Claude Parent, un architecte tout en oblique La Cité de l'architecture et du patrimoine rend hommage à ce flamboyant créateur, penseur iconoclaste
ARCHITECTURE
Jamais exposition d'architecture n'avait accordé autant de place à un homme. Mais rarement la vie d'un architecte n'aura été aussi passionnelle que son oeuvre. Il s'agit de Claude Parent, 86 ans, dont le parcours ferait un splendide scénario. On peut le vérifier dans l'exposition que lui consacre la Cité de l'architecture et du patrimoine, à Paris. Déjà sa famille est riche en artistes. Son frère Michel, récemment décédé, fut un grand défenseur du patrimoine, et il encouragea le jeune Claude à voguer vers une architecture qui n'a rien de très patrimonial. L'église Sainte-Bernadette, à Nevers (Nièvre), est un bloc de béton qui faillit lui valoir l'excommunication. Les Parisiens en voiture connaissent la Maison de l'Iran, à la Cité internationale, haut édifice d'acier musclé qui borde le périphérique intérieur. Peu d'habitants de Sens (Yonne) reconnaîtront le gigantesque centre commercial, aujourd'hui enfoui sous ses enseignes. Quant à la maison de Bordeaux-le-Pecq, la maison Drusch à Versailles, ou celle construite à Antibes (Alpes-Maritimes) pour son ami André Bloc, il faut les connaître pour avoir une chance de les reconnaître. Toutes ces oeuvres émergent entre les années 1950 et 19 70. On sait peu, aussi, que Claude Parent fut l'un des conseillers d'EDF pour le dessin des centrales nucléaires. On lui doit en particulier Cattenom (Moselle) et Chooz (Ardennes). Claude Parent a aussi eu plusieurs artistes comme compagnons d'imaginaire : le conceptuel Yves Klein, le roi du bleu, pour lequel il dessina un projet de mémorial à Nice, Jean Tinguely, le sculpteur Gérard Mannoni, Nicolas Schöffer. Avec André Bloc, il participe à l'aventure de L'Architecture d'aujourd'hui, revue phénoménale disparue en 2008 et qui revient en kiosques. Claude Parent est surtout au centre d'un mouvement qui a pensé ce qu'on appelle l'architecture oblique - rien n'est droit, le sol, le plafond, les murs... Stimulant, mais pas simple à faire accepter aux clients. Quelques compagnons de galère pré- et post-soixante-huitards ont accepté l'expérience de vivre, au moins passagèrement, sur ses sols obliques - il en réalisa un pour le pavillon français de la Biennale de Venise, en 1970. Et d'abord l'architecte Ionel Schein (1927-2004), avec qui il apprend à sortir des sentiers battus. Et puis l'urbaniste Paul Virilio, avec qui il théorise l'espace critique et cette fonction oblique. Leurs écrits annoncent tout un mouvement dans l'architecture, dit " déconstructiviste ", incarné par l'agence autrichienne Coop Himmelb(l)au (le Musée des confluences à Lyon), ou par Daniel Libeskind (le Musée juif de Berlin). Claude Parent a longtemps agacé ses semblables. Architecte ou bateleur, artiste ou saltimbanque, théoricien ou provocateur, la façon dont il a conduit sa carrière l'a amené à rester en marge. En 1971, à 47 ans, il accumule les parures d'un beatnik bon teint : tignasse, moustache, pantalon pattes d'éléphant, couleurs sauvages. Il est cloué par une crise cardiaque. Il troque sa Lamborghini jaune avec laquelle il parcourait l'Europe à toute berzingue, recherchant tout ce qui se faisait de neuf en architecture, pour une sage et tranquille Rolls-Royce. Puis sa fougue inventive s'assagit, il se retrouve dans une demi-pénombre, et seul un groupe de fans continuait de lui vouer un culte, notamment le Fonds régional d'art contemporain du Centre, à Orléans, qui préservait l'essentiel de ses oeuvres. En 2005, il est élu à l'Académie des beaux-arts. L'exposition majeure et le catalogue, assez lourd pour faire office de Bible, parachèvent son retour en lumière. On peut voir que les oeuvres de Parent sont trop diverses, trop empreintes de recherche permanente, pour qu'aucune lui soit aisément attribuable. L'unité naît des maquettes exposées, issues du même bloc de tilleul clair, et plus encore des dessins, dont l'enfilade retrace la continuité d'une pensée, davantage que les écrits portés à la provocation. La scénographie est assurée par Jean Nouvel qui, passé dans l'atelier de Parent dans les années 1960, lui est toujours resté fidèle, au point de lui dédier le futur bâtiment de la Philharmonie de Paris, riche en obliques il est vrai. Il a réalisé un travail d'une grande intelligence, qui parvient à utiliser l'espace courbe de la Cité pour tirer au plus droit la trajectoire de Michel Parent. Nous sommes invités à lire ainsi la scénographie : l'interminable mur du fond a trouvé une fonction toute simple de cimaise, où sont alignés les dessins de l'architecte. En vis-à-vis, une série de cabinets, aux formats sagement chaotiques, présente à la fois l'oeuvre et la vie de Parent, c'est-à-dire les maquettes et les plans, ses alliances théoriques, ses amitiés. Ce qui frappe, jaillissant des murs ou des maquettes, ce sont les prototypes dont il laisse la trace éphémère, et dont on retrouve trente ans plus tard l'écho chez Rem Koolhaas, Frank Gehry, Zaha Hadid, ou Rudy Ricciotti. Frédéric Edelmann " Claude Parent : l'oeuvre construite, l'oeuvre graphique ".
Cité de l'architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot,
1, place du Trocadéro et du 11-Novembre, Paris-16 e. Tél. : 01-58-51-52-00.
M° Trocadéro. Tous les jours, de 11 heures à 19 heures ; jeudi, jusqu'à 21 heures ; fermé le mardi. 5 ¤. Jusqu'au 2 mai. Catalogue, éd. HYX/Cité de l'architecture et du patrimoine, 400 p., 45
| |