Les oppositions binaires ou bien ceci, ou bien cela : centre/périphérie, continuité/discontinuité, mixité/ségrégation, homogénéité/hétérogénéité, plein/vide cèdent le pas à la ville paradoxale du tout à la fois







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date de publication21.02.2017
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Les sept piliers de la nouvelle urbanité

Jeudi 16 mai 2002

(LE MONDE DES LIVRES)

Aux anciennes figures de l'harmonie classique, de l'unité formelle ou encore de la minéralité, se sont imposées celles de la mobilité, du territoire, de la nature ou encore du polycentrisme, pour définir les villes contemporaines. Une autre façon de vivre l'urbain qu'analyse le sociologue Yves Chalas.







VILLES CONTEMPORAINES d'Yves Chalas. Ed. Cercle d'art, 208 p. (ill. en couleurs), 44,20 €.

Sociologue travaillant notamment sur l'imaginaire des villes, Yves Chalas nous livre un ouvrage passionnant qui dénombre et mesure les mutations des villes et leur réalité plurielle. Les Villes contemporaines reposent, selon Chalas, sur les sept piliers d'une urbanité nouvelle : la mobilité, le territoire, la nature, le polycentrisme, le choix, le vide, le temps continu. Ces figures remplacent les figures des villes d'hier, l'harmonie classique, l'unité formelle, la minéralité, la densité, la fixité, la centralité unique, le contour défini, la séparation de la nature, et créent de nouveaux espaces : centres commerciaux, multiplexes, technopoles, plates-formes intermodales de transit, parcs de loisirs, centres verts, centres artistiques et culturels, ensembles sportifs....

Chalas annonce ainsi le dépérissement d'un modèle ancien et célèbre une autre façon de vivre les villes. Les oppositions binaires - ou bien ceci, ou bien cela : centre/périphérie, continuité/discontinuité, mixité/ségrégation, homogénéité/hétérogénéité, plein/vide - cèdent le pas à la ville paradoxale du tout à la fois. Nous le savions certes depuis longtemps. Barthes nous a déjà dit "le vide central" de Tokyo ; Argan et Huet la ville classique liant plein et vide ; Venturi l'ambiguïté de la ville moderne détestant plus que tout l'opposition binaire du blanc et du noir.

Si la démonstration de Chalas appelle heureusement le débat, c'est qu'elle repose sur des données objectives fortes. Les villes d'hier ne représentent plus qu'une faible part des territoires urbains : 30 % à 40 % en France et en Italie, moins de 20 % aux Etats-Unis, 10 % en Suisse. Un Français parcourait 3 kilomètres par jour pendant les "trente glorieuses"; il en fait 10 aujourd'hui. Les deux tiers des achats se font dans les centres commerciaux des périphéries. Nous consacrons trois fois moins de temps à notre travail qu'il y a cent ans. Plus rapides et disposant de plus de temps libre, nous étendons notre territoire, et les "migrants alternants", allant et revenant chaque jour de leur résidence périphérique à leur lieu de travail, se multiplient. La durée moyenne des déplacements quotidiens pour aller travailler reste identique en Europe (environ une heure) pour une distance qui s'accroît. Aux Etats-Unis, en revanche, elle peut déjà atteindre trois heures !

Chalas repère avec justesse des déplacements de valeurs et de comportements. Le marginal n'est plus celui qui bouge, mais celui qui reste fixe. Le logement demeure le seul point fixe. La mobilité ne sépare pas, mais permet au contraire la création de réseaux d'appartenance. La ville de demain se fera contre l'auto envahissante. Internet est une autre ville mobile On ne vit plus seulement dans des lieux fixes, mais dans les espaces mêmes de la mobilité. Rien n'est plus vraiment excentrique ou périphérique. Les temps sociaux sont désynchronisés. Le quartier n'est qu'un pôle parmi d'autres. Les relations de proximité ont une moindre importance. La nostalgie n'est pas de mise et la ville ne se reproduit pas selon un modèle.

INTERROGATIONS EN SUSPENS

Les questions posées par un tel constat sont majeures. Qui fait les villes? Qu'est-ce qui fait ville? Est-ce que cela se pense, se délibère, se programme, se projette? Ou n'est-ce que le résultat improbable d'une régulation spontanée, d'un destin inéluctable mêlant la main invisible du marché et les effets visibles de ses promoteurs, les aspirations des consommateurs et les atermoiements des urbanistes ? Ces derniers n'évoquent plus les conurbations, mégalopoles, grandes villes ou métropoles ("représentations passées non pas de mode, mais de réel"), mais définissent la réalité nouvelle en parlant de " sprawl aux USA, ranstad et ville générique en Hollande, hyperville en Suisse, citta diffusa en Italie, métapole, ville émergente, ville-pays ou encore aire urbaine en France". Ni la question du projet urbain! (ce qui se dessine dans la ville et a encore une forme, selon les architectes) ni celle de la maîtrise du développement urbain ne sont abordées. L'urbaniste ne court-il pas derrière l'inéluctable comme le chien après la saucisse et n'appelle-t-il pas urbanité et émergence un épandage urbain, un all over de la ville du grand tout ? "La ville est partout. Là où il y a un territoire, grand ou petit, public ou intime, naturel ou artificiel, il y a de la ville", affirme Chalas.

La ville qu'il décrit, sans hiérarchie entre ses espaces, où le centre n'est nulle part et partout, "sans lieu ni borne", n'est-elle pas une ville des lisières infinies, des écarts plus que des points? Ville de pôles monofonctionnels et de zoning, pouvant faire regretter la pluralité de fonctions de l'espace public traditionnel, elle recèle selon lui, "en tous lieux, des qualités de l'urbanité". On nous permettra d'en douter et de déplorer, par exemple, la disparition du paysage, remplacé par le jardin (ou par une nature rapidement muséifiée) dans la ville-nature. Les magnifiques photos d'Alex Mac Lean et de Thibaud Cuisset dressent un douloureux constat. Le premier montre le pavillonnaire, imposant en pleine nature le précepte : tous pareils, mais chacun pour soi ; le second, des barres de logements faisant murs dans une nature aride, ou comment, ni ville ni nature, la terre des hommes devient no man's land. Je ne me réjouis pas davantage de ce constat tranquille : "Le troisième type d'habitant néo-rural ou néo-urbain peut être représenté entre autres par le "yuppie" américain qui fuit les centres-villes pour aller vivre à la campagne, sans pour autant renoncer à son portable, son ordinateur ou sa livraison matinale du Wall Street Journal..." On est passé du lopin de terre des jardins ouvriers à Yuppie City.

Rien n'est dit sur la violence, la beauté, l'architecture, les espaces publics, la mémoire, le rôle des monuments (la nécessité d'en créer de nouveaux), la symbolique, la fête, la nuit.... Chalas fait enfin un parallèle pertinent entre les procédures de l'art du siècle, collage, découpage, montage, arrachage, mixage.. et la généalogie des villes contemporaines. Mais si l'art renvoie immédiatement à la notion d'auteur, la question de l'engendrement de la ville reste sans réponse. Nul ne la dessine plus, sauf Léon Krier, comme le mouton du Petit Prince, mais nombreux sont ceux qui croient encore que la maîtrise et le projet ne sont pas de vains mots et que l'émergence (1) n'en tient pas lieu. Il faut réapprendre à donner lieu. Le beau livre d'Yves Chalas nourrit ces débats essentiels.

François Barré

(1) Voir également, d'Yves Chalas et Geneviève Dubois-Taine : La Ville émergente (éd. de l'Aube, 1997).






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