Dont certaines (surtout ''Les fleurs du mal'' et ''Petits poèmes en prose'') sont ici résumées et commentées







titreDont certaines (surtout ''Les fleurs du mal'' et ''Petits poèmes en prose'') sont ici résumées et commentées
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date de publication20.10.2016
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’Les oeuvres complètes de Charles Baudelaire’’, l’édition étant établie par Banville et Asselineau, qui s’étaient faits les gardiens de la mémoire du poète. Ils s’acquittèrent de leur mission en toute conscience, mais ils manquaient de recul, et l'oeuvre n'avait pas encore été I'objet d'une étude approfondie.

Dans le premier tome, on trouvait :

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‘’Les fleurs du mal’’

(posthume, 1868)
Recueil de cent cinquante-cinq poèmes
Le poème liminaire était rebaptisé ‘’Préface’’.

Furent introduits :

- dans ‘’Spleen et idéal’’, les poèmes ’À Théodore de Banville’’, ‘’Vers pour le portrait de M. Honoré Daumier’’, ‘’Sépulture d’un poète maudit’’, ’Le calumet de la paix’’, ’La prière d’un païen’’, ‘’Le couvercle’’, ‘’L’imprévu’’, ‘’L’examen de minuit’’, ‘’Madrigal triste’’, ‘’L’avertisseur’’, ‘’À une Malabaraise’’, ‘’La voix’’, ‘’Hymne’’, ‘’Le rebelle’’, ‘’Les yeux de Berthe’’, ‘’Le jet d’eau’’, ‘’La rançon’’, ‘’Bien loin d’ici’’, ‘’Le coucher du soleil romantique’’, ‘’Sur ‘’Le Tasse en prison’’ d’Eugène Delacroix’’, ‘’Le gouffre’’, ‘’Les plaintes d’un Icare’’, ‘’Recueillement’’.

- dans ‘’Tableaux parisiens’’, les poèmes ‘’Lola de Valence’’ et ‘’La lune offensée’’.

- dans ‘’Fleurs du mal’’, le poème ‘’Épigraphe pour un livre condamné’’.
Commentaire
Cette édition fut préfacée par Théophile Gautier.

Asselineau et Banville ne reprirent pas les poèmes condamnés par le tribunal. Ils introduisirent des poèmes trouvés dans les papiers de Baudelaire, dont il n’avait pas prévu la disposition, qui ne figuraient ni dans les deux éditions précédentes, ni dans ‘’Les épaves’’ ni dans ‘’Les nouvelles fleurs du mal’’.

Du fait que ‘’Le calumet de la paix’’ et ‘’À Théodore de Banville’’ (sonnet que Baudelaire lui avait un jour aimablement adressé !) n’avaient aucunement le droit de figurer dans un supplément aux ‘’Fleurs du mal’’, et que les poèmes condamnés n’avaient pas été inclus, c'est la deuxième édition qui s'imposa comme définitive. À de trop rares exceptions (en particulier, l’édition du centenaire, en 1957, qui présenta une disposition aussi conforme qu'on peut le supposer aux intentions de I'auteur, en complétant simplement l'édition de 1861 par les poèmes supplémentaires, mais cette fois dans le respect de la composition), presque aucune édition aujourd'hui ne propose le recueil dans la version, savamment élaborée, avec un total, évidemment symbolique, de cent poèmes, que le poète publia spontanément et librement, alors que toutes les versions ultérieures étaient et restent celles d'un écrivain censuré, et d'un être profondément blessé. L'étude des ‘’Fleurs du mal’’, en tant que livre, selon le voeu et la pensée de Baudelaire, présente donc un problème d'éditions.

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On trouvait dans le tome 2 des ‘’Oeuvres complètes’’ :

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Curiosités esthétiques

(posthume,1868)
Recueil de critiques d’art
On y trouve :

- les trois ‘’Salons’’ de 1845, 1846 et 1859 ;

- l’article sur ‘’Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle’’ ;

- l’article sur ‘’L’exposition universelle de 1855’’ ;

- l’essai intitulé ‘’L’essence du rire’’ ;

- l’essai intitulé ‘’Le peintre de la vie moderne’’ ;

- l’essai intitulé ‘’L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix’’ ;

- l’essai intitulé ‘’L’art philosophique’’ ;

- l’article sur ‘’Les peintures murales d'Eugène Delacroix à Saint-Sulpice’’ ;

- l’article sur ‘’Les peintres et aquafortistes’’ ;

- des notes sur ‘’Les liaisons dangereuses’’, où on lit : «Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de la guérison que le mal s’ignorant» ; où on remarque l’âpreté des allusions à George Sand et les considérations politiques.
Commentaire
Le titre avait été choisi par Baudelaire dès 1857.

Au-delà ou en deçà de la réflexion théorique qu'ils poursuivaient sans esprit de système, les différents textes comportent un grand nombre de notations particulièrement remarquables. Qu'il s'agisse de décrire ou de louer les «beautés météorologiques» des ciels d'Eugène Boudin ou I'unité, «qui est un des besoins de la mémoire», des paysages de Corot, ou qu'il s'agisse de célébrer, à propos du graveur Méryon, le «paysage des grandes villes», ou de signaler l'«antithèse mélodique» des rouges et des verts dans les portraits de chefs indiens dus à Catlin, partout I'intuition et la langue de Baudelaire font merveille pour révéler les oeuvres dont il parle. Si bien qu'on peut dire de ces écrits critiques qu'ils sont des créations à part entière et qu'ils réalisent aussi, à leur manière, le souhait qu’il avait exprimé de voir les différents arts «se prêter réciproquement des forces nouvelles». Il est d'ailleurs certain que, recueillant et raffinant une tradition française créée par Diderot, ces textes exercèrent une puissante influence sur les écrivains-critiques d'art des générations suivantes.

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On trouvait dans le tome 3 des ‘’Oeuvres complètes’’ :

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L’art romantique

(posthume, 1869)
Recueil d’essais
C’étaient des textes de critique littéraire et musicale écrits depuis 1845 :

- ‘’Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains’’ :

- des articles de circonstance : sur les récits de Jean de Falaise, sur ‘’Les martyrs ridicules’’ de Léon Cladel (on y lit : «Le génie (si toutefois on peut appeler ainsi le germe indéfinissable du grand homme) doit, comme le saltimbanque apprenti, risquer de se rompre mille fois les os en secret avant de danser devant le public ; l'inspiration, en un mot, n'est que la récompense de l'exercice quotidien.»), sur ‘’Les misérables’’ de Victor Hugo, sur ‘'Madame Bovary’’ de Flaubert, sur Ménard et l'’’École païenne’’ ;

- ‘’Les drames et les romans honnêtes’’ ;

- ‘’Conseils aux jeunes littérateurs’’ ;

- ‘’Richard Wagner et ‘’Tannhäuser’’’’ ;

- ‘’Notes nouvelles sur Edgar Poe’’,

- etc..

Commentaire
Le titre du livre, heureux autant qu’inadapté, n’était pas de Baudelaire, mais de ses éditeurs, Banville et Asselineau. Il avait eu l'intention de réunir toute sa production critique sous le titre de ‘’Curiosités esthétiques’’ avec, comme divisions : ‘’Art’’ et ‘’Littérature’’, soulignant ainsi l'étroite union de principe et de style de sa recherche dans ces deux domaines.

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On trouvait dans le tome 4 des ‘’Oeuvres complètes’’ :

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‘’Petits poèmes en prose

(Le spleen de Paris)

(posthume, 1869)
Recueil de cinquante poèmes en prose
Il est précédé d'une lettre intitulée ‘’À Arsène Houssaye’’, et tenant lieu à la fois de dédicace, de préface et de manifeste. Baudelaire y présente la forme nouvelle de ses textes : «une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience», et leurs thèmes nés de «la fréquentation des villes énormes», «du croisement de leurs innombrables rapports». Il insiste humoristiquement sur la composition de son livre : «un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement […] Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine.» Il indique qu’il s'était fixé un but et un modèle : tenter des «essais de poésie lyrique dans le genre de ‘’Gaspard de la nuit’’ d'Aloysius Bertrand», «d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque». En effet, en 1842, Aloysius Bertrand, le premier, avait introduit le poème en prose en France, en évoquant, à la manière de Rembrandt et de Callot, I'atmosphère des villes d'autrefois.
Le titre : Il fut successivement ‘’Poèmes nocturnes’’, ‘’Poèmes en prose’’, ‘’Le promeneur solitaire’’, ‘’Le rôdeur parisien’’, ‘’La lueur et la fumée’’, ‘’Petits poèmes en prose’’, ‘’Petits poèmes lycanthropes’’, enfin ‘’Le spleen de Paris’’, titre qui apparut pour la première fois dans ‘’Le Figaro’’ des 7 et 14 février 1864, sans pourtant s'imposer définitivement au poète, qui comptait ouvrir son recueil à d'autres thèmes que Paris. Comme l'ouvrage est resté inachevé, les critiques ont toujours été divisés quant à son titre, certains voulant que ’Le spleen de Paris’’ soit utilisé comme sous-titre de ‘’Petits poèmes en prose’’, même si tous les poèmes ne sont pas des poèmes urbains. Cependant, ce titre a I'avantage d'exprimer parfaitement I'unité d'atmosphère du recueil, qui continuait, mais avec plus de raillerie et de liberté, la partie des ‘’Fleurs du mal’’ intitulée ‘’Tableaux parisiens’’.

Le recueil comporte cinquante textes, alors que Baudelaire avait voulu en écrire cent. Ce sont : 1. ‘’L’étranger’’ (voir, dans le site, BAUDELAIRE – ‘’L’étranger’’) - 2. ‘’Le désespoir de la vieille’’ - 3. ‘’Le ‘’confiteor’’ de l’artiste’’ - 4. ‘’Un plaisant’’ - 5. ‘’La chambre double’’ - 6. ‘’Chacun sa chimère’’ - 7. ‘’‘’Le fou et la Vénus’’ - 8. ‘’Le chien et le flacon’’ - 9. ‘’Le mauvais vitrier’’ - 10. ‘’À une heure du matin’’ - 11. ‘’La femme sauvage et la petite-maîtresse’’ – 12. ‘’Les foules’’ - 13. ‘’Les veuves’’ - 14. ‘’Le vieux saltimbanque’’ - 15. ‘’Le gâteau’’ - 16. ‘’L’horloge’’ - 17. ‘’Un hémisphère dans une chevelure’’ - 18. ‘’L’invitation au voyage’’ - 19. ‘’Le joujou du pauvre’’ - 20. ‘’Le don des fées’’ - 21. ‘’Les tentations ou Éros, Plutus et la Gloire’’‘ - 22. ’Le crépuscule du soir’’ - 23. ‘’La solitude’’ - 24. ‘’Les projets’’ - 25. ‘’La belle Dorothée’’ - 26. ‘’Les yeux des pauvres’’ - 27. ‘’Une mort héroïque’’ - 28. ‘’La fausse monnaie’’ - 29. ‘’Le joueur généreux’’ - 30. ’’La corde’’ - 31. ‘’Les vocations’’ - 32. ‘’Le thyrse’’ - 33. ‘’Enivrez-vous’’ - 34. ‘’Déjà’’ - 35. ‘’Les fenêtres’’ - 36. ‘’Le désir de peindre’’ - 37. ‘’Les bienfaits de la lune’’ - 38. ‘’Laquelle est la vraie?’’ - 39. ‘’Un cheval de race’’ - 40. ‘’Le miroir’’ - 41. ’Le port’’ - 42. ‘’Portraits de maîtresses’’ - 43. ‘’Le galant tireur’’ - 44. ‘’La soupe et les nuages’’ – 45. ‘’Le tir et le cimetière’’ - 46. ‘’Perte d’auréole’’ - 47. ‘’Mademoiselle Bistouri’’ - 48. ‘’Anywhere out of the world’’ - 49. ‘’Assommons les pauvres’’ - 50 ‘’Les bons chiens’’ - ‘’Épliogue’’.
Le poème en prose : Malgré la référence à Aloysius Bertrand, Baudelaire voulut trouver un nouveau mode d’expression poétique, dans le prolongement des ‘’Fleurs du mal’’, «mais avec beaucoup plus de liberté» (lettre à J. Troubat, février 1866). Sortant du cadre de la versification, n’obéissant plus à la prosodie, il voulut traduire le même spleen, le même surnaturalisme, la même ironie, la même ambiguïté, dans un autre registre de langage. Il chercha une autre voie d’expansion de la magie poétique par un effacement de la forme proprement dite au profit de la musique spirituelle et de l’atmosphère.

Mais ses premiers poèmes en prose ne furent pas très différents de ce qu’il faisait dans les vers : ‘’Le crépuscule du soir’’ et ‘’La solitude’’, lorsqu'ils parurent dans le recueil ‘’Fontainebleau’’ en 1855, étaient divisés en strophes et sensiblement plus courts que dans la version finale. Cette idée de faire de la prose avec des vers, de «déversifier» des poèmes, avait déjà été ébauchée dans ‘’La Fanfarlo’’, où «Samuel Cramer, à qui la phrase et la période étaient venues, commença à mettre en prose et à déclamer quelques mauvaises stances composées dans sa première manière». Mais, finalement, ‘’Le crépuscule du soir’’ qui figure dans le recueil, s’il reprit bien le titre et le thème du poème correspondant, en est très différent. Il en est de même pour d’autres poèmes en prose qui font doublet avec les poèmes en vers : ‘’L'invitation au voyage’’, ‘’Un hémisphère dans une chevelure’’ (qui répond à ‘’La chevelure’’).

Sauf dans le véritable poème qu’est l’’’Épilogue’’, Baudelaire renonça aux moyens traditionnels de la poésie, au «rythme» et à la «rime», a-t-il dit, mais en fait à l’incantation que permet la poésie versifiée, grâce aux figures phoniques, à l’harmonie imitative qu’elles créent par les assonances et allitérations, les anaphores, les accents, aux effets dramatiques produits par les enjambements, etc., comme aux figures structurelles (inversion, antéposition, anacoluthe, chiasme, ellipse, etc.). Si sa prose est cadencée, il ne put donc en fait que jouer sur les figures sémantiques, les plus souvent utilisées soulignant la rupture :

- les antithèses : celles du ‘’Joujou du pauvre’’, du ‘’Vieux saltimbanque’’, de ‘’Laquelle est la vraie?’’ ;

- les oxymorons : ceux, innombrables, qui caractérisent presque tous la femme ou des métaphores de la femme : «séduisante virago», «joli enfer», «robuste coquette», «chère délicieuse et exécrable femme», mais aussi : «infatigable mélancolie», «étoile noire», «soleil noir» ;

- le paradoxe : celui de la fin du ‘’Joueur généreux’’ où le poète demande à Dieu «que le Diable tienne ses promesses» ; celui de la conclusion du ‘’Miroir’’ ; celui du début de ‘’Le tir et le cimetière’’, ainsi que de sa conclusion : «Tout est néant, excepté la Mort» ; celui qu’est l’injonction faite au lecteur de s’enivrer… de vertu.
Baudelaire usa de différents tons, selon que la matière était anecdotique, autobiographique, ou onirique. Et il les mêla, ayant, dans une lettre à sa mère de 1865, affirmé qu'il se proposait de réunir «l'effrayant avec le bouffon, et même la tendresse avec la haine». Par ailleurs, dans la métaphore du «thyrse», qu’on trouve dans le texte du même titre, et qu’il avait déjà utilisée dans ’’Un mangeur d’opium’’, où il avait comparé la pensée de Thomas de Quincey «à un thyrse, simple bâton qui tire toute sa physionomie et tout son charme du feuillage compliqué qui l’enveloppe», on peut voir le bâton du thyrse comme l’anecdote qui est nécessaire à la construction du feuillage, qui est la poésie. Mais, trop souvent dans le recueil, on n’a que l’anecdote.

Aussi, la prose autorisant la forme narrative, nombreux sont les textes du recueil qui prirent la forme d’une nouvelle (‘’La corde’’ en particulier). Il y utilisa différentes formes narratives :

- le dialogue (‘’L’étranger’’) ;

- l’instantané (considérant qu’«il y a dans la vie triviale, dans la métamorphose journalière des choses extérieures, un mouvement rapide qui commande à l’artiste une égale vélocité d’exécution.» [‘’Le peintre de la vie moderne’’], il s’efforça de donner l’illusion de l’instantanéité ; ‘’Le désespoir de la vieille’’, ‘’Un plaisant’’ sont fondés sur des notations rapides, parfois à la limite de l’impressionnisme) ;

- l’épigramme (qui trouve son sens dans sa touche finale) ;

- le récit symbolique (parfois assez proche de la réalité sociale) ;

- le récit fabuleux (parfois simple représentation imagée de l’idée, mais le plus souvent représentation dramatisée de cette idée).

Pour mettre en valeur l’anecdote, Baudelaire usa de procédés journalistiques d’action sur le lecteur, et conféra à cette opération une virulence exceptionnelle. Il ramassa l'émotion dans des textes le plus bref possible, sans la pousser toutefois en pleine lumière, veillant à ne jamais abdiquer, par trop de réalisme scrupuleux, le droit du poète à transfigurer la réalité, à marquer le monde de son propre coeur.

Il lui arriva assez souvent d'exposer une idée, de façon didactique, dans des textes qui sont comme des contes philosophiques.

Dans ces textes en perte de vitesse poétique, où tout est alourdi (la lourdeur des répétitions dans cette phrase d’‘’Une mort héroïque’’ : «…le génie peut jouer la comédie au bord de la tombe avec une joie qui l'empêche de voir la tombe, perdu, comme il est, dans un paradis excluant toute idée de tombe et de destruction.»), où les traits sont appuyés à l'excès, on admire bien plus la psychologie, I'observation, l’introspection, que le bonheur de I'expression. Sauf évidemment dans le cas de ‘’L’étranger’’, il s’y trouve peu de dialogues, le poète (ou son représentant) ayant le plus souvent l’initiative (ou le dernier mot), et ceux qu’on trouve se caractérisent par l’ironie avec laquelle se refuse en fait la communication.

D’autres textes sont des concentrés de pantomime qui répondaient à la conception baudelairienne du «comique absolu» (voir ‘’De l’essence du rire’’).

Voilà qui fait que ‘’Petits poèmes en prose’’ est sans doute un des textes les plus réalistes de Baudelaire, qui, pourtant, indiqua, dans une de ses ‘’Fusées’’, qu’il voulait : «Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique, pour pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. Noyer le tout dans une atmosphère anormale et songeuse, - dans l’atmosphère des grands jours. Que ce soit quelque chose de berçant - et même de serein dans la passion - Régions de la Poésie pure.» Aussi un de ses procédés les plus fréquents consista-t-il à mettre en rapport un univers prosaïque et un univers poétique : dans ‘’À une heure du matin’’, ‘’Le don des fées’’, ‘’Déjà’’. Il lui arriva de choisir des sujets d’un réalisme cru, et même parfois monstrueux, comme dans ‘’La corde’’ ou ‘’Mademoiselle Bistouri’’, textes qui firent peur aux directeurs de revues ; mais il usa de raffinements du langage qui à la fois produisent la perfection même de la pure virulence, et animent la matière anecdotique pour l’élaborer en chorégraphie poétique. Souvent ce rapport entre l’univers prosaïque et l’univers poétique se fait au détriment de ce dernier, par un retour violent au réalisme le plus saisissant : dans ‘’La chambre double’’, ‘’Le joujou du pauvre’’, ‘’La belle Dorothée’’, ‘’La fausse monnaie’’, ‘’La corde’’, ‘’La soupe et les nuages’’. Cette prose, qui prétendait réunir le flou de l’ensemble et la précision du détail, aurait évolué aisément vers l’impressionnisme, si elle n’avait été, sur cette voie, retenue par la volonté même de l’auteur, qui résista à la fragmentation où se disperserait l’efficacité magique.

Sont vraiment des poèmes les textes qui se maintiennent dans un flou onirique, dans une magie suggestive, dans l’incertitude des frontières entre le naturel et le fantastique, qui unissent le réel et le rêve comme dans une sorte de symbolisme somnambulique. Le lyrisme se déploie surtout dans ces poèmes purs que sont ‘’Le confiteor de l’artiste’’, ‘’La chambre double’’, ‘’Un hémisphère dans une chevelure’’, ‘’Enivrez-vous’’. La phrase s’y fait plus courte, parfois nominale, plus exaltée, répétitive, rythmée, telle la dernière de ‘’La chambre double’’ : «Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné !» ; telle l’obsédante litanie, tissée d’anaphores, d’’’Un hémisphère dans une chevelure’’. Mais ce lyrisme est limité : la mise en rapport des éléments de l’«universelle analogie» s’y fait généralement non pas, comme dans la plupart des poèmes, au moyen de la métaphore, mais en usant de comparaisons (à cet égard, il suffit de confronter les deux versions de ‘’L’invitation au voyage’’) qu’on ne trouve le plus souvent que dans les rares textes placés sous le signe du bonheur : l’univers brisé qu’est l’univers urbain est loin de «la ténébreuse et profonde unité» des ‘’Correspondances’’.
Il reste que I'effort de l’écrivain cherchant à tenir la balance entre le poème et la prose est trop visible, que la faiblesse poétique des textes est flagrante, encore plus visible dans ceux qui sont des poèmes des ‘’Fleurs du mal’’ récrits en prose. On ne peut se défaire de I'impression que la phrase baudelairienne y souffre de l'antériorité du vers. Même s’il évita la raideur du vers blanc, il parvint rarement au «dépouillement miraculeux» qu'il souhaitait dans sa dédicace. Pour d’aucuns, comme Catulle-Mendès, ce recueil ne fut dû qu’au renoncement de Baudelaire devant les difficultés de la versification.
La composition du recueil : La longueur de la rédaction de ces textes (elle s’était étendue sur une dizaine d’années, de 1855 jusqu'à, sans doute, les derniers moments de lucidité, en 1866), les hasardeuses étapes de leurs publications partielles dans les revues de l'époque (ils furent poursuivis par une véritable malédiction), l'écart existant entre les projets initiaux et I'édition finale, les hésitations sur le choix du titre définitif du recueil, la difficulté que Baudelaire eut à maîtriser une entreprise qui, à la différence de celle, très rigoureuse, des ‘’Fleurs du mal’’, paraît manquer d'unité et de finalité (on a vu qu’il en fit l'aveu dans sa lettre à Houssaye) sont autant d'indices qui incitent à refuser à la suite des poèmes composant ‘Petits poèmes en prose’’ la cohérence qu’il réclama avec tant de force, et à bon droit, pour son recueil de poèmes en vers. On trouve une marqueterie de nouvelles (‘’Portraits de maîtresses’’ pourrait être une nouvelle de Maupassant, ‘’Les vocations’’, une nouvelle de Mérimée) ou de contes philosophiques (qui ont une allure discursive, un caractère de démonstration, une volonté didactique ; qui contiennent un sens caché, riche en prolongements ; qui suscitent la réflexion ; qui donnent même de nettes moralités, comme à la fin de ‘’L'étranger’’, ce qui les éloigne trop souvent de Ia poésie), de témoignages ou de protestations (où le don d'observation se joint à une sorte de tendresse, de chaleur humaine), de dialogues, d'allégories, de scènes de rue, de fictions fantastiques, de rêveries lyriques plus conventionnelles. La disparate du livre, qui peut séduire comme elle peut irriter, fait sans doute en effet sa faiblesse et sa force, car la «combinaison» (le mot figure dans la lettre à Houssaye) des différents textes donne à la lecture la liberté de «construire un sens».

Les thèmes : On peut distinguer :
- L’insolite quotidien de la grande ville. Pour Baudelaire, elle est le lieu des floraisons les plus explicites de la modernité, mais demeure toujours inconnue jusque dans sa banalité la plus ordinaire. Baudelaire, qui refusait d’admettre l’incompatibilité de l’insolite et du quotidien, qui avait, au contraire, la conviction profonde que tout le quotidien est fait d’insolite, refusait le réalisme, mais n’en était pas moins amoureux de la réalité, une réalité cependant qui, pour rester quotidienne, n’en devait pas moins cesser d’être banale. Et il vit bien que la ville est le point de concentration de l’insolite quotidien ; que, par un de ces hasards si fréquents dans la vie de «l’homme des foules», s’y rencontrent l’anomalie ou le mystère ; qu’elle est le lieu de conjonction du mythe (de la «légende» comme il disait) et du présent, du merveilleux et de l’actualité.

Ce thème, du réalisme fantastique, du baroque de la banalité, qui avait été relativement peu exploité dans ‘’Les fleurs du mal’’, amorcé seulement dans ‘’Tableaux parisiens’’, partie qui ne comprend que dix poèmes, apparaît en arrière-plan de la plupart des poèmes en prose, et plus sensiblement dans ‘’À une heure du matin’’, ‘’Les foules’’, ‘’Perte d'auréole’’ et ‘’Mademoiselle Bistouri’’ (où on voit que, plus le poète se veut trivial, plus il trouve de «bizarreries […] dans une grande ville quand on sait se promener et regarder»). La ville est évidemment Paris, mais pas celui des beaux quartiers, pas le Paris aristocratique et financier de Balzac, ni le Paris révolutionnaire de Hugo, un Paris qui va des taudis aux maisons de prostitution et aux hôpitaux, peuplé de créatures vides et dolentes, ombres d'elles-mêmes, mendiants, «filles», ratés et débauchés, rongés de souffrance et de vice, poursuivis par des rêves d'impossible évasion. Mais c’est l’espace fascinant et paradoxal d'une vie moderne pleine de surprises poétiques (Baudelaire n’avait-il pas déclaré dans ‘’Le salon de 1846’’ : «La vie parisienne est féconde en sujets poétiques et merveilleux. Le merveilleux nous enveloppe et nous abreuve comme l’atmosphère ; mais nous ne le voyons pas.»?), de chocs, de frustrations, de trivialités, les textes de prose réussissant évidemment mieux, par leur souplesse formelle, que les vers à traduire I'univers discordant et étrange du Paris qu'Haussmann était en train d'ériger, et donnant toute liberté d'épanchement au regard critique d'un poète qui réagissait cette fois à un monde et à une société historiquement situés. Faisant du «croquis de mœurs», techniquement, le point de départ d’un bon nombre de textes, il fut en effet sensible à la poésie du sordide, aux affres du spleen urbain, à la corruption et au dégoût qu’elle inspire : la ville est un «chaos de boue et de neige» (‘’Le confiteor de l’artiste’’) ; au sein d'un «bain de multitude» (’Les foules’’), ce qui domine, c'est «la lourde et sale atrnosphère parisienne» (‘’À une heure du matin’’). En devenant spectacle, en obéissant au «goût du travestissement et du masque», la corruption urbaine, l’«ineffable orgie», devient «une sainte prostitution» (‘’Les foules’’), la boue du caniveau se mue en or (‘’Épilogue’’ des ‘’Fleurs du mal’’) : or du café dans ‘’Les yeux des pauvres’’ illuminé par l’éclairage au gaz, dont la clinquante brillance trouve son achèvement dans la fête foraine du ‘’Vieux saltimbanque’’ ou dans le théâtre décrit dans ‘’Les vocations’’. Et la corruption urbaine est aussi morale et sociale : le «joueur généreux» qu'est le diable habite un palais souterrain dans Paris ; l’«énorme catin» a un «charme infernal» (‘’Épilogue’’). Souvent, la ville se réduit à un lieu de passage : faubourg, le plus souvent boulevard qui permet à l’auteur d’observer la multitude en préservant sa solitude, avec un certain détachement de dandy, soit qu’il observe davantage les spectateurs que le spectacle (voir la dernière mentionnée des ‘’Veuves’’ ; ‘’Les yeux des pauvres’’ ; le «regard profond, inoubliable» du ‘’Vieux saltimbanque’’), soit qu’il observe le spectacle de la ville d’une certaine distance, le plus souvent d’une hauteur (dans ‘’Le crépuscule du soir’’ ou dans ‘’Épilogue’’ : «Je suis monté sur la montagne / D’où l’on peut contempler la ville en son ampleur» et où, enivré de son «charme infernal», il lui crie : «Je t'aime, ô capitale infâme !»), soit qu’il entende monter les rumeurs de la ville (‘’Le mauvais vitrier’’, ‘’À une heure du matin’’). Citons également quelques attitudes de détachement, non directement liées au thème de la ville, dans ‘’Déjà’’ et dans ‘’Le port’’.

Dans ‘’Petits poèmes en prose’’, Baudelaire esquissa pour la première fois, le mythe de la grande ville qui allait fasciner tant d’écrivains divers.
- Le tourment du poète. En effet, les «poèmes en prose» sont au surplus une confession de Baudelaire lui-même, soit qu’il s'exprime à la première personne, soit qu'il use d'un semblant de masque. Confession toute poétique, certes, mais qui est celle d’un sentiment de l’exil qui, dans ‘’L’étranger’’, atteint une rare intensité poétique et une nostalgie bouleversante, le poète étant plus solitaire que tout autre humain, car, lorsqu'il jette un coup d'oeil sur sa vie et qu'il voit que toutes ses attaches avec le monde sont brisées, qu’il est brouillé avec sa famille et ses amis, sans argent et sans patrie, il craint de rester toujours incompris. Il est impossible pour lui de trouver un recours, comme le faisaient les romantiques, en donnant sa douleur en spectacle, car le dandy qu’il est méprise trop les êtres humains pour chercher à attirer leur attention. Il ne peut supporter le contact de la sottise : gens de lettres, journalistes, directeurs de théâtre que le culte de I'art laisse indifférents. Mais il s'agit moins pour lui de fuir une humanité vulgaire que de retrouver I'affection vraie dans un monde enfin habitable.

Ressentant une «vaporisation du moi» (‘’Mon coeur mis à nu’’) dans le réel ou dans la rêverie, il en arrive à se perdre dans le monde : «Toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !)» (‘’Le ‘’confiteor’’ de I'artiste’’). Il fait cet aveu de faiblesse et cette demande d’aide : «Âmes de ceux que j'ai aimés, âmes de ceux que j'ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde ; et vous, Seigneur mon Dieu, accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.» (‘’À une heure du matin’’). Il se rend compte de l’impossibilité de trouver quelque communion humaine dans la ville immense qui, pour lui, est d'abord une foule de visages identiques, exempts de toute chaleur humaine. Aussi profite-t-il des quelques heures de répit que la nuit procure, d’une bienfaisante solitude qui n’est pourtant qu'une halte : «Enfin la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même !» (‘’À une heure du matin’’).

C’est qu’il est bien en proie au spleen, douleur vague, sans motif autre que la monotonie d'une existence de prisonnier. Il peut accuser son milieu et son siècle, mais sait bien, au fond de lui, que sa maladie tient à sa plus profonde personnalité. Quand il est trop las de lui-même, il se résigne rnême à aller prendre son «bain de multitude», cherchant là, au milieu des foules, à se mêler à d'autres existences : «Celui-là, qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses, dont seront éternellement privés l'égoïste, fermé comme un coffre, et le paresseux, interné comme un mollusque. ll adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies, et toutes les misères que la circonstance lui présente» (‘’Les foules’’). Mais, dans Ia vie moderne, les humains ne cherchent guère à se connaître ; I'amour même y est impossible, dont il faut bien trouver le symbole dans la prostitution qui tient une grande place dans ‘’Petits poèmes en prose’’.
- La femme. Baudelaire lui voue des sentiments ambivalents (quelle que soit l’expression qu’il emploie, elle est toujours contradictoire) :

D’une part, il peut ressentir l’amour, qui peut prendre différentes formes : la simple curiosité à l’égard de la «femme mûre» des ‘’Fenêtres’’, la froide séduction opérée par la troisième des ‘’Veuves’’, la séduction charnelle de la bonne sur le troisième enfant des ‘’Vocations’’, la «force fascinatrice» des yeux et de la voix de contralto de la «Diablesse» des ‘’Tentations’’, le désir de soumission aux femmes-déesses, qu’elles soient la «colossale Vénus» (‘’Le fou et la Vénus’’) dont l’indifférence rappelle la «Beauté» du sonnet des ‘’Fleurs du mal’’, l’«Idole, la souveraine des rêves» de ‘’La chambre double’’, dont les yeux «dévorent le regard de l’imprudent qui les contemple», ou ces femmes qui «donne[nt] le désir de mourir lentement sous [leur] regard» (‘’Le désir de peindre’’).

D’autre part, il exerce sur les femmes une ironie agressive, les comparant à un animal (un cheval, fût-il «de race» [‘’Un cheval de race’’]) ; en en traitant une de «belle Féline» (‘’L’horloge’’, cette métaphore animale n’étant toutefois pas, pour lui, vraiment dévalorisante) ; en en qualifiant d’autres de «monstre polyphage» (‘’Portraits de maîtresses’’), de monstre de foire (‘’La femme sauvage et la petite- maîtresse’’), de «monstres innocents» (‘’Mademoiselle Bistouri’’), de «petite folle monstrueuse» (‘’La soupe et les nuages’’) ; en dénonçant leur cruauté (‘’Les yeux des pauvres’’) ; en parlant de «l’égoïste femelle» ; en lui attribuant le plus souvent le qualificatif d’«hystérique» ; en lui faisant subir une agression physique dans le dernier récit des ‘’Portraits de maîtresses’’.

Mais la femme est elle-même ambivalente, comme en témoignent les nombreuses références à la lune : celle qui s’est incarnée dans la «maudite chère enfant gâtée» des ‘’Bienfaits de la lune’’), «la lune sinistre et enivrante» qu’est la femme dangereuse du ‘’Désir de peindre’’ ; celle qui inspire les «yeux verts» du «cher ange» des ‘’Yeux des pauvres’’ ; comme en témoignent aussi les portraits contradictoires de femmes : la quatrième héroïne des ‘’Portraits de maîtresses’’, dont la perfection est insupportable ; «la belle Dorothée», déesse et esclave affranchie à la fois ; la double Benedicta de ‘’Laquelle est la vraie?’’ ; celle qui est appelée ‘’Un cheval de race’’, qui est «bien laide» et «délicieuse, pourtant !».
- Les malheurs. Ils sont prodigués par «la détestable vie», «l’insupportable, l’implacable Vie», «l’irrémédiable existence» (‘’Le ‘’confiteor’’ de l’artiste’’). Les textes montrent la difformité physique (les «monstres innocents» de ‘’Mademoiselle Bistouri’’ - le monstre en cage de ‘’La femme sauvage et la petite maîtresse’’). Ils dénoncent l'inégalité (des conditions, des perceptions, des aspirations), la misère (‘’Les veuves’’ - ‘’Le tir et le cimetière’’ - ‘’Assommons les pauvres’’), les plus émouvants étant pleins d'une intense charité pour les déshérités : le poète dédaigne de «visiter [...] la joie des riches», mais se sent attiré «vers tout ce qui est faible, ruiné, contristé, orphelin» (‘’Les veuves’’). En se gardant de toute grandiloquence, Baudelaire fut un des écrivains qui ont le mieux traduit la grandeur des pauvres gens, la noblesse qui subsiste jusque dans l'être le plus déchu (‘’Le vieux saltimbanque’’), la prostitution (‘’Mademoiselle Bistouri’’). Il regretta l'incommunicabilité et l’incompréhension («Tant il est difficile de s'entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s'aiment !» [‘’Les yeux des pauvres’’]), l'égoïsme (le personnage odieux de ‘’La fausse monnaie’’, dont «le plus irréparable des vices est de faire le mal par bêtise»), la solitude, la folie (‘’Le crépuscule du soir’’, ‘’Perte d’auréole’’), la vieillesse, le Temps («Oh ! oui ! le Temps a reparu, le Temps règne en souverain maintenant, et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortège de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses» [‘’La chambre double’’], d’où une seule nécessité : «Tuer le temps. Tuer ce monstre-là, n’est-ce pas l’occupation la plus ordinaire et la plus légitime de tout un chacun?» [‘’Le galant tireur’’], «tuer le Temps qui a la vie si dure, et accélérer la Vie qui coule si lentement» [‘’Portraits de maîtresses’’]), la mort («Je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois» [‘’Perte d’auréole’’]). Et cette révolte contre la condition humaine prit parfois la forme de l’humour noir.
- La nécessité de l’évasion. Il s’agit d’échapper au quotidien et à ses soucis, à la ville et à ses tourments, à la compagnie des autres, au spleen, surtout au Temps. L’évasion est un motif récurrent dans le recueil car, comme dans “Les fleurs du mal”, elle est tentée par tous les moyens qui peuvent permettre de s'affranchir du réel : le rêve, la rêverie dans les «nuages» (‘’La soupe et les nuages’’), le désir éprouvé pour une femme (dans ‘’L’invitation au voyage’’ ; dans ‘’Un hémisphère dans une chevelure’’ ; dans ‘’Déjà’’, où la femme n’est que suggérée par une double métaphore identifiant d’une part la terre et la femme, d’autre part la mer et une autre femme), le refuge en des lieux privilégiés qui introduisent le poète un instant au sentiment d'un monde supérieur (ainsi «la chambre double» «ressemble à une rêverie, une chambre vraiment spirituelle»), le voyage sur des mers infinies, au bout desquelles se trouvent des pays lointains que l'imagination sait parer de beaux prestiges : «Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité ! Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence.» (‘’L’invitation au voyage’’), l’exotisme (‘’Un hémisphère dans une chevelure’’ - ‘’La belle Dorothée’’ - ‘’Déjà’’), l’ivresse (‘’Enivrez-vous’’ : «pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve»), l’art («L’ivresse de l’Art est plus apte que tout autre à voiler les terreurs du gouffre» [‘’Une mort héroïque’’]), la drogue, le satanisme qu’on voit dans ‘’Le mauvais vitrier’’ (texte qui pourrait être considéré comme une préfiguration de l'«acte gratuit» d'André Gide : Baudelaire y analyse froidement cet esprit de mystification «qui nous pousse sans résistance vers une foule d'actions dangereuses ou inconvenantes», cette exaltation de la puissance pure, qu’il commente avec ironie : «Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde I'infini de la jouissance.») Mais le poète sait que tout «ailleurs» lui est interdit, que toutes ces formes d’évasion ne sont que d’insatisfaisants palliatifs, comme l’atteste ‘’Anywhere out of the world’’. La seule réponse à la tyrannie du Temps est la fuite dans l’éternité, qui nie ces fameuses subdidivisions du temps : «Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le temps a disparu, c’est l’Éternité qui règne !» (‘’La chambre double’’) - «une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans division de minutes ni de secondes - une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges» (‘’L’horloge’’).
La destinée de l’œuvre : Baudelaire, qui, malgré le précédent d'Aloysius Bertrand, avait fait une oeuvre absolument originale, resta lui-même très critique à l’égard du ‘’Spleen de Paris’’ : «Ah ! ce Spleen, quelles colères, et quel labeur il m'a coûté[s] ! Et je reste mécontent de certaines parties

Le recueil fut, à sa publication, accueili avec encore plus de mépris que ‘’Les fleurs du mal’’. Quelques-uns de ses confrères exprimèrent cependant leur admiration avec courage et audace, mais sans vraiment comprendre le poète. Ainsi Gautier et Banville, qui, cependant, ne modifièrent en rien leur esthétique. Il fallut attendre Mallarmé puis Max Jacob, Léon-Paul Fargue et Pierre-Jean Jouve pour qu’il soit reconnu à sa juste valeur.

De nos jours, le succès du recueil est consacré. Certains critiques y voient I'aboutissement de la poétique de Baudelaire, s'accordent à dire qu'il est à la prose ce que ‘’Les fleurs du mal’’ sont aux vers : un chef-d'œuvre ; que l’auteur y a pleinement accompli son idéal de modernité magique, et y a suscité, dans les anneaux de son style, la rencontre de l’insolite et du quotidien. Mais d'autres considèrent que Baudelaire y marqua bien l’affaiblissement de son talent de poète ; que cette oeuvre restée inachevée et de ce fait ambiguë, fut un échec dans un genre encore balbutiant dont il ne déterminait pas encore totalement la spécificité. Rimbaud, Lautréamont, Laforgue, Jacob, Reverdy et les surréalistes allaient le faire exploser, le faire fructifier, jusqu’à ce qu’il devienne, dans bien des cas, la forme normale de l’expression poétique.

Petits poèmes en prose” marqua donc un tournant dans la littérature française en ouvrant les chemins de l’écriture moderne.

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En 1869, Charles Asselineau écrivit la première biographie de Baudelaire : ‘’Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre’’, que, cependant, la mère du poète lui fit rectifier.

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En 1887, on fit paraître un recueil intitulé
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