Les enjeux du droit à l’image







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Les enjeux du droit à l’image

Josselin Dor – Anthony Romagné

Les enjeux des débats liés à « l’image » et à la photographie.

La liberté des uns commence là où finit celle des autres. C’est un peu ce dont on se rend compte lorsqu’on parle de la photographie et de ses différentes exploitations. En France, plus particulièrement, où la législation est très organisée et complexe du fait du nombre de lois qui traitent le sujet, il devient difficile de savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas en matière de droit à l’image, de liberté d’expression et de propriété intellectuelle. C’est comme si nous étions à l’intersection de trois grandes failles sismiques où les plaques terrestres se poussent les unes les autres en essayant de se passer dessus.

Avant l’arrivée des nouvelles technologies comme le numérique et l’internet, il semblait bien plus facile pour les photographes, qu’ils soient amateurs, artistes ou journalistes, de pratiquer sans être inquiété. De la même façon, il est de plus en plus difficile de savoir dans quelle mesure sont utilisées les photographies sur lesquelles nous apparaissons. Nous bénéficions tous d’un droit à l’image mais qu’en devient-il lorsque cette image se retrouve à l’autre bout du monde sans que nous n’en sachions rien ? Est-elle utilisée à bon escient ?

Aujourd’hui, à l’ère du « tout, tout de suite » et de « l’ici maintenant partout dans le monde en temps réel » les frontières sont redéfinies voire effacées et l’application des droits et des libertés semble plus compliquée.

Définit comme un art populaire à son apparition, la photographie représente pleinement cette appellation de nos jours. Elle est devenue accessible à tous et la majorité de la population a un appareil photo en sa possession, argentique ou de plus en plus numérique, diffusant leurs clichés via internet ou stockant les fichiers numériques sur ordinateur. Ils sont partout et pour toutes les bourses, de l’appareil jetable au compact numérique, du reflex argentique au reflex professionnel, même les téléphones mobiles en sont dotés. C’est pour dire le nombre de scènes de vie qui peuvent être photographiées, dans la sphère privée prioritairement mais aussi, et ce grâce à l’augmentation exponentielle de téléphones mobiles avec appareil photo, dans la sphère publique. Evidemment il n’y a pas que cette source pour la prise d’images en extérieur dans les lieux publics, les photographes dits « d’art » sont nombreux à faire de la rue et des badauds leur première source d’inspiration. De chaque côté de l’objectif on peut identifier plusieurs problèmes : du côté photographe, on peut se demander si il est libre de faire ce qu’il veut ; du côté de la personne photographiée si son image est protégée et respectée et quelle utilisation en est faite.

Plusieurs questions nous viennent alors à l’esprit : peut-on tout photographier sous prétexte de la liberté d’expression et de la liberté artistique ? Peut-on faire tout ce que nous voulons des photographies que nous prenons ? Comment puis-je protéger mon image ? Puis-je être contre le fait qu’on me photographie ou faire interdire l’exploitation d’une photographie sur laquelle j’apparais ? Où se situe la frontière entre sphère privée et sphère publique ?...

Dans un premier temps il s’agit de définir les différents termes tels que la liberté d’expression, la liberté artistique et le droit à l’image afin de bien cadrer le sujet.

Tout d’abord la liberté d’expression peut se définir comme la possibilité d'exprimer librement ses opinions sans en être inquiété par autrui. Elle est l'une des premières libertés politiques et plus généralement des libertés fondamentales. Cette liberté est liée avec la liberté d’information et la liberté de la presse.

Tout comme cette dernière, la liberté artistique est basée sur le principe selon lequel toute personne a le droit d’exprimer ses opinions et ses idées au travers de l’art, chaque artiste est libre de représenter ce qui lui semble être bien pour son art dans l’objectif d’en vivre et donc d’exploiter commercialement et de diffuser ses œuvres.

Enfin, et surement la définition la plus complexe, celle du droit à l’image. Le droit à l'image des personnes, est acquis par toute personne sur sa propre image. Ce droit permet avant tout à celui dont l'image est utilisée de refuser ou autoriser sa diffusion. C’est généralement ce droit, qu’exercent les plaignants lorsqu’ils ne veulent pas que leur image soit utilisée, qui empêche les photographes de diffuser et d’exploiter comme bon leur semble leurs photographies.

Bien sûr, ces définitions ne sont qu’une partie des droits et des libertés qui entrent en compte dans le débat sur la liberté d’expression et la liberté artistique face au droit à l’image dans la photographie. Les différentes forces de pression sur ce sujet font intervenir d’autres problèmes liés à la propriété intellectuelle et au droit de l’image.

Ainsi il nous paraît intéressant de bien les identifier et de définir les différents enjeux d’un tel débat. Nombreuses sont les difficultés rencontrées dans le domaine de la photographie et de la « prise d’image ». C’est pourquoi nous nous interrogerons plus particulièrement sur les enjeux du débat qui lie les droits et les libertés de chacun dans la photographie d’art, dans laquelle l’exploitation des clichés est quasiment systématique, en allant du cas général de la photographie qui s’inscrit dans tous les domaines, jusqu’au cas plus restreint de la photographie artistique. Dans ce cas il faudra savoir à quel moment on peut parler d’art et non d’une photographie quelconque, et ce qu’est une photographie d’art.

Nous pouvons donc problématiser le sujet sous cette forme :

Quels sont les enjeux du débat sur la liberté d’expression, la liberté artistique face au droit à l’image dans la photographie d’art ?

Faire une photographie est une manipulation qui reste simple et rapide. On peut très bien se balader, son appareil à la main, puis lorsque la cadre nous apparait avoir un certain esthétisme, on vise, cadre et on déclenche l’appareil. Dans la photographie d’art, la manipulation est à peu de chose près la même sauf qu’elle répond à une démarche de la part de l’artiste, et véhicule un message. Là est toute la différence. Cette photographie que vous prenez, ou sur laquelle vous êtes, dit quelque chose.

Dans un premier temps, nous effectuerons un état des lieux juridique visant à répertorier dans une chronologie les différentes lois en lien avec le sujet. Il s’agira de comprendre du point de vue du Droit quels ont été les évolutions et changements dans les libertés, droits et devoirs des acteurs en présence. Puis, toujours dans cette partie, nous verrons les principaux mouvements actuels qui régissent les confrontations entre les parties, illustrés d’exemple concrets.

Dans un second temps, nous identifierons cette société de l’image, les problèmes qu’elle pose, toujours en nous appuyant sur des affaires récentes. Nous aborderons les limites qui existent dans le droit à l’image ainsi que dans le droit de l’image en passant par les tendances de protection en matière de propriété intellectuelle. Chaque cas à ses propres particularités et fait s’interagir plusieurs conditions. Nous les identifierons jusqu’à repérer les véritables enjeux du débat jusqu’à imaginer les évolutions futurs.


  1. Etat des lieux.

    1. Les fondements juridique du droit à l’image, des droits d’auteurs et du respect de la vie privée.

En ce qui concerne les fondements des réglementations du droit de l’image, il convient d’examiner au préalable les lois en vigueur au moment de l’invention de la photographie. Aussi il faut resituer son apparition dans son contexte puisqu’à l’époque naissait une jurisprudence qui protégeait uniquement les œuvres d’art. Le processus de légiférations de l’image n’a eu de cesse de s’adapter depuis l’invention de la photographie pour que progressivement elle acquiert le statut d’œuvre d’art. En effet, avant de provoquer une série de remous juridiques qui ne prendront peut être jamais fin, il a fallu l’association en 1829 de l’inventeur du tout premier cliché, Joseph Nicéphore Niepce (5 juillet 1833) et de l’industriel Louis Jacques Mandé Daguerre. L’invention fut alors présentée par Dominique François Jean Arago en 1839 à l'Académie des sciences puis commercialisée par Daguerre sous le nom de daguerréotype, ce fut d’ailleurs un succès immédiat.

-La naissance du droit des auteurs et du droit de l’image

Lorsque la photographie a fait son apparition, elle était donc régit par le droit de représentation des œuvres d’art. Les auteurs d’œuvres d’art ressentaient alors une forte dépendance vis-à-vis des mécènes qui étaient leurs commanditaires. Ainsi, même si on admettait que les auteurs conservaient un contrôle sur leurs œuvres, leur dépendance financière sapait cet état de fait. C’est donc lors de la révolution française et notamment sous l’impulsion de Beaumarchais et de Rousseau que les lois du 19 janvier 1791 et du 19 juillet 1793 permirent aux auteurs de s’émanciper réellement.

La loi du 13 et 19 janvier 1791 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dite aussi loi Chapelier (Isaac-René-Guy Le Chapelier) institue le droit d'auteur sur les œuvres théâtrales. C’est également cette loi, qui sera d’ailleurs étendue en 1793 qui est à l’origine du droit à l’image, aussi, cette configuration de droit de représentation des œuvres d'art ne sera pas retouché avant la moitié du XXème siècle.

L'article 1 de la loi du 19 janvier 1791 énonce que « les auteurs, écrivains, compositeurs, peintres, dessinateurs, ont un droit exclusif sur les œuvres durant toute leur vie ». L'article 2 prévoit des sanctions en cas de reproduction d'une œuvre sans l'accord de son auteur. L'article 5 confère la propriété des œuvres aux héritiers et cessionnaires durant cinq ans après la mort de l'auteur.

La loi du 19 et 24 juillet 1793 sur la propriété artistique et littéraire reprend les énoncés de la loi de 1791 et demeure une évolution uniquement sur la question de cession ; le droit des héritiers et cessionnaires passe de 5 ans à 10 ans. Cependant, après 10 années de passation de droit de l’auteur défunt à ses héritiers, l'œuvre peut être reproduite sans paiement de redevance. Ces principes n’ont pas été remis en cause jusqu'à la loi du 11 mars 1957, les lois de 1840, 1844, 1854, 1866 qui se sont succédées conservèrent la durée de cession des droits à 10 ans.

Le 28 novembre 1862, un arrêt de la cour de Cassation permit de faire avancer la reconnaissance de la photographie comme étant une œuvre d’art. La reproduction du portrait du Comte de Cavour réalisé par Mayer et Pierson en 1856 avait sonné le premier chamboulement dans la conception des droits d’auteurs. M. Betbeder retoucha cette photographie en l'agrandissant et en apportant quelques modifications au pinceau. Les artistes originaux de l’œuvre, Mayer et Pierson assignèrent Betbeder devant les tribunaux pour contrefaçon. Le 9 janvier 1862, le Tribunal Correctionnel de la Seine déclara que la plainte n’était pas justifiée et les deux plaignants firent appel et le 10 avril 1862. La Cour Impériale de Paris étudia le dossier et affirma que le photographe devait nécessairement faire preuve de sens artistique afin de tenir compte des ombres et lumières. La cour déclara que : «les dessins quoique obtenus à l'aide de la chambre noire et sous l'influence de la lumière peuvent dans une certaine mesure et certains degrés être le produit de la pensée de l'esprit de l'intelligence de l'opérateur ». Ainsi en 1862, le portrait du compte de Cavour fut le premier à être reconnu comme œuvre d'art et devait en conséquence être protégé par la loi de 1793.

C’est la loi du 11 mars 1957 qui apporta de nouvelles précisions au droit régissant la photographie. L'article 2 précise que la loi protège les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. L'article 3 cite comme œuvres protégeables, « les œuvres photographiques à caractère artistique ou documentaire et celles de mêmes caractères obtenues par un procédé analogue à la photographie. » Cette distinction entre photographie artistique et documentaire semèrent la confusion dans la jurisprudence jusqu’en 1985. Malgré cette avancée du droit dans l’art, 1er juillet 1982, la cour d’appel de Bordeaux n'avait pas été considérée comme artistique ou documentaire la photographie d'un château dans le Sauternais. Le propriétaire avait fait imprimer 3000 cartes postales de son château et le photographe avait fait comparaitre l’imprimeur pour motif de saisie-contrefaçon.

C’est dans ce contexte que la loi du 3 juillet 1985 intervient. Les notions de photographies artistiques ou documentaires disparurent. C’est l’originalité qui fut au centre de cette loi. Un œuvre de l'esprit est original dès lors qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Cette loi fit apparaitre le droit à la paternité de l'œuvre (droits moraux).

L’article L111-1 modifié par la loi n°2006-961 du 1 août 2006 - art. 31 JORF 3 août 2006 précise que « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code (code de la propriété intellectuelle). »

-Le droit à l'image des personnes

La confusion entre droit à l'image et respect de la vie privée est extrèmement fréquente. Le droit à l'image vise à interdire la reproduction de l'image d'une personne sans son consentement alors que le droit au respect de la vie privée protège la cible en cas de nuisance éventuelle de l’image. Le droit à l'image a été considéré pour la première fois par l'article 1832 du code civil que la jurisprudence, il évoque surtout la réparation civile du dommage : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». L’article 226-1 prévoit que soit « puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui »…« en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel »…ou en « en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ». L’article 226-2 que soit « puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 ».

L’exercice de la presse écrite ou audiovisuelle est également pris en compte, des dispositions particulières des lois régissent le cadre d’application du travail des médias en fonction de l’intention des personnes responsables. L’article 226-8 que soit « puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention ».

-Photographie et atteinte à la vie privée

L'article 9 du code civil énonce le cadre délimitant l’atteinte à la vie privée et déclare qu’une photographie prise dans un contexte de vie publique ne porte pas atteinte et échappe à la sphère privée. « Chacun à droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. » . La loi définit également la limite du droit à l'information, la condition d’actualité est essentiel pour une image mettant en scène des « privés ».

-La liberté d’expression

La liberté d'expression est un droit fondamental intangible qui trouve ses racines à la fin du XIXème siècle. Il s’agit d’un droit inaliénable et essentiel des libertés publiques qui sert de base à la constitution de chaque pays, mais son abus peut être sanctionné dans des limites fixées par l’institution auquel se réfère le droit en question. Ainsi, toute personne peut librement exprimer son opinion sur un sujet mais aussi sur une personne physique, morale ou une institution.

C’est dans la constitution des Etats-Unis de 1776 qu’apparait pour la première fois la notion de liberté d’expression. Celle-ci a été amendée pour la première fois en 1789, et c'est ce « First amendment » qui garantit aux citoyens leur liberté d'expression : « Le Congrès ne fera aucune loi accordant une préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté d'expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis ». La liberté d’expression est donc étroitement liée à la liberté d’information et la liberté de la presse.

En France, ce sont les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui garantissent la liberté d’expression : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » (Article 10 proposé par Louis de Castellane), « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » (Article 11, proposé par le duc Louis-Alexandre de La Rochefoucauld d’Enville).

Puis, suite aux deux guerres mondiales ces principes furent établis au niveau mondial par le biais de l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme : « Tout individu à droit à la liberté d'expression...sans considérations de frontières » (ONU). Au niveau européen, l’article 10 de la convention européenne des droits de l'homme défend la liberté d'expression : « Toute personne a droit à la liberté d'expression...sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publique et sans considération de frontières ». L’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a été voté par l'Assemblée générale des Nations unies en 1966 reprend ces principes afin de s’affirmer comme le défenseur de la liberté : « Toute personne à droit à la liberté d'expression...sans considération de frontières ».

Enfin, aujourd’hui on considère qu’internet est un progrès immense de la liberté d’expression car il s’agit d’une « révolution » des techniques de transmission d'informations et d'idées qui permet à chacun d’user de ce droit dans les limites conférées par l’institution qui régit ce droit. Cependant, un débat émane des limites de la liberté d’expression : s’agit-il d'un droit absolu? La liberté de chacun doit elle s'arrêter là où commence celle des autres ? En effet, la liberté d’expression se limite là ou elle devient une nuisance pour la liberté d'autrui. La Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 10§2 précise que: « L'exercice de ces libertés…peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi… ». Le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, dans l'article 19§3 définit que : « L'exercice des libertés peut être soumis à certaines restrictions expressément fixées par la loi ». Effectivement, la limite de la liberté d’expression se trouve clairement dans certains devoirs et responsabilités par rapport aux autres.

    1. .Une liberté d’expression difficile à « exprimer ».

La liberté d’expression ou liberté d’opinion est généralement définit comme étant la possibilité pour une personne d’exprimer librement ses opinions sans en être inquiété par autrui. Cette liberté peut être rattachée à l’expression dans l’art ; liberté de montrer, de créer, de retranscrire des idées, des opinions, des sentiments... Cette liberté peut donc être appelée liberté d’expression artistique. Cependant on remarque très souvent que cette liberté d’expression est limitée par le droit à l’image, notamment par le droit à l’image des personnes et celui des objets. Beaucoup de photographes se sont vue interdire la publication et la diffusion de certaines de leurs photographies ; ils ont été jugés coupables d’atteinte au droit à l’image ou d’atteinte à la vie privée vis-à-vis des plaignants. Ces deux atteintes limitent la liberté d’expression du photographe, qu’elle soit artistique ou non, mais il ne faut pas les confondre :

-Le droit à l’image :

Signalons pour commencer que le droit à l’image concerne, de facto, la diffusion d’image et non la prise de vue. Toutefois ceci ne résulte pas d’un principe de droit, mais de l’impossibilité de preuve dans le cas d’une simple prise de vue. Si elles ne donnent pas d’autorisation sur leur image, les personnes photographiées sont en droit de demander à ce que les photographies sur lesquelles elles apparaissent ne soient pas diffusées, ni exploitatées commercialement ou pire, qu’elles soient utilisées frauduleusement (comme coller un sujet sur un fait d’actualité sans rapport). Ces personnes doivent être à l’origine de la demande.

Ainsi, Elliot Erwitt a dû dédommager une plaignante pour une photographie faite et publiée il y a près de 50 ans. Robert Doisneau, pour sa fameuse photo du baiser de l’Hôtel-de-Ville (voir annexe 1), dont le succès trop visible a entraîné son cortège de désagréments, plusieurs personnes croient se reconnaître dans l'image. En 1992, Denise et Jean Lavergne réclament 500.000 francs de dommages et intérêts au photographe. Ces actions ont eu pour conséquence de mettre en lumière les secrets de fabrication de l'image. Interrogé, Doisneau a indiqué qu'il n'aurait “jamais osé photographier comme ça des amoureux qui se bécotent dans la rue, ce sont rarement des couples légitimes”. En 1991, Françoise Bornet se fait connaître: c'est elle qui figure sur l'image, avec son amoureux de l'époque, Jacques Carteaud. Croisant les deux jeunes gens à la terrasse d’un café, près du cours Simon dont ils étaient élèves, Doisneau les avait sollicités pour poser le surlendemain. Un autre exemple, lors de la coupe du monde de foot 1998, une jeune fille au visage bariolé aux couleurs de la France, portée sur des épaules, fait la une d'un grand journal. Trop mise en valeur de façon individuelle et reconnaissable, elle attaque le magazine en justice. Ou bien encore, une affaire peut commune : « L'affaire de la barque de Collioure en octobre 2001 : en éditant une carte postale d'un paysage Catalan comportant une barque en premier plan, Luc Berger n'imaginait pas que son propriétaire réclamerait 100 000 francs de dommages et intérêts (soit l'équivalent de la vente de 500 000 cartes ou cent ans d'utilisation de l'image). L'avocat défend l'idée de l'œuvre originale car son client a peint lui même cette barque et que l'image porte atteinte à la propriété intellectuelle ».
Car le droit à l'image ne s'arrête pas aux personnages, il touche les œuvres, les propriétés privées et les lieux publics. Philippe Plisson a regretté d'avoir commercialisé une vue aérienne d'un îlot en Bretagne sous prétexte que le propriétaire d'une petite maison colorée situé sur ce lopin de terre s'est senti directement visé. Une publicité utilisant des images de la chaîne du puy du Pariou (volcans d'Auvergne) s'est vue attaquée par le groupement de propriétaires privés des terres représentées. Ils se sont même opposés à l'utilisation de "leur" paysage pour illustrer un guide de randonnée mais l'affaire a finalement été déboutée sous prétexte que l'image du paysage a été maintes fois publiée auparavant.
-Le droit au respect de la vie privée :

Ainsi on comprend bien qu’une photographie réalisée dans le cadre de la vie privée de la personne photographiée entraîne automatiquement pour le photographe l’obligation de demander le consentement de cette dernière pour la prise de vue et pour l’exploitation. Par exemple beaucoup de magazine people ont été condamné à des publications judiciaires (message couvrant une grande partie de leur couverture expliquant qu’ils ont été condamné pour non respect de la vie privée, en plus de dommages et intérêts qui sont moins pénalisant pour ces journaux qui y consacrent un budget) comme par exemple la société Prisma en février 2008 condamné pour atteinte au respect de la vie privée d’Audrey Tautou dans le numéro112 de Voici.(voir annexe 2) La société éditrice ou le magazine lui-même est généralement celui qui est condamné mais ce sont les photographes engagés par ces derniers qui est à l’origine du conflit puisqu’il est le preneur de vues. Ces photographes qui chassent les images de célébrités dans leur quotidien sont aussi appelés paparazzi. Le mot provient du film de Federico Fellini La Dolce Vita (1960) dans lequel le héros, Marcello, interprété par Marcello Mastroianni, est souvent accompagné d'un jeune photographe du nom de Paparazzo. « Paparazzi » est le pluriel de paparazzo en italien. Effectivement, les paparazzi, pour obtenir leur scoop disent travailler au nom de la liberté d'expression mais s'opposent alors au respect de la vie privée.

La liberté d’expression de certains artistes peut être limitée, non pas par les lois qui régissent le droit à l’image ou le droit à la vie privée, mais par « précaution ». Ce fut le cas pour le photographe américain Larry Clark dont l’exposition « Kiss The Past Hello » s’est tenue à Paris en Octobre 2010. La polémique a commencé lorsque la Mairie de Paris, et en particulier le maire Bertrand Delanoë, a fait interdire l’entrée de l’exposition aux personnes de moins de 18 ans. Présentant à travers ses photographies une vision crue et parfois sombre de l'adolescence : seringues dans des chambres miteuses, scènes de sexe sur des lits sales, garçons dans des poses ambiguës, fille enceinte qui se pique, Larry Clark a plutôt fait le « buzz ». Une loi de mars 2007 punit « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humain ». Etait-ce le cas ? Même si Larry Clark a déjà été exposé sans limite d’âge au Forum des Halles en 1992 et à la Maison Européenne de la Photographie en 2007, un juge peut tout à fait estimer (en son âme et conscience) que c’est ici le cas. Et, à la Biennale de Lyon 2007, les photographies de David Hamilton (infiniment plus soft que celles de Larry Clark) étaient déjà interdites aux mineurs. Pour Bertrand Delanoë, la Mairie a garantit «l'expression de la liberté artistique dans le respect des textes applicables» (l'article L 227-24 du code pénal contre la diffusion aux mineurs de messages à caractère violent ou pornographique). Il ne s’agit pas là de juger les photographies de Larry Clark mais de savoir comment la liberté d’expression peut être limitée.

On se souvient du cas de la photographie utilisée par Damien Saez pour sa pochette d’album « J’accuse » (voir annexe 3) qui a été interdite de diffusion. Damien Saez avait demandé au photographe de mode Jean-Baptiste Mondino de shooter une jeune femme dénudée, installée dans un chariot… Mais le résultat a choqué l’Autorisation de Régularisation Professionnelle de la Publicité qui a estimé que l’affiche présentait « un caractère dégradant pour l’image de la femme dans la mesure où elle apparaît nue, et qui plus est dans un chariot de supermarché ».

Dans une société ou les images sont de plus en plus présentes et ce dans tous les domaines, appuyée par la prolifération des écrans, la liberté d’expression à travers la photographie connait des limites, il semble qu’on ne puisse pas tout montrer.

  1. Quand la liberté d’expression prime

On observe dorénavant de nombreux cas dans lesquels la liberté d’expression, artistique ou non, a tendance à primer sur le droit à l’image des personnes photographiées. Il semblerait que cette liberté d’expression ou d’information tienne une place majeure dans cette société où l’image est à tous les coins de rues. Il ne suffit plus de dire que nous ne voulons pas que notre image (hors du cadre de la vie privée) soit utilisée, si elle ne nous porte pas préjudice, c’est le droit à l’image qui s’incline devant la liberté d’expression. Plusieurs exemples nous illustrent cette tendance :

Tout d’abord, pour partir du cas général vers les cas concernant notre sujet, et concernant le droit à l’image d’une personnalité publique telle que le Président de la République.

-Fin 2008, une société a été assignée en référé par le Président Sarkozy pour atteinte à son droit à l'image. Elle commercialisait une poupée à l'effigie du Président de la République qu'il était possible de transpercer avec des aiguilles. Le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que la diffusion d’une poupée vaudou ne caractérise pas une atteinte fautive au droit à l’image du Président de la république, ni un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile :

« Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

Certes, le jugement n’a été donné qu’en référé mais il témoigne de l’importance et de la préservation de la liberté d’expression. En effet, selon le tribunal, la représentation de l’image d’une personne sous forme de poupée vaudou pouvant être piquée s’inscrit dans les limites de la liberté d’expression et du droit à l’humour et surtout, ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine.

Dans le domaine classique du droit à l’image, il est acquis que « la balance des intérêts » opérée par les juges consiste à opposer d’un coté, le droit au respect de la vie privée dans lequel s’inscrit encore le droit à l’image à défaut de texte autonome, et de l’autre, la liberté d’expression et d’information qui comprend la liberté de création. Opposant implicitement deux textes de la convention européenne des droits de l’homme, à savoir l’article 8 (voir annexe 4) de la convention relatif à au droit au respect de la vie privée ainsi que l’article 10 (voir annexe 5) de cette même convention relatif à la liberté d’expression, le tribunal fait primer ce dernier en estimant non constituée l’atteinte au droit à l’image.

D’ailleurs, les juges n’hésitent pas à balayer le bastion de la dignité humaine qui aurait constitué l’exemption à cette balance, la dignité humaine étant considérée comme supérieure aux deux articles susvisés.

C’est donc donner libre cours à la liberté d’expression, et plus précisément à la liberté de création, puisque l’ensemble a été qualifié par les juges comme  « œuvre de l’esprit » renfermant deux supports indissociables.

Contrairement à d’autres décisions de la Cour de cassation (Civ. 1re, 7 février 2006), cette fois-ci, c’est bien la liberté de création qui a su s’imposer face au droit au respect de la vie privée.

-En annexe 6 vous pourrez lire une décision de la cours de cassation datant du 20 février 2001 qui casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel concernant un litige entre le magazine Paris-Match et une plaignante. Là encore la liberté d’expression gagne face au droit à l’image.

-L’article suivant écrit par Isabelle Schmitz, avocate au barreau de Bruxelles (Cabinet ULYS) nous illustre la même primauté de la liberté d’expression à travers la photographie :

« Aurait-on enfin trouvé le juste équilibre entre d’une part le droit de l’individu sur son image et, d’autre part, les droits collectifs que sont l’information du public et la liberté d’expression? L’opération étant particulièrement délicate, la jurisprudence en matière de droit à l’image s’est longtemps montrée chaotique.

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«si vieille conclusion qui est bien certaine, IL n'y a pas de fin dans l'évolution du droit des obligations»

Les enjeux du droit à l’image icon«L’œuvre d’art n’est pas le reflet, l’image du monde, mais elle est à l’image du monde.»

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