent »), a longtemps été considéré comme l'adieu final de Rimbaud à la littérature. Il n'est pas impossible que Rimbaud ait cru qu'il allait vraiment abandonner la littérature et qu'il ait donné à cet adieu une forme littéraire ; de tels « adieux» sont fréquents de la part d'écrivains : adieux de Byron à la Muse, adieux à la poésie terminant les ‘’Méditations’’ de Lamartine, dernière pièce d'’’Espana’’ de Gautier. Même quand ils sont sincères, ils sont, le plus souvent, trompeurs. Mais, en réalité, est-ce vraiment à toute idée de littérature que Rimbaud dit adieu, ou seulement à une certaine forme de littérature? Quelle est cette « belle gloire d'artiste et de conteur» qu'il se propose d'enterrer? On a admis qu'il faisait allusion aux « illuminations » déjà écrites ; mais le terme de conteur ne convient guère à l'auteur des ’’Illuminations’’ (où figure un seul conte, le texte qui porte ce titre). En revanche, peut-être le « conteur» est-il celui qui, naguère, se proposait de « conter », en marge de l'Évangile, la vie de Jésus, peut-être aussi le « maître en fantasmagories » qui faisait des « contes» mensongers. « L'artiste », c'est pour lui celui qui a eu recours à des procédés artificiels, « magies, parfums faux, musiques puériles» comme il le dit dans ‘’Nuit de l'enfer’’. Cet art que Rimbaud reniait a un double aspect : d'une part, incontestablement, il est en rapport avec la tentative de voyance qu’il décrivit dans ‘’Alchimie du verbe’’, tentative pour arriver à « l'inconnu» par la pratique de l'hallucination ; d'autre part, il fait appel à des procédés « magiques » et artificiels, «musiques puériles », rythmes naïfs, et aussi, dit le brouillon d'’’Alchimie du verbe’’, « élans mystiques et bizarreries de style» qu’il considérait comme du passé. Ce sont, dit-il dans ‘’Nuit de l'enfer’’, des « erreurs qu'on me souffle ». Qui est cet « on »? Rimbaud n'en voulait-il pas à Verlaine et à ses procédés artistiques : naïveté apparente, « musique» puérile, rythmes de chansons - en un mot, tous les procédés dont il a usé lui-même dans ses derniers vers, probablement sous l'influence de son ami? On peut penser qu’estimant à présent que « l'art est une sottise» (dit-il dans son brouilIon), il renonça à ces procédés « incantatoires » pour rechercher la vérité (le mot revient à plusieurs reprises dans ‘’Une saison en enfer’’) : « la vérité dans une âme et un corps ». Il cita, avec raillerie et désinvolture, ses derniers vers, sans même se soucier d'en conserver le rythme exact ; et il dit adieu, cette fois définitivement, à la « vieillerie poétique» : pour ce qu'il fallait désormais, c'était être « absolument moderne ». Il ne sera pIus question après ‘’Une saison en enfer’’, de « voyance» ni de «pouvoirs surnaturels ».

Mais Rimbaud semble plutôt, ici, dire adieu à sa tentative magique, aux formes versifiées qu'il a citées dans ‘’Alchimie du verbe’’, peut-être aussi à certaines proses écrites pendant la période de « voyance » : «J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi !, moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! », paragraphe qui semble annoncer le Rimbaud en Abyssinie.

Le damné peut, à la fin d’’’Une saison en enfer’’, malgré les voltes-faces et les palinodies qui en brouillent parfois le sens, affirmer « que la victoire m'est acquise » : elle est fondée sur son arrachement progressif aux illusions dont son enfer était fait. « Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. » On reconnaît là une partie de la liste de marginaux de la société citée dans "L'éclair". Les « arriérés de toutes sortes » sont probablement les nostalgiques de l'éternité et du salut chrétien, ceux qui, comme le Prince de "Conte", s'obstinent à poursuivre, par quelque reste d'« aberration de piété », la quête « du désir et de la satisfaction essentiels ».

Ce texte est en même temps un adieu à Verlaine, qui paraît désigné sous le couvert d'une allusion prudente à « l’enfer des femmes ». La clé de l'énigme de cet adieu qui allait être définitif serait que Rimbaud n’était pas amoureux, et, par conséquent, pas vraiment poète. Le mystère persiste de ce désabusement.

‘’Une saison en enfer’’ s'achève donc sur un émouvant ‘’Adieu’’. Cet orgueilleux conçoit maintenant le prix de l'humilité, ce révolté aspire à une communion humaine : « J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher et la vérité rugueuse à étreindre ! Paysan ! - Suis-je trompé? la charité serait-elle la sœur de la mort pour moi? Enfin je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons. Mais pas une main amie ! et où puiser le secours? »

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Commentaire sur le recueil
Il contient neuf proses poétiques, titrées (sauf la première) et non numérotées (sauf la quatrième, dédoublée en ‘’Délires I. Vierge folle’’ et ‘’Délires II. Alchimie du verbe’’), comportant chacune un nombre variable de proses ou de vers.

Il relate, sur le mode de la confession à la première personne, l’expérience d’une vie de bohème, d’une expérience poétique autant vitale que tenue pour provisoire et infernale. Adressé à Satan, celui « qui aim[e] dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives», ce « carnet de damné» retrace, selon une courbe ascendante (‘’Mauvais sang’’, ‘’Nuit de l'Enfer’’), et jusqu'à son paroxysme (‘’Délires I et Il’’, ‘’L'impossible’’), l'itinéraire d'un sujet en proie à toutes les contradictions de son être et de son temps, pour finir sur une note plus apaisée d'espoir (‘’L'éclair’’, ‘’Matin’’) et de résolution franche : « Il faut être absolument moderne. » (‘’Adieu’’). Les pages de cette autobiographie poétique flamboient d'une fureur et d'un désespoir sauvages. Ce n’est que fureur, tension, brisure des énergies, déchaînement des éléments qui bousculent l’âme et la cognent au mur insupportable du monde, des égoïsmes du monde. Ce journal intime de reniements et de quêtes successives, esthétiques et éthiques, d’une ambition désespérée et de son échec est une œuvre grave.

Au-delà des réminiscences autobiographiques qui l’émaillent, le recueil présente une unité complexe de thèmes, proférés sur un ton qui tout ensemble tient du cri de révolte et du pardon. Les neuf poèmes font alterner des motifs hallucinés et obsessionnels qui vont de la damnation au châtiment, de la soumission à la domination, de l'humilité à l'orgueil, de la raison à la folie, dans une dualité qui frise le vertige : « J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais les vertiges. » (‘’Délires II. Alchimie du verbe’’). L'écriture tire largement parti d'une oralité spontanée et débridée ; multipliant les hachures, regorgeant de métaphores dans un phrasé saccadé (« Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse ! »), elle se conforme au dessein rimbaldien de toucher au plus près d'une sensibilité à vif et d'une sincérité à fleur de peau.

‘’Une saison en enfer’’ s'est abondamment prêtée à l'exégèse biographique. On a voulu tirer dans les sens les plus opposés ses déclarations, souvent avec une violence partisane qui n'emporte pas la conviction.

Bon nombre de critiques ont vu dans ce livre suffisamment d'allusions aux amours orageuses avec Verlaine, le « compagnon d'enfer» (‘’Délires I. Vierge folle’’), et même à l'incident de Bruxelles (« le dernier couac» du « prologue ») pour en faire le livre de tous les désaveux et du renoncement à la littérature.

D'autres y ont lu la manifestation d'un « mystique à l'état sauvage» (Claudel, préface à l'édition des ‘’Œuvres’’, 1913), d'un chrétien repenti. Deux choses semblent incontestables :

- D'abord, à la suite du drame de Bruxelles, iI a été tenté par un retour à la foi de son enfance : « Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue si puissante », dit-il dans ‘’L'éclair’’ ; et dans ‘’Nuit de l'enfer’’. « J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes ! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je? » Mais ce n'était là qu'une « Fausse conversion» (c'est le titre donné dans un brouillon à ‘’Nuit de l'enfer’’).

- La seconde constatation qu'entraîne une lecture impartiale d'’’Une saison en enfer’’ est que Rimbaud revint aux idées païennes qu'il exprima dans ‘’Mauvais sang’’, et il éprouva même une violente rancune contre le christianisme qui ne lui assurait, s'il y croyait, que l'enfer pour ses péchés : «Je suis esclave de mon baptême... L'enfer ne peut attaquer les païens. » (‘’Nuit de l'enfer’’) L'accent saisissant de ce texte vient de ce que c'est un damné qui parle, et qui se sait damné. Mais cette vision épouvantable de l'enfer semble n'avoir hanté Rimbaud qu'après son retour de Bruxelles ; le thème du damné a succédé au thème du païen innocent, accusé par le monde bourgeois d'être « une bête, un nègre », mais, en réalité, plus pur que ceux qui le condamnent, indemne de souillures et de compromissions. Tel est, ou plutôt tel voudrait être Rimbaud ; il était cesse balancé entre le mépris du monde occidental corrompu et abêti (« M. Prudhomme est né avec le Christ », écrivit-il dans ‘’L'impossible’’) et le sentiment déchirant de sa propre pureté perdue. Après avoir bafoué et renié l'Occident christianisé, auquel il opposait « la sagesse de l'Orient, la patrie primitive », il évoqua avec nostalgie, dans ‘’L'impossible’’, l'Éden d'avant la faute, et lança un appel désespéré à cette pureté qu'il n'avait pu qu'entrevoir dans une « minute d’éveil» : « Ô pureté ! pureté ! »... Et cependant, de cette crise torturante, il finit par sortir presque apaisé, et les deux derniers textes d'’’Une saison en enfer’’ sont un adieu à son enfer ; quel que soit le sens qu'on leur donne, ils affirment le retour du « damné» à la vie réelle, la volonté de réconcilier le chant des cieux, la marche des peuples et même la foi dans l'avenir : « Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides viIles. »

Enfin, certains attribuent à Rimbaud un don de prescience, ce paragraphe d'’’Adieu’’ semblant annoncer son séjour en Abyssinie : « Moi !, moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! »

Mais ‘’Une saison en enfer’’ ne saurait constituer un simple document, et apparaît bel et bien comme une étape transitoire dans la démarche poétique de Rimbaud : mettant un terme à sa première manière, elle ouvre la voie aux ‘’Illuminations’’.

Cette confession est saisissante de ton et de style. Dès qu’on l'ouvre, on est frappé par l'accent sauvage, l'allure chaotique de ces phrases brisées, hachées, avec des sursauts brusques, des revirements, des tournures familières ou elliptiques ; on a beaucoup plus l'impression d'être en présence, effectivement, d'un damné poussant des cris de fureur et de révolte que d'un artiste en train d'organiser la matière verbale en vue d'effets littéraires. Rimbaud ne dit-il pas lui-même : « On n'est pas poète en enfer »? Il renonça aux formes traditionnelles car la beauté, éphémère, était pour lui condamnée à disparaître. Il y martela la malédiction qui pèse sur la poésie en montrant l’illusion de toute «alchimie du verbe». Démultiplié en plusieurs voix, il nous entraîna dans son expérience révolutionnaire par des images éblouissantes, des refrains obsessionnels. Les accents de l’authentique souffrance se métamorphosèrent en un opéra fabuleux où le poète jouait avec son abîme.

On constate d’ailleurs, d'après les brouillons, que le texte primitif a été travaillé, repris, raturé : la phrase est devenue, presque toujours, plus brève, plus frappante, mieux rythmée. Dans le texte définitif, il n'y a pas seulement moins de mots que dans l'ébauche, mais aussi une allure, une rigueur nouvelles. Chose plus curieuse encore, Rimbaud semble parfois aller des mots à l'idée, partir d'expressions ou d'images qui s'organiseront par la suite en phrases rythmées et suggestives. En somme, il ne chercha pas à exprimer une idée de manière plus claire, plus précise, mais surtout à donner à sa phrase la pIus grande puissance d'évocation, à suggérer le plus fortement possible des visions ou des sentiments.

‘’Une saison en enfer’’ est, certes, une confession ; mais c'est en même temps une tentative littéraire. Prose lyrique et poétique, peut-être, plutôt que poème en prose ; mais oeuvre poétique, en tout cas, où certaines phrases nous frappent par leur densité, leur étonnante, leur richesse métaphorique, et se gravent dans notre mémoire.
En octobre 1873, le recueil fut publié en Belgique, par l'imprimerie Jacques Poot et Cie, à cinq cents exemplaires, à compte d’auteur, ayant été financé par Mme Rimbaud, même s’il lui demeurait hermétique. Leurs rapports avaient changé : il était un homme maintenant. À sa manière, elle aima profondément ce fils qui la fuyait, mais qui ne rompit jamais les liens avec elle, revenant à Charleville et à la ferme de Roche, et, plus tard, lui écrivant régulièrement d’Afrique. Et elle, qui n’était jamais allée dans une grande ville, n’hésita pas à se rendre à Paris pour récupérer des poèmes de son fils chez les Verlaine. 

Rimbaud envoya, avec quelle intention sarcastique? un exemplaire à Verlaine, alors en prison à Mons, accompagné d’un laconique « À P. Verlaine, A. Rimbaud » ; il en donna un exemplaire à Delahaye, un à Millot, autre ami de Charleville ; il en envoya « trois ou quatre» à Forain pour lui-même et quelques amis de Paris. Dans ‘’Les poètes maudits’’, Verlaine écrivit qu’« ‘’Une saison en enfer’’ sombra corps et biens dans un oubli monstrueux, l'auteur ne l'ayant pas « lancée» du tout. » L’accueil au livre, vendu 1 franc, fut nul. Et pour cause : le ballot de cinq cents exemplaires était resté dans I’entrepôt de l'imprimeur, Rimbaud n'ayant pu le payer. En 1901, un bibliophile les y découvrit par hasard mais ne le révéla à la Société des bibliophiles belges qu’en 1914 ; dès lors s'effondra la légende de la destruction de tous les exemplaires, répandue par Isabelle Rimbaud et son mari, Paterne Berrichon : Rimbaud a peut-être, le 1er novembre, en rentrant de Paris où, d'après le témoignage du poète Alfred Poussin, il avait entendu dans un café des consommateurs parler de lui « entre haut et bas, sinistrement, et avec une bêtise lâche», dans un sursaut de fureur, brûlé dans la cheminée de Roche tout ce qui subsistait de ses manuscrits, peut-être même le restant de ses exemplaires d'auteur (s'il en avait plus de six), mais de toute façon il n'a pu faire qu'un autodafé partiel. Cette légende était liée à celle d'un « Adieu» définitif à la littérature, qui perdit du même coup sa base la plus solide. Cette hypothèse, qui oblige à admettre que les ‘’Illuminations’’ étaient alors composées et qu'‘’Une saison en enfer’’ est la dernière oeuvre de Rimbaud, demande à être examinée sans prévention.

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À l’automne 1873, Rimbaud s’installa à Paris. Mais tous ses anciens amis lui tournèrent le dos : pour eux, il était l’indigne emprisonneur de Verlaine. Cependant, il se lia d’amitié avec le jeune poète Germain Nouveau.

L’échec d’‘’Une saison en enfer’’ le fit douter de sa poésie, de lui.

Au printemps 1874, un autre séjour à Londres, à Argyle square, avec Germain Nouveau, ne calma pas son anxiété. Son ami l’encouragea à écrire encore des ‘’Illuminations’’, l’aida à recopier les anciennes. Pour des raisons inconnues, Germain Nouveau dut quitter Londres ; Rimbaud perdit alors toute force, appela au secours. Vitalie, qu’il appelait désormais la « Mother », accourut avec sa fille. Il retrouva la santé : le mal était bien moral, la gangrène du renoncement le rongeait déjà. Près d’elles, il était très doux, très attentionné, cherchait du travail. Il avait vingt ans, et n’écrirait plus un poème.

Le trente et un juillet au matin, il partit, ayant obtenu une place de précepteur, à Scarborough, une ville d’eau très « fashionable» alors, à 380 km de Londres. Les deux femmes étaient tristes, lui aussi. Quelques mois plus tard, il fut, croit-on, professeur de français à Reading. À la fin novembre 1874, il fut à Charleville. Seule solution au sentiment de l’échec de sa vie, il n’y avait pour lui que la marche, l’épuisement du corps pour anéantir l’esprit. Il partit pour oublier, pour s’oublier, au cours de cinq années d’errances à corps perdu dans des périples incroyables dont ses amis, ne pouvant en suivre toutes les étapes, s’en inventaient dans des caricatures qu’ils s’envoyaient.

En janvier 1875, il fut précepteur à Stuttgart où Verlaine vint le voir. Il écrivit à un de ses amis : « Verlaine est arrivé l’autre jour ici un chapelet aux pinces… Trois heures après, on avait renié son Dieu, et fait saigner les 98 plaies de N.S.. Il est resté deux jours et demi. » Verlaine lui présenta son recueil, ‘’Sagesse’’, que Rimbaud parcourut d’un regard cynique, d’où une nouvelle dispute. Ce fut la fin : les deux amants infernaux n’allaient plus se revoir. Puis Rimbaud partit à pied pour la Suisse et l’Italie ; en mai, il se trouva à Milan où il tomba malade et fut hébergé (dit Delahaye) par une « dame charitable» qui habitait « 2, piazza dei Duomo », cette dame que Verlaine appela une « vedova molto civile » ; mais, se sentant captif de l'amour comme l'« oiseau bleu » de la légende, il se serait enfui un matin de juin. Il s’écroula à Livourne, victime d’une insolation, et, le 15 juin, le consulat lui fournit les moyens de revenir en France.

Il rentra à Charleville où l’attendait une épreuve violente, traumatisante : sa sœur, Vitalie, qui était sa préférée, était très malade, et, impuissant, il la vit mourir à l’âge de seize ans, le 18 décembre 1875. De rage et de désespoir, il se rasa le crâne. Mais il continua son étude des langues (espagnol, arabe, italien, etc.) car, pour sortir du malheur, il lui fallut repartir dès les beaux jours sans qu’il y ait dans cette fuite aucun arrêt car ce serait songer, et songer serait mourir. Au cours de l'été, il faillit s'enrôler en Espagne dans l'armée carliste. En octobre, il songea à passer un « bachot» ès sciences (voir la lettre à Delahaye, 14 octobre 1875).

De nouveau en voyage, il fut, à Vienne, détroussé par un cocher, et se fit rapatrier. Il repartit pour Bruxelles puis les Pays-Bas. Lui l’antimilitariste s’engagea, le 10 juin, dans l’armée coloniale des Indes néerlandaises. C’était pour le beau voyage : Gibraltar, Naples, Suez, la mer Rouge, Aden, Padang, Batavia (aujourd’hui, Djakarta, où il débarqua le 27 juillet),  Semarang, Salitaga enfin au cœur de la jungle, dans ce qu’il appela des pays « poivrés et détrempés » (‘’Démocratie’’ dans les ‘’Illuminations’’). À peine arrivé, en août, il déserta et, à bord d’un voilier anglais, revint par le Cap, Sainte-Hélène, Ascension, les Açores, l’Irlande, l’Angleterre, Paris. Pour Noël 1876, il était à Charleville. Dès les premiers beaux jours de 1877, il repartit vers le nord cette fois : Brême, Hambourg (où la température était particulièrement clémente en février [d’où « cette chaude matinée de février’’ dans ‘’Ouvriers’’ des ‘’Illuminations’’]), le Danemark, la Suède. Sa trace se perdit en Norvège, où il s’évanouit dans la nature.

Puis il fut à Marseille, parti en direction d’Alexandrie. Il vit peut-être Rome. Mais la maladie l’empêcha de poursuive son voyage, et il rentra à Roche où il passa un été difficile, ne tenant pas en place. Le 20 octobre 1877, il partit de nouveau, franchit à pied les Vosges, la Suisse, le Saint-Gothard, atteignit Gênes, puis Alexandrie, enfin Chypre où il travailla un temps pour l’administration britannique puis devint chef de chantier dans une carrière au bord de la mer, à Lanarca. Le dur travail physique lui donnait le courage de croire encore à sa vie. Mais une fièvre typhoïde l’obligea à venir se reposer à Roche en 1879. Cependant, il retourna à Chypre, et, un an plus tard, fut chef du chantier de la construction de la résidence d’été du gouverneur anglais, en pleine forêt. Y eut-il meurtre ou simple rixe? En tout cas, il se sauva de l’île, passa le canal de Suez tout neuf. En dépit de la chaleur torride, il chercha du travail « dans tous les ports de la Mer Rouge ». À Aden, il trouva un petit emploi : chef d’un atelier du tri du café dans la compagnie Mazeran, Vianney et Bardey, spécialisée dans le commerce des peaux et du café.; c’était mieux que rien. Aden est un rocher tanné par le soleil, le cœur d’un ancien volcan : il ne s’y trouve pas un brin d’herbe, pas une source d’eau douce (alors que « l’enfer de la soif » l’a toute sa vie torturé !) et l’ennui est garanti. L’exotisme de ce monde nouveau où se côtoyaient Asiatiques, Indiens, Somalis, Éthopiens, Juifs, Arabes, l’intéressa. Et il appréciait le fait que personne ne savait qui il était, que personne ne pouvait le savoir. Les seules aventures du lieu étaient celles que rapportaient les voyageurs qui faisaient escale.

En face d’Aden, c’était l’Afrique inconnue où vibrait le mystère, la pureté rêvée de sa poésie. Il convainquit son employeur de le laisser partir pour s’occuper de la succursale de Harrar. Il débarqua à Weilan, dans les premiers jours de novembre 1880. Il lui fallut louer des chameaux, recruter des chameliers, négocier avec Abou Bacre, l’homme tout-puissant de la côte. Puis ce fut la piste, le désert, la montée vers Harrar, quatre cents kilomètres par des paysages surprenants peuplés de hordes sauvages. Soudain, il connut le ravissement mérité : après des semaines d’effort, au détour du chemin, lui apparut Harrar, quatrième ville sainte de l’Islam, trente-cinq mille habitants, mille maisons en dur, une enceinte fortifiée de cinq portes, cinq cents minarets d’où s’égrénaient les appels à la prière aux heures prescrites.

Le travail consistait à échanger des cotonnades, des bimbeloteries, des outils, des casseroles, contre de l’ivoire, des plumes d’autruche, de l’or, des peaux, de la civette et, bien sûr, du café. Pour se distraire, il fit venir, en 1882, un appareil photographique, prit alors de rares vues de Harrar, un peu floues et, surtout, quelques autoportraits qu’il envoya à sa famille pour qu’elle ne l’oublie pas, qu’elle se rappelle sa figure. Sur ces clichés jaunis, il paraît l’ombre de lui-même.

Dix ans allaient être occupés à des allers et retours incessants entre Aden et Harrar. Puis il commença à être de nouveau insatisfait, disant : « Je veux de l’or. », l’écrivant même à sa famille. Mais rien n’est moins sûr, rien n’est moins vrai. N’était-ce pas une manière d’armure, de protection, pour éviter les questions des curieux, pour éviter lui-même de penser trop, de souffrir?

En 1883, Verlaine publia dans ‘’Lutèce’’ une étude sur Rimbaud qu’il reprit l’année suivante dans ‘’Les poètes maudits’’.

En 1884, Rimbaud fut tenté par l’aventure du trafic d’armes. Il s’associa à un certain Labatut, s’installa à Tadjoura pour préparer l’expédition, son projet étant d’apporter deux mille fusils et soixante mille cartouches à Menelik, roi du Choa. Les autorisations et les interdictions de débarquement d’armes sur ce territoire français se succédant, l’attente fut insupportable au milieu de nulle part, pendant une année de tergiversations. Puis, au moment où tout semblait prêt, Labattue mourut. Puis son nouvel associé décéda. Pour lui, il avait assez tergiversé : il partit seul, accompagné de Djani, son serviteur. La caravane d’une centaine de chameaux s’ébranla. Le voyage devait durer quelques semaines ; il prit quatre mois dans un enfer, par les paysages les plus inhospitaliers du monde, parmi des tribus hostiles et barbares, pour un résultat décevant. En effet, Menelik, plus habile négociateur que lui, l’envoya se faire payer à Harrar où on lui donna une traite d’un commerçant de Massawa sur la Mer Rouge. Il s’y rendit, mais on l’arrêta parce qu’il n’avait pas de papiers. Il se fit établir un passeport par le consul de France.

Au Caire, il déposa ses fonds dans une banque, se reposa, écrivit un article pour ‘’Le Bosphore égyptien’’. Mais l’inaction était pour lui le pire des états. Il lui fallait partir à nouveau. Il songea à gagner Zanzibar. Finalement, il revint à Harrar, après une étape à Aden. Après des velléités, il monta une nouvelle caravane d’armes, mais le projet avorta. Il s’installa à son compte. Son existence s’enfouit alors dans les comptes, les petits trafics, les préoccupations d’épicier et de quincaillier, l’ennui, l’abrutissement simple.

Alors que cette vie-là s’enfonçait dans une désespérante léthargie, l’autre vie, celle de l’œuvre du poète Arthur Rimbaud, dont on ne savait trop à Paris s’il était mort ou vivant quelque part, suscitait une curiosité grandissante, une véritable fièvre. En 1886, les milieux symbolistes et décadents, en mal de chefs de file, décidèrent de le publier, et parut dans ‘’La vogue’’, probablement à son insu, ‘’Une saison en enfer’’ et de larges extraits des ‘’Illuminations’’, lesquelles parurent en plaquette, précédée d’une notide de Verlaine, la même année :

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