Docteur ès lettres, docteur en droit







télécharger 1.97 Mb.
titreDocteur ès lettres, docteur en droit
page9/51
date de publication21.02.2017
taille1.97 Mb.
typeDocumentos
a.21-bal.com > loi > Documentos
1   ...   5   6   7   8   9   10   11   12   ...   51
« était d'angliciser les Canadiens de force, ou par des moyens haïssables, eux qui ne voulaient pas être anglicisés en aucune façon, et surtout n'entendaient pas l'être par la violence 6. » Toute une classe maintenait son ascendant sur le gouvernement pour en obtenir les faveurs 7.
Certains gouverneurs montraient un arbitraire absolu et violent. Le duc de Richmond rudoya les membres de l'Assemblée « comme s'ils eussent été des serfs » 8. « Il y en a », dit Christie, « qui se considéraient comme au-dessus du Souverain 9. Dans la province française, ainsi que dans l'Ontario et la Nouvelle-Écosse, des lieutenants gouverneurs outrepassèrent leurs droits comme un souverain anglais n'eût jamais osé le faire 10 ». Le Conseil exécutif et le Conseil législatif n'étaient que des instruments entre leurs mains et se complétaient réciproquement à leur usage. Ces deux groupes d'hommes dispensaient toutes les faveurs à la minorité britannique qui, selon le professeur Walton, « avait toujours gouverné le Canada » 11. « La majorité », dit Durham, était toujours composée des membres du parti ayant en mains le pouvoir exécutif ; les greffiers de chaque conseil appartenaient aussi à l'autre. Le Conseil législatif n'était, en réalité, qu'un instrument de veto aux mains des fonctionnaires publics sur tous les actes de l'Assemblée, Chambre des députés, dans laquelle il était toujours en minorité. Il se servait de ce veto sans scrupules 1. » Mettant en relief le côté scandaleux de l'administration au Canada, John Stuart Mill les attribue à la constitution irresponsable du Conseil législatif 2, « ne représentant ni la population anglaise, ni la population française, non plus que la colonie ni la métropole » 3, et « n'étant l'organe que des intérêts cupides d'une oligarchie de tripotage » 4.
En tenant compte des mentalités collectives, il faut se rappeler que la masse des colons anglais, à quelques nobles exceptions près, allait de pair avec les représentants du gouvernement, et se montrait généralement sous les traits d'écrits par Talbot et par Durham. Une phase de leur psychologie, c'est, dit le docteur Walton, « qu'ils considéraient les Canadiens comme un peuple conquis, dont la ténacité à garder ses coutumes nationales, ainsi que ses lois et sa langue, méritait la plus complète réprobation  ». - « Par un effort quelque peu humoristique d'imagination, ils se considéraient, eux, et non pas les Canadiens, comme les vrais fils du sol 5. » D'après sir E. W. Watkins, « ils croyaient que les Canadiens devaient être gouvernés et non pas gouverner » 6. « Aux yeux du parti britannique, » - c'est maintenant le docteur Leacok qui parle, - « les Canadiens étaient toujours un peuple subjugué, dont le désir d'avoir son propre gouvernement ressemblait à quelque chose de déloyal 7. » Avec leur mentalité particulière, qui n'avait pas changé depuis l'acte de Québec, les Anglais en voulaient aux Canadiens de ne pas accepter cet ordre de choses.
Leurs écrivains ignoraient ce qu'il y a de grand et d'illustre dans l'histoire des Canadiens, leurs souvenirs héroïques cristallisés dans leur conscience comme une source inépuisable d'énergie potentielle et d'aspirations nationales. Ces fils d'Albion étaient loin alors de se rendre compte de la supériorité morale des fils du sol sur les masses hétérogènes des autres provinces. Il y a toujours chez eux le cliché de « l'ignorance » des Canadiens, cliché qui eut des répercussions redoutables sur l'esprit britannique. En réalité, cette ignorance était grande, comme celle de toutes les classes rurales du Canada, mais les collèges du Bas-Canada avaient répandu une éducation plus forte, et même plus philosophique, parmi les classes dirigeantes. Ils avaient produit des hommes marquants, tels que Joseph Bouchette, l'ami du duc de Kent, Canadien auquel nous devons nos principales connaissances géographiques d'alors. Ces colons anglais, en 1833, pouvaient-ils montrer un homme instruit tel que J. F. Perrault, qui alors produisit son Histoire du Canada, ou d'un éducateur tel que Meilleur, qui publia un manuel scientifique remarquable pour l'époque : Leçons de Chymie ? Avaient-ils à leur actif un homme comme G.-B. Faribault qui fit l'étonnement des bibliophiles de l'Europe par son Catalogue d'ouvrages sur l'histoire de l'Amérique et en particulier sur celle du Canada, 1837, à l'heure de l'insurrection ? Dans l'ensemble, avaient-ils des écrivains comme D.-R. Viger, A.-N. Morin, F.-X. Garneau, George-E. Cartier, J.-E. Turcotte, et tant d'autres ?
Pour se rendre compte des valeurs intellectuelles des deux peuples, comparez la forme et la substance juridique des Anglais dans les Constitutional Documents de MM. Shortt et Doughty, et celles des « remontrances » canadiennes ; ou encore comparez les conversations du procureur général Sewell et celles de Mgr Plessis 1 ou le « Mémoire » du Sulpicien Roux et les réponses du secrétaire du duc de Richmond, relativement aux biens de la Société de Saint-Sulpice 2. Qu'on lise enfin le Mémoire du peuple canadien à lord Bathurst sur ce que ces fils du sol endurèrent en 1814  3, et l'on ne pourra résister à l'évidence de leur supériorité philosophique et littéraire. Ils avaient un fond de culture dont les autres manquaient. L'Esprit des lois de Montesquieu, avec son interprétation lumineuse de la constitution anglaise, était connu au Canada avant la Cession 4. François-Joseph Gugnet, malgré l'ostracisme des avocats canadiens, avait la confiance de Murray et de Carleton. Il prit part à l'élaboration des Extraits des Messieurs (1773), et dans la suite (1775), écrivit le Traité des anciennes lois, coutumes et usages de la colonie du Canada. En 1771, il existait déjà une traduction française de la Constitution of England, de Delorme 5, et J.-F. Perrault avait mis à la portée de ses compatriotes le Justice of Peace de Robert Burn, ainsi que sa Lex Parliamenlarta. Bientôt Jacques Labrie publia les Premiers rudiments de la Constitution britannique de Brooke, et, cinq ans plus tard, Henri des Rivières-Beaubien faisait paraître son ouvrage sur les Lois civiles du Canada  6.
Pendant ce temps-là, les idées politiques, parmi l'élite, avaient remarquablement évolué et l'on était arrivé à un désenchantement complet au sujet de l'ancien absolutisme français. Les Panet, les Pierre Bédard et les Joseph-Louis Papineau, étudiant la constitution anglaise, et tant d'autres, furent pris d'un enthousiasme profond pour cette admirable création du génie anglais. Cet état d'esprit était d'une haute importance pour des hommes qu''attiraient les fonctions parlementaires : Tainé des Papineau, de Lotbinière, Jean-Thomas Taschereau, François Perrault, Étienne Parent, « tous hommes d'éducation » - d'après l'éducation secondaire d'alors - « et de caractère », dont les erreurs furent peut-être nombreuses, mais qui firent tout pour les réparer. Ils méritèrent le compliment, décerné plus tard à leurs descendants par lord Dufferin, qu'ils étaient « plus parlementaires que les Anglais eux-mêmes » 7. Ce fut la résultante de leur éducation nationale et de leur éducation politique anglaise, qui contribua le plus à éveiller chez eux la résistance au régime néfaste qu'on les forçait de subir.
Les griefs dont ils se plaignaient, quoique plus graves encore, étaient semblables à ceux de la Nouvelle-Écosse et du Haut-Canada 8. Durham, sur ce point si bien renseigné, dit « qu'il a trouvé dans toutes ces provinces une forme identique de gouvernement et des institutions généralement pareilles, parfois rattachées les unes aux autres - des intérêts, des sentiments et les coutumes semblables, une même situation 1... Une application honnête de la constitution alors en vigueur aurait donné une satisfaction complète 2. Il y avait un parallélisme - pour ne pas dire une identité presque absolue - entre les actes des partisans de l'oligarchie des provinces et les moyens peu scrupuleux employés par les gens en place, qui n'aurait pas pu être enduré plus longtemps par des hommes ayant une ombre de virilité. Seulement dans le Canada français, la Clique pouvait faire appel aux instincts brutaux des plus bas éléments anglais. Quand les Canadiens, découragés par l'injustice du Conseil législatif et du Conseil exécutif, demandèrent d'avoir un représentant à Londres, les Haut-Canadiens firent de même. Dans la province française, Christie perdit trois fois de suite son siège de représentant et Mackenzie se vit refuser à trois reprises le droit de prêter serment à Toronto 3. La situation étant désespérée, aussi longtemps que le Conseil législatif sera choisi par la Couronne, - en réalité par le gouverneur ou par sa clique, - les Canadiens demanderont un Conseil électif. Plus tard, le Haut-Canada exprime le même désir 4. La ressemblance saute aux yeux.
Il y avait une identité absolue d'organisation politique ; une Assemblée, un Conseil législatif, un Conseil exécutif et un même esprit politique. Les gouverneurs étaient réellement des automates temporaires voyant les choses par les yeux de la clique officielle. Dans les deux provinces, ces derniers parlaient en idéalistes, mais, dans la pratique, ils formaient une sorte de Tammany dont les exactions excitaient les mêmes courants de mécontentement, et pour les mêmes raisons une irritation profonde. Les invectives de Mackenzie étaient-elles moins violentes que les tirades enflammées de Papineau ? N'étaient-elles pas les cris poignants d'une même détresse ? Quand les réformateurs, sous l'égide de Mackenzie, voulurent adopter des moyens extrêmes, ils furent abandonnés par les Baldwin et les Ryerson. Quand, chez les Canadiens, Papineau devint dangereux, Bédard, Quesnel, Cuvilier et d'autres de ses lieutenants les plus en vue, ne lui restèrent pas fidèles. Si la milice du Haut-Canada fut loyale, celle de Québec ne le fut pas moins. L'Église anglicane était unanime contre les réformateurs et, dans le Bas-Canada, l'Église catholique, soutenue par une majorité écrasante, condamnait les révolutionnaires. « Les Quatre-vingt-douze résolutions » de Papineau, les « Douze résolutions » de Howe, les « Onze résolutions » rédigées par Baldwin portées à « Trente et une » par Mackenzie, comme son réquisitoire adressé à sir John Colborne et ses cent chefs d'accusation contre l'administration, révélaient le même pessimisme politique et un état impossible à maintenir 5. La question de race n'y était pour rien ; le parasitisme politique était à la base de tout.
On a essayé de mettre en cause les Canadiens comme des êtres turbulents et déraisonnables ; mais avaient-ils tort de porter des accusations contre le receveur général Caldwell, coupable du détournement d'un million de dollars, longtemps protégé par lord Dalhousie et le Conseil exécutif 6 ? ou quand ils protestaient qu'une partie des biens des jésuites avaient été versés dans un fonds de reptiles, pour alimenter la police secrète 1 ? N'étaient-ils pas justifiés dans leur offensive contre le Conseil exécutif, dont huit membres sur neuf faisaient partie de l'administration 2 ou contre le Conseil législatif dont douze des membres sur vingt-trois détenaient leurs charges de la Couronne et dont quinze étaient nés dans la Grande-Bretagne 3 ? Étaient-ils si absurdes de s'opposer à ce que des traitements fussent payés à un lieutenant-gouverneur et à un auditeur de patentes, quand ils ne se trouvaient pas dans la province où ils auraient dû être pour exercer leurs fonctions ? ou à ce que l'on payât des pensions aux défunts 4 ? Étaient-ils plus blâmables que les Anglais de la ville de Québec faisant entendre des protestations parce que le traitement du principal de la Royal Grammar School, ainsi que le loyer de l'école, étaient toujours payés, bien que l'institution eût été fermée depuis six ou sept ans 5 ? Était-ce un sentiment de sagesse nationale, ou une passion de parti, qui les portait à attaquer le cumul par un seul homme des charges d'aide de camp du gouverneur, de grand voyer, de conseiller exécutif, de membre de la Cour d'appel et de commissaire des biens des jésuites 6 ?
Étaient-ils si obtus quand ils se plaignaient que leur grand fleuve, le Saint-Laurent, ne fût ouvert qu'aux Anglais et qu'on les empêchât d'acheter à leur frontière certains articles, notamment le thé des Etats-Unis 7 ? Avaient-ils raison de se plaindre que l'Angleterre ne retirât pas moins de 50 000 dollars par année du service des postes de la colonie 8 ? Ne devaient-ils pas être ulcérés du fait que les membres les plus éminents de l'Assemblée fussent systématiquement écartés des deux conseils ? N'était-il pas irritant pour eux de voir que ces organisations, composées de fonctionnaires publics, souvent individus tarés, pussent mettre obstacle à toute la législation canadienne, et que le gouvernement autonome de ces sujets britanniques de langue française ne fût qu'une contrefaçon et un simulacre ? Il était non moins navrant pour eux de voir ces étrangers, bien que formant à peine un quart de la population, détenir 62 fonctions importantes contre eux 80. Les cours des commissaires secondaires comprenaient 189 Anglais et seulement 151 Canadiens. Parmi les fonctionnaires, les fils d'Albion recevaient 290 000 dollars et les Canadiens 68 000 dollars ; les juges britanniques 140 000 dollars et les Canadiens 40 000 dollars 9. D'après Durham, ces derniers étaient exclus des privilèges dépendant de l'administration, et étaient traités avec une arrogance irritante par les officiers anglais. Se servant d'euphémismes, ce qui était son genre, en parlant de choses anglaises, il n'hésite pas à critiquer la « mauvaise gestion », « un système vicieux de gouvernement », « un parti mettant en danger la tranquillité publique par la violence de sa conduite », et son « injuste favoritisme » 10. « La province a enduré les vexations de ce grand désordre 1. » Ce système de gouvernement est « une moquerie et une source de confusion » 2. Il brisait les ressorts indispensables de la vie canadienne.
Malgré tous leurs avantages, leurs gains énormes vers le commencement du deuxième quart du dix-neuvième siècle, les Anglais se plaignaient des obstacles mis à « leur acquisition de richesses ». Il faudrait citer les pages éloquentes de Talbot relativement « au bon nombre de personnes qui avaient eu de bien humbles débuts et qui ont acquis de très grandes fortunes 3. L'opulence actuelle des Anglo-Canadiens n'est pas d'origine récente. À côté des commerçants, Durham signale « parmi les ouvriers amenés par l'émigration... un bon nombre de gens ignorants, agités et démoralisés dont la conduite et les manières révoltaient les Canadiens de la même classe, si courtois et si réguliers de vie » 4. La plus grande partie de la population anglaise, « formée de rudes cultivateurs et d'humbles artisans, composait une démocratie très indépendante difficile à conduire, et quelquefois plutôt turbulente », tapageuse. « L'hostilité » envers les Canadiens c'est très développée parmi les plus humbles et les plus grossiers de ces gens » 5. Son opinion concorde avec celle de lord Gosford, qui, après le soulèvement de 1837, dit au Parlement « qu'il y a, surtout à Montréal et aux environs, des citoyens anglais envers lesquels les libéraux et les indépendants doivent se montrer hostiles, et dont les gestes et la conduite sont caractérisés par un esprit de domination sur toute la population d'origine française. Ils ont toujours aspiré à posséder seuls le pouvoir et le patronage dans le pays. Ce sont eux qui doivent être tenus pour responsables des troubles qui viennent de se produire » 6. Les critiques accablantes de Robert Christie contre le personnel, et la déception des gouverneurs, mènent aux mêmes conclusions 7. L'éminent juriste Frederick Parker Walton nous dit que le gouverneur, tout en doutant souvent de la sincérité de ceux qui le conseillaient, « finissait par se ranger à l'avis que son devoir, comme représentant du roi, était de s'appuyer sur ceux qui, quels que fussent leurs préjugés, étaient dévoués de tout leur cœur au maintien du lien britannique » 8. Les Canadiens voulaient-ils rompre ce lien ? Leur loyalisme et leur loyauté, pendant trois quarts de siècle, demandaient l'abolition d'une domination inconstitutionnelle et injustifiée.
À vrai dire, ils n'étaient pas absolument irrépréhensibles. Quelques-uns d'entre eux devinrent aigris, dans leur indignation d'être dominés par des mercenaires étrangers. Ils avaient des rhéteurs, des grands parleurs aux phrases creuses et tranchantes. Ils dédaignaient les concessions de lord Goodrich, ils restaient indifférents aux droits politiques des « cantons de l'Est » 9. Ils n'étaient pas généreux dans le partage des revenus de douane avec le Haut-Canada 10. Quand même, il y avait chez eux un idéalisme politique inconnu chez les Haut-Canadiens. « Peu d'entre eux, » dit le principal W. L. Grant, « pensaient que  » gouvernement responsable » pût signifier autre chose que la défaite du Family Compact et son remplacement par leurs propres favoris 1. » Les Canadiens étaient plus portés vers les principes de l'Angleterre. Déjà en 1808, Pierre Bédard s'était constitué le défenseur de la doctrine de « ministres responsables » siégeant au Parlement 2. En 1830, Pierre de Sales La Terrière parle de l'urgence d'avoir des gouvernants responsables dans le genre de ceux de Westminster 3. L'Office colonial protestait que ce système de responsabilité était en contradiction avec les rapports qui doivent exister entre les colonies et la métropole. « Le gouvernement responsable est impossible », disait T. R. Preston, fonctionnaire anglais : « L'essence même du gouvernement étant l'indépendance, est virtuellement elle-même en opposition avec les rapports coloniaux, et, par conséquent, possède une tendance à précipiter la séparation 4. » Il ajoute, parlant des Canadiens : « Il faut les tenir en sujétion, » bel exemple du pharisaïsme du monde officiel.
Ceux qui ont tant admiré l'idéalisme politique de l'Angleterre lors de l'Acte de Québec, sont frappés de ce recul des hommes politiques anglais. « La Grande-Bretagne », dit encore F. R. Preston, « possède légitimement le Bas-Canada, et par conséquent elle peut en faire ce qu'elle veut 5. » - « Il est impossible de concéder aux habitants du pays le contrôle de leurs affaires 6... » à cause de leur demi-barbarie, « c'est un peuple stupidement ignorant et d'un aveuglement passif 7. » Oui, c'est ainsi qu'il parle d'un peuple qui, malgré les tragédies de son histoire et son dénuement économique, avait déjà fondé six collèges et d'importantes institutions philanthropiques ; d'un peuple possédant des idéals politiques si élevés qu'ils furent plus tard introduits dans les parties les plus florissantes de l'empire britannique. Comme John Stuart Mill a raison de parler de « ce peuple si calomnié » 8 !
MM. John Molson Jr et John Quinlan, de l'Association constitutionnelle, donc au premier rang des adversaires des Canadiens, avec une allure cassante, formulent à leur égard cette critique : « Les prétentions qu'ils émettent de contrôler les traitements des fonctionnaires publics à l'aide d'une liste civile annuelle, votée en détail, aurait pour effet, si l'on y consentait, de désorganiser le gouvernement, et, finalement, de rendre les juges et autres fonctionnaires publics les instruments de l'animosité politique 9. » Cela est encore réfuté par l'expérience de toutes les colonies britanniques, où les principes soutenus par les Canadiens furent introduits plus tard. John Castell Hopkins, ne tenant aucun compte des abus positifs et des pratiques inconstitutionnelles, que ces braves gens désiraient abolir, cherche à démontrer, par une longue argumentation, que les Canadiens sont déraisonnables de vouloir un gouvernement responsable que l'Angleterre, même ne possédait pas 1. Admirable compliment qu'il fit aux Canadiens en montrant qu'ils avaient suffisamment d'intelligence politique pour demander que l'Empire britannique leur concédât ce qui, dans la suite, fut établi partout comme une règle normale. Quelque retardataires qu'ils fussent à tant d'égards, leur pensée politique avait devancé le temps.
La crise était arrivée à un état aigu entre les hommes hostiles à la politique de bon droit et ceux qui revendiquaient leurs privilèges. Les colères de part et d'autre ne désarmaient pas. L'Office colonial envoya lord Gosford, croyant que peut-être son opposition bien connue aux Orangistes 2 pourrait lui concilier les Canadiens. Il essaya d'agir dans le sens de concessions et d'ajouter sept Canadiens au Conseil législatif et neuf autres au Conseil exécutif 3 ; les Britanniques s'y opposèrent. Il savait que le peuple n'était pas hostile à l'Angleterre ; mais s'il se fût rangé du côté des Canadiens, comme plus tard Bagot et Elgin, cela eût paru alors une trahison. Il ne fit rien, et par conséquent ceux qu'il voulait satisfaire refusèrent, à l'exemple du Haut-Canada, de voter les subsides. Alors, agissant contre tout droit, il ordonna d'arrêter les chefs. Cela déchaîna la lutte et ce fut le saut dans l'inconnu.
Le soulèvement ne prit guère de grandes proportions 4, pas plus dans le Haut-Canada que dans l'autre province. Sur 500 000 Canadiens, 2 000 ou 3 000 à peine s'y rallièrent 5. Un bon nombre d'Anglais et d'Irlandais entrèrent dans la lutte. H. S. Chapman essaya en vain d'obtenir la coopération de Joseph Howe, le grand tribun de la Nouvelle-Écosse 6. En 1835, William Lyon Mackenzie visita la province de Québec, avec le docteur O'Grady, afin de resserrer l'alliance entre les mécontents 7. Le docteur O,Callaghan, un Irlandais, avec toute l'amertume de sa race, ressentit plus intensément encore le cruel traitement des Canadiens 8. Plusieurs Anglais étaient dans le mouvement ; Cuthbert, de Berthier, et Neilson, de Québec, avaient été profondément excités par les appels de Papineau 9. L'action de Robert Nelson fut fâcheuse. Des intermédiaires entre les conspirateurs des deux provinces poussaient à l'insurrection sans parler de l'encouragement venant de milieux anti-britanniques des États-Unis. Un peu pressé de toutes parts, le petit groupe des Canadiens fut saisi de vertige, et prit les armes. D'après lord Gosford, « ceux qui se mirent à leur tête furent : à Saint-Denis, un Anglais, Wolfred Nelson ; à Saint-Charles, un aventurier, moitié Anglais, moitié Américain, du nom de Brown, et à Saint-Benoit, un Suisse arrivé depuis peu dans le pays » 10. La balance des forces n'était pas douteuse. Les exploits de sir John Colburn à la tête de 8 000 soldats bien armés contre une faible minorité de paysans placés dans un cercle de fer et de feu n'ont aucune importance. Seules, les causes morales et politiques de ce grand bouleversement comptent pour l'impartial ami de la justice.
Les écrivains les plus indépendants remarquent qu'il ne fut jamais question de faire appel aux armes parmi les Canadiens, par la bonne raison qu'ils n'en avaient pas. On ne pouvait, en effet, compter comme « armes » des panons de bois cerclés de fer, des fusils dont quelques-uns dataient du régime français, des piques et des faux transformées en épées 1. Les Anglo-Canadiens n'en étaient pas là. Depuis 1835, ils faisaient l'exercice en secret 2. « Il ne saurait y avoir aucun doute », dit Bradshaw, « qu'ils étaient désireux d'avoir recours à la force pour en finir cette année-là, 1837 3. » Selon une dépêche de Durham, à lord Glenely, du 9 août 1838, et portant la mention « secrète », le conflit fut précipité par les Anglais, obéissant à l'instinct du danger qui les poussait à ne pas donner aux fils du sol le temps de se préparer 4. Dans ces conditions, lorsque les Anglo-Canadiens étaient décidés à tirer le glaive, c'était le comble de la folie pour les autres de leur en donner l'occasion.
La répression qui s'ensuivit souleva des protestations, même parmi les vainqueurs. Les maisons des insurgés furent brûlées, et même des villages entiers ; les récoltes furent détruites ; des familles nombreuses furent ruinées et emprisonnées. Il y eut plus de mille arrestations, la plupart sur simple soupçon 5. Cent douze insurgés furent traduits en cour martiale, et 98 furent condamnés à mort ; 12 furent exécutés, 30 mis sous caution, 58 exilés. John Stuart Mill, avec sa haute intelligence de philosophe, formula un jugement définitif et désintéressé sur les maux infligés aux Canadiens, et demanda la réparation des malheurs qui leur furent infligés. Il « montra le déshonneur d'avoir, en premier lieu, violé leur constitution, et ensuite d'avoir tiré parti de l'insurrection, provoquée par les actes de tyrannie, comme d'une excuse pour confisquer les droits de la plus grande partie des habitants, en faveur d'un petit groupe d'étrangers » 6. Lord Brougham fit un réquisitoire juste et sévère, dans le Parlement ; « Vous punissez toute une province parce qu'il s'y trouve quelques paroisses irritées ; vous châtiez même ceux qui vous ont aidé à étouffer l'insurrection 7. »
N'oublions pas les malheureux exilés à la Nouvelle-Galles du Sud. Sans parler des souffrances morales dans la prison de Montréal, les cinq mois passés sur le vaisseau qui les transportait furent terribles. Les quartiers manquaient du confort le plus élémentaire, et, de plus, ils avaient l'horrible perspective d'être traités à leur arrivée comme des criminels anglais de la pire espèce. Ils furent, en effet, considérés comme tels. On les soumit à un régime de fer, à recevoir cinquante coups de fouet, pour le fait de quitter leurs enclos sans permission 8, bien que trois de ces malheureux se fussent battus pour l'Angleterre en 1812, et que l'un d'eux eût participé à la gloire de Châteaugay 1. Finalement, les autorités découvrirent que ces hommes avaient été calomniés et on leur accorda la plus grande liberté. La plupart étaient d'honnêtes et braves cultivateurs, avec quelques représentants d'autres professions. Tous avaient voulu délivrer leur pays des oppressions bureaucratiques et commerciales. Ces braves gens vécurent si raisonnablement que, sur les 58 exilés, un se fixa dans le pays, et, après neuf ans, 55 rentrèrent au Canada 2.
La revendication douloureuse des droits canadiens est de mieux en mieux comprise par les écrivains de langue anglaise : « La cause de tout le mal », dit A. G. Braddley, « c'est que le gouvernement des provinces canadiennes, avec tous ses postes et ses honoraires, était tombé entre les mains d'un groupe de familles dont les attaches étaient naturellement britanniques 3. » - « Il n'y a aucun doute, » dit George Bryce, « que l'état des choses dans les deux provinces justifiait un grand mécontentement, et que les deux groupes de fonctionnaires étaient responsables des maux qu'un peuple opprimé avait décidé de faire disparaître par la force des armes 4. » - « L'opinion publique », affirment les biographes d'Alexander Mackenzie, « a depuis longtemps rendu justice aux hommes qui luttèrent afin d'obtenir pour le Canada les avantages de la constitution anglaise 5. »
La morale de tout cela est l'ignorance où en était le peuple anglais des injustices commises en son nom et des contradictions de l'Office colonial. Ainsi Craig emprisonna Pierre Bédard, et non seulement le tint dans les fers et lui refusa son procès, mais, sous le gouverneur suivant, il fut créé juge à Trois-Rivières 6. Les juges Panet, Elzéar Bédard et Vallières de Saint-Réal, révoqués pour leur défense de
1   ...   5   6   7   8   9   10   11   12   ...   51

similaire:

Docteur ès lettres, docteur en droit iconSous la direction du Docteur Kouao Biot Bernardine, Mention bien
«Sauvegarde du patrimoine culturel immobilier du département de Sassandra», sous la direction du Docteur Kouao Biot Bernardine, Mention...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconSurtout ‘’La machine à remonter le temps’’, ‘’L’île du docteur Moreau’’

Docteur ès lettres, docteur en droit iconLes signes de la mort Docteur Jean-Pierre tourrou generalites

Docteur ès lettres, docteur en droit iconIl aurait employé ce terme lors de son premier voyage en
«fous», mais aussi l'étude que le Docteur Morgenthaler consacra en 1921 à un interné psychiatrique qui deviendra un célèbre représentant...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconLa Russie, celle du Docteur Jivago, n'est plus, mais l'actuelle n'est...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconBibliothèque universitaire Droit-Lettres

Docteur ès lettres, docteur en droit iconThèse pour obtenir le grade de docteur de l’Université Paris I panthéon-Sorbonne
«L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document. Ces opinions doivent être considérées...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconNé à Rouen, le 21 décembre 1821, IL était le fils du médecin-chef...
«Il est vrai que les sangsues du docteur Broussais, la vaccine, la pâte Regnault, le remède infaillible pour les maladies secrètes,...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconLe droit pénal est un droit atypique. Entre autres, seule cette branche...

Docteur ès lettres, docteur en droit iconEtat civil
«Droit de l’homme, droit culturel et droit des artistes». Programme Artwatch Africa, Institut Goethe-Abidjan, Côte d’Ivoire







Tous droits réservés. Copyright © 2016
contacts
a.21-bal.com