@
LA PHILOSOPHIE
DE LA NATURE
DANS L’ART
D’EXTRÊME-ORIENT
par
Raphael PETRUCCI
|
à partir de :
LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE
DANS L’ART D’EXTRÊME-ORIENT par Raphael PETRUCCI (1872-1917)
Reproduction en fac similé par Librairie You-Feng, septembre 2004, 160 pages.
Première édition Librairie Renouard - Henri Laurens, Paris, 1910.
mise en mode texte par
Pierre Palpant
p.palpant@gmail.com T A B L E D E S M A T I È R E S
Avant propos — Introduction — Index — Planches
CHAPITRE PREMIER : La philosophie chinoise. laoisme et confucianisme.
Les Origines propres de la Pensée chinoise.
Les premières conceptions philosophiques.
Cosmogonie grecque et Cosmogonie chinoise.
La Loi du Nombre et la Loi Morale.
Le Tao tö King.
Le Confucianisme.
CHAPITRE II : La philosophie chinoise au temps des Song.
La Philosophie de Tchou Hi.
L’aridité de sa Métaphysique.
Le terme de l’Évolution philosophique.
CHAPITRE III : Le bouddhisme.
L’apport nouveau du Bouddhisme.
Les Éléments antérieurs.
CHAPITRE IV : La philosophie de la nature au Japon.
Le Shinntoisme.
Les Influences continentales.
CHAPITRE V : La philosophie de la nature dans la poésie.
La Philosophie de la Nature et l’Art du Paysage.
La valeur plastique de la Poésie.
CHAPITRE VI : La philosophie de la nature dans le sentiment religieux.
Le Sien chou.
Temples et Monastères.
L’Art des Jardins ; la décoration florale.
CHAPITRE VII : Origine et constitution de l’art de l’extrême Asie.
La décoration des bronzes archaïques.
Les monuments de l’époque des Han.
Les témoignages écrits.
CHAPITRE VIII : L’art chinois avant l’introduction du bouddhisme.
Son caractère.
L’intervention du Bouddhisme.
L’Unité de développement de l’Art chinois.
La peinture de Kou K’ai tche et les Six Principes de Sié Ho.
CHAPITRE IX : L’art chinois après l’introduction du bouddhisme. La peinture de paysage.
La Constitution de la Peinture de Paysage : Wang Wei.
Les œuvres de l’époque des T’ang.
L’Évolution des époques postérieures.
CHAPITRE X : La constitution et l’évolution de la peinture au Japon.
Le rôle initiateur du Bouddhisme.
Constitution de l’Art du Paysage aux hautes Périodes.
Le génie décoratif de l’école moderne.
L’École Vulgaire.
CHAPITRE XI : La peinture de paysage et la technique.
La culture du Peintre.
Conception à la fois idéaliste et positive du Savoir.
Les Formules techniques.
La Technique du Trait.
La Perspective.
La Composition.
CHAPITRE XII : La peinture de paysage. L’inspiration.
L’Inspiration Laoïste.
Les grands Symboles.
Les Allégories végétales.
Le Bambou.
Le Prunier.
Les Inspirations de la Solitude.
@
AVANT PROPOS
@
p.I L’Illustration qui accompagne ce livre a été, comme on le verra, puisée aux sources. Les grandes collections privées du Japon, les trésors des temples, le Musée impérial de Tokyo, tels sont les détenteurs de la série de chefs-d’œuvre reproduits d’autre part. Ils donneront une idée exacte de ce que fut la grande peinture dans l’Asie Orientale. Cela suffirait à assurer aux planches que le lecteur aura sous les yeux, une valeur particulière. Mais les quatre gravures sur bois, tirées en couleurs, distribuées au cours de cet ouvrage, apparaîtront, sans aucun doute, comme véritablement exceptionnelles 1. On voudrait y insister ici. C’est la première fois, en effet, qu’un livre écrit et imprimé en Europe fait appel aux ressources actuelles de l’Estampe orientale. On avait pu en avoir une idée par certaines planches de l’ouvrage publié en 1900 par la commission Impériale du Japon à l’Exposition Universelle de Paris. Mais on pouvait douter que ce qu’avait réalisé un Gouvernement soucieux de montrer l’activité de son pays sous le jour le plus favorable, l’initiative privée put l’accomplir. C’est chose faite aujourd’hui. Il conviendra de donner quelques indications sur la technique et sur l’histoire des ressources utilisées. Les lecteurs de ce livre mesureront ainsi toute l’importance de cette tentative. Sans nul doute, elle ouvre une ère nouvelle dans les publications consacrées à l’Art de l’Extrême Orient. On se réjouit ici de voir la Langue Française s’assurer à cet égard le premier rang.
Dans la vingt et deuxième année du Meidji (1889) il se trouva, au Japon, un groupe d’hommes qui, le mouvement d’organisation et le grand effort matériel étant accomplis, résolurent de revenir sur la culture intellectuelle du passé et de rétablir le lien par lequel l’art du vieux Japon et de la Chine se rattachait à son histoire contemporaine. Ils fondèrent les Kokka 2 (Les Fleurs p.II de l’Empire), une revue d’Art qui paraît en japonais depuis cette date et qui donne une édition anglaise depuis juillet 1905. Cette publication correspondait à une tentative qui n’avait pour but aucun profit matériel. Elle se proposait de faire connaître et de remettre en honneur la tradition propre à l’art de l’Extrême Orient et, pour arriver à son but, elle se posa tout aussitôt le problème de donner des œuvres anciennes une image parfaite et fidèle.
On sait, par le développement de l’art de l’Estampe du XVIIe au XIXe siècle, quelles étaient les ressources de la gravure sur bois au Japon, quels maîtres elle avait formés, quels résultats elle pouvait atteindre. Les nouveaux venus résolurent de faire appel à ces moyens afin de créer une école de gravure ayant comme objet non plus d’appliquer ses ressources à l’imagerie populaire ou à ces planches érotiques pour lesquelles on était parvenu à un haut degré d’habileté, mais de reproduire les anciens chefs d’œuvre de manière à en donner un fac simile qui les mit à la portée des artistes et des amateurs.
La tradition qui avait créé les beaux types de l’estampe avait pris, à ce moment, une direction néfaste. La décadence rapide de l’Oukiyo yé est due en grande partie à l’asservissement du peintre par le graveur. Le grand Hokousai lutta de toutes ses forces contre une pareille aberration. Il ne put empêcher le destin de s’accomplir. Quoi qu’il en soit, les anciens procédés permettaient des impressions brillantes, mais dans une gamme réduite à cinq ou six couleurs différentes. De plus, ils étaient dominés par le goût populaire des tons vifs, des pigments saturés et violents. Les fondateurs des Kokka cherchèrent à créer une école nouvelle, à perfectionner la technique, à donner des vieux chefs-d’œuvre une traduction qui fût l’image exacte de l’original.
Ils firent alors appel à deux maîtres qui, avec l’amour de leur métier, gardaient aussi la science de l’ancienne tradition. Ce fut, d’abord, Nagotoshi Mitsui ; puis, I-Iyama. Mis à l’abri de toute préoccupation matérielle, ils eurent pour mission unique de perfectionner les procédés acquis, de pousser leurs recherches jusqu’à un point d’absolue perfection, puis, de former des élèves capables de continuer leur effort. Ainsi se constitua cet art actuel de l’Estampe dont les Kokka ont donné tant d’exemples et dont on trouvera quatre épreuves des plus parfaites dans les planches jointes à cet ouvrage. Les ressources de l’ancienne gravure étaient de beaucoup dépassées. Le jeu des pigments colorés fut étendu d’une façon considérable. Telle fut la supériorité de la technique nouvelle que l’effort des maîtres graveurs des Kokka apparut, au Japon même, comme une découverte étrange. On leur prêta la p.III connaissance d’un secret jalousement gardé. Il n’y avait rien de mystérieux, cependant. Ce résultat était dû aux sacrifices consentis, aussi bien moralement que matériellement, pour une recherche qui poussait jusqu’à leur point extrême les ressources de la gravure sur bois.
On se rendra compte de cette technique complexe quand on saura quels travaux préparatoires comporte l’établissement d’une planche. Un premier bloc donne les contours en noir de l’œuvre gravée. Puis, une série de blocs particuliers correspondent aux couleurs à intervenir. Ces couleurs elles mêmes sont appliquées sur le bois et donnent au tirage le ton évanescent de la peinture, avec toutes ses gradations et ses subtilités. La patine et les injures du temps, l’usure de la soie, les cassures du tissu, tout est scrupuleusement respecté, au point que l’œuvre gravée apparaît comme le double fidèle de l’original. Pour aboutir à une épreuve parfaite, plus de quarante ou de cinquante blocs sont nécessaires, et la feuille de papier doit repasser, parfois, en plusieurs centaines de tirages, chaque fois repérés à la main. C’est alors seulement qu’on obtient cette finesse de ton, cette fidélité, cette perfection, pour tout dire, dont on verra ici de si magnifiques exemples.
On comprendra que, dans un semblable travail, l’artisan qui assume la charge du tirage, soit un maître dont l’œuvre égale celle du graveur. Il doit composer ses tons identiques à la peinture, fixer par des tâtonnements minutieux les couleurs qu’il emploiera, les poser avec une délicatesse extrême et, enfin, arriver à cette habileté manuelle qui l’empêchera de perdre, par un seul tirage maladroit, le résultat de tant d’efforts.
Nagatoshi Mitsui mourut en 1895, à l’âge de trente et trois ans. Deux ans plus tard son ami et collaborateur I-Iyama le suivait dans la tombe. Mais ces grands initiateurs avaient, à leur tour, formé des maîtres. A leur tête se placent K. Egarva et S. Izumi auxquels on doit précisément les gravures de ce livre. Tetsunosuké Tamura fut, dès le début, pour le tirage en couleurs, le collaborateur fidèle de N. Mitsui et d’I-Iyama. C’est à lui, et à un des élèves qu’il a formés, T. Wada, que l’on doit le tirage des planches ci-jointes. Cela seul suffira à marquer toute l’importance de l’illustration assurée à ce volume par son Éditeur.
Depuis longtemps, ceux qui ont écrit, en Europe comme en Amérique, sur l’art d’Extrême Orient, se sont plaints de n’avoir pu donner en exemple les admirables gravures des Kokka. Elles étaient indispensables, cependant, à qui voulait se faire une idée précise des chefs d’œuvre de la Peinture dans l’Asie Orientale. M. Binyon déclarait même, et avec raison, dans la préface de « The Painting in the Far East » que, sans la publication des Kokka, il lui eût été impossible d’écrire ce beau livre. Grâce à l’esprit de désintéressement de ceux qui dirigent les Kokka, on se trouve ici dans la possibilité de présenter au lecteur des éléments d’information plastique de premier ordre.
On verra, au cours de la lecture de cet ouvrage, qu’on a pu en fonder certains éléments sur des matériaux en grande partie inédits. Ils sont dus à ces expéditions anglaises, allemandes et françaises qui sont tout récemment rentrées du Turkestan. L’auteur manquerait à tous ses devoirs s’il ne remerciait ici ceux qui lui ont facilité l’étude de ces documents à un moment où, pour certains d’entre eux, on les déballait à peine et où il y avait une très réelle générosité à les mettre à la disposition d’un tiers. Il a trouvé auprès de M. A. Stein, à Londres, de M. von Le Coq, à Berlin, le plus courtois accueil. M. Laurence Binyon, qui joint à ses rares qualités d’écrivain, le savoir que lui connaissent tous ceux qui se sont occupés de l’Extrême Orient, lui a prêté le plus obligeant appui au cours de ses recherches au British Museum. Enfin, il ne saurait trop dire toute la gratitude qu’il doit à M. Édouard Chavannes pour avoir bien voulu relire sur épreuves et corriger la transcription française des noms chinois. Le lecteur et lui-même doivent à la généreuse intervention de ce maître le plaisir d’échapper à l’insupportable anarchie qui règne dans ce domaine.
R. PETRUCCI.
@
INTRODUCTION
@
p.1 Lorsque l’on jette un regard, même superficiel, sur les œuvres d’art de l’Extrême Orient, qu’elles soient chinoises ou japonaises, on est tout d’abord frappé par une pénétration subtile de la nature. Les choses nous apparaissent alors sous un aspect inaccoutumé. Nous portons encore, dans notre psychologie européenne, la tradition par laquelle l’homme a fait de lui-même le centre du monde. C’est à peine si nous nous évadons de la prison où des conceptions absurdes nous avaient enfermés ; il n’y a pas bien longtemps que nous avons ouvert les yeux sur les beautés du paysage, la vie curieuse de l’animal. Mais il nous reste bien des préjugés à vaincre. Nous sommes loin de voir dans la bête l’être qu’une destinée puissante dirige dans les voies de la conscience et de l’inconscience comme elle dirige aussi ces efforts orgueilleux où nous faisons à l’intelligence et à la volonté une part exagérée. Nous sommes peu préparés encore à nous libérer d’un point de vue anthropocentrique par lequel nous nous trouvons étrangement limités. Cependant, quand on voit dans sa plénitude l’harmonieux lacis par lequel les phénomènes de la nature s’entrecroisent ; quand on se penche sur l’animal, que l’on étudie ses mœurs, que l’on se donne la peine de comprendre ses activités, on est étonné des idées plus larges qui s’ouvrent, des habitudes qui s’expliquent, de tout ce phénomène psychologique, individuel et social que l’immensité des choses commente avec une clarté singulière. Pour l’entrevoir, il suffit de faire abstraction un instant des croyances opprimantes et des préjugés qui leur ont survécu.
Les Orientaux de l’Extrême Asie n’ont point connu cette prison de laquelle nous avons tant de peine à nous évader. Rien n’est venu limiter p.2 chez eux la faculté de saisir les activités multiformes du monde, de les comprendre et de les exprimer. Aussi, à la base de leur civilisation tout entière, trouvons nous une conception de la relativité des choses retentissant aussi bien sur leurs cadres sociaux, leur structure psychologique, leurs idées philosophiques ou religieuses, que sur l’ensemble de leur art. Ils ont compris la place exacte de l’homme dans la nature ; ils ont saisi le mouvement divers des destinées ; le monde leur est apparu, non point comme un élément incomplet, soumis à leur orgueil par un créateur absolu, mais comme un ensemble frémissant dont la vie s’écoulait, avec ses subtilités, ses beautés et ses douleurs, dans une activité géante. Au delà d’elle, ils ont su entrevoir la présence de ce principe énorme, qui domine l’immensité, dont la conscience n’a qu’un soupçon et que la pensée ne peut définir ; le sentiment d’autrefois l’a divinisé ; notre premier effort l’a réduit à la taille de nos dieux. Pour l’Orient, au contraire, il représente une loi fixant le plan des choses ; dans le cycle de la naissance et de la mort, au delà du relatif dans lequel nous sommes enfermés, il entraîne l’univers tout entier vers un avenir obscur comme les origines, ténébreux comme elles et, comme elles, inaccessible.
Telle est la conclusion à laquelle on aboutit lorsque, après une vue superficielle de l’Art d’Extrême Orient, on s’est trouvé conduit à pénétrer son histoire. Le charme extérieur attire ; puis, à mesure que la séduction s’exerce, il entraîne toujours plus loin, dans la voie d’une spiritualité singulière. Il ne s’est jamais posé d’autre but que de dégager de la grossièreté des apparences, l’âme universelle. Il y a quelque chose d’émouvant dans cette palpitation soutenue, dans ce frémissement sublime jaillissant ainsi des œuvres accumulées. A mesure que, au cours de l’étude, elles ajoutent leurs beautés diverses, elles finissent par composer un ensemble où l’histoire de la pensée orientale surgit dans cette impressionnante unité que lui donne le travail séculaire des hommes. On part d’un bibelot très accessible où l’attitude, le mouvement, la structure, dégagent un charme pénétrant, et l’on finit par découvrir, derrière l’œuvre peinte ou sculptée, la vision magique d’un nouvel univers. C’est que « Tout est dans Tout » comme l’affirme la devise profonde des Gnostiques alexandrins ; même descendue dans la menue chose où s’exerce l’habileté d’un artisan, l’inspiration se fait sentir encore. Sous un aspect réduit elle laisse entrevoir ce qu’il y avait de géant dans son désir et dans son destin.
p.3 Nous avons à donner un sérieux effort si, avec notre puissante et lourde intelligence d’Occidentaux, nous voulons arriver à comprendre ce qui fait la grandeur et l’unité de l’Extrême Orient. Nous devons nous dégager de notre culture traditionnelle, nous faire une psychologie nouvelle par le contact d’une philosophie dont l’esprit subtil et délié rappelle seulement la clairvoyance des heures les plus heureuses de la Grèce. Nous sommes habitués à juger par l’individuel ; car, d’une part, nos conceptions et nos idées accordent une part exagérée à l’individu ; et, d’autre part, notre évolution repousse ce qu’il y a de social en nous pour nous conduire vers un individualisme qui confine à la maladie. A notre instabilité sociale, à nos crises furieuses, faites de désirs inassouvis, d’ambitions personnelles et d’indiscipline, s’oppose le développement harmonique de la civilisation chinoise ou de la civilisation japonaise. Traversées de guerres et de massacres comme les nôtres, elles ne subissent point, pourtant, les soubresauts violents qui caractérisent notre évolution. L’ensemble est assez puissant pour digérer les apports nouveaux ; nulle part on n’a vu, nulle part on ne verra jamais des systèmes philosophiques comme ceux de Lao tseu ou de K’ong tseu, des systèmes religieux comme le Taoïsme, le Bouddhisme, le Shinntoïsme, des superstitions comme la géomancie et l’astrologie populaires, se composer en une harmonie qui laisse à la pensée humaine la même discipline, au sentiment de l’homme les mêmes objectifs et la même direction.
Quelque étrangères que ces considérations puissent paraître au but poursuivi dans cette étude, elles ne s’y rapportent pas moins étroitement. L’art de l’Asie orientale est le reflet de cette évolution unitaire et parfaite ; il n’est point coupé, comme le nôtre, en plusieurs tronçons par des changements brusques et plusieurs révolutions de l’esprit. Il poursuit son destin avec ce calme, cette grandeur des fleuves asiatiques qui traversent de leurs flots innombrables l’immensité d’un continent. Il rejoint notre époque troublée avec cette même pensée sûre et profonde, cette même adoration de la nature connues dès les origines ; malgré ce travail séculaire, il ne paraît pas avoir épuisé encore les ressources qu’il porte dans l’étendue de sa culture. Plus étroitement que le nôtre, il tient à l’ensemble des idées et des conceptions édifiées par la sagesse asiatique sur la philosophie de la nature et, comme il a pénétré l’essence réelle des choses, il leur doit la fécondité inépuisable et l’inépuisable variété de la vie. Tous les aspects de l’histoire se reflètent dans ses œuvres. On y trouve la glorification des êtres à demi p.4 fabuleux qui, aux premières périodes de la légende, constituèrent la civilisation chinoise. On y trouve les dieux, les demi-dieux et les génies du Taoïsme et du Bouddhisme, les grands disciples de K’ong tseu et jusqu’aux êtres innombrables qu’inventa l’imagination du peuple. On y trouve plus : on y trouve une nature abondante et sereine, vue dans la profondeur de la contemplation philosophique, avec une netteté, une clairvoyance, une divination des aspects divers de l’âme universelle, telles, qu’aucune croyance, même la plus superstitieuse, n’a pu les faire fléchir. On y découvre non seulement les images extérieures d’une civilisation qui remplit le destin d’une moitié du monde, on y trouve aussi l’essentiel des principes qui ont dirigé sa culture ; on y trouve, enfin, cette culture, exprimée avec toute la magie que l’analyse la plus exercée peut donner à l’expression de la pensée. L’art de l’Extrême-Asie reflète le contenu de l’évolution qu’il caractérise ; par ses tendances à dégager l’esprit, à exprimer le sentiment profond, l’âme apparue dans la rêverie contemplative, il en reflète surtout le contenu intellectuel. C’est pourquoi on ne pourra pénétrer son essence si l’on n’étudie point la philosophie sur laquelle il repose. Elle seule peut en expliquer les créations. Quant à lui, par son appel au sentiment des hommes, par l’éveil qu’il donne à cette conscience obscure où se trouvent enfermées les expériences ancestrales, il devient le commentaire indispensable de ce savoir subtil conçu par les philosophes et que les mots rebelles, trop lourds pour des pensées aussi parfaites, ne surent exprimer qu’à demi.
@
CHAPITRE PREMIER
LA PHILOSOPHIE CHINOISE.
LAOISME ET CONFUCIANISME
|