(à Serge). Il fut un temps où tu étais fier de m'avoir Pour ami… Tu te félicitais de mon étrangeté, de ma propension à rester hors du coup. Tu aimais exposer ma sauvagerie en société, toi qui vivais si normalement. J'étais ton alibi. Mais… à la longue, il faut croire que cette sorte d'affection se tarit… Sur le tard, tu prends ton autonomie… SERGE. J'apprécie le "sur le tard". MARC. Et je hais cette autonomie. La violence de cette autonomie. Tu m'abandonnes. je suis trahi. Tu es un traître pour moi. Silence SERGE (à Yvan). …Il était mon mentor, si je comprends bien !… (Yvan ne répond pas. Marc le dévisage avec mépris. Léger temps.) …Et si moi, je t'aimais en qualité de mentor… toi, de quelle nature était ton sentiment ? MARC. Tu le devines. SERGE. Oui, oui, mais je voudrais te l'entendre dire. MARC. …J'aimais ton regard. J'étais flatté. je t'ai toujours su gré de me considérer comme à part. J'ai même cru que cet à part était de l'ordre du supérieur jusqu'à ce qu'un jour tu me dises le contraire. SERGE. C'est consternant. MARC. C'est la vérité. SERGE. Quel échec… ! MARC. Oui, quel échec ! SERGE. Quel échec ! MARC. Pour moi surtout… Toi, tu t'es découvert une nouvelle famille. Ta nature idolâtre a trouvé d'autres objets. L'Artiste !… La Déconstruction !… Court silence.
YVAN. C'est quoi la déconstruction ?… MARC. Tu ne connais pas la déconstruction ?… Demande à Serge, il domine très bien cette notion… (A Serge.) Pour me rendre lisible une œuvre absurde, tu es allé chercher ta terminologie dans le registre des travaux publics… Ah, tu souris ! Tu vois, quand tu souris comme ça, je reprends espoir, quel con…
YVAN. Mais réconciliez vous ! Passons une bonne soirée, tout ça est risible ! MARC. …C'est de ma faute. On ne s'est pas beaucoup vu ces derniers temps. J'ai été absent, tu t'es mis à fréquenter le haut de gamme… Les Rops… les Desprez Coudert… ce dentiste, Guy Hallier… C'est lui qui t'a… SERGE. Non, non, non, non, pas du tout, ce n'est pas du tout son univers, lui n'aime que l'Art conceptuel… MARC. Oui, enfin, c'est pareil. SERGE. Non, ce n'est pas pareil. MARC. Tu vois, encore une preuve que je t'ai laissé dériver…
On ne se comprend même plus dans la conversation courante. SERGE. J'ignorais totalement vraiment c'est une découverte que j'étais à ce point sous ta houlette, à ce point en ta possession… MARC. Pas en ma possession, non… On ne devrait jamais laisser ses amis sans surveillance. Il faut toujours surveiller ses amis. Sinon, ils vous échappent…
Regarde ce malheureux Yvan, qui nous enchantait par son comportement débridé, et qu'on a laissé devenir peureux, papetier… Bientôt mari… Un garçon qui nous apportait sa singularité et qui s'escrime maintenant à la gommer… SERGE. Qui nous apportait ! Est ce que tu réalises ce que tu dis ?
Toujours en fonction de toi! Apprends à aimer les gens pour eux-mêmes, Marc. MARC. Ça veut dire quoi, pour eux mêmes ?! SERGE. Pour ce qu'ils sont. MARC. Mais qu'est ce qu'ils sont ?! Qu'est ce qu'ils sont ?!…
En dehors de l'espoir que je place en eux ?…
Je cherche désespérément un ami qui me préexiste. Jusqu’ici, je n'ai pas eu de chance. J'ai dû vous façonner… Mais tu vois, ça ne marche pas. Un jour ou l'autre, la créature va dîner chez les Desprez-Coudert et pour entériner son nouveau standing, achète un tableau blanc.
YVAN. En médecine, ça porte un nom. La maladie qu'il a porte un nom… SERGE. Donc, nous voici au terme d'une relation de quinze ans… MARC. Oui…
YVAN. Minable… MARC. Tu vois, si on était arrivé à se parler, normalement, enfin si j'étais parvenu à m'exprimer en gardant mon calme… SERGE. Oui ?… MARC. Non… SERGE. Si. Parle. Qu'on échange ne serait ce qu'un mot dépassionné. MARC. …Je ne crois pas aux valeurs qui régissent l'Art d'aujourd'hui… La loi du nouveau. La loi de la surprise…
La surprise est une chose morte. Morte à peine conçue, Serge… SERGE. Bon. Et alors ? MARC. C'est tout. J'ai aussi été pour toi de l'ordre de la surprise. SERGE. Qu'est ce que tu racontes ! MARC. Une surprise qui a duré un certain temps, je dois dire.
YVAN. Finkelzohn est un génie.
Je vous signale qu'il avait tout compris MARC. J'aimerais que tu cesses d'arbitrer, Yvan, et que tu cesses de te considérer à l'extérieur de cette conversation.
YVAN. Tu veux m'y faire participer, pas question, en quoi ça me regarde ? J'ai déjà le tympan crevé, réglez vos comptes tout seuls maintenant ! MARC. Il a peut être le tympan crevé ? Je lui ai donné un coup très violent. SERGE (il ricane). Je t'en prie, pas de vantardise. MARC. Tu vois Yvan, ce que je ne supporte pas en ce moment chez toi outre tout ce que je t'ai déjà dit et que je pense c'est ton désir de nous niveler. Egaux, tu nous voudrais. Pour mettre ta lâcheté en sourdine. Egaux dans la discussion, égaux dans l'amitié d'autrefois. Mais nous ne sommes pas égaux, Yvan. Tu dois choisir ton camp.
YVAN. Il est tout choisi. MARC. Parfait. SERGE. Je n'ai pas besoin d'un supporter. MARC. Tu ne vas pas rejeter le pauvre garçon.
YVAN. Pourquoi on se voit, si on se hait ?! On se hait, c'est clair !
Enfin, moi je ne vous hais pas mais vous, vous vous haïssez ! Et vous me haïssez ! Alors pourquoi on se voit ?… Moi je m'apprêtais à passer une soirée de détente après une semaine de soucis absurdes, retrouver mes deux meilleurs amis, aller au cinéma, rire, dédramatiser… SERGE. Tu as remarqué que tu ne parles que de toi.
YVAN. Et vous parlez de qui, vous ?! Tout le monde parle de soi ! SERGE. Tu nous fous la soirée en l'air, tu…
YVAN. Je vous fous la soirée en l'air ?! SERGE. Oui.
YVAN. Je vous fous la soirée en l'air ?! Moi ?! Moi, je vous fous la soirée en l'air ?! MARC. Oui, oui, ne t'excite pas!
YVAN. C'est moi qui fous la soirée en l'air ?!!… SERGE. Tu vas le répéter combien de fois ?
YVAN. Non mais répondez moi, c'est moi qui fous la soirée en l'air ?!! … MARC. Tu arrives avec trois quarts d'heure de retard, tu ne t'excuses pas, tu nous soûles de tes pépins domestiques… SERGE. Et ta présence veule, ta présence de spectateur veule et neutre, nous entraîne Marc et moi dans les pires excès.
YVAN. Toi aussi! Toi aussi, tu t'y mets ?! SERGE. Oui, parce que sur ce point, je suis entièrement d'accord avec lui. Tu crées les conditions du conflit. MARC. Cette mièvre et subalterne voix de la raison, que tu essaies de faire entendre depuis ton arrivée, est intenable.
YVAN. Vous savez que je peux pleurer… Je peux me mettre à pleurer là… D'ailleurs, je n'en suis pas loin… MARC. Pleure. SERGE. Pleure.
YVAN. Pleure ! Vous me dites, pleure !!… MARC. Tu as toutes les raisons de pleurer, tu vas épouser une gorgonne, tu perds des amis que tu pensais éternels…
YVAN. Ah parce que ça y est, tout est fini ! MARC. Tu l'as dit toi même, à quoi bon se voir si on se hait ?
YVAN. Et mon mariage ?! Vous êtes témoins, vous vous souvenez ?! SERGE. Tu peux encore changer.
YVAN. Bien sûr que non ! je vous ai inscrits ! MARC. Tu peux en choisir d'autres au dernier moment.
YVAN. On n'a pas le droit ! SERGE. Mais si !…
YVAN. Non !… MARC. Ne t'affole pas, on viendra. SERGE. Tu devrais annuler ce mariage. MARC. Ça, c'est vrai.
YVAN. Mais merde ! Qu'est ce que je vous ai fait, merde
Il fond en larmes.
Un temps. C'est ignoble ce que vous faites ! Vous auriez pu vous engueuler après le 12, non, vous vous arrangez pour gâcher mon mariage, un mariage qui est déjà une calamité, qui m'a fait perdre quatre kilos, vous le ruinez définitivement ! Les deux seules personnes dont la présence me procurait un embryon de satisfaction s'arrangent pour s'entre tuer, je suis vraiment le garçon verni ! … (A Marc.) Tu crois que j'aime les pochettes perforées, les rouleaux adhésifs, tu crois qu'un homme normal a envie, un jour, de vendre des chemises dos à soufflet ?! … Que veux tu que je fasse ? J'ai fait le con jusqu'à quarante ans, ah bien sûr je t'amusais, j'amusais beaucoup mes amis avec mes conneries, mais le soir qui est seul comme un rat ? Qui rentre tout seul dans sa tanière le soir ? Le bouffon seul à crever qui allume tout ce qui parle et qui trouve sur le répondeur qui ? Sa mère. Sa mère et sa mère. Un court silence. MARC. Ne te mets pas dans un état pareil.
YVAN. Ne te mets pas dans un état pareil ! Qui m'a mis dans cet état ?! Je n'ai pas vos froissements d'âme moi, qui je suis ? Un type qui n'a pas de poids, qui n'a pas d'opinion, je suis un ludion, j'ai toujours été un ludion ! MARC. Calme toi…
YVAN. Ne me dis pas, calme toi !je n'ai aucune raison de me calmer, si tu veux me rendre fou, dis moi, calme toi ! Calme toi est la pire chose qu'on peut dire à quelqu'un qui a perdu son calme! je ne suis pas comme vous, je ne veux pas avoir d'autorité, je ne veux pas être une référence, je ne veux pas exister par moi même, je veux être votre ami Yvan le farfadet ! Yvan le farfadet. Silence. SERGE. Si on pouvait ne pas tomber dans le pathétique…
YVAN. J'ai terminé.
Tu n'as pas quelque chose à grignoter ? N'importe quoi, juste pour ne pas tomber évanoui.
SERGE. J'ai des olives.
YVAN. Donne. Serge lui donne un petit bol d'olives qui est à portée de main. SERGE (à Marc). Tu en veux ? |