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II. Ce que nommer veut dire, ou les enjeux de l'évidence. Si l'intitulé fait un clin d'œil à Pierre Bourdieu (« ce que parler veut dire ») (6) c'est pour, en premier lieu, justifier le choix de désignation de l'objet « musique » ou de l'objet « patrimoine musical » algérien, c'est-à-dire de cette nébuleuse indéfinissable et dont les procédures de nomination font pourtant inflation. En effet, toutes les définitions que l'on peut relever dans la littérature savante, c'est-à-dire légitime au regard du savoir musical, pêchent par une taxonomie ethnocentrique, voire occidentalocentrique. Il en est ainsi de la définition la plus répandue, celle de « musique arabo-andalouse » : elle privilégie le déterminant ibéro-oriental, ce qui dénote une acception diffusionniste de l'héritage musical. On peut évoquer le qualificatif de « musique savante », donné par les orientalistes. Cet attribut met l'accent sur l'aspect littéraire de la musique en question, ainsi qu'aux aspects prescriptifs « visibles » et faisant partie des « commandements » rituels : il s'agit des niveaux rythmiques et des mouvements de chaque nûba etc. Or la qualité de « savant », portant sur le contenu manifeste, occulte le caractère de rationalité du contenu latent. Avec le structuralisme en linguistique puis en anthropologie (7), de domaine musical en général et le patrimoine oral en particulier, en tout cas au Maghreb, recèlent, au travers de sa mise en œuvre artistique, à titre individuel ou collectif, s'agissant du chant ou des instruments ou des deux à la fois, un système complexe et « rationnel », c'est-à-dire fondé sur une grammaire reproductible, et en tous cas bien loin de toute idée d'improvisation ou de production aléatoire. Ainsi se trouve posée la question de la scientificité implicite de l'objet dans la praxis de son exécution, à côté de celle de l'objet, donné à voir, à lire ou à entendre, c'est-à-dire la scientificité déclarative et prescriptive, que subsume le rituel orchestral. La rationalité est à la conscience ce que la mémoire est à l'oubli. Autrement dit, les praticiens, ou artisans de cet objet musical, n'ont aucune conscience claire de la rationalité qu'elle recèle. Mais le caractère savant n'en est pas moins patent. Les praticiens avancent, telles les personnages de la tragédie grecque, le visage masqué (personna ne veut-il pas dire « masque » ?). Ils portent par empathie le message et le signe d'une complexité systématique qu'ils sont incapables d'objectiver par le langage dit savant. D'où l'ambiguïté du mot savant, car il occulte le signifié au profit du signifiant. Par ailleurs, cette appellation présuppose une deuxième discrimination : « musique savante » connote « musique de la cité », par opposition à une esthétique musicale extra-muros. Cela pose le problème du locuteur, ou pour le moins du lien d'où l'on qualifie l'objet. La réponse est très facile à trouver. Cette problématique est vaste et féconde en même temps parce qu'elle nous renseigne sur d'autres truismes binaires qui recèlent un parti pris, un lien (forcément hégémonique) d'énonciation (8). Une autre énonciation, celle de « musique courtoise », relève du même présupposé qui précède, dans le sens où le genre courtois, forcément savant, est mutatis mutantis d'obédience citadine (ou que, d'obédience citadine, ce genre est mutatis mutantis forcement savant). Nous savons, en revanche, depuis des publications relativement récentes (9), que le genre courtois se passe de la frontière qui sépare la ville de la campagne et que, tout comme l'occident médiéval, la ruralité (en Europe) ou la bédouinité (au Maghreb) furent les principaux creusets de l'épopée chevaleresque et de la noblesse. C'est pourquoi de nombreux textes du 'aroubi écrits par Ben Guenoun ou Mostefa Ben Brahim et chantés soit par Cheikh Hammada dans le pur style bédouin soit par des interprètes de la cité tlemcénienne comme Cheikh Redouane, sont d'une troublante similitude d'avec le corpus du hawzi, qui s'origine pourtant au cœur de la Médina : convergences thématiques sur les vicissitudes de l'amant, sur l'inaccessibilité de la belle, sur la belle sans pitié, sur l'honneur et la bravoure, etc. En dehors des différences strictement linguistiques, voire phonologiques, l'aspect sémiologique est transversalement identique. Donc, ruine d'une telle bi-partition sémantique. Enfin, on a pu donner le glorieux qualificatif de « musique classique algérienne », à quelque chose qui n'a jamais été mêlé, ni de près ni de loin à l'aventure du classicisme européen. Car il faut bien insister sur le fait qu'en matière de classification, le terme « classique » utilisé pour définir non seulement un style mais une période littéraire, musicale, architecturale, renvoie pour chacune de ces disciplines à des périodes différentes bien connues, et à des caractéristiques bien précises. Le terrain du classicisme musical comme des autres domaines de la création, est déjà occupé. L'Occident en détient le droit de primogéniture. On ne peut désormais parler de genre classique en musique que par rapport aux canons du classicisme là où ce dernier a pris naissance sous cette appellation. Ceux en Europe qui ont voulu s'inspirer de ces canons, ont cependant fabriqué une ars nova (exemple de l'architecture) appelée « néo-classique », pour la raison bien simple que le classicisme dans une discipline particulière ne se définit pas seulement comme genre mais aussi comme date. C'est un espace-temps de la création qui ne peut être reproductible pour des raisons qui tiennent à la logique taxonomique et dont on peut comprendre le bien-fondé. Il en est de même du compositeur qui crée, à l'intérieur d'une nûba, une mélodie nouvelle venant grossir le répertoire des pièces du mouvement m'çaddar par exemple. Même dans le cas où la création est sans faille dans sa conformité canonique, elle reste une pièce rapportée, parce que historiquement datée. Tous ceux qui plaident, en toute légitimité du reste, pour l'ijtihad et l'esprit d'innovation (- ibdâ') dans ce patrimoine ne peuvent impunément continuer à appeler çan'a ou ġarnata ce qui est déjà classé comme patrimonial. La patrimonialité relève d'une gestion de l'angoisse, qui en appelle, entre autres caractéristiques, à la distanciation historique, à l'antécédence, à l'ancestralité, à l'allégeance à l'égard des morts et au respect de leur sépulture. C'est une donnée immuable que les anthropologues et psychanalystes connaissent très bien. La réceptivité populaire se noue à la jonction de l'émotion évocatrice d'un passé nostalgique, qui relève de l'extatique, du communiel, donc du groupe, et d'une appréciation esthétique « sécularisée » qui relève de l'individualité, sous réserve d'en définir la compétence nécessaire. Mais les innovations à condition qu'elles s'inscrivent dans la syntaxe qui régit le système musical posé comme patrimonial, c'est à dire qu'elles ne passent pas « à côté » (que l'ibdâ' ne devienne pas bid 'a : transgression irrecevable) sont les bienvenues : mais elles ne peuvent être constitutives du patrimoine dûment défini plus haut. Il faut, à l'instar du néo-classique par rapport au classicisme, donner à cette chose nouvelle une définition « post-act », quelque chose qui relèverait du « néo-patrimonial » par rapport au patrimonial (10). Pour clore cet inventaire, le terme de « lyrique » serait, à la limite, le seul à avoir une légitimité qui échappe au monopole de l'Occident, car l'instance lyrique est réputée dépasser ses frontières. L'acception lyrique est au moins circum-méditerranéenne mais il reste à savoir si cette définition ne circonscrit pas exclusivement le chant stricto sensu au détriment de l'instrumentalité : question à débattre. Afin de ne pas prêter à l'handicap de toute classification exogène, il est donc prudent en attendant des jours meilleurs d'utiliser la « chose-musique », l'objet-musique en faisant confiance à ceux qui la pratiquaient dans leurs associations ou nādi, dans leurs corporations, ou dans l'habitacle des zawia. Cette chose s'appelle çan'a, c'est à dire « maîtrise d'œuvre ». Le ç'nay'i ou çāna' est donc le maître-d'œuvre. On peut l'appeler aussi m'allam, pour désigner le chef d'orchestre. Tout cet édifice sémantique indique comme Alfred Bel l'avait démontré avec compétence dans son enquête sur le travail de la laine à Tlemcen, publiée en 1913 une superposition quasi-symétrique entre la terminologie du métier artisanal (notamment les disciplines du tissage derraz/tisserand ; brašmi / fabricant de djellaba, etc.) et celle de l'univers musical. Cette signalétique commune nous renseigne sur la catégorie sociale qui a porté cette musique au cours des siècles. En même temps, l'occurrence terminologique s'étend au système de composition lui-même : un šûġl [littéralement ouvrage, opus (11)] se définit à l'intérieur d'une çan'a : la çan'a est donc l'œuvre qui s'inscrit dans tel tab' (mode musical/type de composition, couleur de l'ouvrage tissé). À Tlemcen, dans la couverture « bourābah », on peut identifier par exemple, le type m'harbal ou hašāyši, qui obéissent chacun à des compétences différentes, des maillages différents, des compositions chromatiques différentes. En revanche, le šğûl constitue un module, un sous-système constitutif de l'ensemble de l'œuvre. Ces modules plus ou moins autonomes sont négociés par l'orchestre pour ce qui est de la musique, mais aussi par l'artisan avec son client, pour ce qui est de la couverture, le tout pour préciser l'agencement des éléments du puzzle. On peut continuer à faire cette démonstration sémiologique de la cohabitation existentielle de deux humanités, de la cohabitation phénoménologique de deux sémantiques, pour appuyer notre affirmation quant à la délimitation d'un univers à la fois social et praxéologique. Les quelques indications ci-dessus suffisent à justifier le terme de çan'a, qui n'a jamais cessé d'être utilisé par les acteurs eux-mêmes de cette musique et que le milieu lettré ou savant a méprisé jusqu'alors. Il faut, à cette occasion dissiper un malentendu sur une vulgate qui nous vient probablement d'Al Boudali Safir. Il a fait accréditer l'idée d'un triptyque malûf (Constantine), çan'a (Alger), ġharnata (Tlemcen). Même si le terme ġharnata est revendiqué par Tlemcen et le malûf par Constantine, le mot çan'a est aussi revendiqué par l'ensemble des écoles de musique. A Tlemcen, on dira « çan'a » pour annoncer un programme distinct du hawzi ou du 'arûbi. Mais le terme de ġharnata sert à distinguer l'ensemble du patrimoine (y compris hawzi et 'arûbi) par rapport à la musique moderne venant du Maroc, du Proche-Orient, d'Europe, voire du terroir algérien lui-même. C'est une délimitation du territoire de ce qui est désigné par la nébuleuse « Andalûs » par rapport au reste (12). Par conséquent, il est plus judicieux de rétablir la légitimité, au moins au niveau national, du mot çan'a, quitte à lui adjoindre çan'a ġharnati (ce qui indiquerait l'école de Tlemcen, par rapport à d'autres ?) ou çan'at-al-malûf. Dans ce cas, quel adjonctif pour Alger ? Autre question à débattre, mais cela ne devrait pas poser de problèmes car le consensus existe. Proposons néanmoins de façon provisoire : çan'a dziriyya. En définitive, la question centrale dans la procédure de nomination consiste à s'interroger avec vigilance sur la chose et le signe, le dénotatif et le connotatif, le signifiant et le signifié. On s'aperçoit alors que le même terme peut donner lieu à des sens différents dans des lieux différents, soit en raison de phénomènes de sédimentation dont la temporalité n'a pas fonctionné avec la même intensité d'un lieu à un autre, soit en raison d'une polysémie dont l'explication ne peut être révélée que par des enquêtes monographiques minutieuses. Claude Lévi-Strauss, dans son « Anthropologie structurale » consacre un chapitre sur la distinction à faire, en matière de parenté, entre système d'appellations (père, fils, gendre, cousin, oncle, etc.) et système d'attitudes, dans la mesure où le rapport père-fils, par exemple, est vécu différemment dans les rituels et les conduites, d'une aire culturelle à une autre, ou d'une époque à une autre. Ainsi le système des attitudes (forcement plus nombreuses) démultiplie les combinaisons en terme de structure de parenté. Il me semble intéressant de rapprocher cette problématique de ce qui relève de la taxinomie musicale propre à la tradition orale, et ce dans une perspective strictement méthodologique, à l'évidence. III. La norme et la marge ou la raison paradoxale Qu'on me permette ici une formule académique pour parodier le titre d'un ouvrage célèbre, « critique de la raison dialectique », écrit il y a un demi-siècle par J.P. Sartre. Il avait lui-même parodié le philosophe allemand du 18e siècle, Emmanuel KANT, qui proposa d'en renouveler la démarche (« critique de la raison pratique » à la suite de sa « critique de la raison pure »). Le premier voulait régler définitivement le sort de la pensée bourgeoise en prenant parti pour l'héritage marxien de la dialectique. Je précise ici qu'il s'agit de l'héritage marxien, car Marx a lui-même puisé la pensée dialectique chez Hegel, dont il avait critiqué alors la conception idéaliste. Si l'on continue l'inventaire successoral, l'idée dialectique remonte à la philosophie grecque. Les philosophes des Lumières en ont transformé la grille de lecture en arrachant le concept platonicien de son acception spéculative et dialogique pour en faire l'élément matriciel du changement et de l'historicité. Le principe de contradiction n'est pas absent chez Hegel mais Marx enracine la dialectique dans l'histoire concrète, il la « remet sur ses pieds » en convoquant les déterminismes sociaux, quasi-téléologiques, qui gouvernent la société moderne, c'est-à-dire capitaliste. Ces déterminismes s'incarnent dans la contradiction objective qui se noue entre les classes sociales. La synthèse hégélienne n'est plus alors une simple résorption des contraires (thèse et antithèse) mais un dépassement révolutionnaire, qui subsume les conditions matérielles historiques, y compris celles de la violence insurrectionnelle, qui rendent possible un tel dépassement. Le matérialisme dialectique et, mutatis mutantis, historique, postulé par Marx devient depuis la fin du 19e siècle un paradigme explicatif de l'ordre social dominant, voire même de l'ordre naturel, suivant les centres d'intérêt. Pour Georges Gurvitch, le matérialisme dialectique est réduit à l'unité des contraires, et donc expurgé de son acception révolutionnaire. Il le valide volontiers comme méthodologie « pacifiste » et en confirme le contenu heuristique vérifiable au plan empirique. Lénine, quant à lui, reprenant des discussions divergentes (13), entend réconcilier tout le monde autour de son œuvre malheureusement peu connue aujourd'hui : « matérialisme et empiriocriticisme ». Il procède à une légitimation de la dialectique sociale en l'appuyant sur les lois immuables de la nature : l'évolutionnisme morganien, voire darwinien (14) constituait le fil conducteur implicite ou explicite de la pensée sociale d'alors. Si le positivisme de Condorcet, de Saint-Simon et d'Auguste Comte sont aujourd'hui tenus pour coupables de s'être abreuvés au ruisseau de l'évolutionnisme et de son succédané, l'organicisme, il s'avère aujourd'hui qu'un tel pêché fut partagé par d'autres courants de pensée, y compris marxistes. Ainsi on peut y trouver une intéressante vulgarisation du « calcul différentiel et intégral » chez Leibnitz, à côté d'autres lois physico-chimiques où est démontré le principe d'unité des contraires. La production scientifique dans la biologie d'abord (la fameuse controverse entre Mitchourine et Lysenko) où la raison dialectique interfère entre lame et lamelle de l'observation empirique de l'expérimentaliste, comme des découvertes de l'Entre-Deux-Guerres sur l'électricité (neutrons/protons) et toute la physique atomique de l'Europe sont postérieures à l'œuvre de Lénine, voire à sa mort pour la plupart d'entre elles. Je ne doute pas que s'il y avait survécu, son livre aurait été grossi de maintes illustrations venant confirmer, en définitive qu'il y a, chez lui, deux dialectiques procédant l'une de l'autre : une dialectique de la nature, et une dialectique de l'esprit, la première faisant fonction d'authentification naturelle, donc scientifique, à la seconde. Ce beau programme, suivant lequel l'ordre sociétal n'est qu'une projection de l'ordre naturel, qui n'aurait pas déplu aux ancêtres-fondateurs du positivisme et du jusnaturalisme, a trouvé de multiples adeptes dont le dernier en date fut le mathématicien R. Godemont, qui au début des années 60, affichait complet dans les amphis de la Sorbonne où il enseignait la mathématique suivant la méthode dialectique (15). Si j'invite à une telle discussion, c'est pour souligner que les mots peuvent nous trahir, en tous cas nous engager par la force des présupposés auxquels ils conduisent. Ici, la charge idéologique du concept n'est plus à démontrer. C'est pourquoi je refuse ce concept pour verbaliser le couple d'opposition norme/marge, ne voulant pas prêter à équivoque, en déplaçant malgré moi un paradigme lié à la production esthétique, sur le terrain miné de l'idéologie politique. Mais le neutralisme empirique et aseptisé de Georges Gurvitch n'est pas une solution non plus. En effet, cet auteur prend le principe de contradiction comme un fait d'hypothèse qu'il valide par quelques observations, sans aller plus loin, c'est-à-dire se poser la question de savoir si ces observations sont pré-construites par un jeu de nomination ou si elles résultent d'un principe de réalité. Quand l'expérimentaliste observe au microscope une cellule cytoplasmique, par exemple, il ne peut identifier que la structure en réseau qu'il veut bien chercher. Le réel en soi est brouillé, illisible, de surcroît infini au regard du microscope. Il utilise un artefact, par exemple un liquide de contraste qui va lui permettre de mettre en évidence, par effet chromatique, une structure et non pas une autre, pas l'objet réel total, mais une portion congrue de celui-ci, encore que cette portion ne soit pas donnée à voir naturellement comme elle se laisse appréhender, déchiffrer par le moyen de l'expérience. C'est une vieille question non résolue par conséquent, que de statuer sur le principe de réalité. Partant de là, Georges Gurvitch ne dévoile pas ses cartes. Ma clé de lecture du principe d'opposition est à la fois métaphysique et axiomatique. Je rejoins volontiers Condorcet, non pas dans sa philosophie du progrès, mais dans sa démarche logico-formelle quand il pose le paradoxe qui porte désormais son nom : l'effet Condorcet se constitue d'une triade construite suivant le principe des combinaisons par paire. La triade est constitutive de combinaisons appelées dyades. La triade, connue en mathématique, consiste à vérifier la transitivité d'un théorème. A l'origine, il s'agissait de vérifier si le principe syllogistique, qui est fondé sur l'énoncé individuel, forcement transitif, est applicable au niveau d'un groupe choisi de façon aléatoire. Condorcet voulait en effet vérifier la valeur heuristique de la « volonté générale », postulée par J.J. Rousseau en invitant une population donnée à faire des choix dyadiques de type A-B, B-C, C-A. Il ressort ainsi que les suffrages exprimés sur des valeurs, des hommes politiques, ou sur tout autre objet, sont statistiquement parlant non transitives. La base de la consultation, voire l'atome du sens consultatif est donc la dyade. Elle est un point aveugle, elle n'est ni bourgeoise ni prolétaire. J'adhère à ce point de vue qui me met à l'aise pour qualifier ma formule paradoxale, à savoir : le paradigme de la norme et de la marge. Un énoncé paradigmatique ne propose pas d'argumentation explicative préalable. Il propose une mise en corrélation fondée sur un système de nomination. Ici le principe de nomination est binaire (ou dyadique). Cette binarité est oppositionnelle et en même temps abstraite, donc ne préjuge pas du fait. C'est l'applicabilité à un champ précis qui en valide le bien-fondé. Mais l'applicabilité n'est paradigmatique que si la démonstration s'étend à une série non déterminée de champs, c'est-à-dire de disciplines, de corpus théoriques, de faits empiriques, etc. La validité du paradigme tient à sa virtualité permutationnelle. Dans le cas qui nous occupe, il est intéressant d'appliquer le paradigme de la norme et de la marge à des domaines qui soient contingents pour que la pertinence de la démonstration soit avérée. Proposons quelques uns : en sociologie urbaine, la dyade « centre-périphérie » a pu donner lieu à une réflexion suivant laquelle la marginalité urbaine, celle des banlieues, est une négativité sociale, normative, pouvant, dans certaines conditions historiques, se muer en positivité révolutionnaire. Ainsi, la centralité urbaine, celle de la norme absolue, celle du pouvoir de décision et de l'hégémonie institutionnelle, se trouve placée devant l'impérative nécessité de déroger à ses principes recteurs dans une perspective de régulation sociale. Elle se doit de gérer (ou digérer ?) la violence sans quoi elle produit du chaos, du désordre. Or, l'ordre et le désordre s'ordonnent l'un par rapport à l'autre et ne peuvent coexister sans s'impliquer mutuellement. Les réformes sociales procèdent d'un accouchement douloureux, car nées d'une colère sans appel, d'une sanction comminatoire. La centralité est appelée à se remettre en cause, à se recomposer pour assurer sa propre pérennité en tant que centralité, en tant que norme hégémonique. Un autre domaine d'application, où il est question d'ordre et de désordre, est celui de la thermodynamique. Les physiciens empruntent le concept d'entropie suivant lequel toute lecture du désordre procède d'une intellection du réel, c'est-à-dire d'une rationalité, sans quoi le réel est incommunicable, est privé de sens. Dans le domaine de la physique, cette rationalité s'appuie sur l'expérience, notamment sur le caractère reproductible des éléments observés, et à la propension à certaines récurrences empiriques indiquant des régularités tendancielles. Le désordre est ainsi pensé en termes de régulation sur une base strictement empirique. Point d'explication à ce phénomène, en dehors du constat probabiliste. Dans le domaine acoustique, la production des sons obtenus expérimentalement sur une corde est le produit de deux forces antagonistes : la corde est tendue par deux extrémités, donc par deux forces centrifuges, tandis que le son est obtenu grâce à une force contraire, centripète : le pincement obtenu par le doigt ou le plectre à hauteur de la table harmonique. Par ailleurs, le phénomène musical est lui-même le produit de deux registres contraires : le registre ordinal et le registre cardinal. Ce dernier est défini mathématiquement en ce qui concerne la division du temps (ronde, blanche, noire, etc.), ainsi que la construction d'intervalles sonores sur un manche de 'ûd ou de guitare par exemple. Ces intervalles sont justifiés par des lois physiques et transmises de génération à génération aux gardiens du Temple qui détiennent le savoir-faire de l'organologie. La production d'une série sonore procède d'une combinatoire aléatoire. C'est comme pour le langage qui pour reprendre une expression chère à Ferdinand Saussure, procède de « l'arbitraire du signe ». Ce n'est pas là une métaphore car dans le cas du langage comme dans celui de la musique, nous avons affaire, morphologiquement parlant, à des signifiants aléatoires et dans cette combinatoire infinie, il y a quelques combinaisons, très rares, qui ont du sens, qui produisent, pour ce qui est de la musique, de l'émotion esthétique. Ainsi deux éléments irréductibles sont en synergie totale : le nombre et le drame, la sémantique et l'esthétique (17). |
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