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L'héritage lucernois de Furtwängler Les premiers CD d'Orfeo diffusant des documents du Festival de Salzburg sont apparus sur le marché en 1992. Ils ont été relayés par des publications d'EMI. Furtwängler occupe une place de choix dans cette nouvelle production : elle nous restitue dans une prise de son excellente des opéras et des concerts entiers. C'est que Salzburg a eu l'intelligence de conserver dans ses archives les bandes sonores originales de la Radio autrichienne, chargée de diffuser dans le monde entier, depuis plus d'un demi-siècle, les plus grands événements artistiques du Festival.. La Radio suisse a aussi assuré la transmission radiophonique des concerts de Lucerne, mais hélas elle n'a pas constitué d'archives. Deux documents ont pourtant échappé à la trappe : la Neuvième de Beethoven (version 1954) a été gardée à Radio Bâle, et la répétition de la Septième (1951) à Radio Lausanne. La Radio suédoise a sauvé un concert de l'oubli, le Conservatoire de Berne un autre. Et pour le reste, des archives privées ont rapidement excité la convoitise d'entreprises pirates, en général italiennes. Furtwängler a donné vingt-trois Concerts à Lucerne, entre 1944 et 1954, qui représentent cinquante et une œuvres exécutées. Dix versions live, réunissant les programmes de quatre concerts, nous restent, auxquelles il faut ajouter trois enregistrements d'EMI. Tel est l'état de l'héritage lucernois du chef d'orchestre. En 1973, date de la publication de la discographie d'Olsen, huit documents y étaient recensés. Les autres sont apparus dans les vingt dernières années. Le tableau suivant entre dans plus de détails. ![]() Deux pièces de l'héritage lucernois - toutes deux, oeuvres de Beethoven : - la répétition de l'allegretto de la Septième symphonie, -le Concerto pour piano No 1. Septième symphonie : répétition de l'allegretto. "...En accord avec les responsables de l'orchestre, trois cents billets avaient été distribués aux étudiants de l'Université de Berlin-Ouest, qui leur permettaient d'assister à une répétition générale de Furtwängler au Titania-Palast. A dix heures, plus de huit cents personnes se pressaient aux portes de la salle de concert…" (Berlin, Dur Tagesspiegel, 12 avril 1953). Les répétitions générales de Furtwängler attiraient toujours beaucoup de monde. Elles n'étaient presque jamais interrompues; le chef se contentait, à la fin du mouvement, de transmettre quelques indications aux différents registres. Durant les répétitions de travail, auxquelles ne pouvaient assister que dix à vingt personnes, à Berlin ou à Vienne, il mettait en chantier les passages les plus délicats de l'oeuvre et les faisait répéter par ses instrumentistes jusqu'à ce que ceux-ci traduisent fidèlement ses intentions. Il parlait peu, mais exigeait beaucoup. Une collaboration de plusieurs années avait familiarisé les musiciens avec le style Furtwänglérien. Lorsqu'il se trouvait en présence d'orchestres "étrangers", c'est-à-dire autres que les ensembles berlinois ou viennois, il lui arrivait souvent de leur faire jouer d'entrée l'œuvre entière, d'un trait, c'était sans doute pour lui le meilleur moyen de mesurer les qualités techniques et expressives de son nouvel instrument. Puis il reprenait le détail ; pas nécessairement dans la suite des mouvements voulue par le compositeur, mais selon l'ordre qu'imposaient leurs difficultés. Le document de Lucerne nous restitue la partie médiane de l'allegretto. Nous entrons dans l'œuvre à la mesure 99. Furtwängler demande à ses musiciens de jouer "simplement", "pas trop lentement", et fait reprendre trois mesures avant la lettre D. Que les clarinettes soient « comme une voix venue d'en haut", que les flûtes soient "tendres" ! Mesures 120 et suivantes, il chante l'élément binaire caractéristique du thème principal joué par les basses. Nouvelle indication concernant les clarinettes: l'orchestre doit les "accompagner" - comme s'il s'agissait d'instruments solistes, avec une certaine liberté rythmique. A la mesure 127 il ne convient pas de traduire le diminuendo "à la lettre", Furtwängler désire vraisemblablement sauvegarder l'ampleur naturelle de la phrase : la reprise de l'orchestre (à la mesure 123, avant l'entrée des hautbois), où nous ne sentons précisément ni le diminuendo ni le piano de le mesure 129, nous confirme dans cette impression. Le passage au do majeur (mesure 139) est caractérisé par une accélération de tempo bien dans la manière du chef ; il répète plusieurs fois la grande descente des cordes qui amène le retour du thème principal (mesures 145 et suivantes, jusqu'à ce qu'il obtienne de l'orchestre l'intensité, la puissance, la "gravité" voulues. La seconde audition des mesures 135 et suivantes nous permet de mieux saisir l'accélération du tempo et surtout de mesurer le poids conféré au retour au thème en la mineur. Alourdissement il y a - souligné de la voix et martelé du pied ! mais il doit rester "en mesure". Dès que le motif principal apparaît (mesure 150), Furtwängler met en garde ses musiciens : "Attention, il faut que l'auditeur comprenne immédiatement que le thème est à la basse ! Les notes doivent sonner comme des cloches, oui, comme des cloches... et vous, les bois, jouez tout a fait sans expression !" II s'agit d'éviter ici la présence simultanée de deux éléments expressifs, l'un de nature mélodique, aux bois (il pourrait devenir facilement attractif), l'autre de nature rythmique, à la basse (or c'est justement lui qui constitue le fondement même du thème principal). La remarque de Furtwängler est caractéristique de sa façon de diriger. Assistant un jour à un concert donné par l'un de ses collègues préoccupé de marquer toutes les entrées des instrumentistes avec une précision minutieuse, il confiait à sa femme- "Ce n'est pas comme cela que je dirige. Un musicien de la Philharmonie de Vienne n'a pas besoin qu'on lui signale chacune de ses entrées. Ce qu'un orchestre doit savoir, c'est la manière de mettre un thème en évidence : il faut lui indiquer quel registre porte la mélodie". Et Furtwängler fait reprendre l'Orchestre du Festival de Lucarne trois mesures avant E (mesure 147). Il répète : "Pas trop fort" et "sans expression" à l'adresse des bois. Plus loin (mesure 174), il tient à garder la nuance piano, souligne le léger crescendo qui suit, avant l'entrée du fugato... "Messieurs" : notre plaisir ne sera pas prolongé ; les exigences d'une programmation radiophonique ont limité à ces quelques minutes notre privilège de pouvoir assister à une répétition du Maître. Du moins, ayant pénétré dans son atelier, nous faisons-nous une idée plus précise de sa conception du travail avec un ensemble symphonique. Concerto No 1 pour piano et orchestre. Evoquer le répertoire des œuvres pour piano et orchestre en songeant à Furtwängler, cela a été pendant longtemps l'occasion de se donner surtout des regrets. En effet, de tous les concertos inscrits à ses programmes, les firmes de disques n'en avaient, de son vivant, publié qu'un qui le fit intervenir, un monument il est vrai, L'Empereur avec Edwin Fischer. A partir de 1954, la discographie s'est peu à peu enrichie : on a vu paraître les Concertos No 10, 20, et 22 de Mozart ; le Concerto N° 4 de Beethoven ; le Concerto de Schumann ; le Concerto N° 2 de Brahms, dans la version de Fischer et dans celle d'Aeschhacher ; le Concerto symphonique de Furtwängler lui-même, Le 27 août 1947, Adrian Aeschbacher est au piano L'artiste est jeune - il a trente-cinq ans - mais sa notoriété a déjà largement dépassé les frontières de son pays natal, la Suisse. Né dans une famille de musiciens, élève de Frey à Zurich et de Schnabel à Berlin, il a commencé sa carrière en 1934. Il joue dans tous les pays d'Europe. Ses tournées le conduiront en Amérique du sud en 1949. Il réalise pour la DGG des enregistrements où apparaissent le plus souvent les noms de Beethoven, Brahms, Schubert et Schumann. Première rencontre avec Furtwängler en 1943 : à l'occasion d'un concert Brahms, le pianiste bernois devait interpréter le Deuxième concerto dans la "Alte Philharmonie", le 12 décembre. De sa collaboration avec l'illustre chef, Aeschbacher garde un souvenir précis : « Furtwängler travaillait beaucoup seul, chez lui. Il arrivait avec une conception achevée de l'ouvrage, mais il était en même temps très soucieux de laisser le soliste se chercher. Au concert, il donnait un extraordinaire sentiment de sécurité : jouer Beethoven avec lui a été pour moi une grande fête... » Quelle est la conception de Furtwängler du Premier concerto ? Ce qui frappe d'emblée, c'est que sur cette œuvre écrite en 1797 il projette bien davantage la lumière du Quatrième, voire du Cinquième concerto, que celle des concertos de Mozart avec lesquels le jeune Beethoven s'était familiarisé. Le premier mouvement est monumental et lyrique ; le deuxième prend une allure très méditative; ce n'est que dans le troisième que l'opus 15 retrouve son caractère d'ouvrage du XVIIIe siècle, et sa gaîté. Mais il y a chez le compositeur de vingt-sept ans un tel sens de la grandeur et une telle puissance de rêve que Furtwängler peut se sentir à l'aise dans cette œuvre qu'il élargit encore. Dans le premier mouvement, dès les premières mesures de l'exposition orchestrale, nous sommes saisis par la beauté du phrasé Furtwänglérien, lyrique dans le chant pp des cordes jusqu'à la mesure 12 (avec celte façon inimitable qu'a le chef de soutenir les notes longues de manière à faire ressortir la ligne mélodique), héroïque et mystérieux dès la reprise en ff jusqu'à la mesure 46. La tonalité en do majeur et la structure du thème bâti sur des accords répétés appellent une interprétation affirmée. Dès l'entrée de l'instrument soliste, Furtwängler rivalise avec lui de finesse et de sensibilité dans le phrasé. La palette sonore du piano est très semblable à celle de l'orchestre ; rien de durement articulé dans la manière d'Aeschbacher, mais un jeu fondu. Dans la deuxième partie du développement, le piano semble même tenir le rôle d'instrument concertant : aucune place pour l'effet dans ses interventions, au contraire une qualité d'intériorité marquée. Dans le climat musical créé par Furtwängler, le soliste a trouvé son style le plus authentique. Notons que des trois cadences écrites par Beethoven, Adrian Aeschbacher choisit celle qu'on entend le plus rarement. Après la phrase introductive du soliste, dans le deuxième mouvement, l'orchestre chante immédiatement avec une plénitude merveilleuse. Furtwängler prend du recul pour donner de l'espace au crescendo des mesures 10 et suivantes : comment résister à la douceur du phrasé des cordes, à la lente pulsation des basses ? Nous sommes pris, fascinés. Le chant de la clarinette (mesures 15-18) plane sur un ensemble qui l'accompagne avec une retenue admirable. A son tour le piano nous entraîne sur l'aile du rêve. Dans son dialogue avec l'orchestre, le jeu de l'un et le jeu de l'autre sont à ce point intériorisés qu'ils semblent s'attendre, s'écouter. Avec quel soin attentif Furtwängler prépare l'entrée du soliste à la mesure 43 ! Le toucher d'Aeschbacher ne peut pas être plus doux ni plus velouté quand s'ouvre à la mesure 44 la lente, la solennelle descente des basses. Avec quelle délicatesse, quel raffinement sonore le piano introduit maintenant le pp de l'orchestre à la mesure 531 Toute la partie médiane du mouvement a la beauté poignante d'un chant d'amour. La fusion du jeu de Furtwängler et d'Aeschbacher est absolue : jusqu'au flou dans la main gauche du pianiste qui se fond dans les attaques ouatées des basses (mesures 90 et suivantes). Dès la mesure 100, imperceptiblement, nous entrons dans la zone d'ombre de la coda. L'orchestre et le soliste quittent à regret cet univers de splendeur sereine et mystérieuse. Le tempo devient de plus en plus lent ; la musique parait se figer dans le silence. Le troisième mouvement fait avec les précédents un contraste tranché - l'accentuation de l'opposition entre les mouvements est une constante de l'art Furtwänglérien. Ici le tempo métrique s'affirme de bout en bout avec une grande rigueur, mais le rondo n'en est pas moins aisé, chantant, heureux : voici un Furtwängler gai ! Pianiste et orchestre s'entraînent dans un jeu limpide. Tout est parfaitement dessiné : la veine musicale rappelle le finale de la Quatrième symphonie. Nous lisons dans la Neue Zurcher Zeitung, au lendemain du concert, ces remarques d'un critique : "Entre le chef et le soliste on a senti l'accord intérieur le plus total. Furtwängler a dirigé l'Orchestre du Festival d'une manière très vivante, avec beaucoup de feu. Adrian Aeschbacher a joué le Premier concerto avec un sens profond de l'atmosphère lyrique, avec l'enthousiasme d'un poète et une maîtrise technique remarquable" Elisabeth Furtwängler et le Basset-Coulon. C'est une constatation habituelle de relever qu'après la mort de compositeurs, d'écrivains, d'interprètes qui ont marqué leur génération, leurs œuvres connaissent une période d'oubli. Rien de tel ne s'est passé avec Wilhelm Furtwängler : le souvenir du grand artiste reste remarquablement vivant parmi nous, et l'on peut voir dans ce phénomène comme une compensation du destin dont Ansermet naguère déplorait la sévérité. Si l'art du musicien allemand connaît aujourd'hui un pareil rayonnement, cela est dû d'abord, évidemment, à la valeur intrinsèque de son message, qui reste étonnamment neuf, puisqu'il "ne vise pas à la domination, mais à l'amour"; cela est dû aussi à l'activité inlassable de Mme Elisabeth Furtwängler. La veuve du chef d'orchestre, qui a partagé avec lui les heures les plus sombres et les plus belles de sa vie, garde à la mémoire de son mari une fidélité combien émouvante. Elle veille avec une attention constante sur un héritage culturel précieux entre tous, Lorsqu'une firme de disques, une association, lui demandent son accord pour la publication d'une archive, elle n'y consent que si l'œuvre restitue sans faille les pouvoirs incomparables de Wilhelm Furtwängler. Elle-même lutte avec énergie pour triompher des obstacles de toutes sortes qui retardent parfois la sortie d'un chef-d'œuvre : rappelons-nous les dix-neuf ans d'efforts et de négociations nécessaires pour permettre aux mélomanes de posséder l'interprétation romaine du Ring. Les témoignages que Mme Furtwängler peut apporter au monde musical actuel sont d'une telle valeur qu'an sollicite son concours d'Italie, de Suisse, des Etats-Unis, du Danemark, d'Allemagne, de France. La RAI réalise avec elle des émissions télévisées, la Radio romande, France-Musique, des interviews. Elle a donné, du 16 novembre au 17 décembre 1972, une série de conférences dans les universités américaines de Brown, Haverford, Harvard, Berkeley. A l'initiative de l'Institut allemand de la culture, elle a été appelée à faire un exposé à Copenhague, le 19 février 1974, devant un auditoire de plusieurs centaines de personnes. Même succès rencontré à Mannheim, à l'occasion des cérémonies marquant le vingtième anniversaire de la mort de son mari. Mme Furtwängler n'a pas quitté Clarens. Âgée aujourd'hui de plus de quatre-vingts ans elle est toujours aussi vive, positive, enjouée, à l'écoute de son temps. Elle a eu la joie immense de recevoir dans ses mains les enregistrements sur CD de toutes les oeuvres majeures de Wilhelm Furtavàngler : les Symphonies, le Concerto, les Sonates, le Te Deum, le Quintette (Voici que "le compositeur consent désormais à avoir affaire à chacun de nous, et obtient que chacun ait affaire à lui..." ). Grâce à elle, le "Basset-Coulon" reste un foyer musical vivant. Ses salons accueillent la violoniste Jenny Abel et le pianiste Michel Perret venus jouer les Sonates du Maître. Ils reçoivent plus de cinquante membres français et suisses de l'Association, réunis pour entendre avec ferveur la version lucernoise de la Neuvième symphonie. C'est ici qu'Alfred Brendel, chaque fois qu'il donne un récital en Suisse romande, répète son programme sur l'instrument de celui qu'il a tant admiré. Wilhelm Kempff l'y a autrefois précédé. La belle demeure vaudoise du XVIIIe siècle n'a décidément rien d'un musée. M. Félix Furtwängler, jeune professeur de mathématiques à l'Ancienne Académie de Lausanne, et musicien doué, s'installe lui aussi souvent au piano du "Basset-Coulon", pour le bonheur de sa grand-mère. Et pour son amusement il la régale des oranges et des mandarines qu'il fait mûrir dans le parc de la propriété. Michel Chauvy Savigny, novembre 1995 © 1996 SWF |
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