Que Vlo-Ve? Série 2 No 13 janvier-mars 1985 pages 10-25







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Que Vlo-Ve? Série 2 No 13 janvier-mars 1985 pages 10-25

Dossier de presse Calligrammes

© DRESAT


DOSSIER DE PRESSE
CALLIGRAMMES
Nord-Sud, n°3, 15 mai 1917
«Livres»
[...]

A PARAÎTRE. Au «Mercure de France»: Calligrammes: Poèmes de la Paix et de la Guerre

1913-1917, par Guillaume Apollinaire.

[...]
Dada/Juillet 1917
«Notes»

[…]

À PARAÎTRE:

ANTHOLOGIE DADA

GUILLAUME APOLLINAIRE: Calligrammes (Mercure de France)

[...]
La France, 13 août 1917
«Plumes, pinceaux, ébauchoirs»
Calligrammes

Le poète Guillaume Apollinaire va publier un nouveau livre qu'il intitule: Calligrammes.
Le Cri de Paris, n°1063, 12 août 1917
«Lettres et Arts»

[...]

Calligrammes

Le poète Guillaume Apollinaire va publier un nouveau livre qu'il intitule '.Calligrammes.

Un calligramme est une fantaisie typographique qui renferme une pensée ou un poème sous la forme d'un objet.

Un des plus célèbres calligrammes est celui qu'on trouve au cinquième livre du Pan­tagruel; c'est l'invocation de Panurge à la dive Bouteille, elle est imprimée en forme de flacon.

[10]

Panard, au XVIIIe siècle, donna à deux de ses chansons bachiques les contours d'une bouteille et d'un verre.

Ces exemples pourraient nous incliner à penser qu'il faut être légèrement pris de vin pour composer des calligrammes.

Mais des auteurs très graves n'ont point dédaigné ce genre de divertissement. Ainsi la préface de la traduction d'Apollonius de Thyane [sic] par Vigenère, ouvrage savant qui date du XVIIe siècle [sic], s'inscrit dans les lignes de deux fleurs de lys.

Dans son prochain volume, M. Guillaume Apollinaire a réuni les calligrammes les plus variés.

Voici un poème qui a pour titre: La Cravate et la Montre.

La phrase qui suit affecte la silhouette d'une cravate:

«La cravate douloureuse que tu portes et qui t'orne, ô civilisé, ôte-la, si tu veux bien respirer.»

Quant à la montre, l'anneau en est figuré par ces mots: «Comme l'on s'amuse bien!» La circonférence est tracée par une sentence merveilleusement optimiste : « La beauté de la vie passe la douleur de mourir.»

Par contre, dans les aiguilles est incluse une réflexion profondément découragée: «II est moins cinq ! enfin ! Et tout sera fini ! »

Voici la Tour Eiffel: «Salut, monde dont je suis la langue éloquente, que ta bouche, ô Paris, tire et tirera toujours aux Allemands.»

Bien entendu, cette joyeuse apostrophe s'encadre dans la flèche et dans les pieds d'une charmante petite tour.

M. Guillaume Apollinaire a eu bien raison d'inscrire des pensées si profondes sous une forme inusitée. Personne n'y aurait fait attention si elles étaient alignées selon l'usage commun. La renommée ressemble à certaines prudes qui ne détestent pas d'être un peu violées.

[…]
Excelsior, n° 2464, mardi 14 août 1917,
«Bloc-notes»
[…]

«Le Pont des arts»

[...]

M. Guillaume Apollinaire publiera prochainement, au Mercure, un nouveau choix de ses poèmes audacieux, savants et subtils... Le volume s'appellera Calligrammes. Nous le signalons aux bibliophiles: les premières éditions de Guillaume Apollinaire, c'est un placement de père de famille...

LE VEILLEUR

[11]

L'Eveil, 17 août 1917
«En zig-zag»

[...]

«Arts et lettres»

[...]

— Guillaume Apollinaire va publier, au Mercure de France, des Calligrammes. Cet ouvrage n'avait-il pas été annoncé, en mai 1914, sous ce titre : Et moi aussi je suis peintre ?

[...]

LE NOTATEUR
L'Action française, n°238, lundi 26 août 1918

«Le Carnet des lettres, des sciences et des arts»

«Nouvelles et on dit»

[...]

Le prochain volume en vers de Guillaume Apollinaire sera tout entier de la forme et du ton des pièces que nous avons goûtées dans Les Calligrammes.

[...]

ORION
Nord-Sud, n° 15, mai 1918
«Chroniques»
[...]

LIVRES. — Calligrammes par Guillaume Apollinaire - Poèmes de la paix et de la guerre, anciens et modernes - Un gros volume in-8, 5 francs. La réputation de Guillaume Apolli­naire n'est plus à faire, M. Jolibois s'en est chargé. Ce volume renferme la production poétique de G. Apollinaire pendant ces dernières années. Il nous rappelle tout ce qu'est capable d'embrasser le lyrisme de son auteur qui sut être partout comme il le dit lui-même. Comme tous les vrais poètes Apollinaire a le don d'ubiquité; sa poésie aussi, naturellement. [...]

S. Laforêt

[P. Reverdy]

[12]
Excelsior, n° 2755, mercredi 5 juin 1918
«Les Livres»

«Les Poètes»
[...]

M. Guillaume Apollinaire, qui s'est bravement battu pour la tradition française, use maintenant sa ferveur patriotique à renouveler la technique du vers français. Prenant pour modèles les anciens, il supprime la ponctuation. Les muses qui, d'ordinaire, font une curieuse consommation de points d'exclamation, se passent avec lui de points et de virgules.

Après sa religion et sa liberté, la grande affaire d'une nation, c'est sa langue. On ne saurait donc exprimer trop de reconnaissance envers les esprits ingénieux et actifs qui en ont dirigé les tentatives ou hâté le perfectionnement. Mais ces tentatives qui étaient, au temps de la Pléiade, justifiées jusqu'à un certain point par les besoins d'une littéra­ture naissante, encore animée d'un puissant instinct de création, se justifient-elles aujourd'hui ? Au temps de Baïf, de Jodelle, de Moysser [sic], ces innovations étaient légi­times. Plus rapprochée de ses origines, notre langue était plus prosodiée, plus accen­tuée, plus rythmique qu'elle ne l'est devenue depuis. Elle était, d'ailleurs, à cette épo­que, l'apanage des savants; les poètes, alors, étaient ordinairement des philosophes, des grammairiens... Ils écrivaient pour une élite et non pour le public. Leurs œuvres exi­geaient une connaissance très approfondie du mécanisme des langues grecques et latine. Avec ces amateurs de choix, avec ces virtuoses, le poète enivré du nectar antique pou­vait essayer toutes les hardiesses typographiques, philosophiques ou prosodiques. Le peut-il aujourd'hui ? Les louables et curieux efforts du poète Guillaume Apollinaire seront-ils sensibles à la majorité des lecteurs?

Mais pourquoi insister? Le fin lettré qu'est Guillaume Apollinaire sait tout cela aussi bien que nous. Au surplus, ses lecteurs suppléent à son défaut systématique de ponc­tuation. Pourraient-ils oublier, pour lui tout seul, leur vision coutumière des phrases? Ils le pourraient d'autant moins que le fond, la langue, le rythme, les idées, les images, tout y est purement classique. Notre poète ensanglanté chante et enchante cette four­naise de la guerre qu'il a traversée d'un cœur si allègre. Dans quelques-unes de ses pièces à forme fixe, on sent une maîtrise, indice sans doute d'une nouvelle manière, plus respectueuses de nos traditions grammaticales, un peu superstitieuses sans doute, mais séculaires, c'est-à-dire éprouvées.

Jean-Jacques Brousson

[13]
Mercure de France, 16 juin 1918
«Revue de la quinzaine»
PUBLICATIONS RECENTES

[...]

Poésie

Guillaume Apollinaire: Calligrammes, Poèmes de la Paix etde la Guerre (1913-1916), avec un portrait de l'auteur par Pabio Picasso, gravé sur bois par R. Jaudon; Mercure de France. 5 [fr.]

[...]

MERCURE

Même annonce en dernière page sous le titre «Publications du 'Mercure de France'», avec cette précision supplémentaire: «4 japon à la forme et 3 chine, à 150 fr.; 33 vélin de cuve, à 25 fr. Tous souscrits.»
L'Heure, n°871, jeudi 27 juin 1918
«Petit courrier des lettres et des arts»
[...]

— À propos de Calligrammes de Guillaume Apollinaire, qui vient de paraître au Mer­cure de France, ces réflexions du Veilleur d'Excelsior:

«Un calligramme [...]. Et Anastasie fut bien attrapée.»

LAZARILLE
Excelsior, n° 2777 jeudi 27 juin 1918
«Bloc notes»

[...]

«Le Pont des arts»

Le poète Guillaume Apollinaire, dont le vrai nom est Kostrowiski fsic] et qui porte au front une glorieuse entaille reçue en défendant la France, sa patrie d'adoption, vient de faire paraître un fort curieux volume de vers qu'il intitule: Calligrammes.

Un calligramme est une fantaisie typographique qui consiste à imprimer un texte dans la forme même de l'objet qu'on y décrit.

On s'amusa fréquemment à ce jeu au seizième siècle. Un des plus célèbres calligram­mes est celui qui se trouve au chapitre la prière adres­sée à la dive Bouteille par Panurge. Elle se présente en forme de flacon.

[14]
En 1848, quand il était défendu d'appeler Louis-Philippe le Roi-Poire, le journal satiri­que Le Charivari imprima en forme de poire un article de protestation. Et Anastasie fut

bien attrapée.

Dans son nouveau livre, Apollinaire nous offre entre autres calligrammes un jet d'eau dont les gouttes sont des vers adressés à ses amis mobilisés:

Tous tes souvenirs de naguère,

0 mes amis partis en guerre,

Jaillissent vers le firmement.

Signalons aussi une petite Tour Eiffel qui nargue fort joliment le kaiser.

Salut!, dit-elle, monde dont je suis la langue éloquente que ta bouche, ô Paris, tire et tirera toujours aux Allemands.

L'exclamation salut dessine la pointe du monument aux Allemands en figurent les pieds. Divertissements inoffensifs et pittoresques en somme.

LE VEILLEUR

Paris-Midi, 28 juin 1918
«Nos Échos»

«Calligrammes»
Les peintres aimés de M. Guillaume Apollinaire faisant des peintures aussi herméti­ques que des sonnets de Mallarmé, il est d'un naturel équilibre que M. Guillaume Apol­linaire écrive des poèmes en forme de dessins.

Il appelle cette forme qu'il innove - et c'est déjà là un mérite - des Calligrammes. Il y a des calligrammes carrés, en ondes, en fusées, en fumées, en jets d'eau, etc., etc. Si les uns sont, pour la tradition ou par la pensée du poète, énigmatiques, d'autres sont assez évocateurs. Et dans ce qu'un vain peuple ne prendrait que pour une obscu­rité de mots, éclatent parfois des clartés. Mais les difficultés typographiques sont trop nombreuses pour que, dans un quotidien l'on donne le calligramme du joli poème en «colombe poignardée», ou en gramophone, par exemple.

LE PLANTON

[15]
Les -Arts à Paris, n°2, 15 juillet 1918
«Chronique des livres»
[…]

Le Mercure de France vient enfin de faire paraître Calligrammes de M. Guillaume Apol­linaire. Ces poèmes «de la paix et de la guerre» 1913-1916 sont peut-être l'ouvrage le plus marquant qui ait paru durant la guerre.

M. Guillaume Apollinaire ne prend pas d'attitudes, mais il part résolument à la décou­verte. Des critiques aussi difficiles et aussi «classiques» que M. Jean-Jacques Brousson ont rendu hommage à ses intentions, ils ont reconnu qu'il n'était pas un ignorant dont les muses ont ri, ils ont même justifié sa prétention d'écrire la poésie sans ponctua­tion «comme les anciens». L'audace ici se pare de lyrisme et de raison.

On sait qu'un grand critique malheureusement mort à la guerre, M. Gabriel Arbouin, mettait M. Guillaume Apollinaire au premier rang de la poésie contemporaine avec MM. Paul Claudel et Jules Romains.

Le livre est illustré d'un portrait de l'auteur par Picasso, gravé sur bois par René Jaudon.

[…]

F. Jolibois

[Apollinaire lui-même...]
L'Oeuvre, n° 1027, lundi 15 juillet 1918
«Calligrammes par Guillaume Apollinaire»
Guillaume Apollinaire donne le nom de Calligrammes à des compositions typographi­ques rappelant la forme d'un objet. Il faut en outre que le sens des mots dont est formé le dessin se rapporte, au moins poétiquement, à l'objet. Par leur perfection typographi­que, les calligrammes du XVIe siècle sont bien au-dessus de ceux du poète d'Alcools. C'est qu'en effet les calligrammes anciens n'étaient que jeux d'imprimeurs, alors que les calligrammes d'Apollinaire, d'une beauté typographique moindre, mais où l'élément littéraire est de première importance, sont jeux de poète. Différence essentielle, comme vous voyez, et qui suffit à conférer à Guillaume Apollinaire le mérite d'une véritable prio­rité. Avouerai-je qu'à mon goût l'inachevé de leur réalisation condamne les calligram­mes d'Apollinaire? Quand on songe qu'un certain nombre d'entre eux ont été reproduits à l'aide de clichés!... L'éditeur se défendra en arguant de la dureté des temps, du man­que de papier, de l'inexpérience des typographes. Mais nous nous serions fort bien passés de calligrammes jusqu'à la fin de la guerre, et l'on est impardonnable de nous en offrir qui soient si laids. J'aurais voulu voir les calligrammes d'Apollinaire gaufrés sur acier, peints sur porcelaine ou sur cristal, brodés sur soie de Chine, imprimés sur vieux Japon ou encres de couleur. Au lieu de cela... Je m'arrête, je préfère copier celui-ci. A défaut de son aspect rebutant - c'est, paraît-il, le profil d'un oeillet - vous en goûterez la plai­sante idée:
[16]

Que cet oeillet te dise la loi des odeurs qu'on n'a pas encore promul­guée et qui viendra un jour régner sur nos cerveaux, bien plus précise et plus subtile que les sons qui nous dirigent. Je préfère ton nez à tous tes organes, ô mon amie, il est le trône de la future sagesse.
Il y a là, en quelques phrases parfaitement mesurées et cadencées, un joli thème de spéculation esthétique que l'auteur de la Philosophie des Parfums, Charles Régismanset, a déjà développé d'ailleurs.
Mais le volume des Calligrammes ne contient pas que des calligrammes, si toutefois l'auteur n'a pas étendu le sens de ce mot à tous ses ouvrages poétiques. Calligramme peut en effet désigner un poème, un conte, un roman, à condition que l'application du mot soit justifiée par son étymologie grecque. Un article de journal bellement rédigé est un calligramme. Bref, les poèmes de Calligrammes ne sont pas tous dessinés. La plu­part sont en vers, libres, il est vrai, et plus amorphes qu'il n'est possible, mais en vers. J'en veux parler avec une grande sympathie et sans prétendre leur assigner une place dans l'histoire de la littérature, non plus que dans l'oeuvre d'Apollinaire. Il n'ignore pas, Guillaume Apollinaire, que ce que j'aime dans ses vers, c'est leur fluidité, leur suavité, leur musicalité aériennes, le volupteux glissement de leurs images, leur spontanéité, leur fantaisie, leur cocasserie parfois truculente, leur sentimentalité parfois puérile, et par dessus tout ce dépaysement que j'y savoure, ces parfums exotiques, ces paysages de rêve, de légende et de voyage, ces brusques ascensions au plus haut des espaces interplanétaires, ces descentes vertigineuses dans le domaine des sensations instincti­ves, cet univers immense et chaotique où le mirage est réalité et dont l'harmonie n'a d'autres lots que les caprices d'une sensibilité quasi primitive alternant avec les pro­fonds artifices d'une culture aussi bigarrée qu'étendue. Je ne dirai pas que j'ai retrouvé dans Calligrammes les délices d'Alcools, le contraire serait plutôt vrai. Je me méfie de ce vertige du mot qui constitue le seul attrait de certaines pièces. J'ai une répugnance, mettons maladive, pour l'incohérent et l'absurde. Par excès de santé intellectuelle, Guil­laume Apollinaire cherche son plaisir aux antipodes de la raison raisonnante.
Libre à lui, mais est-ce leur faute si ses admirateurs les plus déterminés hésitent et reculent devant le saut final qu'il leur demande de faire avec lui? D'autant plus qu'on ne sait pas s'il le fait réeliement, ce saut, et si ce magicien ne nous dupe pas au moyen de prestiges et de sortilèges connus de lui seul, nous abusant et nous faisant croire qu'il s'élève dans l'air ou qu'il marche la tête en bas, pendant qu'il nous regarde, le sourire aux lèvres, risquer de nous rompre le cou pour suivre dans les nuées le fantôme cha­toyant du bon vivant et de l'aimable philosophe qu'il est, en chair et en os.
Je t'écris de dessous la tente,

Tandis que meurt ce jour d'été

Où floraison ébouissante,

Dans le ciel à peine bleuté

Une canonnade éclatante

Se fane avant d'avoir été.
Voilà, avec tant d'autres, que la place me manque pour transcrire les vers de Guil­laume Apollinaire que je préfère. Ce lyrisme frais, familier, aisé, dont il a, pour une grande part, contribué à former le goût parmi nous, c'est son apport le meilleur et le plus sûr, c'est sa marque. Pour le reste, je m'en remets à ce qu'il est convenu d'appeler le juge­ment de la postérité.

[17]

Engagé volontaire au début des hostilités, passé sur sa demande de l'infanterie dans l'artillerie, promu officier sous le feu, blessé à la tête, trépané, décoré, rendu enfin à la vie littéraire, Guillaume Apollinaire va sortir de la jeunesse. Il est allé à l'extrême de la négation antitraditionnelle, il a touché le fond sous la ruine, et l'on ne voit pas comment, dans le cadre matériel du livre, il est possible d'élargir, de varier, de briser davantage les formes de l'expression lyrique. Pour son propre compte - encore que quelques-uns l'aient imité - il a été un grand destructeur. Pour son propre compte - car ses imitateurs le renieront à la première occasion - va-t-il reconstruire, et sur quelle base, dans quel style?
J'ai l'impression qu'il s'en inquiète. On ne peut passer sa vie à casser les carreaux et à renverser les étagères. Il est honorable de lancer des modes, d'être le père du cubisme, d'avoir imposé l'art nègre aux snobs, d'être un peu le Baudelaire, le Concourt et l'Oscar Wilde d'une époque. Un jour vient où l'art nègre se vulgarise, où le cubisme s'épuise, où les modes sont remplacées par les suivantes. À trente-sept ans, la guerre finie, Apollinaire se résignera-t-il à faire figure d'apôtre et de pontifie désaffecté ? Je suis sûr que non et qu'en lui-même enfin la maturité le changera, ou plutôt le fixera. Il a mis à la fin de ses Calligrammes un émouvant poème qui est en quelque sorte le testament de sa jeunesse, l'adieu aux belles extravagances.
Soyez indulgents quand vous nous comparez

À ceux qui furent la perfection de l'ordre

Nous qui quêtons partout l'aventure

Nous ne sommes pas vos ennemis

Nous voulons vous donner de vastes et d'étranges domaines

Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir

II y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues

Mille phantasmes impondérables

Auxquels il faut donner la réalité

Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières

De l'illimité et de l'avenir
Voici que vient l'été la saison violente

Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps

0 Soleil c'est le temps de la Raison ardente

Et j'attends

Pour la suivre toujours la forme noble et douce

Qu'elle prend afin que je l'aime seulement
C'est une excuse, une justification et une promesse. Va pour «raison ardente», et qu' Apollinaire persiste à ignorer la « raison raisonnante» que j'évoquais tout à l'heure. « Raison ardente» présidait à l'Hérésiarque, au Poète assassiné, àAlcools, aux meilleurs des Cal­ligrammes. Que la «raison ardente» continue d'inspirer à Guillaume Apollinaire des contes dont les féeries dansent devant nos yeux, et des poèmes dont le miel fonde sur nos lèvres !

André BILLY

[18]
L'Intransigeant, Jeudi 18 juillet 1918
«Les Lettres»
Calligrammes, par Guillaume Apollinaire. - Apollinaire, c'est maintenant chose admise, marche en tête des novateurs. Il l'écrit
Pitié pour nous qui combatons toujours aux frontières

De l'illimité et de l'avenir

Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Mais comment Apollinaire comprend-il la «novation»? Il est imbu de science ancienne ;n même temps que d'esprit nouveau. Il a quelque chose de classique. Sa révolution est un retour à la simplicité. Il est toujours simple, au point parfois de paraître prosaï­que. Il ne lâche jamais d'un pied le réel. Il y ajoute toujours le lyrisme de la pure poésie éternelle. Voilà pourquoi réaliste et lyrique il se dit «sur-réaliste». Il garde dans le senti­ment une mesure. Et pour être sûr de ne jamais perdre pied dans un romantisme criard, ce destructeur s'en tient à la base solide de ses sens. Ce qui n'empêche pas chez lui la mélancolie de la sentimentalité naturelle.

Mais qu'est-ce qu'un calligramme? Une typographie, adoptée parfois au cours du livre, et qui s'adresse aux visuels: les mots y prennent la figure des choses. Par exem­ple, le miroir: au centre, comme formant l'image de l'auteur, ces deux mots: Guillaume Apollinaire; et alentour ces syllabes dessinent un cadre:

Dans ce miroir je suis enclos vivant et vrai comme on imagine les anges et non comme ont les reflets.
L'Action française, n° 220, jeudi 8 août 1918
«Petit courrier des lettres et des arts»
«Madame M. Henry Rozier - Les calligrammes»

II y a une oeuvre passée de Guillaume Apollinaire, des poèmes sans ponctuation et trop souvent sans rythme, pleins de trous volontaires où se brise la pensée. Le talent même apporté à ce qui pour nous n'est fréquemment qu'une plaisanterie ou une erreur étrangère, ne pouvait qu'irriter davantage, et d'autant plus que telle page d'Alcools per­mettait de comprendre ce que Guillaume Apollinaire pourrait écrire s'il voulait bien plier le désordre de son naturel à la raison française qui lutte en lui contre d'obscures atavismes.

Les Calligrammes qu'il publie aujourd'hui, et qui sont presque tous des poèmes de guerre, à la fois tempèrent et animent cette irritation. Étranger, fixé en France à l'âge de trois ans, engagé dès le mois d'août 1914, passé volontairement de l'artillerie dans l'infanterie où il a gagné les galons de lieutenant et une citation, blessé et trépané, ce qui lui donne le droit d'intituler une partie (la meilleure) de son livre : la Tête étoilée, Guil­laume Apollinaire mérite notre gratitude et notre attention. Puisque dans l'émouvant poème qui clôt son livre, il demande à la Bouche qui est l'ordre même et «faite à l'image de Dieu», d'être indulgente pour ceux qui «quêtent l'aventure», puisqu'il sent venu le temps de la Raison ardente et veut bientôt en suivre pour toujours la forme noble et douce, qu'il nous en croie: la beauté n'est pas dans les pétards qu'on tire au nez des gens, et, malgré la richesse d'imagination et de sensations (insuffisamment maîtrisée) de pièces

[19]

comme la Petite Auto, le 2e canonnier-conducteur, Merveille de la guerre, À l'Italie, Chevaux de frise, qui sont encore de ses meilleures œuvres, sa vraie voie est dans la ligne de ses petits poèmes octosyllabiques si variés et charmants, et dans cette Tristesse d'une Étoile, d'une note personnelle très poignante, et qui est la plus belle page qu'il ait écrite.

ORION
L'Heure, n°923, samedi 17 août 1918
«Petit courrier des lettres et des arts»

[...]

  • Dans l'Europe Nouvelle [...] M. Louis Chadourne nous entretient des Calligram­mes de Guillaume Apollinaire [...].


L'Europe nouvelle, n° 32, 17 août 1918
«Le mouvement littéraire»
LES LIVRES

Calligrammes par Guillaume Apollinaire1

«J'écris seulement pour vous exalter

0 sens, ô sens chéris...»

Il y a dans les poèmes — parfois déconcertants pour le grand nombre — de Guillaume Apollinaire — une joie sensuelle qui ne s'épuise pas. La poésie est pour lui une manière de brasser voluptueusement l'Univers, de se plonger dans le flot des images et des rythmes comme un nageur qui s'ébroue en faisant rejaillir autour de lui tout un feu d'artifice de scintillantes gouttelettes. Il se laisse si volontiers griser par cette délectation qu'il lui arrive parfois de céder à sa faconde, de nous étourdir d'un torrent de mots et d'images et de lancer à la fois toutes ses fusées aux quatre coins du firmament, au risque de nous éblouir et même de nous aveugler.

Mais, inconstestablement une vie chatoyante et tumultueuse nourrit ces poèmes de structure et de métrique si diverses et où s'unissent, souvent avec une grâce étrange, l'amour, la guerre et l'aventure.

L'amour et la guerre se mêlent dans les vers d'Apollinaire ; la tendre image qui surgit au-dessus des grises tranchées, comme l'efflorescence d'une pâle fusée, inspire au poète quelques brefs poèmes d'une grâce sentimentale fort pure. S'il oublie d'attacher le gre­lot à sa muse, s'il néglige son arsenal un peu bruyant de grand artificier, il rejoint, sur un mode presque populaire, la veine de Villon, ou bien met à nos lèvres un goût plai­samment suranné de Parny. Je cite en rétablissant la ponctuation (ô sacrilège!) qui est scrupuleusement exclue de l'oeuvre poétique d'Apollinaire.

[20]

L'ADIEU DU CAVALIER

Ah Dieu! Que la guerre est jolie

Avec ses chants, ses longs loisirs!

Cette bague, je l'ai polie.

Le vent se mêle à nos soupirs.

Adieu! Voici le boute-selle!

Il disparut dans un tournant

Et mourut là-bas, tandis qu'elle

Riait au destin surprenant.
Vous trouverez dans «Lueurs des tirs» plusieurs pièces semblables. Il faut les recom­mander aux personnes que découragent certaines fantaisies typographiques. Elles verront ainsi que le tour classique est aisé à ce poète qu'elles rebutent à tort comme extravagant.

Apollinaire nous offre de la guerre une image presque voluptueuse. Il s'est plu à lui trouver une splendeur et, les pieds dans la boue, les mains transies, il regarde éclore des diamants au firmament nocturne. Dans cette misère, il sait encore se réjouir des formes, des sons et des couleurs. Et ce n'est pas une des moins merveilleuses ressour­ces d'une âme de poète que d'oublier dans un parfum ou une clarté toute la tristesse de vivre. Mais il n'oublie pas la présence autour de lui des hommes et qui souffrent. Un coup d'aile whitmanien anime parfois ces vers d'un souffle qui nous émeut:
Vos cœurs sont tous en moi; je sens chaque blessure.
Cette vivace imagination qui fait à la guerre une parure, elle apparaît également chez Apollinaire sous l'aspect de l'aventure. Il y a au fond de lui un goût d'exotisme volup­tueux — assez dans la tradition romantique — qui se plaît à glisser dans sa rêverie d'étran­gers et lointains paysages avec une brusquerie un peu cinématographique et que seule pourront excuser des rêveurs experts en association d'images. Il aime à écrire et à mur­murer des noms de villes ou de fleuves extraordinaires et même tout à fait inconnus. N'y a-t-il point d'ailleurs un charme, en cheminant dans quelques Batignolles, à répéter certains de ces mots d'or, de sens un peu vagues, mais lourds de notre inquiétude et de désir? Les amateurs de logique n'y trouvent pas toujours leur compte. Mais les ama­teurs de songerie ne s'en plaignent pas.

Ce n'est pas à dire qu'Apollinaire ne puisse se dispenser d'une obscurité souvent inutile, et qui plus souvent encore, provient ou de négligence ou d'un parti pris d'étrangeté. Il arrive ainsi à justifier les rieurs et les grincheux.

Le lyrisme d'Apollinaire est un mélange fort complexe de force, de grâce, d'afféterie, d'outrance, voire d'ironie. Et oui, d'ironie. J'en sens sourdre une veine discrète à tra­vers les méandres un peu confus de tel ou tel grand morceau destiné à agiter du frisson sacré les néophytes de Montparnasse. On trouve aussi l'euphuisme, l'emphase du Cava­lier Marin et la préciosité de la Chambre Bleue chez ce champion de l'esprit nouveau. On y trouve du coq-à-l'âne et des calembredaines. Mais dans ce fouillis, je dirais même cette brocante, on trouve à tout instant un rubis ou une perle. On y trouve de la poésie.

Qu'il manie le verset, le vers libre, l'alexandrin ou l'octosyllabe, Apollinaire a le sens très vif du rythme et du mouvement. Il sait à merveille filer l'archet ou emboucher la trom­pette. C'est un lyrique verbal accompli. Il est impossible malheureusement, en de sim­ples notes, d'analyser ses ressources.

[21]

Beaucoup de gens sont étonnés des «calligrammes» proprement dits, c'est-à-dire des représentations graphiques de figures, de paysage, etc. Le procédé n'est pas nouveau et Apollinaire n'a pas prétendu inaugurer. Il y a des calligrammes au XVIe siècle. Ceux d'Apollinaire sont parfois de simples rébus, parfois gracieux et poétiques, comme celui de la pluie. En tous cas, on sent que l'auteur s'est plu à manier les mots comme une mosaïque colorée. Il faudrait être bien grincheux pour le lui reprocher. Est-ce que l'on fait grief d'une fantaisie à un poète?

Louis CHADOURNE

  1. Mercure de France, Editeur.


Le Carnet critique, n°7, 15 août -15 septembre 1918
«Calligrammes»

(Poèmes de la paix et de la guerre, 1913-1916)

par M. Guillaume Apollinaire,

(Mercure de France, édit.).
Je veux tout d'abord rendre grâces à M. Guillaume Apollinaire pour le plaisir que son livre me procura, alors que je ne l'avais pas encore lu. Caligrammes!... L'alinéa qui l'annonçait dans le catalogue de «Mercure» me suggéra de bien séduisantes rêveries. Ces mots en «grammes» sont si beaux: cryptogrammes... télégrammes... parallélogram­mes... Je songeais à des poèmes abstraits et malaisés, tellement pathétiques, tellement dépouillés d'images et de couleur qu'il n'en subsistait que les lignes, euclidiennes...

Toutefois je me remémorai certaine strophe en locomotive, que suivaient les douze wagons égaux d'un distique. Et je compris qu'il fallait entendre le mot «calligrammes» au sens propre. Il s'agissait de petits dessins obtenus par une disposition variable des syllabes et des lettres, de figures comme en font les enfants avec un alphabet de cro-quignoles.

Il faut beaucoup de bonne volonté et toute l'indulgente amitié de M. André Billy pour découvrir un apport original dans ces amusettes typographiques, où les «grands rhétoriqueurs» de jadis s'acquirent une gloire fragile, et surtout pour ne pas convenir que ceux-ci dépensèrent bien plus de talent et de chimérique ingéniosité, qui, non satisfaits encore de leurs poèmes en forme de bouteilles ou de fourchettes, contentèrent leur soif d'absolu, — tels Meschinot ou Guillaume Crétin, — en des huitains qui se pouvaient retourner et lire «de trente-six manières».

Dira-t-on qu'il y a loin de ces pénibles et spondaïques prosodies au lysrisme de M. Apollinaire? Je coupe pour m'en assurer, branche à branche, la strophe en arbrisseau des «Calligrammes», je déplie la fumée du poëme en forme de cigare, et force m'est bien de regretter la carence du seul objet, ici, indispensable, sans quoi le recueil n'est qu'un écheveau sans quenouille : je veux dire, LE MIRLITON. On pouvait déjà, dans le prologue des Mamelles de Tirésias et dans les pièces liminaires, relever du Rostand, je dis du Maurice Rostand. Ici, c'est l'influence de Jean Aicard qui semble dominer.

De son flirt avec la guerre, à qui maintes fois il fit des déclarations mélancoliquement passionnées, M. Apollinaire n'a pas retiré grand avantage. Sa fauve maîtresse le récom­pensa en ne lui cassant la tête qu'à demi, et en dotant son lyrisme d'un caractère quelque

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peu picrocholin, en échange de cette sonorité mystérieusement familière, creuse comme les notes basses d'un violon ventriloque, dont nous nous émerveillâmes au temps d'Alcools, et que les intempéries des tranchées ont enrouée singulièrement. Il y avait chez l'Apollinaire de cette époque, — on en retrouve encore ici, épars et trop rares —, de ces vers, dont le Rimbaud de Bateau ivre semblait avoir emporté le secret, qui vous soulèvent pour vous transporter dix mètres plus loin. M. Guillaume Apollinaire, je le répète, est une victime de la guerre. Loin de moi la pensée de persifler une blessure qui auréola son front de bandages et d'une gloire légitime. Mais à côté des fossoyeurs et nécrophores littéraires qui s'ingénient à découvrir tous les mois un génie nouveau, prétexte à con­férences, parmi les poètes morts à la guerre, il y a la tribu des brancardiers et des infirmières. C'est cette Croix-Rouge de l'art qui s'est mise en devoir d'achever le Poëte incomplètement Assassiné. En pansant avec une ardeur indiscrète son crâne blessé, on a laissé tomber dans la plaie le délire de la célébrité à tout prix, les bacilles de la méga­lomanie et le poison du contentement de soi-même. On l'a trop choyé, trop de jeunes gens imberbes lui font escorte, trop de gloussements et de braiements retentissent der­rière ce nouvel Orphée, dont le bestiaire est une basse-cour. Le centurion, promu César, a perdu le peu d'estime qui lui restait pour l'ordre et pour la discipline.

Centurion, dis-je? Le mot n'est pas exact. Légion serait mieux. Car M. Guillaume Apol­linaire n'a jamais existé. C'est ce qu'on appelle en droit une «personne morale». On a choisi un nom impérieux et sonore pour désigner une collectivité. J'aperçus un jour cette troupe dans un cantonnement de l'arrière. Les «intellectuels» de la compagnie devisaient et l'un après l'autre discouraient. Rimbaud énumérait ses «ll y a...». M. Jammes appor­tait ses dodécapodes familiers, qui n'ont jamais l'air d'avoir leur compte de syllabes. M. Claudel aussi était là, qui déclamait des versets. Et François Coppée. Et bien d'autres... Tout près de là, pour constituer le décor sonore, des Sénégalais attendant la soupe entre­choquaient mélodieusement gamelles et couvercles, en guise de cymbales. Le secré­taire du lieutenant sténographiait. Le procès-verbal de cette séance curieuse, c'est le livre que voici.

M. Guillaume Apollinaire a la personnalité du tramway. Il accueille pour chaque tra­versée trente, quarante personnes, qui s'entassent sur la plateforme et se bousculent. En même temps que la perpétuelle bougeotte (empruntée à Valéry Larbaud et aux remar­quables poèmes qui précèdent son Barnabooth) et que ce besoin d'ubiquité qui accé­lère le rythme, le brise, rompt les liens des associations d'idées, mêle dans un même vers le boulevard Saint-Michel, la cagna de l'artilleur et des pays de Paponasie, l'Inco­hérence est érigée en loi littéraire. Il n'y a plus de commune mesure entre l'oeuvre et l'esprit du lecteur.

Certes, je n'ai pas l'intention de prôner l'obéissance servile à la raison cartésienne. Mais si l'on répudie la logique, ne faut-il pas tout au moins lui substituer un équivalent, une nécessité analogue, qu'elle se fonde sur le sentiment ou sur la sensation. Le mot qui vient aux lèvres du lecteur, à tout instant, c'est: «Pourquoi?» Comme l'écrit M. Roger Allard dans sa précise et opportune plaquette, Baudelaire et l'Esprit nouveau, «une synthèse n'est pas une énumération d'objets dissemblables». La juxtaposition de piè­ces détachées ne fera jamais une machine. M. Apollinaire est le poète de l'arbitraire et de l'interchangeable.

Je sais que l'on doit à cette esthétique de très estimables pièces, qui présentent par­fois tout l'aspect d'une sorte de simili-génie. Le prototype de certaines stances d'Alcools, comme aussi le modèle des bons vers calligrammatiques, se pourrait trouver déjà dans

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les Fanfreluches antidotées, du premier livre de Gargantua. Je sais aussi qu'il est indif­férent de savoir si le poète est «sincère» ou s'il nous mystifie; s'il est «bien français» et s'apparente «à la pure lignée gauloise», ou si son art est «d'origine germanique». Ce sont là préoccupations extra-critiques, dont il serait temps de dénoncer une fois pour toutes la stupidité.

Ce que je reproche à M. Guillaume Apollinaire, c'est d'être le principal responsable de cette folie de surenchère qui s'est emparée de notre littérature. Le poète de Calli­grammes n'a rien inventé. Mais il conduit toute innovation jusqu'à l'absurde. Il aide à la vulgarisation du cubisme, et le lâche quand l'aventure — où se perdent d'ailleurs de fort beaux artistes — a donné son maximum de ridicule. Il patronne ce que M. André Billy appelle «l'art nègre», jusqu'au remarquable aboutissant que sont les onomatopoë-mes de M. P.-A. Birot. Il joue en somme dans les lettres actuelles le rôle d'agent provo­cateur. Il discrédite non seulement sa génération, mais les suivantes, qui se croient obligées de «faire encore plus fort»... Et d'autre part il joue un mauvais tour aux vérita­bles novateurs, qui récoltent la réprobation du public et paient les pots cassés. Quant à lui, Guillaume Apollinaire, il retirera vite son épingle du jeu. Lisez la dernière pièce du livre. Ce poème à double fin, sans lui aliéner ses fidèles maximalistes, qui n'y verront qu'ironie, lui gagnera des suffrages parmi les modérés, qui prendront au sérieux la palinodie.
Soyez indulgents quand vous nous comparez

à ceux qui furent la perfection de l'ordre...
Il est facile d'inférer de cet acte de contrition le prochain moyen de réclame auquel M. Guillaume Apollinaire aura recours. Je n'en vois plus qu'un. La conversion? Impos­sible, il y a déjà M. Max Jacob. Reste la candidature à l'Académie. Il n'y aurait pas là de quoi nous surprendre de la part d'un Protée qui nous a accoutumés à bien d'autres avatars. C'est l'aventure du diable devenu vieux. Quand un vers-libriste prend du ven­tre... Et ce poète pour qui jadis nous eûmes plus que de l'admiration, jusqu'où sa fantai­sie érudite le conduira-t-elle, après les actuels pastiches de Jean Meschinot et de son contemporain au nom malgracieux? Jusques à quelles «rhétoriques», lorsque le moment sera venu de «commander,

Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi, l'habit couleur de feuillage, et de s'asseoir dans l'un de ces quarante fauteuils où nul Guillaume ne demeure Apollinaire...

GEORGES-ARMAND MASSON
SIC, n° 31, octobre 1918
Les Oeuvres Littéraires Françaises

Critique synthétique
Calligrammes, par Guillaume Apollinaire, Mercure de France. Paris 1918
Rue Gît-le-Coeur, tu te promènes : n'oublie pas les dessins sur les murs, cœurs empen­nés, cœurs en peine.

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DÉFENSE D'AFFICHER SOUS PEINE D'AMENDE
La mandarine des Hôtels précède l'obus trivial. De quelle couleur les mains de ces bougres dans l'estaminet? Sur la nappe, ce chapeau haut-de-forme prend de l'impor­tance, devient une colline. Elle croule ou s'effeuille: simple tour de forain sans bouche qui parle par son ventre.

Tiens, la guerre.

Le poète menteur a la franchise militaire. La Maison loge à pied et à cheval, artilleur. Puis, puits des magies, L'Argonne l'égaré. Au carrefour: voici le chemin de Damas, les damas de Madame Rosemonde.

Votre voiture est avancée.

Mais en avant, l'autre route, et l'autre amour. Le soleil fait le paon que regarde l'aveugle.

Se peut-il que le canon ait ressuscité le grand Pan ? Pan ! sa tête s'ouvre, c'est une fleur.

LES CALLIGRAMMES sont des ROSES

LOUIS ARAGON

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