VII. essais utopiques libertaires de « petite » dimension : 2° partie sur LES MICROCOSMES.
B.essais utopiques libertaires surtout pédagogiques : des « utopédagogies »1
VII. essais utopiques libertaires de « petite » dimension : 1
B. essais utopiques libertaires surtout pédagogiques : des « utopédagogies » 1
1. Un arrière plan théorique et expérimental très important et très riche : 5
a) Quelques précurseurs plus ou moins libertaires… 5
b) L’innovant Charles FOURIER, le prudent Victor CONSIDÉRANT et quelques autres disciples… Présentation de «l'éducation naturelle ou harmonienne» 7
c) Les premiers anarchistes : William GODWIN et Mary WOOLSTONECRAFT 25
d) L’éducation exigeante de Max STIRNER 27
e) Primauté du travail et de l’éducation chez PROUDHON : pour une démopédie 28
f) Quelques autres libertaires quarante-huitards : DÉJACQUE, COEURDEROY, GAY, etc. 32
g) Louise MICHEL institutrice anarchiste - Gustave COURBET ministre libertaire de l’Éducation sous la Commune de Paris : 2 libertaires sous l’Empire 33
h) BAKOUNINE éducation complète et liberté 35
i) L’énorme engagement éducatif des frères RECLUS 37
j) Pierre KROPOTKINE éducation collective, entraide et rayonnement individuel 39
k) Jean GRAVE, pédagogue et écrivain utopiste 40
l) Ferdinand Domela NIEUWENHUIS anarchiste néerlandais et internationaliste 41
m) Entre autodidactisme, syndicalisme libertaire et Université populaire : Fernand PELLOUTIER, Georges SOREL 43
n) XIX° et début du XX°s. : quelques pédagogues libertaires espagnols autres que FERRER : TARRIDA, LORENZO, MAYMÓN, MELLA, QUINTANILLA… 44
o) James GUILLAUME et la pensée pédagogique sous la III° République 48
p) Le néo-proudhonisme éducatif et une vision syndicaliste de l’éducation avec Albert THIERRY (1881-1915), repris par Marcel MARTINET (1887-1944) 49
q) L’individu au centre : éducation et individualisme anarchiste vers 1900 : quelques exemples pris chez Manuel DEVALDÈS, Abel FAURE, Stephen MAC SAY, E. ARMAND, Émile MASSON… 52
r) Comment concevoir « L’éducation de demain » - C.-A. LAISANT et Aristide PRATELLE 56
a) Salvador SEGUI et l’éducation à la rébellion. 57
b) Luigi FABBRI penseur anarchiste et maître d’école 57
c) Entre néo-proudhonisme et sociocratie : les Pays Bas des années 1920 59
d) Pragmatisme libertaire et contre-culture aux ÉU : Paul GOODMAN 59
e) Quelques positions libertaires éducatives au Royaume Uni : Herbert READ, Colin WARD 62
2. Quelques grands expérimentateurs et expérimentations libertaires - Fin XIX°-début XX° 63
a) Léon TOLSTOÏ (1828-1910), l’expérience d'Iasnaïa Poliana et les naturalistes tolstoïens 63
b) L’école de Plotino C. RHODAKANATY au Mexique 66
a) Paul ROBIN (1837-1912) et Cempuis 1880-1894 : l’instruction intégrale liée au néo-malthusianisme et à l'internationalisme 67
b) Les « Écoles libertaires » : DEGALVÈS et JANVION vers 1897 - Léon CLÉMENT vers 1905 73
c) Quelques initiatives libertaires chiliennes XIX° - début du XX° 74
d) Les associations se réclamant de FERRER y GUARDIA Francisco 76
(1) FERRER et l’école «rationaliste» ou «moderne» 76
(2) Influences en Espagne 79
(3) Influences hors d’Espagne : Clivio, Bruxelles, Lausanne, Malines, Stelton, Sucre, Rio, Buenos Aires, Londres, Lisbonne, San Juan… 86
(4) FERRER revu (?) par Albano ROSELL 103
e) Sébastien FAURE (1858-1942), La Ruche 1904-1917 et L’Encyclopédie anarchiste (1926-1934) 105
f) L’éducation libertaire autour des autres Milieux libres dans l’aire francophone 109
g) Le « Centre Culturel Juif » de Londres et l’influence de ROCKER Rudolph 110
h) Madeleine VERNET (1878-1949) et L’Avenir Social (créé en 1906-1907) 111
i) La Bonne Louise, « nid d’enfant » 1907 113
3. Les Bourses du Travail, Universités Libres, Nouvelles ou Populaires, Causeries populaires, Maisons du peuple, Écoles syndicales et « Athénées »…jusqu’à nos jours 114
a) Multiplicité des mouvements socioculturels pour l'enseignement populaire 114
b) Exemples d’Universités populaires, souvent liées aux Bourses du Travail 116
5. Essais pédagogiques libertaires de l’entre deux-guerres 125
a) France. « L’Enfance Heureuse », une « société populaire d’éducation » aux teintes libertaires 125
b) Allemagne. Les « maîtres camarades » de Hambourg 1919-1933 et leurs précurseurs en Allemagne et en Autriche 126
j) Autriche, Allemagne, Espagne et France… Etta FEDERN, pédagogue anarchiste internationaliste 127
k) États-Unis - France : Pryns HOPKINS 128
l) Argentine. La Escuela Serena et les sœurs COSSETINI 129
m) Espagne républicaine. Les explosions de l’année 1936 et les expériences durant la Révolution et la Guerre 1936-39 129
(1) L'impulsion pédagogique républicaine et révolutionnaire 129
(2) Les questions scolaires et pédagogiques dans l'Espagne restée républicaine en 1936 130
(3) Une Catalogne fortement mobilisée pour l'éducation active, libre et rationnelle. Importance et dérives de la CENU 131
(4) La floraison variée d'initiatives pédagogiques plus ou moins libertaires 133
n) URSS. Quelques essais antiautoritaires 138
3. Essais libertaires de la 2° moitié du XX° siècle 139
a) L’école progressiste de Burgess Hill à Londres - années 1940 139
a) Des pédiatres libertaires au CEIS (Rimini) dans les années 1940-1950 140
b) La « Walden School » en Californie depuis les années 1940-1960 141
c) La Colonia-Comunità Maria Luisa BERNERI 1951-1962 141
d) La thérapie autogestionnaire de Friedrich LIEBLING (1893-1982) et les initiatives identiques de Roberto FREIRE au Brésil. 142
e) L'école pour tous. Le Chianti de Stefania MORI - années 1970 143
f) Pragmatisme libertaire & école de la libération chez le brésilien Paulo FREIRE 144
4. Quelques essais d’autogestion et de réalisations libertaires récents 145
a) Quelques essais plus ou moins autogestionnaires en France 145
a) Les EPK- Écoles populaires kanak (1984-1989) 151
b) Quelques autres cas d’écoles démocratiques, antiautoritaires et libertaires dans le monde entier - Surtout fin XX° – début XXI° siècle 152
5. Essais et théories proches du mouvement libertaire, avec de nombreuses interactions : 162
a) Autour du mouvement de « l’école nouvelle » ou apparenté : AITKENHEAD, DEWEY, MONTESSORI, FERRIÈRE, KEY, DECROLY, PAPANEK, WASHBURNE et les autres… 162
b) The School of Living - Ralph BORSODI depuis les années 1930 168
c) « L’autoritaire » MAKARENKO 168
d) La pédagogie libertaire de Jiddu KRISHNAMURTI 169
e) L’importance des psychologues et psychanalystes dans l’éducation 170
f) Diversité des expériences autogestionnaires et antiautoritaires : LANE, HOARE, NEILL, RUSSEL, KOHLBERG, DELIGNY et les autres… 172
g) Le mouvement « FREINET » 179
h) La « pédagogie autogestionnaire ou institutionnelle » : une pédagogie libertaire 181
i) La société sans école ou une société déscolarisée ou diffuse ? ILLICH, HOLT, BERNARDI, MOTTANA et les autres 187
i) « La citadelle des rêves vécus » de Serge ALEXIS 192
a) La pédagogie de la résistance : Raffaele MANTEGAZZA 193
6. Essai de définition « théorique » de l’utopie éducative libertaire 193
«Il ne faut pas confondre l'instruction qui meuble l'esprit de l'éducation qui le forme»
E. DELAUNAY, Encyclopédie Anarchiste, 19342. «L'auto-éducation forme les hommes pour leur libre développement» et les prépare pour l'action révolutionnaire dont elle est le préalable pour être efficace et cohérent, note Antonia MAYMÓN en 19303. Si «l'autodidactisme reste le principal moteur de diffusion culturelle pour les anarchistes»4, l'éducation collective (dans un cadre «familial» parfois, communautaire ou public le plus souvent) tient «un rôle central dans leur pensée», dans les projets politiques et utopiques du mouvement et dans l'engagement social des anarchistes dans le monde dans lequel ils vivent5. Dans le camp socialiste «ils ont été ceux qui ont soutenu avec le plus de vigueur les idées éducatives nées à l'époque des Lumières…»6. Pour l’utopie anarchiste, visant la création d’un homme libre, idéal, nouveau... l’école est donc un élément fondamental, qui doit permettre aux élèves et autres apprenants de s’émanciper personnellement et socialement. C’est pourquoi l’utopie pédagogique et/ou éducative libertaire est sans doute la plus importante des propositions pédagogiques des différents courants socialistes, mis à part, peut-être, les réflexions d’OWEN sur ce même thème. Comme le rappelle très récemment Filippo TRASATTI, « le terme ‘’Éducation’’ a toujours été un mot puissant et dangereux, parce qu’il est évident qu’il porte avec lui une ou plusieurs images de l’homme, une vision du présent et du futur, une conception entre moyens et fin, valeurs implicites et explicites »7. Bref un domaine où l’utopie à toute sa place. On comprend donc mieux la phrase un peu réductrice de l’historien chilien Sergio PEREIRA pour qui « le premier grand thème à diffusion publique pour la pensée libertaire fut celui de l’éducation »8. Ceci étant, il faut faire attention aux mots utilisés : l'éducation libertaire englobe l'éducation anarchiste, les deux notions ne sont donc pas synonymes, même si on les emploie souvent l'une pour l'autre et si peu de personnes font la distinction. D'autre part toute éducation anarchiste n'est pas forcément totalement libertaire (au sens fort), puisque certains éducateurs et écoles anarchistes inculquent notions et idées orientées (anarchisme, athéisme, antimilitarisme…), comme le font à leur manière et avec leurs propres priorités des écoles marxistes ou des écoles religieuses. Ce dernier point, on y reviendra, a causé des débats ardus dans le mouvement, jusqu'à nos jours, puisqu'aux yeux des anarchistes conséquents et cohérents, le refus de tout dogme s'applique aussi à l'anarchisme lui même. Bel exemple de pensée politique récursive ! Les puristes parlent de pédagogie libertaire ou de pédagogie non-coercitive, d’autres préfèrent la formule de pédagogie autogestionnaire ou celle d’éducation libertaire, globale, tout autant initiale que permanente. Ils réfutent souvent le terme de «formation», car celui s'apparente à conformisme, au formatage… c'est-à-dire à des concepts qui sont aux antipodes de l'émancipation. Une des meilleures synthèses sur ces questions de vocabulaire peut être celle de René LOUREAU en 1997 dans son article L’éducation libertaire publiée dans le numéro 123-124 de la revue L’homme et la société. Sans rentrer dans ces nuances, je vais prendre en compte tout projet éducatif jouant sur des moyens et des méthodes éducatives et pédagogiques libertaires, dans un cadre institutionnel non hiérarchique, misant sur un égalitarisme libertaire entre tous les membres de la communauté éducative, et proposant, grâce à cette éducation (coéducation ?), de former l’esprit critique et la distanciation nécessaire vis à vis des institutions, pour que l’individu devienne autonome et épanoui, même dans le cadre d’une société détestable, ce qui est le propre de tout projet anarchiste. Le récent livre (2005) de Francesco CODELLO, appelé à devenir une des références en matière de pédagogie libertaire, confirme désormais largement la vision large que je propose ici, puisqu’il écrit lui-même « qu’en somme, cette histoire de l’éducation libertaire est un mélange continuel de théories et d’expériences, d’idées anarchistes appliquées à l’éducation, mais également de théories et de pratiques organisationnelles et didactiques qui très souvent, de manière implicite, peuvent nous ramener à l’anarchisme »9. Ce livre est une formidable et incroyable source sur les libertaires et l’éducation, et même si mes recherches remontent à des dizaines d’années, je lui dois une considérable reconnaissance pour les précisions et parfois les découvertes. En France les multiples écrits d'Hugues LENOIR, pédagogue libertaire spécialisé en andragogie (pédagogie des adultes)10, nous fournissent de sérieuses mises au point et nous enrichissent en permanence.
La pédagogie libertaire est bien dans ce cadre ainsi défini « l’anticipatrice des sociétés futures »11.
L’éducation libertaire vise à préparer, rendre possible, et réaliser ce monde futur (c’est ainsi que l’on peut parler de gradualisme libertaire - CODELLO ajoute « possibilisme »-, l’école préparant progressivement la révolution attendue). Elle s’y épanouira alors pleinement. Cela ouvre d’ailleurs tout un débat qui parcourt l’anarchisme et distingue schématiquement deux grandes options, même si elles se rejoignent parfois :
1- la première, depuis FOURIER au moins («c'est donc par l'éducation qu'il faut commencer»12), fait de l’école libertaire un moyen préparant la révolution et l’émancipation sociale et individuelle (gradualisme ci-dessus évoqué). Sinon, si on fait la révolution avec des personnes incultes ou non préparées, on risque d'échouer immédiatement ou pire de contribuer à établir une société tout aussi absurde que l'actuelle.
2- la seconde fait de la révolution le moyen qui permettra à l’éducation libertaire de se développer et d’être réellement libre. La primauté revient donc ici au changement social, seul capable de permettre à une éducation libre de s'épanouir.
Éternel débat, un peu vain, de la poule et de l’œuf, pourtant récurrent en milieu anarchiste, même si les théories du grand soir et de la grève générale révolutionnaire comme actions premières sont aujourd'hui très fortement relativisées. Ainsi le philosophe pédagogue libertaires espagnol Félix GARCÍA MORIYÓN rappelle que «le changement social ne se produit pas du jour au lendemain, ni par la prise du Palais d'hiver, ni par la déclaration de la collectivisation des terres et des usines ; c'est le résultat d'un long processus pédagogique…»13. Selon la perspective choisie, on s’engagera largement dans l’action pédagogique, ou on la délaissera ou minorera en privilégiant l’action révolutionnaire puisque comme l’écrivait Carlo PISACANE « le peuple ne sera pas libre quand il sera éduqué, mais sera éduqué quand il sera libre »14.
Heureusement, à mon sens, les libertaires les plus conséquents ont pris des positions moyennes par rapport à ces deux extrêmes, notamment en misant autant sur la pédagogie libertaire que sur les préparatifs plus globaux du changement social. «Un projet de révolution intégrale ne peut être mené sans un changement éducatif également radical. Un changement éducatif radical ne peut pas se produire s'il n'est pas lié à un projet révolutionnaire intégral»15 ; il faudrait moduler un peu et préciser le sens de révolution, lui aussi tellement rediscuté aujourd'hui en camp anarchiste. Cependant, il faudra nuancer le propos en opposant parfois (certes de manière un peu caricaturale) les « éducateurs libertaires » (qui sont avant tout des militants anarchistes révolutionnaires, et qui tentent d’appliquer aussi leurs idées dans le champ de l’école et de la formation) des « éducationnistes » (qui sont plus proches de l’utopie pédagogique, pensant que l’œuvre scolaire ou éducative libertaire est presque autosuffisante dans son optique de changer le monde progressivement en changeant d’abord l’homme). Comme l’écrit Gaetano MANFREDONIA, ces « éducationnistes réalisateurs » font « de l’éducation des individus dans la société actuelle le levier du changement »16. Pour mieux comprendre ces nuances, les avis de Errico MALATESTA, comme ceux de son ami et compagnon idéologique Luigi FABBRI (1877-1935), nous aident beaucoup : favorable à la culture intégrale pour tous et soutenant les efforts pédagogiques, il pense cependant que lors des périodes révolutionnaires, les éducationnistes, tout comme les autres militants éparpillés sur le front des « colonies libertaires » utopiques, gaspillent des forces et fragilisent le mouvement. En gros, il faut d’abord faire la révolution si on veut par la suite réaliser une éducation libertaire conséquente. Dans Scuola e rivoluzione - École et révolution, FABBRI réaffirme en 1912 que la vraie école libertaire ne pourra se faire qu’après la révolution achevée. La vaste étude italienne de Tina TOMASSI (Ideologia libertaria e formazione umana - Idéologie libertaire et formation humaine) nous aide beaucoup sur ces différents plans17, même si l’édition militante espagnole que j’ai lue est malheureusement d’assez faible qualité. J’ai regroupé en fichier annexe18, et accessible sur le net, une aide bibliographique sélective sur la pédagogie et les pédagogues libertaires.
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