Society for the Propagation of the Gospel. Plus tard, les honoraires des pasteurs anglicans furent versés par le gouvernement Bans intermédiaire. En 1836, 150 000 dollars furent affectés à la cause du progrès religieux protestant 6. L'Église anglicane, faisant les sacrifices pour venir en aide à ses églises coloniales, donna, au début, 60 000 dollars, somme qui, en 1821, fut portée à 105 000 dollars et, pendant vingt ans, déboursa annuellement 115 000 dollars, ou plus de 2 300 000 dollars pendant cette période. Sans parler de la collaboration de la Church Missionary Society, la Society of the Propagation of the Gospel, de 1842 à 1865, distribua plus de 2 millions de dollars 7. Lorsque l'évêque Mountain arriva au Canada, il avait 9 clergymen. À sa mort, on en comptait 61, dont 49 étaient payés par la Society of the Propagation of the Gospel 8. La cathédrale anglaise de Québec fut édifiée sur la cassette particulière du roi 9. La venue de pasteurs anglicans était officiellement encouragée. Le régent promit que ceux d'entre eux qui resteraient dix ans dans le Haut-Canada « auraient droit à une rente viagère de 100 livres sterling » 10. Les presbytériens recevaient des secours de l'Écosse et, ce qui est encore mieux, beaucoup d'hommes éclairés. « Les associations religieuses britanniques donnèrent 100 millions de dollars au cours du dix-neuvième siècle 11. » Cette collaboration augmenta de beaucoup le nombre d'hommes de caractère, ayant une certaine culture, lisant les livres anglais, se servant de marchandises de la même origine. Les « idées-forces » religieuses ont été le liant de toutes leurs énergies. Sir William Peterson, le savant et l'érudit recteur de l'Université Mc Gill, émit l'opinion que le Canada « ne contient encore comparativement que peu de richesses réalisées » 1. Si nous considérons ce « comparativement » au point de vue canadien, « cette richesse réalisée » paraît prodigieuse. Elle a donné aux Anglo-Canadiens une robuste confiance économique et une sorte de griserie de succès qui les pousse en avant. Elle les a pourvus de foyers plus confortables, d'aliments plus variés et plus abondants, de vêtements plus chauds et plus beaux. Elle les a polis par l'éducation de l'opulence, des rapports sociaux et des voyages. Elle les a imprégnés de ce qu'il y a de mieux dans la civilisation anglaise et américaine. Parmi tant d'avantages, elle leur a procuré l'admirable et puissante Université de McGill, enrichie d'une douzaine de millions, dons de sir William Macdonald 2, par les largesses princières de lord Stratcona, par des contributions de riches Montréalais, et par deux mémorables souscriptions publiques, dont l'une se montait à cinq millions, -sans mentionner les généreux dons de la « Rockefeller fondation », - pour donner à leurs concitoyens une grande université moderne. Ceci est également vrai de la puissante et riche Université de Toronto. C'est cette richesse qui leur ouvre les plus illustrer, écoles européennes, et à leurs artistes les ateliers les plus renommés de Paris 3. L'action la plus efficace de l'Angleterre sur le Canada anglais fut l'envoi de travailleurs probes, industrieux, créateurs des plus durables richesses : ouvriers habiles qui ont contribué au développement industriel, représentants de grandes maisons commerciales, florissantes alors dans la métropole et dont les succursales canadiennes, maintenant indépendantes, ont pris une grande envergure. Elle a envoyé aussi des hommes à l'esprit entreprenant, formés dans les écoles supérieures : des ingénieurs et des journalistes, des sociologues, des professeurs d'universités, des organistes de haut mérite, des artistes de tous genres, des penseurs, emportant avec eux la science et la philosophie britannique, l'empirisme anglais et l'idéalisme de l'Écosse. Ils arrivèrent, brûlant du désir de réincarner leur patrie sur un nouveau sol. Ces hommes pratiques, ainsi que ceux parmi lesquels ils venaient se fondre, profitaient de toutes les richesses de la vie métropolitaine comme du prestige et de l'élan que donnent le succès. Ils avaient une inflexible résolution, la force vitale, l'entrain et le nombre. Quels colons furent jamais plus favorisés ? Jetez maintenant le regard sur le sort des Canadiens ! Quel contraste lamentable ! Après la conquête, le théâtre de la guerre ressemblait aux départements dévastés de la France en 1918. La ville de Québec était en ruines ; ses monastères étaient démolis, les maisons inhabitables. La description de la ville par l'évêque Pontbriand 4 est aussi déchirante que celle de la destruction, dans les campagnes, relatée par un officier britannique : « Nous avons incendié et détruit plus de quatorze cents belles fermes, car, pendant le siège, nous étions maîtres d'une grande partie du pays, le long du rivage, et nos compatriotes ont ravagé tellement la côte qu'il faudra un demi-siècle pour réparer tous ces dégâts 1. » Sans foyer, sans abri, leurs moulins à farine saccagés, les Canadiens durent pendant longtemps se nourrir de blé non moulu, cuit dans l'eau bouillante 2. Leurs vêtements, leurs instruments aratoires, leurs outils de bûcherons, tout avait été emporté dans la grande tourmente 3. Ils n'avaient plus de fonds de roulement. Leur papier-monnaie fut, du moins temporairement, sans valeur. On en vendit aux Anglais, même à un escompte de 90 pour 100 4. Sans crédit, chez ces derniers, sans commerce, sinon avec l'Angleterre, quelle tragique situation fut la leur ! Ils avaient perdu leurs magistrats, leurs administrateurs, leurs lettrés, leurs négociants, plus d'un quart de leurs prêtres et la plupart de leurs seigneurs. Le clergé était désemparé et dispersé 5. Les églises de Montréal, de Québec furent saisies et affectées au service de l'administration. Les catholiques n'étaient autorisés à les fréquenter que par tolérance 6. On a dit qu'ils avaient « le libre exercice de leur religion », mais que serait ce « libre exercice » pour les Anglicans sans leurs évêques, ou, pour les presbytériens, sans leurs synodes ? Pour les catholiques, la liberté implique l'existence de leur hiérarchie et de leurs rapports avec l'autorité papale. Leur évêque fut même dépouillé de son titre, réservé au prélat anglican, le « lord-évêque de Québec », dont les diocésains ne représentaient qu'une poignée de fidèles. Certains administrateurs auraient voulu placer le Canada sous la juridiction ecclésiastique de l'Angleterre 7, et poussèrent le Conseil exécutif à s'emparer de l'évêché et de toutes ses propriétés pour l'évêque de Londres. Ces hommes qui désiraient dévaliser l'Église catholique n'avaient pas un vrai esprit protestant. C'est Amherst et le baron Masères, qui voulaient que les prêtres, après avoir rendu le dernier souffle, fussent remplacés par des pasteurs 8, et les lords-commissaires proposaient que toutes les églises fussent ouvertes aussi aux protestants 9. Prescott s'opposa à la création de paroisses nouvelles, et Craig voulut avoir la nomination du clergé dans les églises, s'efforçant de mettre la main sur les biens des Jésuites et des Sulpiciens de Montréal 10. Les propriétés des disciples de Loyola étaient convoitées par Amherst, et George III les lui avait promises. Durham n'hésite pas à affirmer que l'attitude du gouvernement, dans cette affaire, « fut loin d'être à son honneur, car on avait appliqué ces biens, destinés à des fins éducatives, à l'établissement d'un fonds pour la police secrète. Pendant des années, le gouvernement mena une lutte obstinée avec l'Assemblée, afin de continuer ce détournement » 11. À Québec, on confisqua les propriétés des Récollets, et leurs terrains servirent d'emplacement pour la cathédrale anglicane. Leur chapelle, aux Trois-Rivières, et l'église des jésuites 1, à Montréal, furent transformées en temples anglicans. Certaines velléités, menaces et ennuis décourageaient le clergé, ainsi que le peuple, et paraissaient indiquer un tournant fatal de leur histoire. En présence de toutes ces audaces, il n'est pas étonnant que ces braves Canadiens, tenaillés par une grande angoisse, fussent assiégés de sinistres pressentiments. Ils craignaient d'avoir à dire un éternel adieu à leurs foyers. « Leur terreur », s'écrie le magistrat Hey, en plein Parlement, « était voisine de la démence ». Ils avaient abandonné tout espoir de conserver leur religion, leurs lois, et se considéraient comme un peuple anéanti et rejeté par l'humanité 2. Les marchands paraissaient projeter leur bannissement : « Leur plus grande crainte », dit le général Murray, « est de subir le triste sort des Acadiens et d'être, comme eux, arrachés au sol de leur patrie 3. » Il revient de nouveau à cette possibilité : « Seule, l'expulsion des Canadiens, qui sont la race la plus courageuse et la meilleure de notre globe, pourra satisfaire nos négociants fanatiques et forcenés 4. » D'autre part, ils souffraient de voir la pénurie de leurs institutions religieuses. Après la Cession, il y eut un arrêt complet dans les secours venant de France. Les subsides, jadis accordés pour l'enseignement presbytéral, pour la construction des églises, pour l'entretien des hôpitaux, du chapitre et de l'évêque, cessèrent. Il n'y avait chez eux ni particuliers opulents, ni riche société, excepté celle des Sulpiciens, mais leurs droits ne furent reconnus par le gouvernement que plus tard. Quoique sujets britanniques, les Canadiens se virent refuser l'accès aux sources de la richesse, si libéralement accordé à leurs concurrents. Lorsque les Compagnies de la Baie d’Hudson et du Nord-Ouest jouissaient de privilèges illimités, les enfants du sol, même sous le régime bienveillant de Murray, étaient bridés par d'étroits règlements, qui ouvraient pleinement le champ à leurs rivaux 5. Haldimand ne fit pas autrement 6. La métropole, d'une façon peu raisonnable, monopolisait le commerce de ses dépendances. Encore plus de soixante ans après la Cession, « tout rhum, quoique produit d'une colonie anglaise, importé en cette province, de quel endroit que ce soit, excepté la Grande-Bretagne, est regardé comme étranger et est assujetti à un droit si fort qu'il anéantit le commerce de cette denrée des Iles ou d'aucune autre colonie de Sa Majesté » 7. D'un autre côté, l'Angleterre levait les droits sur les blés et les farines exportés de la colonie 8. Le Canadien ne pouvait acheter, à sa porte, certaines marchandises. Il lui fallait les importer d'Angleterre et à des prix plus élevés. Que serait-il arrivé à une colonie anglaise ainsi isolée du reste du monde et contrainte de n'avoir de rapports économiques qu'avec les vainqueurs ? L'importation des marchandises françaises était interdite dans le pays ; on en bannissait les négociants. Cette intransigeance s'appliquait aux grands comme aux petits. Le duc de la Rochefoucault-Liancourt, visitant le lieutenant-gouverneur Simcoe, fut empêché d'aller plus loin 1, et lord Dorchester traita avec la même désinvolture un marquis français 2, ainsi que le comte de Moustier, ambassadeur de France aux Etats-Unis 3. Avec le temps cette sévérité se relâcha ; rnais, à l'exception de quarante-deux prêtres français admis pendant la Tcrreur, ce ne fut qu'en 1840 que la province reçut un Français distingué, Mgr de Fortin-Janson, prédicateur de renom 4, et un peu plus tard Jean-Jacques Ampère, littérateur et historien qui fit un bref séjour. Quant aux influences françaises, le Canadien les aurait aussi peu ressenties dans une autre planète. Déraciné, oublié de sa mère patrie, redoutant l'Américain et ne connaissant que trop les Anglais qui l'entouraient, il ne respira librement qu'après l'union des deux Canadas. Pendant près de quatre-vingts ans, quand il n'était pas la proie de négociants rapaces, lésé par des fonctionnaires peu scrupuleux, inquiété par certains gouverneurs, paralysé par son dénuement, son ignorance de la langue anglaise, il était en marge de la vie économique du pays. Est-il étonnant que, pendant longtemps, il n'ait fait que marquer le pas ? Nous ne faisons que répéter ce que d'autres avaient déjà exprimé, tels que Durham qui, en 1839, dit : « Aucune immigration n'alla grossir la population, » et ajoute que « nuls capitaux n'entrèrent dans le pays 5. » Vingt ans plus tard, sir A. F. Galt, prit fait et cause pour eux, devant un auditoire d'Angleterre, disant : « Ils n'ont pas eu les mêmes avantages que les autres groupements du pays. Établis depuis de longues années, ils n'ont pas reçu l'aide d'une immigration récente, et ils ne doivent qu'à eux-mêmes les progrès qu'ils ont faits 6. » Répétons que les gouvernants du Canada, malgré les importants subsides affectés à l'immigration, n'ont guère fait appel à l'élément français. Les Canadiens n'ont reçu de l'ancienne patrie que peu d'ecclésiastiques et moins encore d'éducateurs. Ce n'est que récemment qu'ils ont eu de nombreuses prises de contact avec les hommes de lettres, les journalistes, les artistes, les savants, les sociologues, les financiers, les industriels et les commerçants de France. Quand certains Anglo-Canadiens - il ne faut pas en exagérer le nombre - satisfaits d'eux-mêmes et dédaigneux, prennent des airs de supériorité, ils se montrent vraiment trop fiers de leurs facultés utilitaires, d'une sorte de réalisme inconscient, qui déteint sur leurs grandes qualités morales et religieuses. Le Canadien, sans être insensible aux choses matérielles, ne se commercialise que lentement. S'il est retenu au sol par un lien profond, c'est qu'il le considère moins comme le chemin le plus rapide vers la richesse, que comme la meilleure façon de produire des hommes consacrés à leur pays et à Dieu. Il préfère et honore avant tout la religion, la culture intellectuelle, une certaine tenue sociale de l'altruisme. Loyal envers la Grande-Bretagne il reste attaché à sa langue, à ses lois et à sa foi. Il ne perd pas de vue les valeurs de l'au-delà. Il chérit tout ce qui contribue à sa survivance : ses écoles, ses collèges, ses universités, sa vie sociale, sa littérature, ses arts, et il ne le cède à personne en philanthropie. S'il a moins d'argent que l'Anglo-Canadien, il a plus de contentement. Il a une civilisation qui lui est propre ; on peut la discuter, mais les faits mentionnés ci-dessus forment un faisceau de preuves montrant avec évidence que, dans la lutte pour la vie, ce sont les causes économiques et politiques qui ont déterminé la prépondérance des Anglo-Canadiens.
L'évolution du canada français
Chapitre IV Débuts du régime britannique
Retour à la table des matières Le sort des Canadiens, après la conquête, ne fut guère différent de celui de tous les peuples vaincus. Des éléments cupides de la nation suivaient les armées. La plupart des historiens anglais les représentent comme des « marchands d'une réputation douteuse, mêlés à des soldats renvoyés et à des officiers en mi-solde suivant l'armée... en somme tristes représentants de leur nation » 1. « Ces premiers habitants », dit Robert Austruther Ramsay, « étaient, en partie des traînards de l'armée, des aventuriers provenant d'autres colonies, venus au Canada, comme en pays conquis, pour s'y livrer en quelque sorte au pillage, ce que Murray s'efforça, par tous les moyens, d'arrêter 2. » Selon ce général, « ces hommes pour la plupart d'une misérable éducation, étaient des traînards de l'armée, ou des soldats congédiés lors du renvoi des troupes ; tous voulaient faire fortune, mais peu s'inquiétaient des moyens à choisir pour atteindre leur but. Je suis forcé de dire qu'en général c'est l'assemblage d'hommes les plus immoraux que j'aie jamais vus 3. » D'après l'auteur de |