Maitrise des sciences et techniques







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3. La diversification des champs d’application dans lesquels les acteurs responsables de formation en I.F.S.I. peuvent s’investir :
A l’origine, les écoles d’infirmières avaient comme mission de former des élèves infirmières.

Comme cela a été précisé plus haut, depuis l’Arrêté du 30 mars 1992 1, les écoles d’infirmières s’appellent Institut de Formation en Soins Infirmiers et leurs missions sont la formation initiale des infirmiers et des aides-soignants; la formation préparatoire à l'entrée dans les instituts de formation en soins infirmiers; la formation continue incluant la formation d'adaptation à l'emploi; la documentation et la recherche en soins infirmiers.
Des acteurs responsables de formation ont à mettre en oeuvre ses missions au sein des I.F.S.I.

Un Arrêté est une décision écrite d’une autorité administrative. Dans le cas présent, l’autorité administrative est le Ministre Délégué à la Santé. L’Arrêté fixe les conditions d’application du Décret dont il est issu. Et c’est le Premier Ministre qui décrète avec ses Ministres.

L’Arrêté a donc force de Loi.
De fait, l’on peut penser qu’un fonctionnaire, et ce encore plus particulièrement à un niveau cadre, a le devoir de s’investir dans la mise en œuvre d’une Loi 2, d’un Décret et d’un Arrêté le concernant spécifiquement.


PRODUCTION DE RECHERCHE

La production de cette recherche ou la production de connaissance de cette recherche repose sur l’élaboration de catégorisations des acteurs responsables de formation exerçant en Institut de Formation en Soins Infirmiers. Cette production est double. Elle comprend :


  1. Premièrement une classification des «acteurs responsables de formation » qui exercent en formation initiale dans le domaine des soins infirmiers.

  2. Deuxièmement un panel de figures ou des configurations des mêmes acteurs.


1. La Taxinomie :
Cette classification est une classification dichotomique car elle développe un canevas arborescent.

Trois dichotomies successives sont utilisées. Deux d’entre elles concernent les cadres de référence précédemment développés, et la troisième utilise l’idée première qui est à l’origine de cette recherche.

La structure de l’arborescence en regard des trois dichotomies peut prendre des formes différentes. Elles sont positionnées dans ce travail présenté dans un ordre chronologique. De fait dans le système français qui nous intéresse, la production de soins précède toujours la production de formation, et la production de formation à l’égard d’un public spécifique précède toujours la production de formation à l’égard de publics diversifiés.


La première dichotomie concerne l’exercice infirmier et reprend l’idée développée dans le cadre de référence. L’infirmier qui produit des soins ou la personne qui les « enseigne » se situe-t-elle dans une conception de « faire des soins » ou dans celle de « prendre soin » de la personne soignée ? Les deux conceptions sont antinomiques même si dans la seconde, la production de soins passe aussi concrètement par faire des soins. Il s’agit là, bel et bien, pour le soignant comme pour l’acteur de formation de se positionner dans une conception du soin et de répondre aux questions fondamentales qui sont :

  • Quelle est ma conception du soin ?

  • Quelle est ma conception de l’homme ? Et cette conception recouvre la conception de l’homme qui est soigné, comme celle de l’homme qui soigne ?

  • Et sans doute : Quelle est ma conception de la vie ?

A un niveau aussi fondamental, on peut dire en synthèse, avec toutes les limites que présente une synthèse que:

  • si le soin est principalement centré sur le soin, il s’agit d’une conception de type « faire des soins »,

  • si le soin est principalement centré sur la personne soignée, il s’agit d’une conception de type « prendre soin ».

Ces deux conceptions correspondent à des postures qui se traduisent au quotidien par des pratiques différentes.

L’acteur responsable de formation en soins infirmiers peut se positionner dans une posture ou dans l’autre.

La seconde dichotomie concerne la didactique utilisée par les acteurs responsables de formation, en formation initiale. Là aussi deux conceptions peuvent être opposées, même si certains acteurs de formation puisent dans les deux champs.

Comme pour le soin, il existe en regard de la didactique des questions fondamentales :

  • Quelle est ma conception de la formation pour adultes ?

  • Quelle est ma conception de l’homme ? Car bien sûr cette conception recouvre la conception que l’on a de l’homme qui est formé comme elle recouvre celle que l’on a de l’homme qui forme ?

Et il est sans doute aussi très intéressant de s’interroger sur sa conception de la vie.

Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la formation d’adultes, deux axes principaux peuvent être dégagés, et à ces deux axes correspondent là aussi deux postures possibles pour des acteurs responsables de formation. Ces deux axes se nomment pédagogie et andragogie. Ils sont développés dans le cadre de référence.
La troisième dichotomie enfin concerne le ou les champs d’application de la didactique mise en œuvre, le ou les champs d’investissement des acteurs responsables de formation. Nulle question métaphysique ne semble différencier ces champs. Au niveau le plus simple, on peut se contenter de penser qu’il y a des acteurs responsables de formation qui ne s’investissent que dans la formation initiale, et qu’il y a des acteurs responsables de formation qui s’investissent dans la formation initiale et conjointement dans d’autres champs. Ces autres champs sont listés dans l’Arrêté du 30 mars 1992 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formations en soins infirmiers, Titre 1er . Les missions des instituts de formation en soins infirmiers sont, en plus de la formation initiale des infirmiers :

  • la formation initiale des aides-soignants ;

  • la formation préparatoire à l’entrée dans les instituts de formation en soins infirmiers ;

  • la formation continue, incluant la formation d’adaptation à l’emploi ;

  • la documentation et la recherche en soins infirmiers.

Dans cette troisième dichotomie, l’idée n’est pas de repérer les missions dans lesquelles les I.F.S.I. s’investissent ou ne s’investissent pas, mais de repérer si un acteur responsable de formation, produisant de la formation en formation initiale des infirmiers, s’investit ou non aussi dans un ou plusieurs autres champs qui lui sont ouverts.
Le tableau de la page suivante permet de visualiser ce que les trois dichotomies successives permettent d’élaborer comme classification.

Le nombre de classes est de 2 puissance 3, c’est à dire 8.

Taxinomie 1 des acteurs responsables de formation initiale

en institut de formation en soins infirmiers.




Conception

du soin.


Conception

didactique.


Champs

d’application.


Classes













Pédagogie




Formation initiale


1






«Faire des soins» 











Formation initiale

+

Autres


2












Andragogie




Formation initiale


3



Choix

















Formation initiale

+

Autres


4












Pédagogie




Formation initiale


5






« Prendre soin »











Formation initiale

+

Autres


6












Andragogie





Formation initiale


7


















Formation initiale

+

Autres


8



Cet outil qui est la création d’une taxinomie, sert à montrer la pluralité des positionnements possibles des acteurs concernés. Les dichotomies montrent ce qui divise dans la pluralité. Une taxinomie n’est qu’un outil spécifique de classification. Son rôle est de structurer, de distinguer, de décomposer en parties élémentaires le tout. Son ambition est d’aider à l’analyse. Dans le cas présent, il n’est pas nécessaire de nommer chaque classe, les dichotomies successives qui la crée suffisent à les identifier.

Nous livrons cette taxinomie aux lecteurs et aux institutions, qui peuvent l’utiliser s’ils la jugent pertinente.

Le lecteur, acteur de formation peut s’en servir pour se situer et percevoir le chemin qu’il lui faut prendre, s’il souhaite changer de classe ou évoluer vers une autre classe.

Le lecteur, qui est au contact d’un acteur de formation pourra le situer et voir comment négocier au mieux sur un terrain d’entente avec lui.

Enfin l’institution, ou plutôt les décideurs des institutions concernées pourront s’en servir comme outils de dénombrement.
Depuis quelques mois on commence à entendre des rumeurs concernant la formation initiale en soins infirmiers, et la mutation qu’elle va peut-être devoir vivre ou subir. On s’interroge enfin, de plus en plus, sur la nécessité de produire de la formation continue en I.F.S.I. Puisque l’application de textes ne part pas de la base, c’est à dire des acteurs responsables de formation, il va bien falloir qu’elle parte d’ailleurs. Cette mutation d’un certain nombre d’acteurs de formation sera donc le fruit, une fois encore d’une décision hiérarchique.

Cet outils peut donc servir à évaluer l’existant avant de se lancer dans une nouvelle politique, tout comme il pourra servir dans quelques années à évaluer l’investissement des acteurs responsables de formation dans la politique menée.

Cette taxinomie est donc aussi un outil d’évaluation du changement.

L’évaluation de l’effet, de l’impact, de l’existant et de ce qui est à atteindre, c’est ce que tous les décideurs cherchent aujourd’hui. Nous souhaitons que cette taxinomie soit utile dans le champ de la formation en soins infirmiers.

2. Les figures :
En outre, les dichotomies mises en œuvre pour produire la taxinomie peuvent servir à créer des figures. Créer une ou des figures, consiste à accentuer les traits de ce que l’on perçoit. Le processus peut aller jusqu'à « transfigurer » ce qui est perçu. Les figures sont les formes symboliques que l’auteur perçoit dans le champ qu’il étudie. Il cherche « les noyaux durs » du champ qu’il travaille.

Ces figures n’épuisent pas la totalité du sens. Elles ne constituent pas des groupements d’individus. Elles permettent une lecture particulière de la réalité. « L’essence » d’une figure, le noyau dur d’une figure se construit par synthèse, par condensation.

En sciences humaines, la classe appartient à l’explication, comme la figure appartient à la compréhension. Ce deuxième outil va donc servir à comprendre la réalité.

Cependant, la création de figures présente un risque majeur, celui de la galerie de portraits ; mais il est inhérent à la méthode, car pour configurer, il faut transfigurer, il faut accentuer les traits, caricaturer parfois.

Une figure synthétise, identifie et c’est pour cela qu’il est possible, à l’aide des dichotomies décrites précédemment, d’identifier deux figures principales chez les acteurs responsables de formation en formation initiale en soins infirmiers. Ces deux figures sont, puisqu’il faut les nommer, « la monitrice traditionnelle » et « le formateur en soins » 1. Elles s’inscrivent chacune dans une trilogie qui leur est propre.
La « monitrice traditionnelle » se caractérise par une conception des soins ancrée dans « faire des soins », une mise en œuvre pédagogique de son travail et un attachement sans limite et unique à la formation initiale en soins infirmiers.
Le « formateur en soins » s’est construit dans une dynamique de « prendre soin » de la personne soignée, sa conception de la didactique appliquée à l’adulte en formation s’appelle andragogie, et son investissement dans la formation en soins infirmiers est tel qu’il cherche sans relâche à ouvrir de nouveaux champs d’application.
Ces deux figures se parlent, car l’organisation du travail les y obligent, mais elles vivent dans deux mondes différents, leurs productions sont de natures différentes; et la plupart des étudiants en soins infirmiers en sont tout à fait conscients.
Ce sont ces deux « acteurs » que nous configurons maintenant.

a.  La « Monitrice Traditionnelle ».
La monitrice traditionnelle n’a pas d’âge, elle est née en l’an de grâce mil neuf cent...

Elle est née avec la vocation, mais quelle vocation, la question reste posée. Quoiqu’il en soit, c’était une vocation spéciale car en fait elle n’a presque pas exercée. Elle a travaillé un an, deux ans, trois ans... cinq ans dans le meilleur des cas dans un service hospitalier. Et elle s’est arrêtée il y a dix ans, vingt ans, trente ans... On ne sait plus. On ne sait pas. La mémoire ne remonte pas jusque là. Elle même n’en parle que très rarement, ou seulement à propos d’une généralité, qui est pour elle son principal point d’ancrage et qui se traduit par un  « de mon temps, de toute façon, on n’avait pas la démarche de soins, les diagnostics infirmiers, la relation d’aide et tout le reste, mais on savait y faire et sans doute bien mieux qu’aujourd’hui ».
Les différents programmes n’ont pas eu de prise sur elle. C’est et ce sera toujours à des élèves qu’elle dictera ses cours. Elle dicte à la perfection aux élèves.

Les premières fois qu’on utilise avec elle, ou plutôt devant elle, les mots jeunes adultes en formation, on sent qu’elle fait un effort de compréhension.
Jeune : C’est vrai que son public est toujours jeune. Ses élèves avaient vingt ans, il y a vingt ans et ils ont toujours vingt ans aujourd’hui.
Adulte : Si elle a quitté les soins si vite, c’est parce que la responsabilité d’adulte qui lui était confiée était insoutenable. En tout cas, cette réalité là n’était pas pour elle. Faire face à la souffrance, à la mort, accompagner la personne malade un bout de chemin, elle ne pouvait pas, et personne n’a le droit, ni de le lui rappeler, ni de le lui reprocher 1 .

Qu’on ne vienne pas lui parler d’adulte : Elle est ici parce qu’elle veut faire face à des élèves et non à des adultes. Ici on est dans une école et pas dans un Institut de Formation en Soins infirmiers. « C’est mon école. J’ai été élève ici, il y a... . J’ai travaillé dans l’hôpital qui est juste à côté pendant plus de... deux ans . Et cela fait plus de vingt ans que je fais des cours aux élèves, ici, alors je sais 2 ».
Formation : Elle ne forme pas de jeunes adultes. Elle n’accompagne pas de jeunes adultes dans l’acquisition de compétences et dans la construction de leur identité professionnelle. Elle fait des cours et elle fait, ou fait faire, des travaux pratiques à des élèves sur des mannequins. Elle ne peut pas concevoir ce qu’est le suivi pédagogique. Quand ce concept est apparu dans le nouveau programme de 1992, ça l’a d’abord fait rire, nerveusement. Elle ne voyait même pas ce que cela voulait dire. « C’est bien pour rajouter des mots pour les mots qu’ils font tout cela au Ministère ». Et quand « des plus jeunes » ont commencé à dire, le suivi pédagogique c’est peut-être tout simplement s’occuper de l’étudiant, alors on l’entendit s’exclamer qu’elle en avait toujours fait du suivi pédagogique, que personne ne savait mieux qu’elle materner l’élève. Accompagner un jeune adulte en formation dans la construction de son identité professionnelle, non, elle ne veut pas! Mais materner 1 l’élève, oui, ça, elle sait ! 

Malgré les années qui passent, elle ne sait toujours pas ce qu’est le suivi pédagogique, et elle ne le saura jamais, car la réalité de ce qu‘elle est, ne lui permet pas d’accéder à ce concept. Elle ne peut, ou ne veut, accompagner le jeune adulte dans la construction de son identité professionnelle, pas plus qu’elle ne pouvait ou ne voulait accompagner le malade sur le chemin de sa maladie ou de sa guérison. La « monitrice traditionnelle » n’est pas relationnelle, elle ne sait pas ou ne veut pas ou ne peut pas parler 2 « d’homme à homme 3 ». Elle ne sait pas, elle ne veut pas, elle ne peut pas « prendre soin » de l’étudiant, pas plus qu’elle ne savait, ne voulait ou ne pouvait « prendre soin » de la personne malade. Mais malgré tout, elle croit être relationnelle et ce qui compte, c’est ce qu’elle croit.
La « monitrice traditionnelle » fonctionne par promotion. Elle a ses élèves et il ne peut en être autrement. Elle ne conçoit pas que l’on puisse fonctionner par spécialité. Elle se veut référante de sa promotion. Ses élèves ont tellement besoin d’elle.

Son cycle de travail varie, mais seulement dans le temps, il peut être de deux ans, de vingt-huit mois, de trente-trois mois ou de trente-sept mois et demi. Pour le reste, il est invariant : c’est toujours plusieurs dizaines d’élèves, les mêmes, qui constituent son environnement du premier jour de la formation jusqu’au dernier. En fait, ce même environnement la rassure. C’est elle qui a besoin de leur constance, mais ce n’est pas forcément réciproque.
Pour la « monitrice traditionnelle », l’enseignement qu’elle prodigue aux élèves est essentiel, indispensable, incontournable. C’est d’ailleurs dans cette enseignement, qu’elle puise sa reconnaissance. De fait, la « monitrice traditionnelle » ne peut concevoir que, dans le programme d’étude de 1992, l’assistance aux cours soit facultative. Le programme stipule : « L’enseignement théorique est dispensé sur la base de trente-cinq heures par semaine. La répartition de cet enseignement entre cours magistraux, travaux dirigés et évaluation des connaissances est déterminée par les équipes enseignantes. Si la présence aux travaux dirigés et aux stages est obligatoire, l’assistance aux cours est facultative ». La « monitrice traditionnelle » ne peut concevoir que l’assistance aux cours soit facultative car elle ne peut concevoir que l’assistance à ses cours soit facultative. C’est essentiellement dans le fait qu’elle se croit indispensable aux élèves qu’elle s’est construite. Elle ne peut comprendre, du jour au lendemain, que la base sur laquelle repose la reconnaissance qu’elle a d’elle-même ne soit plus. Elle ne peut comprendre que les étudiants, dorénavant, viennent à ses cours seulement s’ils les estiment intéressants et s’ils jugent l’approche pédagogique acceptable. Pour la première fois de sa carrière, la « monitrice traditionnelle » sent une partie de son pouvoir lui échapper. L’apprenant a le droit de lui dire, par sa présence ou son absence, que ce qu’elle produit ne l’intéresse pas ou, en tout cas, qu’elle ne parvient pas à lui faire percevoir ce qui est intéressant, voire indispensable pour l’apprentissage de son futur métier.

En analyse transactionnelle, on dirait que « l’état du  moi parent normatif » de cette monitrice est brusquement remis en cause.

Dans cette difficulté, qui la concerne personnellement, la « monitrice traditionnelle » va osciller entre deux pôles : soit mettre tous les cours à présence obligatoire, faisant fi du texte officiel, soit mettre en œuvre le texte en se disant « tant pis pour les élèves, ça leur apprendra ». Le problème est, qu’entre ces deux pôles, elle n’arrive pas à se décider, et c’est la raison pour laquelle, tous les mois, tous les trois mois, tous les six mois, tous les douze mois, elle change de pôle. Ceci est extrêmement inconfortable pour elle, mais l’est encore plus pour l’étudiant, qui ne comprend pas la finalité de tout cela, puisque personne ne la lui explique. La « monitrice traditionnelle » n’a pas compris que le processus « assistance facultative au cours » se doit de perdurer pour être efficace. Il faut laisser aux étudiants du temps, pour qu’ils se rendent compte eux-mêmes, qu’ils se mettent souvent en difficulté quand ils ne viennent pas assister aux cours. Or, la « monitrice traditionnelle » ne leur laisse pas ce temps de réflexion indispensable. Elle les réinscrit dans une logique de cours obligatoires avant qu’ils aient eu le temps de faire leur propre expérience. Tous les didacticiens savent que l’on apprend aussi par essai-erreur, sauf la « monitrice traditionnelle ». La « monitrice traditionnelle » ne laisse en fait aucune autonomie aux apprenants, elle ne leur laisse même pas le droit, malgré les textes officiels, d’être des étudiants en Institut de Formation en Soins Infirmiers. Pour elle, ils sont des élèves, et ils le resteront toujours.

D’ailleurs, quand on lui en fait la remarque, elle dit clairement : « Je ne vois pas ce que cela change ». Et elle a raison, c’est, essentiellement, elle qui a, entre ses mains, la principale possibilité d’offrir un changement à l’apprenant. C’est elle, qui a le pouvoir, et le devoir, d’accomplir cette réforme. Or, elle ne le veut pas. Donc, elle ne le fait pas. On peut même penser qu’elle ne peut pas le faire, car faire passer l’élève au statut d’étudiant serait pour elle se retrouver sans public.

Au contraire, elle fait tout ce qu’elle peut pour que cette réforme ne se mette pas en œuvre. Infantiliser l’étudiant, c’est sa meilleure façon de perdurer dans la formation.

La « monitrice traditionnelle » n’enseigne qu’en formation initiale, où elle peut encore exercer un pouvoir presque sans limite. Quand l’apprenant arrive en formation, il est « tout neuf », il est malléable, il croit en tout ce qu’on lui dit, ou presque. C’est là que la « monitrice traditionnelle » le structure dans son domaine. Quelques stages plus tard, ce jeune apprenant ne sera plus le même, mais trop tard, la « monitrice traditionnelle » a « bouclé » totalement le système et l’apprenant comprend très vite l’immense écart qui existe entre les conceptions de la « monitrice traditionnelle » et la réalité des services. Tout comme il comprend rapidement, aussi, que s’il veut perdurer dans la formation, il lui faut en passer par ce que la « monitrice traditionnelle » a décidé. Pour certains, c’est un lourd tribut à payer, mais celui qui veut vraiment devenir soignant s’en acquitte sans hésiter.

La « monitrice traditionnelle » ne peut exercer en formation continue. Son savoir n’est pas forcément dépassé, simplement il n’est pas actualisé. Et il n’y a que la « monitrice traditionnelle » qui puisse dire s’il n’est pas actualisé, dans le domaine ciblé, depuis un an, cinq ans, dix ans... La « monitrice traditionnelle » n’a que les livres pour actualiser ses connaissances. Elle reconnaît elle-même, être totalement incapable de faire un certain nombre de soins. En formation continue, cela est totalement irrecevable. En formation initiale, l’apprenant n’a presque aucun moyen de tester le savoir de celui qui est en face de lui ; c’est normal, il commence. Mais le professionnel ayant choisi de venir en stage de formation continue, vient y chercher davantage de connaissances que celles qu’il possède déjà. Et là, il est impossible de leurrer l’apprenant. En formation continue, soit « l’enseignant » a de l’avance sur l’apprenant, et l’apprenant accepte d’apprendre ; soit « l’enseignant » n’a pas d’avance sur l’apprenant, et l’apprenant s’en va. De là, on comprend fort bien pourquoi la « monitrice traditionnelle » refuse de s’investir dans le champ de la formation continue. La « monitrice traditionnelle » n’a pas d’avance sur le professionnel de terrain. De plus, la « monitrice traditionnelle » se refuse à faire face à des adultes en formation. C’est bien trop dangereux pour elle. En formation continue, ce sont deux professionnels qui se font face. Ce sont deux professionnels qui partagent leurs expériences, qui partagent leurs compétences et leurs questionnements dans un domaine commun. La « monitrice traditionnelle » n’a plus vraiment de domaine commun avec le professionnel du terrain. Et puis, le professionnel du terrain soulève toujours très vite, quel que soit le thème de la formation, les notions de charges de travail, d’encadrement, et de difficultés spécifiques 1. Or la « monitrice traditionnelle » est extrêmement loin de tout cela. On a même montré qu’elle est loin de tout cela, parce qu’elle a choisi d’en être loin.

D’ailleurs, quand elle va elle-même se recycler, elle n’en revient pas satisfaite. Soit, elle n’a rien appris, car elle savait déjà, soit elle déclare : « on s’est torturé l’esprit inutilement ». La « monitrice traditionnelle » ne conçoit pas qu’il lui soit nécessaire de se former encore 2.

Quand la « monitrice traditionnelle » participe à une formation en interne, et que l’on n’avance pas, ce n’est jamais parce qu’elle n’avance pas, c’est toujours parce que l’intervenant ne sait pas s’y prendre. « Heureusement que je ne fais pas pareil avec mes élèves » dit-elle. Le plus souvent d’ailleurs 3, elle ne peut participer à la totalité de la formation continue qui lui est proposée. La raison avancée est toujours la même : ses élèves ont besoin d’elle ; il y a quelque chose à régler, et ce quelque chose, il n’y a qu’elle qui sache le régler ; et puis, il faut bien quant même que quelqu’un s’occupe des élèves ; elle a sa conscience professionnelle, elle...

La « monitrice traditionnelle », au fond, ne croit pas en l’acte - formation. En tout cas l’acte - formation ne s’adresse pas à elle.

Pour elle, les choses sont simples : dans la vie, il y a ceux qui savent - et qui enseignent - et ceux qui ne savent pas - et qui sont les élèves -, et comme elle, elle sait et qu’en plus elle enseigne, il est hors de question qu’elle passe de l’autre côté de la barrière. Et puis, il y a longtemps, elle a bien compris que dans les sessions de formation qui la concernent, le plus souvent, et c’est normal, on parle de didactique, on traite de « pédagogie », depuis quelques années même, on parle de « jeunes adultes en formation », d’andragogie.

Tout cela pour elle, c’est du temps perdu, c’est coupé les cheveux en quatre. A la limite, c’est subversif, peut-être même déviant 1.

Dans ces réunions, elle a même entendu dire que l’on parle de triangle pédagogique. Il semblerait que ce triangle, d’ailleurs, possède trois pôles : le formateur, le savoir et l’apprenant, et lorsque deux de ces pôles sont particulièrement liés, par exemple le formateur et le savoir, le troisième serait exclu et ferait le fou. « Mais, c’est une histoire de dingues » dit-elle, tout simplement. Si l’élève fait le fou, on l’exclut de l’école et puis, c’est tout. « Heureusement qu’il y a encore des gens comme moi qui ont la tête sur les épaules » dit-elle.

Elle sait exclure les élèves quand il le faut, tout comme elle sait reconnaître ses nouveaux collègues. Dans son environnement proche, on est « monitrice traditionnelle » ou on n’est pas. On est « monitrice traditionnelle » où on ne survit pas.

Sa seule conception et son unique possibilité sont de produire aujourd’hui la même chose qu’hier. Toute autre dynamique, ne se contente pas de la déstabiliser, elle la remet totalement en question. La « monitrice traditionnelle » s’inscrit, sans le savoir, dans ce que dit Jean Houssaye à propos du triangle pédagogique : le didacticien, quel que soit son domaine d’exercice, peut jouer sur trois pôles : Former, enseigner et apprendre. Cependant, si le didacticien ne s’inscrit pas dans cette trilogie, et qu’il ne s’inscrit que dans enseigner, alors il écarte totalement les processus former et apprendre comme il rejette aussi les didactitiens qui travaillent sur les deux autres pôles ou sur les trois. Pour Jean Houssaye, le pôle enseigner, qui ne s’inscrit pas dans le triangle pédagogique, devient « excluant », dans le sens où il s’oppose aux deux autres pôles, voire même les empêche de vivre et de se développer. La « monitrice traditionnelle » répond exactement au pôle « exclusif » enseigner. Elle n’a qu’une devise : « Hors Enseigner, point de salut ».

De fait, dès qu’un de ses collègues cherche à emmener le groupe vers Former ou Apprendre, elle le combat de toutes ses forces et avec tous ses moyens. Elle engage un combat « à mort didactique », car pour elle, Former et Apprendre sont à combattre, à combattre totalement, car ils sont déviants 1.

Au nom de l’évaluation, de la pression institutionnelle, des moyens disponibles et/ou de la densité du programme d’études, la « monitrice traditionnelle » transforme facilement l’ensemble des méthodes pédagogiques en apports magistraux déguisés2.

On parle alors de « faux travaux pratiques », de « faux travaux de groupe », de « faux travaux dirigés ». L’unique objectif de la « monitrice traditionnelle » est de faire passer un contenu pédagogique préétabli, quelle que soit la méthode pédagogique utilisée. Et pour l’élève, c’est toujours la même chose, il finit toujours par se retrouver un stylo à la main, en train d’écrire ce qui lui est dicté.

Comment opère-t-elle ce tour de force ?

C’est assez simple. Il lui suffit de prévoir que les 2/3 du T.P.3, du T.G.4 ou du T.D.5 seront consacrés à du copiage de contenu. Pour le T.P., il suffit de lister le matériel nécessaire, de retrouver les principales indications et de tenter une description détaillée et écrite du soin, pour qu’à aucun moment, en fonction du temps consacré au T.P., il ne soit possible de passer à la réalisation pratique. Au mieux, c’est un seul étudiant qui effectuera réellement le T.P., jamais deux. Il ne faut pas s’étonner ensuite, que les élèves 6 aient des difficultés à manipuler. Le T.P. n’est pas fait pour acquérir LA bonne pratique 7, il est fait pour anticiper la pratique, pour « démystifier » le geste dans certains cas, il est une aide à l’acquisition de la future bonne pratique.

Pour la « monitrice traditionnelle», les T.G. et les T.D. tombent sous la même logique. Il suffit de placer l’objectif assez haut, et de ne laisser que peu de temps de réflexion aux élèves, alors, la suite du T.G. ou du T.D. devient à l’identique, un long recopiage concernant ce que l’élève aurait du atteindre. La « monitrice traditionnelle » se conforte dans sa méthode car l’élève, tout du moins en début de formation, ne peut pas décoder tout cela. Il ne peut que copier et subir. S’il n’est pas d’accord, s’il se rend compte que quelque chose ne va pas, il est immédiatement fiché comme élément perturbateur, on se demande même s’il est bien orienté.

Comment la « monitrice traditionnelle » opère-t-elle pour convaincre ses collègues de la suivre, dans son processus fermé d’Enseigner, dans le sens où le définit Jean Houssaye ?

La « monitrice traditionnelle» joue beaucoup sur le registre affectif avec ses collègues. Elles se connaissent toutes depuis longtemps, on sait de quoi elle est capable. On sait qu’elle est en difficulté, parce qu’elle n’arrive pas à s’adapter au temps qui passe, et en tant qu’ancien soignant, on a envie de l’aider, mais on sait aussi à quel point elle peut pourrir le quotidien professionnel de celui ou de celle qui ose s’opposer à elle. Le processus Enseigner est exclusif, il n’autorise pas l’autre à produire dans Former ou Apprendre.

En plus du registre affectif, la « monitrice traditionnelle» utilise systématiquement, et massivement trois arguments de poids, qu’elle s’approprie, pour réaxer sans cesse ses collègues dans le processus Enseigner.

Ses arguments sont : l’évaluation, la pression institutionnelle, la faiblesse des moyens disponibles reliée à la densité du programme d’études.

Le plus subtil concerne l’évaluation. Aucune marge de manoeuvre ne peut être laissée à l’acteur responsable de formation quand il s’agit de T.P., de T.G., ou de T.D. - alors que ce sont les moments où la relation formateur - formé peut enfin se développer, des moments où le formateur peut enfin se pencher spécifiquement sur le processus Apprendre - parce que la « monitrice traditionnelle» exige que ce T.P., ce T.G., ou ce T.D. soit évalué par écrit, lors de la prochaine évaluation d’année. C’est presque incontournable comme argument. Si l’un des collègues n’est pas d’accord, elle le met ouvertement en difficulté dans le groupe en lui signalant qu’on peut se demander ce qu’il produit, lui, quand il est en T.P., T.G. ou T.D.1. De là, l’ensemble des acteurs intervenants sur ce même T.P., T.G. ou T.D. se doivent, non seulement d’avoir la même trame de travail, ce qui est normal, mais se doivent aussi d’avoir le même contenu puisque l’évaluation se fera par écrit, et qu’il y a peu de chance que l’on évalue, en regard d’une « petite question », autre chose que de la mémorisation. De là, pour ne pas mettre les élèves ou les étudiants en difficulté, chaque acteur responsable de formation se plie, à plus ou moins long terme, aux exigences imposées par un seul membre du groupe. Rappelons que la « monitrice traditionnelle» ne négocie pas au sein d’un groupe, si besoin, elle perturbe le fonctionnement du groupe jusqu'à ce qu’elle obtienne gain de cause.

Le deuxième argument de poids que la « monitrice traditionnelle» utilise souvent est la pression institutionnelle. « C’est bien gentil, mes petites cocottes, de faire des T.P. où tout le monde manipule, des T.G. et des T.D. où les élèves réfléchissent, mais quand au classement de réussite au Diplôme d’Etat, notre école aura perdu 2 ou 3 rangs, ou plus, on en reparlera. Vous verrez ce qu’on en pensera, de s’amuser 2 pendant les T.P., les T.G. et les T.D. ». Pour la « monitrice traditionnelle» faire réfléchir l’étudiants sur la construction de son identité professionnelle, par exemple, c’est totalement inutile. « Est-ce qu’on en parle de mon identité professionnelle, à moi ? Non ! Alors ? » 3.

Enfin, troisièmement, elle n’utilise pas la faiblesse des moyens disponibles et la densité du programme d’études pour construire une revendication quelconque, qui au demeurant pourrait améliorer la situation globale. La « monitrice traditionnelle» utilise la faiblesse des moyens disponibles et la densité du programme d’études pour culpabiliser ses collègues et les empêcher de construire des méthodes plus participatives, des méthodes plus autonomisantes, des méthodes où le face à face pédagogique est riche de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. La « monitrice traditionnelle» ne souhaite pas de face à face pédagogique avec l’élève et encore moins avec l’étudiant... Pour elle, rien ne vaut, et ne vaudra jamais un bon « vieux » cours magistral. « Ce n’est pas si facile que ça... un cours magistral »4.


b. « Le formateur en soins ».
 Le « formateur en soins » est loin, si loin... Il a dix ans, vingt ans, trente d’avance. Il n’est jamais là où on l’attend. Il fait partie de ce que Savador Juan 1 appelle les innovateurs culturels et sociaux.

« Les innovateurs culturels et sociaux sont toujours des êtres tourmentés et « excentriques » au sens où leurs pratiques se trouvent toujours décentrées par rapport aux normes associées à leur position objective dans l’espace social. En eux s’incarne le plus évidemment le principe d’irréductibilité des acteurs à leur situation sociale, au sens où ils contribuent fortement à produire eux-mêmes cette situation, comme ils participent à engendrer des systèmes d’action qui pourront se cristalliser ultérieurement en dispositifs ou en organisations 2. »

Le « formateur en soins » ne suit pas une piste, il ouvre la voie, il crée le chemin, il taille à la machette dans la jungle qui l’entoure. Il sacrifie corps et âme 3 à sa vérité. Il est, ou il se croit être une figure charismatique 4.

Il a une conception de la vie, et une conception de l’homme, lui permettant de croire sans limites en demain. Cette foi en l’avenir fait que même à terre, il sait qu’il se relèvera.

A 20 ans, il est venu au soin pour sauver le monde, et il s’est bien sûr trompé !

Le monde n’a pas changé ou presque, mais lui a beaucoup payé de sa personne. Son champ d’expériences en soins infirmiers est très vaste. Il aime dire qu’il s’est forgé dans les soins infirmiers. Il sait, et il dit, « qu’il s’est éclaté dans les soins infirmiers », mais il reconnaît aussi que c’est dans les soins infirmiers qu’il a dépassé ses propres limites. C’est sans doute la raison pour laquelle il a quitté les soins.

Il est venu à la formation, essentiellement pour prévenir l’étudiant de ce qui peut l’attendre, s’il suit le chemin que lui-même a suivi. C’est pour cela qu’après avoir développé son charisme dans les soins, il croit maintenant pouvoir le développer dans la formation.
Il s’est forgé seul, il s’est trompé seul et pour lui le suivi pédagogique est la base de la formation. Il tire sa légitimité, du nouveau programme des études, conduisant au diplôme d’état 1. Dès la naissance du concept « suivi pédagogique » dans ce programme, il l’a défini comme l’accompagnement de l’étudiant dans l’acquisition de compétences professionnelles et l’accompagnement de celui-ci dans la construction de son identité professionnelle. Et depuis ce jour, il est seul ou presque.

Ce jeune formateur, à l’expérience musclée en soins infirmiers était attendu par les « monitrices traditionnelles » sur « faire des soins » au mannequin, il les a prises sur son terrain : « prendre soin » de jeunes adultes en formation. Et depuis, c’est la guerre : une guerre impitoyable qu’il perdra sans doute parce qu’avant de changer les choses de l’intérieur, il lui faut s’y intégrer. Mais, comment faire pour s’y intégrer ?
Quand il était infirmier, il était capable de la plus grande douceur et d’une empathie sans limites ; depuis qu’il est formateur quand il ouvre la bouche dans une réunion, qu’il le fasse volontairement ou non, consciemment ou non, il met toujours le doigt là où ça fait mal. Il est passé de l’empathie à la confrontation. Il sait encore être empathique avec la personne « monitrice traditionnelle », mais c’est avec le système qu’elle crée qu’il est en confrontation.

Dans ce même domaine, la confrontation, il a déjà donné !

Ses confrontations passées à la souffrance et à la mort, en tant que soignant, l’ont amené à vivre ici et maintenant 2, même s’il déborde de projets. Quand il s’engage, c’est à fond, mais il lui faut des résultats immédiats. Il ne supporte pas son relatif échec en formation initiale. Il ne supporte pas de ne pas arriver à faire bouger le système plus vite. Ce relatif échec le renvoie à tous ses échecs de soignants, à tous ces mourants qu’il n’a pas pu guérir, au monde qu’il n’a pas pu changer. C’est aussi pour cela qu’il se lance corps et âme et sans cesse dans de nouveaux projets. Il puise son énergie dans la création 3. Lui, ce sont les mots « résistance au changement » qu’il ne peut concevoir. Les nouvelles missions des I.F.S.I. ? S’il le pouvait, il les aurait toutes investies.

Quand quelque chose bouge, il est déjà là ; enfin, c’est ce qu’il croit ou ce qu’il voudrait croire.

En plus de l’innovation, il possède une capacité sans limites : celle de faire des liens. Il peut lier presque tout à tout. Ces liens sont parfois tellement « dingues 1 » qu’il n’y a que ceux qui veulent le comprendre, qui peuvent le comprendre.

Heureusement pour lui, certains étudiants cherchent à le comprendre. Avec parcimonie, car normalement le système ne le permet pas. Ils lui renvoient parfois « mais avec vous c’est différent », « on peut parler », « je n’oublierai pas la discussion que nous avons eu là sur ce banc », « dans vos cours vous êtes le seul à raconter une partie de vos soins infirmiers», « vous, on sent que vous croyez dans ce que vous dites », « à la vitesse où vous bougez, vous resterez longtemps formateur ? ».

Il adore faire des parallèles entre la relation formateur-formé et la relation soignant- soigné, ce qui horrifie la « monitrice traditionnelle ». Quand en andragogie, il utilise une méthode par objectifs, il prend le temps nécessaire pour expliquer aux étudiants que l’objectif à atteindre, c’est l’étudiant qui doit l’atteindre, et que le formateur n’est que celui qui met en œuvre une action devant permettre à l’étudiant d’atteindre l’objectif. Il explique qu’il en est de même dans la démarche de soins. L’objectif à atteindre, c’est la personne soignée qui l’atteint, et c’est l’infirmier qui met en œuvre l’action qui va permettre à la personne soignée de l’atteindre. Et quand il leur explique, il confie aussi aux étudiants que s’ils ont compris cela, ils viennent de comprendre la principale évolution des soins infirmiers ces vingt dernières années. Quand il était élève, lui, c’était l’infirmière qui devait atteindre l’objectif et c’était comme cela que les monitrices 2 lui avaient enseigné le soin.

Il est capable en quelques minutes de concevoir et d’improviser des heures de cours, même en amphithéâtre à condition que le sujet concerne la conception de l’homme et du soin. Rien ne l’arrête, il ouvre le débat en amphithéâtre comme il l’ouvre en tête à tête. Il se sent la carrure d’envisager un travail de groupe avec 100 étudiants. Il conçoit l’autre comme lui-même, sans limites et prêt à tout.

Il aime se donner en spectacle. Il aime qu’on l’applaudisse, comme il aime applaudir. Il conserve, malgré les années qui passent, un regard espiègle et un sourire vainqueur. Son autoportrait en Analyse Transactionnelle le situe essentiellement dans « l’adulte » et « l’enfant libre ».

Son engagement inconditionnel, dans une rhétorique excluant les termes filles, garçons, élèves, adolescents attardés (comme le disent les « monitrices traditionnelles »), et incluant ceux de femmes, hommes, étudiants et adultes en formation, cache l’immense orgueil qui l’habite. Pour qu’on le reconnaisse comme exceptionnel, il a situé le soin au plus haut niveau - quand il produisait du soin -, tout comme aujourd’hui, il situe la formation en soins infirmiers au plus haut niveau, car il produit de la formation.
Le « formateur en soins infirmiers » est ailleurs ; il est où on ne l’attend pas.

Il n’a pas changé le monde, il n’a pas changé les soins, il ne changera sans doute pas non plus la formation en soins infirmiers. En tout cas pas encore, c’est trop tôt, mais dans dix ans, dans vingt ans, dans trente ans, peut-être ?
Dans la réalité quotidienne, il n’a pas son pareil pour galvaniser une promotion d’étudiants. Encore faut-il qu’on lui en laisse la possibilité. Il n’est pas en difficulté dans la production de cours magistraux en amphithéâtre, mais ce qu’il aime surtout c’est l’individualisation de la relation formateur-formé. Il aime sentir vivre le groupe d’étudiants en face de lui. Il affectionne particulièrement les moments d’échange. Il souhaiterait développer au plus haut niveau les méthodes actives. Il s’investit totalement dans les T.D., les T.G. et les T.P., et il ne peut supporter qu’ils ne soient que des cours magistraux déguisés. Il a besoin d’espace de manoeuvre pour accompagner le groupe. Il sait « manager », il aime cela, mais les méthodes « faux T.D. », « faux T.G. », « faux T.P. », l’empêchent à la fois de faire ce qu’il veut faire, de faire ce qu’il croit devoir faire, mais aussi de faire ce qui l’épanouirait en tant qu’acteur responsable de formation.

Ce constat l’insupporte. Bien qu’il n’ait pas beaucoup de recul, il commence à comprendre, en partie, le système qui l’entoure. Il commence à comprendre ce qui l’oppose fondamentalement à la « monitrice traditionnelle » 1. Il commence à comprendre les différences qui existent entre « faire des soins » et « prendre soin », il commence à comprendre les différences qui existent entre pédagogie et andragogie, il commence à comprendre les raisons qui poussent les « formateurs en soins » à diversifier leurs champs d’application et les « monitrices traditionnelles » à rester figer dans la formation initiale. Il commence à comprendre que les « monitrices traditionnelles » et les « formateurs en soins » n’ont peut-être pas la même appréhension de la relation à l’autre. Il commence à comprendre qu’ils ont tous deux quitté les soins, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Il commence à comprendre et tout cela l’horrifie. Le plus profond des doutes le ronge. C’est trop horrible s’il a raison. Si certains acteurs responsables de formation en soins infirmiers, plus particulièrement en formation initiale, sont d’anciens soignants qui ont quitté les soins parce qu’ils ne voulaient pas être soignants, ou parce qu’ils ne pouvaient pas être soignants, il est difficilement concevable qu’ils soient aujourd’hui les « supposés » modèles de ceux qui demain seront des soignants. Il essaye de se persuader parfois qu’il est en plein délire, mais il n’y arrive pas 1. Non, il ne délire pas ; la réalité dépasse seulement tout ce que l’on pourrait imaginer.

De plus, s’il a eu la chance de lire « Le triangle pédagogique » de Jean Houssaye ou quelque chose de semblable, il comprend qu’il essaye de se situer sur les trois pôles, enseigner - former - apprendre, alors que la « monitrice traditionnelle » ne se situe que sur enseigner et qu’elle cherche à l’empêcher de se situer sur former et apprendre.

Le problème est là.

Il n’existe que lorsque des « monitrices traditionnelles » et  des « formateurs en soins » ont à travailler ensemble. Quand il n’y a que des « monitrices traditionnelles » dans un même groupe de travail, tout se passe bien 2. De même, la production est performante quand il n’y a que des « formateurs en soins » 3. C’est le mélange qui est à la fois étonnant et détonnant.

Par exemple, pour l’organisation matérielle, concrète, physique d’une évaluation écrite, les conceptions et les pratiques sont différentes.

La « monitrice traditionnelle », pendant l’évaluation 4, édicte des règles draconiennes pour les élèves : un élève toutes les trois places, un tous les deux rangs, les affaires personnelles sont déposées en entrant, aucun chuchotement, ni regard oblique n’est toléré, les trousses ne sont pas admises, il faut deux ou trois monitrices pour surveiller la salle et en cas de « besoin fondamental » dirait Virginia Henderson, l’élève est accompagné jusqu’aux toilettes 5. Et quand par hasard un stylo tombe par terre, l’ensemble des regard suspicieux des « monitrices traditionnelles » convergent instantanément vers l’acte délictueux. Ce processus hypercontrôlé, fait que les élèves « jouent aux élèves ». Et qui les en blâmerait ?

Le « formateur en soins » est peiné de voir tout cela. Il sait qu’au bout du calcul de dose, il y a la vie du patient et que c’est la seule chose à faire comprendre à l’étudiant. Le « formateur en soins » fait confiance à l’étudiant, tout comme il a fait confiance au patient. Pour lui, la question ne se pose pas, il a confiance en l’homme. Pour lui, responsabiliser l’étudiant, c’est aussi lui faire confiance. C’est le considérer comme un futur professionnel qui sait que l’on ne triche pas sur les doses, tout simplement parce que l’on ne triche pas avec sa conscience. Quand on est infirmier, peut-on tricher dans un recueil de données ? Peut-on tricher dans la transmission des actes que l’on n’a pas eu le temps d’effectuer? Peut-on tricher dans l’accompagnement du mourant ? Certes, tout cela demande d’avoir exercé au moins un peu et surtout de s’être posé quelques questions pendant les soins, quelques vraies questions. Celles que l’acteur responsable de formation doit justement transmettre au futur professionnel. L’« hypercontrôle » de l’élève ou de l’étudiant, dans sa production d’aujourd’hui, par l’équipe d’encadrement, risque de rendre ce futur professionnel, dépendant demain, d’une équipe d’encadrement chargée de la même fonction. La « monitrice traditionnelle » pense que la rigueur s’inculque de l’extérieur, le « formateur en soins » pense que la rigueur se cultive et se développe de « l’intérieur » 1 .

Le « formateur en soins » étouffe dans l’univers et l’ambiance « monitrice traditionnelle », c’est aussi pour cela qu’il s’investit dans d’autres champs d’application. Et cet investissement dans d’autres champs, augmente la tension qui existe entre la « monitrice traditionnelle » et lui. Elle lui reproche son investissement « à l’extérieur », parfois même, elle ne le supporte pas. Elle lui reproche parce qu’il échappe à son emprise. Elle le lui reproche, parce qu’il lui montre qu’il est capable de faire autre chose, autrement. Elle le lui reproche, parce qu’il la renvoie à ses limites. Elle le lui reproche, parce qu’il est capable de travailler dans des domaines où elle se sent incapable de produire. Elle le lui reproche, parce qu’il lui montre clairement que l’avenir est là, et qu’elle ne fera pas partie de cet avenir. Elle le lui reproche, parce qu’il la déstabilise dans sa conception traditionnelle de l’enseignement, parce qu’il la déstabilise dans sa conception de la relation enseignant - enseigné. Malgré tout, pour ne pas perdre la face, elle lui dit volontiers : « Et pendant que toi, tu es ailleurs, à ton avis, qui s’occupe des élèves, et qui fait tourner l’école ? C’est moi, bien sûr ». Elle a d’ailleurs tout à fait raison, si dans les I.F.S.I., on raisonne à effectif constant.

Aujourd’hui, l’unique stratégie, si l’on veut survivre, c’est de démontrer qu’à effectif et budget constant, on est capable de faire mieux et / ou plus. La « monitrice traditionnelle » a raison quand elle dit « Qui fait tourner l’école pendant ce temps là », mais à contrario, elle montre une fois de plus qu’elle n’est ni dans le présent, ni dans l’avenir. Elle est restée figée dans son passé. Par sa conception, elle entrave l’évolution de l’I.F.S.I. et elle nuit au « formateur en soins » qui cherche à maintenir celui-ci dans une dynamique d’avenir.
Toujours en regard des pratiques, et pour tenter de fuir les généralités, que l’on associe souvent à des jugements de valeur ou à du savoir-opinion, signalons que le « formateur en soins », puisque c’est de lui dont il est question dans cette figure, s’investit beaucoup dans ce que l’on appelle les modules transversaux du nouveau programme de 1992. Ces modules transversaux comprennent deux modules sciences humaines 1, un module anatomie, physiologie et pharmacologie 2, un module législation, éthique et déontologie, responsabilité, organisation du travail 3, un module santé publique 4, quatre modules soins infirmiers 5 et un module hygiène 6. Les modules transversaux, par définition, sont les modules où le « formateur en soins » va pouvoir pleinement utiliser sa capacité à faire des liens. Ce sont les modules qu’il estime les plus porteurs de sens, ceux qui vont le plus permettre à l’étudiant de construire son identité professionnelle. Il sait que ce sont ces apports, ces connaissances, ce savoir qui lui ont manqué pour se construire. Il a quitté les soins et il est venu à la formation, pour proposer aux étudiants, tout ce qui lui avait manqué. Or ce qui lui a manqué semble, en grande partie, identifié dans les modules transversaux. Son investissement et son attachement aux modules transversaux le mettent aussi en opposition avec la « monitrice traditionnelle ». Ce qui est prioritaire pour la « monitrice traditionnelle », ce sont les modules médico-chirurgicaux. La preuve en est, c’est que « le médico-chirurgical, ça s’enseigne ! Tandis que le transversal... », elle ne finit jamais sa phrase, elle ne sait pas, elle n’a pas de mots pour le qualifier. Elle n’a pas été formée avec des modules transversaux. Elle a quitté les soins, sans comprendre pourquoi elle les quittait. Elle ne voit donc pas l’intérêt des modules transversaux. Le « formateur en soins » y voit l’avenir. Bien construits, en équipe, ces modules permettraient le passage « de faire des soins » à « prendre soin ». Mais comment le dire, comment leur faire comprendre 1 ? « Comment construire, seul ou presque, ce gigantesque passage ? » se demande-t-il souvent.

Avant le programme de 92, les sciences humaines, la législation, l’éthique, la déontologie, la responsabilité, l’organisation du travail, la santé publique, les concepts et théories de soins, la démarche de soins, la démarche relationnelle, la démarche éducative, l’initiation à la recherche en soins infirmiers étaient simplement laissés au bon vouloir de l’équipe pédagogique. Le programme ne les définissait pas du tout aussi finement que le petit dernier. Certaines équipes faisaient sans doute beaucoup de choses, mais ce n’était pas le cas de toutes les équipes pédagogiques. Ce nouveau programme définit précisément les thèmes précités, mais oblige aussi à ce que ces modules transversaux soient évalués. C’est très subtil, car pour que l’on puisse les évaluer, il faut bien sûr les avoir mis en œuvre. Ce nouveau programme oblige donc enfin à travailler sur la transversalité du soin, c’est à dire sur le cœur du soin, sur l’essence du soin. Or, l’essence du soin, c’est « prendre soin » et ça passe bien sûr par « faire des soins » que l’on peut classer dans des rubriques médico-chirurgicales.
Enfin, le « formateur en soin » prend pleinement sa dimension dans l’accompagnement de l’étudiant lors du travail de fin d’études et l’accompagnement de l’étudiant en suivi pédagogique.

Pour le « formateur en soin », les modules transversaux et le suivi pédagogique sont indissociables. Quand l’élève revenait d’un stage, choqué de ce qu’il avait vu et ressenti, qu’il osait dans le meilleur des cas en parler en « faux bilan de stage » 2 et que la monitrice, sans doute, traditionnelle lui répondait « C’est ça la réalité du terrain et il faudra vous y faire », effectivement, il n’y avait pas besoin de suivi pédagogique en plus. L’élève comprenait très vite à qui il avait à faire, et comprenait aussi qu’il n’y avait qu’une chose à faire, se taire. De fait, peu d’élèves parlaient, et quand ils parlaient, c’étaient le plus souvent, tout simplement, pour abonder dans le sens institutionnel. L’arrivée massive des modules transversaux, et l’obligation de les évaluer, donc de laisser des traces de ce qui est fait, ouvre la voie au questionnement. Enfin, les acteurs responsables de formation doivent participer à former des professionnels qui pensent, qui se questionnent, car ce nouveau programme offre matière à se questionner. L’application des sciences humaines à la santé et aux soins infirmiers, c’est ouvert. L’anthropologie, l’ethnologie, la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, la psychologie sociale, l’éthique, la déontologie, la responsabilité, la santé publique, les concepts et les théories, la recherche en soins, sont autant de domaines abordés en cours de formation. Alors, si on donne les moyens à l’étudiant de se questionner, si on lui propose des théories et des concepts, il va obligatoirement se questionner sur le stage, sur ce qu’il voit, sur ce qu’il produit, et il n’est plus possible, enfin, de lui répondre « C’est ça la réalité du terrain et il faudra vous y faire », sans se discréditer totalement et immédiatement à ses yeux ! Le suivi pédagogique, tout au long des trois ans et l’accompagnement de l’étudiant dans son travail de fin d’études sont des moments privilégiés, des moments où chacun grandit dans la connaissance de soi et de l’autre. C’est le moment privilégié où l’ancien peut « prendre soin » du plus jeune qui prend le relais, en lui transmettant symboliquement le « témoin » juste avant qu’il ne se lance à son tour sur le plus humain des chemins, celui du « prendre soin » de la personne malade.


La « monitrice traditionnelle » et le « formateur en soins » vivent dans deux mondes différents, parfois opposés. La difficulté réside essentiellement dans le fait qu’ils cohabitent et qu’ils ont le devoir de travailler ensemble.

Ils ont cependant des points communs. Ils sont tous deux des figures dans ce mémoire, et rien d’autre ; ils délimitent le champ des possibles, ils sont à ce jour, les deux voies extrêmes des acteurs responsables de formation en soins infirmiers dans les I.F.S.I.

Le « formateur en soins » cherche à ouvrir l’I.F.S.I. sur l’hôpital, la ville, l’avenir. La « monitrice traditionnelle » continue de se réfugier dans sa tour d’ivoire, dans les murs d’enceinte de son école, dans son passéisme.


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