L’analyse du sujet
•la composition du sujet (voir fiche [2])
La consigne est composée de deux paragraphes, le premier constitue le sujet proprement dit tandis que le second rappelle les spécificités méthodologiques de la dissertation : vous devez vous appuyer sur des exemples sans vous retreindre aux textes du corpus.
Le sujet lui-même comprend deux phrases : une citation de Bonnefoy (texte A) puis une question tirée de cette affirmation. La reprisé du mot « espoir » montre bien que la question (le sujet) est là pour expliciter la citation et vous aider à dégager le problème qu'elle soulève.
La lecture du sujet (voir fiche [31])
Pour éviter le hors-sujet et approfondir la réflexion, les mots de la consigne doivent être examinés de près.
« Chercher jusqu'à son dernier souffle » : cette expression hyperbolique qui personnifie la poésie souligne l'importance de la mission qui lui est confiée ; la poésie semble même se définir (son essence, c'est son souffle) par cette fonction. « Fonder un espoir » : la poésie nourrit l'espoir ; elle le rend possible. « Représenter un espoir pour l'être humain » : le mot « espoir » est précisé ; le poète est présenté comme tourné vers les autres et non vers lui-même. « Peut » : le verbe « pouvoir » suppose une capacité ; en quoi la poésie serait-elle capable de « fonder un espoir » ?
« Dans quelle mesure » (voir fiche 2) : cette expression ne fait pas l'unanimité. Certains y voient un synonyme de « en quoi » quand d'autres entendent une discussion (« dans quelle mesure oui », et « dans quelle mesure non »). Tentons de satisfaire tout le monde en accordant d'abord toute notre attention à l'affirmation de Bonnefoy et en nous interrogeant : en quoi la poésie peut-elle fonder un espoir ? Pensons aussi à nuancer la réflexion (l'autre mesure) ou à la dépasser.
La méthode
• Le lien avec le corpus et l'objet d'étude
La question soulevée est amenée par le corpus : le poète est celui qui, ouvrant sa porte au voyageur « recru d'angoisse », fait entendre les mots de la « guérison » et de l'espoir. La dissertation vous invite à vous pencher sur ce pouvoir de la poésie.
Le sujet envisage le genre poétique sous le même angle que votre objet d'étude : ici, le « sens » que donne la poésie constitue un espoir pour l'humanité,
• Arguments et exemples
Demandez-vous en quoi la poésie peut représenter un espoir pour l'être humain, De quel espoir s'agit-il ? Vous penserez sûrement aux poètes engagés : notez les textes que vous connaissez en cernant l'enjeu du combat ; si vous avez des vers en tête, pensez à les citer. Examinez les procédés employés pour exprimer cet espoir. En mobilisant vos connaissances, regardez si la poésie ne peut pas être porteuse d'un espoir dépassant les circonstances.
Vous veillerez à la précision et à l'exactitude de vos exemples. Quand vous citez fies vers, marquez d'une barre oblique le passage à la ligne.
• Le plan
Les deux premiers axes de réflexion approfondissent la proposition du sujet, le troisième nuance l'analyse. Le dépassement (synthèse) sera proposé dans la conclusion : c'est en suscitant des émotions (troisième partie) que le poète représente un espoir (le sujet).
I La poésie représente un espoir pour l'être humain car les poètes sont tournés vers les autres
II La poésie représente un espoir pour l'être humain car le poète se fait notre porte-parole ni
III Cependant ce n'est pas cet espoir qui définit la poésie
PLAN DETAILLE
Introduction rédigée
Si les Grecs de l'Antiquité ont pris soin de transmettre les vers de l’IIliade et de l’Odyssée, c'est qu'ils voyaient dans ces épopées le trésor de leur civilisation, un modèle et un espoir pour la Grèce. Au xxi^ siècle, nous continuons d'ailleurs de chanter les exploits du divin Ulysse... Quant à Homère, représenté comme âgé et aveugle, il incarne toujours la sagesse et l'accès à une vraie vision du monde. Ainsi, les hommes, depuis la naissance de la littérature, ont placé dans le poète toute leur confiance et Bonnefoy, une des grandes figures du genre poétique contemporain, ne les déçoit pas quand il affirme qu'il ne croit pas « qu'il soit de poésie vraie aujourd'hui qui ne veuille chercher jusqu'à son dernier souffle à fonder un espoir ». Selon lui, le poète allume la lampe et prononce « les mots de guérison » : dans quelle mesure la parole poétique peut-elle représenter un espoir pour l'être humain ?
Les poèmes du corpus nous présentent un poète tourné vers « ceux qui meurent », « qui saignent » ou « qui pleurent », un poète qui donne espoir en tenant « La main de tous les hommes ». Ne remplit-il pas également cette mission en se faisant notre porte-parole, en exprimant nos sentiments et nos aspirations, en offrant ses mots « à [nos] cœur[s] qui n'étai[en]t que silence » (texte A) ? Cependant, les poètes ne chantent peut-être pas tous à l'unisson et nous aurions tort de résumer trop hâtivement la poésie au simple mot d'« espoir », aussi riche et lumineux soit-il.
[Le plan détaillé suivant propose des arguments et des exemples ; ces derniers sont des pistes à approfondir : il faudra opérer des choix (donc renoncer à certaines références) pour privilégier la précision de l'analyse. Les citations sont indispensables pour cet objet d'étude.]
I La poésie représente un espoir pour l’être humain car les poètes sont tournés vers les autres
1-1 Les poètes s'engagent
Argument - Le poète antique ne vit pas à l'écart de la cité : il écrit à la demande pour célébrer des événements privés ou publics, garde en mémoire le passé pour le chanter à l'occasion des fêtes. Après lui, les poètes ont célébré les valeurs de leur époque.
Exemples - Le poète célèbre les valeurs de son temps : Virgile dans l’Enéide montre la grandeur de Rome en la rattachant à la légende troyenne ; les valeurs de la chevalerie sont célébrées dans La Chanson de Roland {x\f siècle).
Argument - Les poètes n'hésitent pas à dénoncer les abus de toutes sortes.
Exemples - Le protestant Agrippa d'Aubigné s'en prend aux persécutions effectuées par les catholiques dans Les Tragiques (1616) ; La Fontaine emploie toutes les ressources de la fable pour critiquer la cour dans « Les Animaux malades de la peste » et « Les Obsèques de la lionne » ; durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux poètes ont écrit pour inciter à résister : Desnos, Eluard, Aragon, Pierre-Emmanuel... Dans le dernier texte du corpus, célébration et dénonciation se rejoignent.
1-2 Les poètes défendent des valeurs universelles
Argument - Si les poètes des siècles précédents continuent de nous toucher, c'est qu'ils expriment, par-delà les circonstances, des valeurs universelles telles que la liberté ou la dignité humaine.
Exemples - Le combat pour la dignité humaine : « Ballade des pendus » de
François Villon (« N'ayez les cœurs contre nous endurcis »), « Mélancholia » de Victor Hugo (« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit »), « Les Effarés » de Rimbaud.
Argument - En affirmant également la force de leur position, les poètes nous invitent à rester fidèles à nos valeurs quoi qu'il advienne.
Exemples - « Ultima Verba » de Victor Hugo (« Et s'il n'en reste qu’un, je serai celui-là »), « Liberté » de Paul Eluard (1942).
1-3 L'écriture poétique se met au service des combats du poète
Argument - Les poètes ont recours à différents procédés (registres, procédés de style, procédés spécifiquement poétiques) pour toucher leurs lecteurs.
Exemples - Les registres : sur le mode satirique (« Fable ou histoire ») ou pathétique (« Souvenir de la nuit du 4 »), Victor Hugo critique Napoléon III en écrivant Les Châtiments (1853). La composition du poème et l'usage de la versification : dans « Le Dormeur du val », Rimbaud dénonce la guerre en recourant à un rythme syncopé [lisez le poème en prêtant attention au dernier vers] ; au contraire, dans « Eve » (1913), pour fustiger le monde moderne et célébrer le sacrifice mystique des héros, Charles Péguy enchaîne les alexandrins dans un rythme litanique*.
II La poésie représente un espoir pour l’être humain car le poète se fait notre porte-parole
II-l Le poète exprime nos sentiments
Argument - Nous avons souvent du mal à exprimer ce que nous ressentons car le langage nous paraît faible pour rendre compte de l'intensité de notre émotion ou de notre sentiment. Le poète lyrique, en exprimant ce qu'il éprouve, se fait notre porte-parole : nous pouvons nous reconnaître dans ses propos.
Exemples - La célébration de la femme : Ronsard célèbre Cassandre dans le premier Livre des Amours (1552) et Marie dans le second (1556) ; reprenant la forme ancienne du blason*, Éluard chante la beauté de Gala (« La Courbe de tes yeux... », Capitale de la douleur, 1926). La complexité du sentiment amoureux : Louise Labé « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie » (1555), Pierre de Marbeuf « Sonnet » (« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage », 1628), Baudelaire (« Le Galant Tireur »). [il vaudra mieux développer un seul thème ; privilégiez la cohérence de votre analyse et évitez le catalogue de références.]
II-2 Le poète exprime notre aspiration à un autre monde
Argument - Nombreux sont les hommes qui, pour des raisons philosophiques ou religieuses, considèrent que nous n'avons accès qu'à une faible partie de notre univers. Au-delà (les « Idées » de Platon, Dieu) ou en deçà de notre réalité, se déploie un autre monde beaucoup plus riche. Le poète, descendant d'Orphée, exprime cette aspiration.
Exemples - On pourra évoquer : le mythe d'Orphée et « Fonction du Poète » de Hugo, « Correspondances » et « Élévation » de Baudelaire, la « Lettre du Voyant » et « L'Alchimie du Verbe » de Rimbaud, le projet des surréalistes défini par André Breton. [Lisez le III de l'écriture d'invention qui suit]
11-3 Le poète exprime notre étonnement face au monde
Argument - Que nous aspirions ou non à percevoir un autre monde, nous sommes fascinés par la richesse de notre environnement. Le poète nous apprend à regarder autrement le réel. En s'écartant de l'usage conventionnel de la langue, la parole poétique rend le monde plus présent.
Exemples - Un nouveau regard sur le quotidien : poèmes de Francis Ponge (Le Parti pris des choses, 1942). Une présence : Eugène Guillevic offre à ses lecteurs le monde et le temps - « Je dis : douceur des mots I Quand tu rentres le soir du travail harassant I Et que des mots t'accueillent I Qui te donnent du temps » (« Douceur », Terre à bonheur). C'est également le projet d'Yves Bonnefoy (texte A). [Lisez la conclusion du commentaire.]
III Cependant ce n'est pas cet espoir qui définit la poésie
III-l L'échec qui hante le poète pourrait anéantir tout espoir
Argument - Il semble difficile de prononcer le mot « espoir » quand on parle de poésie car le poète est souvent en proie à l'angoisse ou au désespoir. Qu'il s'agisse des sentiments ou des ambitions poétiques, les œuvres sont souvent hantées par l'échec. Et on pourrait même penser que ce désespoir caractérise la poésie : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux I Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots » écrit Musset (« Nuit de mai »).
Exemples - Vous pouvez évoquer : la déception amoureuse chez Apollinaire, le manque d'inspiration (du Bellay, Les Regrets, sonnet VI ; Mallarmé, « Brise marine »), le spleen baudelairien (plusieurs « Spleen », « La Cloche fêlée » dans Les Fleurs du mal, 1857), le renoncement de Rimbaud,
III-2 Le poète se tient à l'écart du monde et sa parole semble inaccessible
Argument - Le poète se perçoit souvent comme un incompris, un être à part ; son mode de vie et ses poèmes expriment sa marginalité.
Exemples - Mode de vie : Edgar Poe, Baudelaire, Rimbaud. Le poète, un incompris : « L'Albatros » de Baudelaire, « Le Crapaud » de Tristan Corbière.
Argument - La parole poétique est souvent d'un accès difficile.
Exemples - La versification fait du langage poétique une langue à part ; le vocabulaire et la syntaxe sont travaillés : Mallarmé pousse le travail de la forme jusqu'à l'hermétisme (« Sonnet en -yx »). Les images poétiques peuvent effrayer le lecteur (le surréalisme par exemple : « La terre est bleue comme une orange » écrit Eluard en 1929) [Lisez l'ensemble du poème dans L'Amour la poésie.7
III-3 La poésie se définit d'abord par sa beauté et par les émotions qu'elle suscite
Argument - Le poète ne considère pas le langage comme un instrument transparent mais comme le moyen d'accéder à la beauté : le lecteur est touché par la musicalité, par la mise en page, par les images. Cette beauté suscite des émotions qui priment sur la compréhension rationnelle du texte et ce sont ces émotions qui caractérisent l'écriture poétique.
Exemples - La musicalité : la fluidité du sonnet 31 des Regrets de du Bellay ou de « Mai » d'Apollinaire, la place de la musique chez Verlaine (« De la musique avant toute chose » en tête de son « Art Poétique »). La mise en page : les distiques pour revendiquer la simplicité dans le texte A, la typographie dans le texte C, les Calligrammes d'Apollinaire (1918). Les images qui consistent en rapprochements inattendus : la redondance suggestive (« le marbre dur » et « l'ardoise fine » dans le sonnet 31 de du Bellay), les synesthésies (« Correspondances » de Baudelaire), l’oxymore (« le soleil noir de la mélancolie » chez Nerval, la surprise (« ma clarté ma mouette mon long cours », texte C).
Conclusion rédigée
[Bilan des développements 111-1 et HI-2 :] La poésie est souvent hantée par le défilé, « sans tambour ni musique » des « longs corbillards » [« Spleen », Baudelaire] de l'échec. Sous le « drapeau noir » de « l'Angoisse atroce, despotique », le poète s'incline et ses chants « désespérés » sont « les plus beaux » [voir III-1]. Comment pourrait-il alors, lui qui souffre tant et dont la langue nous demeure parfois étrangère, «fonder un espoir » ? [Bilan des deux premières parties :] Pourtant, en tenant « IM main de tous les hommes »,en écrivant le mot « Liberté » sur son cahier [Éluard] ou en notant « des silences », « des nuits », jusqu'à « l’inexprimable » [« Alchimie du verbe », Rimbaud], le poète prend part à nos combats et se fait le porte-parole de nos aspirations comme de nos sentiments. [Amorce d'un dépassement en guise d'ouverture :] Et le désespoir lui-même, si souvent exprimé, ne devient-il pas, sous la plume poétique, une forme de grandeur et d'espoir ? En donnant forme et beauté au magma de nos angoisses, « les mots de guérison » [texte A] l'apaisent et le transfigurent. Les émotions que nous éprouvons à la lecture d'un poème [rappel du 111-3], quel que soit son thème, nous réconcilient avec le monde : « Ne croyez pas entendre en vous I Les mots, la voix de Guillevic. I C'est la voix du présent allant vers l * avenir I Qui vient de lui sous votre peau » (Eugène Guillevic, « Art Poétique », Gagner, 1949).
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