Il faut être reconnaissants à Jean-François mattei, avons-nous dit, d’avoir écrit







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Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI, avons-nous dit, d’avoir écrit « Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne ». Et, en effet, il faut lire et relire ce livre, le méditer, en faire un objet de réflexion et de discussions entre nous. Il dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

 Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

 C’est pourquoi nous publions, ici, différents extraits significatifs de cet ouvrage, dont, on l’aura compris, fût-ce pour le discuter, nous recommandons vivement la lecture. 

Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.

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           -extrait n° 1 : page 17.

Le procès d’identification

Comme la question du droit à la différence est devenue aujourd’hui impérative dans le domaine de la vie politique et dans le champ des sciences humaines, elle tend à occulter celle du droit à l’identité. Nous le voyons dans l’appauvrissement actuel des valeurs européennes dont le faux universalisme se réduit, comme le dénonce Pierre Manent, à une « ouverture à l’autre » qui fait que « nous ne mentionnons alors l’Europe que pour l’annuler ». Dès lors, « nous n’avons pas d’existence propre, nous ne voulons pas, nous ne voulons d’aucune façon, qui serait nécessairement particulière, d’un être propre ». (Pierre Manent, La raison des nations,  Réflexions sur la démocratie en Europe, Gallimard, page 93.)

-extrait n° 2 : page  18.

L’identité n’exclut ni ne confond …

L’identité humaine n’est pas un principe immuable comme en logique où A est identique à A, en ontologie où l’être est l’être, et en théologie où Dieu est Dieu ; elle est un mouvement dynamique d’intégration des singularités en un même espace symbolique que les protagonistes identifient sans difficulté. Je peux goûter la spécificité de la musique française, celle d’un Gounod, d’un Ravel ou d’un Debussy, sans la confondre avec la musique allemande d’un Schumann, d’un Beethoven ou d’un Mahler, et sans exclure celle-ci, sous prétexte de rester fidèle à celle-là. 

-extrait n° 3 : page 22.

les sources principales de la culture européenne

Qu’on en convienne ou non, les œuvres de l’esprit perdurent dans l’aire européenne, et au-delà d’elle, comme des formes pérennes qui conservent un caractère unique qu’il faut bien rapporter à la communauté où elles sont entrées en résonnance. Il est, certes, malaisé de les appréhender clairement dans leurs déterminations  historiques et géographiques du fait de leur diffusions diverses, bien qu’un accord général se soit fait sur les sources principales de la culture européenne. Pour Valéry, l’Europe se ramenait à trois influences qu’il classait dans l’ordre inverse de leur apparition : Rome, le christianisme et la Grèce. Simone Weil, qui haïssait la puissance romaine, la réduisait aux deux seules sources d’Athènes et de Jérusalem.  Albert Camus, avec la même réserve vis-à-vis de Rome, ordonnait l’Europe autour de la culture méditerranéenne. André Malraux, dans Les Conquérants, y reconnaissait un élément grec, un élément romain, et un élément biblique, et le philosophe tchèque Karel Kosik affirmait, dans un texte de 1993, que « L’Europe, c’est la Grèce antique, le christianisme, les Lumières – c’est Diderot, Mozart, Kant », pour déplorer aussitôt : « Hélas, cette Europe là n’est plus » (1). Je ne crois pas utile de multiplier outre mesure les références. Les historiens s’accordent en effet pour avancer que le fleuve européen a été irrigué par les diverses sources de la Grèce, de Rome, des religions juives et chrétienne, auxquelles ils ajoutent les affluents tardifs de Byzance et de l’Islam sans négliger l’apport germanique.

 

  1. Karel Kosic, « Un troisième Munich » (1993), La crise des temps modernes. Dialectique de la morale. Les Editions de la Passion, page 114.


-extrait n° 4 : pages 28/29/30.

Faillite générale de tout à cause de tous !

L’esprit européen ne se lasse pas de remettre en cause les formes et les œuvres qu’il a élaborées au cours de son histoire. On peut appeler « critique » ce regard de l’âme qui, comme le faisait Pénélope, recommence chaque nuit à défaire la tapisserie dont il reprendra au matin le tissage. Le roman avoue ici sa dette envers le mythe, et ce mythe, je le montrerai plus loin, est constitutif de la culture européenne. Mais, à trop insister sur la défection de la toile, on oublie la fidélité de la reine qui use de ce procédé pour différer l’assaut des prétendants et le tenir à distance. Seul cet éloignement permet le retour de l’absent. Défaire à chaque génération la toile de l’Europe, ce n’est pas renier son identité, mais la tisser et retisser à mesure d’une avancée qui n’a pas de fin. L’identité énigmatique de l’Europe, à l’image de celle de Pénélope, tient à l’attente fidèle de celui qui, aux yeux de l’étranger, a pour nom « Personne », mais qui ne retrouve sa filiation et sa paternité qu’à son retour au foyer. Son odyssée n’est pas pour autant terminée. Selon la prédiction de Tirésias, le voyant dont le regard aveugle pressent l’avenir, Ulysse devra reprendre un jour son périple à la rencontre d’un peuple qui ne connaît pas la mer.

Je considère l’Europe, cette figure unique de l’inquiétude dans le courant des civilisations, comme une âme à jamais insatisfaite dans la quête de son héritage et le besoin de son dépassement. En dépit des renaissances, son rythme naturel est celui des crises et des révolutions, qu’elles soient religieuses, avec l’instauration du christianisme dans le monde romain, politiques, avec l’invention de l’Etat moderne, sociales, avec l’avènement de la démocratie, économiques, avec la domination du capitalisme, mais aussi philosophiques, avec la découverte de la rationalité, scientifiques, avec le règne de l’objectivité, techniques, avec la maîtrise de l’énergie, artistiques, avec le primat de la représentation, et finalement humaines, avec l’universalisation de la subjectivité. Ces ruptures qui forment la trame continue de son histoire, ces créations et ces destructions qui stérilisent son passé et fertilisent son avenir, ces conquêtes de soi et ces renoncements qui sont l’envers de l’oubli et de la domination de la nature, tous ces facteurs indissolublement liés ont contribué à faire de la crise, et donc de la critique, le principe moteur de l’Europe. On comprend que le choc de la Première Guerre mondiale, en rappelant à l’Europe le destin de mort des civilisations, lui ait enlevé l’espoir de ses vieilles certitudes et laissé le regret de ses anciens parapets        .

 Il me faudra suivre d’abord les leçons de la géographie. Au Portugal, ce promontoire étroit juché sur le petit cap du continent asiatique, au balcon le plus éloigné d’une Europe à laquelle la façade atlantique se refuse obstinément, Fernando Pessoa annonçait, dans son Ultimatum de 1917, l’arrêt de mort de la culture européenne. Après avoir expulsé tous les mandarins de la littérature – « Dehors Anatole France, Maurice Barrès, Rudyard Kipling, H.G. Wells, G.K. Chesterton, D’Annunzio  etc.… Dehors tout cela ! Du balai ! » - le poète portugais s’élevait contre l’effondrement de la haute culture :

 Faillite générale de tout à cause de tous !

Faillite générale de tous à cause de tout !

Faillite des peuples et de leurs destins – faillite absolue !

Pessoa suit ici les traces de l’insensé de Nietzsche qui, héraut de la mort de Dieu, annonçait la désintégration du monde et la désespérance de la terre. Mais sa plainte funèbre se conjugue bientôt avec un espoir fou, sensible, comme les penseurs qui l’ont précédé, au double thème européen de la dévastation et de l’attente. D’un côté, il lance la question qui n’appelle pas de réponse :

Où sont donc les forces d’antan, les Anciens, les hommes, les guides et les gardiens ?

Allez dans les cimetières, ils ne sont plus que des noms sur des tombes !

De l’autre, en contrepoint du constat de décès, Pessoa entonne un vigoureux chant de victoire qui couvre la musique du Requiem :

L’Europe a faim de Création et soif d’Avenir…..

L’Europe réclame la Grande Idée dont seraient investis ces Hommes  Forts.*
 -extrait n° 5 : pages 34/35. 

Je voudrais montrer le danger qui menace l’époque actuelle en envisageant, non pas les réalisations culturelles de l’Europe au cours de son histoire, avec ses réussites et ses échecs, mais les principes universels et abstraits qui ont guidé son regard. On peut les illustrer par l’analyse célèbre que présente Hegel de la décadence du monde romain après l’instauration de l’esprit du christianisme. Avec la disparition des divinités païennes de la nature, et en dépit de leur beauté, les statues antiques aux yeux vides ne sont plus pour nous que « des cadavres dont l’âme animatrice s’est enfuie », les hymnes sont « des mots que la foi a quittés », de sorte que « les tables des dieux sont sans la nourriture et le breuvage spirituels » (1). Pour le philosophe allemand, l’art, et avec lui la culture entière de l’Europe, risquait de n’être plus pour les hommes de l’avenir qu’une chose du passé, incapable de répondre à leurs nouveaux besoins, et propre à n’éclairer que les ombres des musées. Si l’intuition de Hegel devait s’appliquer à notre temps, cela signifierait que l’âme de l’Europe, à bout d’épuisement, ne serait plus en mesure de dialoguer avec les œuvres de la tradition, désormais pareilles à « de beaux fruits détachés de l’arbre ». L’histoire n’interviendrait plus dans le présent et ne réussirait plus, selon la forte image de Braudel, à le " brûler " (2). Nous devrions alors faire le deuil d’une culture que nous ne savons plus recevoir ni actualiser et qui, dans tous les sens du terme ne nous regarde plus.

(1)     : G.W.F. Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit (1807), Paris, Aubier,1939, tome II, VII, C, I, page 261.

(2)     : F. Braudel, « L’identité française », Le Monde du 24/25 mars 1985, repris dans Le Monde du 17 mars 2007.

 

-extrait n° 6 : page 45.

Paul Valéry n’aura pas tort, en empruntant l’image à Nietzsche, de voir en elle (l’Europe, ndlr) un petit cap du continent asiatique. Dès l’origine, et le mythe se fait ici conducteur d’histoire, l’Europe est un concept déplacé.

-extrait n° 7 : page 65.

Denis Hay, dans son étude classique Europe, the Emergency of an Idea, date du XIVème siècle l’usage généralisé du mot « Europe ». C’est à l’humaniste Silvio Piccolomini, devenu en 1458 le pape Pie II, que l’on doit la substitution du terme d’Europe à celui de Chrétienté, sans doute sous l’influence du cardinal Nicolas de Cues. Dans sa fameuse lettre au sultan Mahomet II où il lui demande sa conversion en échange de la reconnaissance  de son Empire, il lui promet l’admiration de la Grèce, de l’Italie, et de « toute l’Europe ». Mais déjà, dans une lettre antérieure à Leonardo Benvoglienti, en 1453, l’année de la chute de Constantinople, le pape avait conclu son propos sur la menace turque en faisant un parallèle remarquable entre la terre chrétienne et le continent européen : « Tel est le visage de l’Europe, telle est la situation de la religion chrétienne. »

 

-extrait n° 8 : page 67.

« Toute la monarchie du grand Turc est gouvernée par un seul homme -lit-on dans Le Prince- tous les autres sont ses esclaves. »…. L’équilibre européen, qui est le moteur de toutes les chancelleries depuis le XVIème siècle, n’est en réalité qu’une succession de déséquilibres et de basculements, sinon de guerres. »

 

-extrait n° 9 : pages 117/118.

Mais on doit suivre Benjamin quand il avance que le déclin de l’art met en péril ce que l’Europe avait toujours compris sous le nom de culture. Désormais la seule fin que l’œuvre satisfait, c’est le désir irrépressible du consommateur de « posséder l’objet d’aussi près que possible, dans l’image ou, plutôt, dans son reflet, dans sa reproduction (1), selon un processus de standardisation qui supprime l’exigence d’unicité. L’œuvre perd sa proximité intellectuelle à mesure de son enlisement dans la promiscuité matérielle des produits qui vont être aussi rapidement utilisés que délaissés.

(1)     : W. Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », pages 278/279.

 

-extrait n° 10 : page 125.

Telle est l’impression qu’éprouve Hannah Arendt lorsqu’elle critique la disparition du monde commun. Dans la lignée de Benjamin, l’auteur de la Crise de la Culture met en cause la confiscation moderne des œuvres culturelles par une société de masse qui les consomme au même titre que les objets d’usage, et qui réduit le monde stable des œuvres aux processus éphémères de la vie. On connaît son jugement définitif : « Le résultat n’est pas une désintégration, mais une pourriture. » Les œuvres de culture, du moins celles que la tradition européenne entendait sous ce nom, ne concernent pas au premier chef les hommes, qui pourraient les utiliser selon leur bon plaisir, mais le monde qu’ils habitent puisque celui-ci est destiné à durer au-delà de la vie des mortels. Hannah Arendt peut alors dénoncer, en des termes plus sévères que Benjamin, l’abolition de la culture à laquelle les sociétés de masse se livrent avec d’autant plus d’ardeur qu’elles confondent la culture véritable, qui exige la pérennité des œuvres dans la sauvegarde du monde, avec l’industrie des loisirs, qui impose la consommation des objets dans une frénésie de destruction vouée à al fausse proximité de l’immédiat.

-extrait n° 11 : pages 130/131. 

 

Il y a donc bien une détresse de l’Europe, et non pas seulement un déclin, lequel pourrait n’être que passager, dans la mesure où la figure spirituelle, lasse d’assumer « la fonction archontique de l’humanité entière » (1), est abandonnée d’elle-même et se vous désormais à sa propre déréliction. Husserl amplifie encore son propos lorsqu’il en vient à parler, dans la conclusion de sa conférence, d’ « une crise de l’existence européenne », dont chacun semble convaincu aujourd’hui, et qui se révèle par les différents symptômes de « désagrégation de la vie ». Elle tient finalement à l’incompréhension du savoir régnant du « phénomène Europe » dans ce qu’il faut bien qualifier, comme le faisait Valéry à la même époque, de « noyau essentiel central ». La crise de l’existence européenne, qui est une crise du sens, ne saurait alors avoir que deux issues. Soit l’Europe se satisfera de sa décadence spirituelle, quelles que soient d’autre part ses réussites techniques et économiques, et elle restera étrangère à l’âme qui est la sienne au point de sombrer dans la barbarie ; l’avenir donnera immédiatement raison à Husserl avec le désastre de la seconde Guerre mondiale et le génocide des Juifs. Soit l’Europe réussira à renaître, comme elle l’a déjà fait à d’autres époques, en revenant à la mission qu’elle s’est donnée, et elle triomphera de la lassitude qui la mine.

(1) : E. Husserl, « La crise de l’humanité européenne et la philosophie », page 371.

 
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